Il est de tradition que chaque année les Prix Nobel soient annoncés la deuxième semaine d’octobre, et celui de physique spécifiquement le deuxième mardi de ce dixième mois de l’année, avant la remise officielle de ces Prix le dixième jour du dernier mois de l’année. Ainsi avons-nous appris le mardi 8 octobre 2019 que le Prix Nobel de Physique 2019 est attribué à trois Lauréats « for contributions to our understanding of the evolution of the universe and Earth’s place in the cosmos » parmi lesquels, outre les Professeurs Michel Mayor (Université de Genève) et Didier Queloz (Université de Genève et Université de Cambridge (UK)) « for the discovery of an exoplanet orbiting a solar-type star », nous comptons avec plaisir le Professeur James (dit Jim) Peebles de l’Université de Princeton (USA), « for theoretical discoveries in physical cosmology » (voir https://www.nobelprize.org/prizes/physics/2019/summary/ ).
À l’Université catholique de Louvain (UCLouvain) tout particulièrement, mais aussi plus largement en Belgique, cette annonce fut en effet accueillie avec un réel bonheur car elle honore un grand cosmologiste du XXème siècle, et nous en sommes fort heureux certainement d’abord pour Jim Peebles lui-même. Mais cette décision fut reçue également avec une dose certaine de fierté car Jim Peebles peut être compté non seulement parmi la communauté académique de l’UCLouvain et donc celle belge – Jim Peebles apprécie certainement ses visites dans notre pays – mais également, et ce depuis toujours, comme un grand défenseur en Amérique de Nord de l’héritage scientifique de Monseigneur Georges Lemaître pour la cosmologie physique moderne – dont Jim Peebles visita encore en 2014 les Archives à l’UCLouvain. En effet Jim Peebles est non seulement le premier Lauréat, au printemps 1995, du prestigieux Prix International Georges Lemaître attribué depuis cette date chaque deux ans par l’UCLouvain et ses Amis, tandis qu’en 1996 Jim Peebles a par ailleurs été promu Docteur Honoris Causa de la Faculté des sciences de l’UCLouvain. Et ceci précisément déjà pour ses nombreuses contributions scientifiques fondatrices de la cosmologie physique moderne qui se voient aujourd’hui reconnues par le Prix Nobel de Physique.
Avec le Professeur Kip Thorne (California Institute of Technology, USA), récipiendaire du Prix Nobel de Physique en octobre 2017 et Lauréat du Prix International Georges Lemaître en octobre 2016, Jim Peebles est ainsi le deuxième Lauréat du Prix Georges Lemaître à se voir honorer ensuite avec l’attribution du Prix Nobel de Physique. Une double distinction qui certainement est également à l’honneur du Prix International Georges Lemaître remis désormais par la Fondation Louvain de l’UCLouvain.
Poursuivant directement dans la voie tracée par Monseigneur Georges Lemaître, au cours des cinquante dernières années les contributions originales et profondes de Jim Peebles à la cosmologie physique ont enrichi et conduit à la transformation de ce large domaine de recherche fondamentale aujourd’hui, pour l’amener d’un état de conceptualisations et de spéculations théoriques à celui d’une science à part entière s’appuyant directement sur l’observation active de l’univers et totalement soumise à la rigueur intellectuelle et à l’approche critique de la méthodologie scientifique expérimentale. Le paradigme théorique développé par Jim Peebles depuis les années 1960 contribue de manière essentielle au cadre conceptuel contemporain pour la compréhension de l’univers et de son évolution depuis ses débuts.
La théorie du Big Bang décrit l’univers depuis ses tous premiers instants, depuis « Cet instant unique, qui n’avait pas d’hier » [Georges Lemaître] il y a près de 14 milliards d’années, alors qu’il était extrêmement dense et chaud. Depuis l’univers n’a eu de cesse d’être en expansion et de se refroidir, devenant ainsi toujours plus grand et plus froid. À peine environ 400.000 ans après le Big Bang l’univers devint déjà transparent, et la lumière capable de s’y propager désormais librement pour en atteindre toutes les recoins, y compris nos détecteurs sur Terre, et pénétrer ainsi tout l’espace offert par l’univers. Aujourd’hui ce rayonnement fossile cosmologique, ou encore du fond diffus cosmologique (Cosmic Microwave Background ou CMB) est omniprésent tout autour de nous et, encodé dans ses riches propriétés distinctives, il est un précieux messager pour nombre des secrets de l’univers concernant sa structure autant celle d’aujourd’hui que celle de ses débuts. Avec les outils théoriques et les calculs qu’il a développés, Jim Peebles a réussi à interpréter ces premières traces fossiles de la genèse de l’univers et y découvrir de nouveaux processus physiques d’importance pour sa compréhension aujourd’hui.
Et c’est ainsi que d’une manière totalement inattendue, au cours de ces dernières décennies les travaux de Jim Peebles avec ces résultats nous révélèrent un univers dont seuls 5% du contenu en matière et énergie qui participe à son expansion gravitationnelle nous sont connus, à savoir cette matière qui spécifiquement compose les étoiles, les planètes, tout ce que l’on peut trouver sur Terre, et finalement nous-mêmes. Le solde de ce que nous savons devoir en outre composer encore l’univers en matière et énergie, soit 95% de son contenu, nous reste toujours totalement inconnu, et est désigné, à défaut de mieux, comme étant de la matière sombre et de l’énergie noire (dark matter et dark energy ; voir encore https://physicsworld.com/a/exoplanet-researchers-welcome-cataclysmic-nobel-prize-announcement/ ).
Comme le dit Jim Peebles dans son interview avec le Comité du Prix Nobel (https://www.nobelprize.org/prizes/physics/2019/peebles/interview/ ), son aventure scientifique est certainement comparable à celle d’un explorateur de l’univers qui, dans ses pérégrinations cosmologiques, découvre des secrets – dignes d’un Prix Georges Lemaître et du Prix Nobel de Physique – ainsi que bien des mystères encore concernant notre univers. Comme le sont en effet ceux de la matière sombre et de l’énergie noire, dont l’existence incontestable constituent aujourd’hui l’un des défis majeurs pour la physique moderne du XXIème siècle. Et comment Jim Peebles rêve-t-il de la résolution de cette énigme cosmologique et astrophysique qu’il a lui-même activement contribué à se laisser dévoiler par Dame Nature ?
« One of the wonderful things about this exploration is that of course we don’t know what we will see. And it is true here. I hope that we will be surprised by what is found to be the nature of the dark matter. It might be something that has already been considered seriously. If so, the demonstration will be a detection, perhaps in the laboratory. There are remarkably sensitive experiments now hoping to detect the interaction of dark matter with ordinary matter. It might be through its annihilation that releases energy that can be detected as radiation. But my romantic dream – I guess I am romantic about these things – my romantic dream is that we will be surprised yet once again. I’m hoping that will be the case. »