Sa présence est aussi permanente qu’inaperçue… Le numérique est partout. Les nouvelles technologies transforment tous les secteurs de notre société : l’environnement, l’économie, l’éducation, l’enseignement, la santé, les liens sociaux, etc. Une nouvelle culture s’offre à nous et modifie notre regard sur le monde. Comment appréhender le numérique et surtout, comment l’inscrire à sa juste place dans nos vies et dans notre société ?
Ces questions animeront toute la communauté universitaire en 2017-2018. L’UCL a en effet décidé de faire de cette année académique, une Année Louvain consacrée aux Mondes numériques. A travers différents types d’activités - conférences, séminaires, expositions, projections, ateliers artistiques -, les étudiant·e·s, les enseignant·e·s, les scientifiques, le personnel administratif et le public extérieur seront invités à porter un regard critique sur le numérique et les enjeux sociétaux qu’il pose.
Les regards seront pluriels, en ce compris celui de l’artiste : l’UCL accueillera en résidence, Nicolas Maigret, un artiste numérique de dimension internationale.
Cette année thématique a pour principaux objectifs de :
- susciter le débat et la réflexion sur la place qu’occupe le numérique dans la vie de l’université et plus largement dans nos vies ;
- sensibiliser à l’importance de mener une telle réflexion, laquelle dépasse le cadre purement technologique ;
- porter un regard critique sur le numérique et les enjeux sociétaux qu’il pose (environnementaux, économiques, sociaux, culturels, politiques) et sur nos propres pratiques numériques ;
- démontrer que les transformations induites par le numérique peuvent favoriser la participation des acteurs, l’interactivité, l’ouverture, la création et la collaboration ;
- affirmer l’ambition de l’UCL d’être une université où le numérique favorise la création, la diffusion et l’acquisition de connaissance.
> En savoir plus sur le projet Université numérique
> Lire aussi l'interview d’Yves Deville, professeur (EPL – ICTEAM), conseiller du recteur pour l'Université numérique et Aurore François, professeure (FIAL - IACCHOS) et archiviste de l’université, co-pilotes de l’année thématique « Mondes numériques – Année Louvain 2017-2018 ».
> Regardez la vidéo réalisée par les étudiant·e·s de l’IAD (Exercices IAD 2017)
Pourquoi une année des mondes numériques à l’UCL ?
Yves Deville : le premier objectif, c’est de montrer que les transformations liées au numérique peuvent générer davantage de collaboration, d’interaction, de créativité et d’ouverture entre les acteurs parce qu’il offre de nouveaux moyens. Wikipédia, par exemple, est un modèle d’encyclopédie collaborative qui permet à chacun de contribuer à la co-construction du savoir et le résultat est exceptionnel. Le numérique a boosté la création : celui qui invente quelque chose le met sur le web, que ce soit un poète avec ses poèmes, un groupe qui dépose sa musique sur Youtube,… sans compter le crowfunding qui donne vie à des projets. Le numérique transforme le monde. L’UCL veut en profiter pour jeter un regard critique sur ce phénomène et ses implications sociétales.
Aurore François : nous entendons saisir la transition numérique comme un paradigme, une culture. Il y a une ‘dimension touristique’ dans nos rôles de co-pilotes de cette année thématique : on parcourt l’université et il est très intéressant de voir la manière dont chaque discipline s’empare du numérique et comment celui-ci peut modifier les méthodes, les outils, mais aussi les regards sur le monde. Donne-t-il l’opportunité aux différentes disciplines d’échanger entre elles ? Les choses sont en tout cas transformées. C’est évident par exemple dans mon domaine qu’est l’histoire. Aujourd’hui il est possible d’étudier des corpus de données énormes, de balayer des archives par mots-clés plutôt que d’ouvrir des liasses présentées dans un certain ordre. Cela permet des croisements et des analyses qui étaient impossibles auparavant, c’est très enthousiasmant, mais cela nécessite une réflexivité des chercheurs par rapport à leurs pratiques. On peut par exemple travailler sans se déplacer sur des données jusque-là inaccessibles, accéder à des archives qui se trouvent à l’autre bout du monde. Mais on peut aussi perdre la richesse des contacts sur place…
Pourquoi parler des mondes numériques, et pas du numérique tout simplement ?
A.F. : Cela participe d’une volonté d’avoir un regard plus large. L’angle n’est pas que technologique. Cette année thématique veut prendre en compte la manière dont le numérique transforme tous les secteurs, l’environnement, l’économie, les rapports humains, les liens sociaux, la culture, … Mais aussi l’enseignement et la recherche. On ne doit pas en avoir une perception monolithique. Dans une université, les regards sont pluriels !
Y.D. : Parler de ‘mondes numériques’ montre que cette année thématique est plus large que le projet d’université numérique.
Que représentent les MOOCs dans l’université numérique ?
Y.D. : Un des objectifs de l’année thématique c’est d’affirmer l’ambition de l’UCL d’être une université numérique, pour favoriser la création et la diffusion des connaissances. Derrière cette ambition, il y a un projet. L’approche suivie par l’UCL, pionnière dans ce domaine, c’est l’ouverture. Le développement des MOOCs rentre dans cette stratégie d’ouverture, avec la volonté de développer l’enseignement pour nos étudiants et pour le public extérieur. Disons que les MOOCs, c’est ce qui marche le mieux et qui est le plus spectaculaire.
Les chercheurs et les enseignants prennent-ils tous le train de cette évolution numérique ?
Y.D. : C’est une opportunité plutôt qu’une obligation. Celui qui ne souhaite pas y participer n’est pas obligé de le faire. Personne n’est obligé de faire de son cours un MOOC et il ne faudrait pas que tous les enseignants fassent des MOOCs !
Comment inciter les chercheurs à travailler avec le numérique ?
Y.D. : Il faut expliquer et convaincre les personnes que c’est intéressant pour elles. Il faut montrer au chercheur que l’impact de ses recherches sera plus grand grâce à l’open access. C’est pareil pour les enseignants : il faut leur montrer que l’open education met leurs ressources à disposition du monde entier et décuple leur impact. Financièrement, l’open access et l’open education ne coûtent pas cher. L’objectif n’est pas de faire un virage à 180°, plutôt de faire prendre conscience aux personnes de l’intérêt de ces choix.
Y a-t-il des universités étrangères qui vous inspirent ?
Y.D. : Oui bien entendu, je pense à British Columbia ou au MIT mais aussi à l’Université d’Edimbourg qui a une politique intégrée, c’est-à-dire que l’open education et l’open access sont intégrés dans la stratégie de l’université, formant un projet global. Les membres de l’université sont aussi très sensibilisés à l’existence de ce projet.
A.F. : L’université s’est construite sur l’écrit… La transition numérique amène donc l’université à se réinventer. Dans le domaine de la gestion documentaire, l’Université de Lausanne mène des projets très intéressants. Progressivement, elle construit un projet global en concertation avec toutes les personnes concernées afin de mettre au point des garanties de confiance par rapport au mode de gestion documentaire numérique. À la question ‘comment opérer le transfert vers le paradigme numérique’, je ne crois pas aux solutions toutes faites, développées sans les parties prenantes.
Le rôle de l’université dépasse-t-il celui de la réflexion ?
Y.D. : Oui, bien entendu, à travers l’enseignement et la recherche même si nous n’avons pas pour mission de nous substituer aux autres acteurs. Nous jouons un rôle de formation et de conseil, sans oublier la formation continue. L’ouverture que permet le numérique permet de jouer ce rôle plus facilement, grâce à des outils accessibles à tout moment. Nous sommes aussi préoccupés par la façon dont le numérique peut amener les disciplines à se parler.
A.F : L’année des mondes numériques, c’est aussi aller au-delà des outils en visant le partage des méthodes, des concepts, des visions.
La place faite à une vision critique ne sera-t-elle pas relativement limitée au cours de cette année ?
A.F. : à l’université, le regard se veut critique par définition. À nous de nous emparer du numérique, pour qu’il puisse s’inscrire dans les valeurs de liberté, d’ouverture et de solidarité que l’université défend.
Y.D. : Une vision critique mais aussi positive. On ne dira pas ‘attention, il faut freiner’. Le discours sera plutôt ‘qu’est-ce que cela peut nous apporter ?’.
Le numérique est-il synonyme d’un monde à deux vitesses ?
Y.D. : On pourrait penser que l’on va, avec le numérique, vers quelque chose de plus global. Or quand on regarde des initiatives écologiques locales, on constate qu’elles utilisent le numérique pour se développer. On ne s’attendait pas à cela. Nombre de jeunes qui veulent être dans un modèle différent recourent au numérique.
A.F. : Les échelles comme les effets sont multiples, les réalités très contrastées : la mise en réseau permet l’expression des modèles économiques les plus inégalitaires, mais aussi des initiatives solidaires ; des instruments de contrôle, mais aussi des lieux de résistance et de contre-pouvoir. Se pencher sur « les mondes numériques », c’est aussi adopter une vision tout sauf déterministe et réaliser à quel point nous pouvons peser sur ces changements.
Quel serait votre rêve, dans le domaine du numérique ?
Y.D. : Je vois trois axes prioritaires à l’université : l’enseignement, la recherche et l’internationalisation. Le numérique est l’outil qui va permettre de développer ces trois éléments.
A.F. : mon rêve, c’est que l’humain soit replacé au centre, comme acteur à part entière des transformations liées au numérique.
Propos recueillis par Dominique Hoebeke