Historienne de l’art de formation, ancienne assistante et doctorante à l’UCLouvain, Muriel Damien a créé un outil de médiation muséal original qui permet de pratiquer une approche sensorielle de l’art. Le personnel de l’UCLouvain pourra bientôt vivre cette expérience innovante au sein des collections du Musée L.
Instauré pour la première fois en 2018 au Canada par l’Association des médecins francophones du Canada et le Musée des beaux-arts de Montréal, le système de prescription muséale vient d’être introduit depuis le mois de septembre à Bruxelles par la Ville de Bruxelles et le CHU Brugmann. Aller au musée, côtoyer des œuvres, se délecter de l’art deviendrait donc une nouvelle forme de thérapie, au Canada mais aussi chez nous. Mais quels sont les bénéfices de l’art sur notre santé et notre bien-être ?
MD En 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé s’est penchée pour la première fois sur les effets de l’art sur la santé et le bien-être dans un rapport qui questionnait le rôle de l’art dans l’amélioration de la santé et du bien-être. S’appuyant sur près de 900 études rédigées sur le sujet, les auteur·es confirment l’impact positif de l’art tant sur la santé mentale que physique, tant dans le cadre du soutien et de la prévention que dans la gestion et le traitement des maladies. Et puisque l’art encourage les comportements favorables à la santé et prévient les soucis de santé, le rapport « Encouraging Arts and Cultural Organizations to Make Health and Well-Being an Integral and Strategic Part of their Work » invite les secteurs culturels, les services sociaux et les soins de santé à collaborer dans ce sens. Dès lors que l’art suggère un engagement esthétique, une implication de l’imagination, une activation sensorielle, une évocation des émotions, une stimulation cognitive, une interaction sociale, une activité physique, s’en suivent des réponses physiologiques, psychologiques, sociales et comportementales qui favorisent le bien-être. On constate donc que la majorité des « ingrédients » cités par l’OMS relèvent de la sphère sensible et sensorielle de l’art.
L’art peut s’appréhender par le cognitif, mais aussi par le corps, l’émotionnel et le sensoriel
A quels publics s’adresse cette approche sensorielle et sensible ?
MD Même si nous pouvons nous réjouir de l’intérêt des équipes éducatives des musées et du secteur culturel pour le sensoriel ces dernières années, les médiations qui valorisent les sens visent majoritairement un public très spécifique : enfants, déficients visuels ou aveugles et public socialement fragilisé. Or, puisque stimuler l’imagination, activer les sens et convoquer les émotions au musée peuvent favoriser le bien-être, pourquoi dès lors ne pas proposer une médiation qui s’articule autour d’une approche sensorielle et sensible pour le tout public ? L’art peut s’appréhender par le cognitif, mais aussi par le corps, l’émotionnel et le sensoriel. L’approche sensible, capable de faire émerger des émotions et des sentiments, et l’approche sensorielle, faisant référence aux cinq sens (toucher, vue, goût, odorat, ouïe) sont ici utilisées dans une acception élargie. Elles englobent le sens du mouvement et les différentes sensations senties et ressenties par et dans le corps. Parlez-nous du projet que vous souhaitez développer, entre autres au Musée L ? MD Ce projet propose au visiteur d’appréhender les œuvres par une approche corporelle et sensorielle, basée exclusivement sur l’expérience, les sensations, les ressentis et les émotions. Loin d’une approche intellectuelle, analytique et interprétative, cette médiation s’articule autour de différents outils (respiration consciente, réelle présence, regard aiguisé et attentif, attitude d’ouverture, etc.) qui permettent de se connecter au « sentir » à travers les formes, la matérialité, les couleurs et les textures d’une œuvre d’art. L’art se vit alors comme une rencontre. Au contact de l’œuvre, se construit une véritable relation. Lorsque nous sommes en relation, c’est d’abord par le truchement de notre corps qui devient un véritable médiateur entre nous et le monde. Ce corps qui permet qu’on puisse se laisser toucher par les œuvres d’art. L’art peut agir sur nous mais aussi émerger en nous, avec force, quand on entre en résonance avec une œuvre et qu’on devient acteur de cette expérience qu’on appelle alors esthétique. Le principe de résonance comme relation au monde évoquée par Hartmut Rosa1 , philosophe et sociologue, accorde une place prépondérante à l’appréhension du monde par le corps, par la peau et par le regard. Quand on entre en résonance avec une œuvre d’art, on se connecte à elle mais aussi à soi et à son corps, c’est une manière d’éprouver l’art, sans le comprendre, sans l’interpréter et sans l’analyser.
Quand on entre en résonance avec une œuvre d’art, on se connecte à elle mais aussi à soi et à son corps.
Quels sont les bénéfices d’une telle approche sensorielle de l’art ?
MD Ils sont multiples. D’une part, cette médiation corporelle et sensorielle plonge le visiteur dans ses émotions et le reconnecte à son corps, à ses sensations favorisant le bien-être. Quand on pense que, depuis presque deux ans en raison de la situation sanitaire, les échanges réels et physiques sont soit remplacés par des rapports virtuels soit proscrits, une approche par le corps et les sensations semble aujourd’hui tout à fait nécessaire. D’autre part, si, comme le prétend le psychiatre Thomas Fuchs, les performances du cerveau humain dépendent de notre faculté de résonance, n’est-il pas nécessaire de proposer une approche sensorielle et sensible de l’art pour améliorer le bien-être dans le cadre professionnel ?
Avec l’appui d’UCLouvain Culture et de l’Administration des ressources humaines, vous allez proposer dès ce printemps des visites expérimentales pour les membres de l’UCLouvain. Comment cela va-t-il se dérouler ?
MD Je vais proposer aux membres du personnel de participer à une visite sensorielle dans les collections du Musée L sur le temps de midi. Concrètement, sur l’ensemble du second quadrimestre, 10 visites seront proposées. Afin d’offrir une visite de qualité et d’atteindre un certain niveau de quiétude nécessaire au processus d’intégration, chaque visite accueillera au maximum dix participant·es. Cette offre de visites différentes devrait contribuer au bien-être au travail en proposant des moments de respiration au sein d’un espace dévolu à l’art et au sensible. Il s’agira de s’appuyer sur la culture comme espace-temps de régénération et non comme occasion de consommation.
1Hartmut Rosa est un sociologue et philosophe allemand, qui enseigne à l’université Friedrich-Schiller d’Iéna.
Les visites pour les membres du personnel sont prévues au printemps. Inscrivez-vous en ligne dès maintenant
Article publié en janvier 2021 dans TRACES, le magazine de l'actualité culturelle à l'UCLouvain. Lire la suite