L’appel en matière répressive après la loi pot-pourri II : la jurisprudence apporte quelques clarifications opportunes, M.-A. Beernaert et M. Jadoul

La loi du 5 février 2016 modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions diverses en matière de justice[1], dite « loi pot-pourri II », a profondément réformé la procédure d’appel en matière répressive. Les modifications introduites ont notamment porté sur les délais d’appel et sur les formalités liées à l’acte d’appel, emportant désormais l'obligation de déposer, à peine de déchéance du recours, une requête précisant les griefs élevés contre le jugement de première instance.

Ces modifications ont complexifié la procédure d'appel et induit dès leur adoption une série de questions chez les praticiens[2]. La jurisprudence a toutefois récemment apporté quelques clarifications en la matière, qui font l’objet de la présente note.

A. Les délais d’appel et l’arrêt de la Cour de cassation du 29 novembre 2017

Pour compenser l’obligation nouvelle faite aux parties de motiver désormais leur recours par une indication des griefs d’appel[3], la loi pot-pourri II a allongé les délais d’appel précédemment applicables :

- le délai de droit commun a ainsi été porté de 15 à 30 jours (art. 203, § 1er, al. 1er, C.i.cr.),
- le délai supplémentaire ouvert à la partie civile qui souhaite faire un appel subséquent est passé de 5 à 10 jours (art. 203, § 2, C.i.cr.), et
- le délai ouvert au ministère public près la juridiction d’appel pour signifier un éventuel appel a été allongé de 25 à 40 jours (art. 205, C.i.cr.).

En outre un nouveau délai supplémentaire de 10 jours a été créée au bénéfice du ministère public qui souhaite interjeter appel « après que le prévenu ou la partie civilement responsable a interjeté appel » (art. 203, § 1er, al. 2, C.i.cr.)[4]. Le point de départ de ce délai supplémentaire de 10 jours offert au ministère public a toutefois rapidement posé question, le législateur ayant omis de préciser si celui-ci prenait cours à l’expiration du délai normal de 30 jours ou à compter du lendemain du jour où le prévenu (ou la partie civilement responsable) avait effectivement interjeté appel.

Certains se sont positionnés en faveur de la première interprétation, considérant que le délai initial de 30 jours devait être augmenté du délai supplémentaire de 10 jours et que le ministère public disposait donc désormais d’un délai de 40 jours pour interjeter appel en réponse à un appel du prévenu ou du civilement responsable[5]. D’autres ont soutenu la seconde interprétation, à savoir que le délai supplémentaire de 10 jours devait se calculer à partir du lendemain de l’appel du prévenu ou du civilement responsable, puisqu’il ne s’ouvre qu’en raison de cet appel[6].

Dans un arrêt du 29 novembre 2017[7], la Cour de cassation a récemment clarifié la question en optant pour la seconde interprétation.

Dans cette affaire, le prévenu avait interjeté appel 18 jours après le prononcé du jugement (rendu contradictoirement) et le parquet avait « suivi » en faisant une déclaration d’appel le même jour. Il avait par contre attendu 21 jours de plus (soit 39 jours après le prononcé du jugement) pour déposer son formulaire de griefs au greffe (formalité également censée être accomplie endéans les délais d’appel), ce qui avait conduit le tribunal correctionnel, statuant en degré d’appel, à déchoir le ministère public de son appel.

A l’appui de son pourvoi, le parquet, demandeur en cassation, soutenait qu’il s’agissait d’une application erronée des articles 203 et 204 du Code d’instruction criminelle, puisqu’il avait déposé sa requête endéans les 40 jours du jugement entrepris et que c’est bien d’un tel délai (30 jours + 10 jours) que le parquet dispose lorsqu’il veut réagir à un appel du prévenu.

Suivant les conclusions de l’avocat général D. Vandermeersch[8], la Cour va toutefois rejeter le pourvoi, en indiquant clairement que le jugement a « fait une exacte application des dispositions invoquées au moyen ». Aux motifs de sa décision, la Cour retient qu’en « prévoyant qu’après que le prévenu a fait appel, le ministère public dispose d’un délai supplémentaire de 10 jours pour former appel, la loi n’a pas fixé un délai qui s’ajoute de plein droit au délai ordinaire de 30 jours ». Il faut au contraire considérer que « le délai de 10 jour prend cours le lendemain de l’appel formé par le prévenu, la loi autorisant ainsi le ministère public à dépasser, le cas échéant, le délai ordinaire de 30 jours dont il dispose, en fonction du jour où le prévenu fait appel » (c’est nous qui soulignons).

Si les choses paraissent désormais claires s’agissant du délai supplémentaire ouvert au ministère public sur pied de l’article 203, § 1er, alinéa, 1er, du Code d’instruction criminelle, on peut toutefois se poser la question de savoir si la même interprétation vaudra également pour l’appel subséquent de la partie civile, visé à l’article 203, § 2, du même Code.

Rappelons qu’aux termes de cette disposition, la partie civile contre laquelle appel principal a été interjeté par un prévenu ou une partie civilement responsable et qui entend maintenir à la cause un autre prévenu ou une autre partie civilement responsable[9], dispose d’un délai supplémentaire de 10 jours pour former contre eux un appel subséquent. S’agissant ici aussi d’un « délai de réaction », il n’y a, à notre sens, aucune raison de considérer qu’il devrait être calculé différemment que pour le ministère public : les 10 jours devraient donc, non pas venir s’ajouter automatiquement aux 30 jours du délai ordinaire, mais bien être calculés à dater de l’appel principal auquel la victime entend réagir.

 

B. L’obligation de déposer une requête contenant les griefs d’appel et l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 janvier 2018

En vue de permettre un traitement plus efficace des affaires pénales[10], la loi pot-pourri II a introduit à l’article 204 du Code d’instruction criminelle l’obligation pour l’appelant[11] de déposer au greffe[12], dans les mêmes délais que ceux prévus pour interjeter appel[13], une requête précisant ses griefs contre le jugement attaqué[14], le tout à peine de déchéance de son appel.

La question s’est toutefois posée de savoir si cette obligation valait uniquement en cas d’application de l’article 203 du Code d’instruction criminelle (seule disposition à laquelle l’article 204 se réfère) ou si elle s’imposait également lorsque le ministère public forme appel sur la base de l’article 205 du même Code ou lorsqu’un détenu ou un interné interjette appel au greffe de l’établissement pénitentiaire conformément à l’article 1er de la loi du 25 juillet 1893.

La seconde branche de la question a entretemps trouvé réponse dans la loi elle-même : l’article 1er de la loi du 25 juillet 1983 a en effet été modifié par l’article 34 de la loi du 25 décembre 2016 « modifiant le statut juridique des détenus et la surveillance des prisons et portant des dispositions diverses sen matière de justice », de manière à prévoir explicitement désormais que, lorsque les détenus ou internés font une déclaration d’appel au greffe de l’établissement où ils séjournent, ils doivent accompagner cette déclaration d’une requête qui contient leurs griefs concernant la décision entreprise.

Restait le sort de l’appel du ministère public près la juridiction d’appel, que la Cour constitutionnelle a récemment tranché dans un arrêt du 18 janvier 2018 en considérant, là aussi, que l’obligation de formulation des griefs s’impose[15].

A l’estime de la Cour, l’article 204 du Code d’instruction criminelle serait en effet porteur d’une violation des articles 10, 11 et 13 de la Constitution, combinés avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, s’il devait être interprété comme ne s’appliquant pas à l’appel formé sur la base de l’article 205 du même Code. Comme la Cour le souligne, « l’objectif de tendre vers un traitement plus efficace des affaires pénales ne justifie pas que le ministère public doive introduire une requête régulière contenant les griefs lorsqu’il forme appel auprès du tribunal qui a rendu le jugement conformément à l’article 203 du Code d’instruction criminelle, mais pas lorsqu’il forme appel conformément à l’article 205 du Code d’instruction criminelle, étant donné que l’article 205, tout comme l’article 203, permet au ministère public de former appel d’un jugement rendu en première instance ».

Il convient dès lors de privilégier la seconde interprétation – compatible quant à elle avec la Constitution et la Convention – selon laquelle il est également requis du ministère public qu’il indique les griefs qu’il entend soulever lorsqu’il interjette appel conformément à l’article 205 du Code d’instruction criminelle.

A dire vrai, cette seconde interprétation avait déjà été retenue par la Cour de cassation, près d’un an plus tôt[16]. Pour la Cour de cassation, toutefois, l’obligation de communication des griefs d’appel est, dans le cas de l’article 205 du Code d’instruction criminelle, valablement observée si les griefs sont repris dans l’exploit de signification de l’appel notifié dans les 40 jours du prononcé du jugement. Ce qui ne semble pas tout à fait conforme au dispositif de l’arrêt 2/2018 de la Cour constitutionnelle qui invite au contraire à interpréter l’article 204 du Code d’instruction criminelle comme imposant au ministère public d’introduire « une requête contenant les griefs lorsqu’il interjette appel par l’exploit d’assignation visé à l’article 205 du Code d’instruction criminelle » (c’est nous qui soulignons). On conseillera donc au ministère public qui fait usage de l’article 205, de ne pas se contenter de formuler ses griefs d’appel dans l’exploit de signification, a fortiori si l’exploit n’est pas déposé au greffe de la juridiction d’appel dans les 40 jours qui suivent le prononcé du jugement, mais de les reprendre également dans une requête séparée déposée au greffe endéans ce délai. La solution peut sembler peu pragmatique[17], mais elle lui évitera de courir le risque d’être déchu de son appel…

Marie-Aude BEERNAERT                             Marie JADOUL
Professeure ordinaire (UCL-CRID&P)              Assistante (UCL-CRID&P), avocate

Pour citer cet article : M.-A. Beernaert et M. Jadoul, "L’appel en matière répressive après la loi pot-pourri II : la jurisprudence apporte quelques clarifications opportunes", Cahiers du CRID&P, mars 2018.

 

[1] M.B., 19 février 2016.
[2] N. Colette-Basecqz et E. Delhaize , « La phase de jugement et les voies de recours: éléments neufs », in La loi « pot-pourri II » : un recul de civilisation ?, Limal, Anthemis, 2016, pp.149 et s. ; D. de Béco et C. Heymans , « Nouvelles dispositions en matière d’opposition et d’appel : un an de jurisprudence depuis l’entrée en vigueur de la loi « pot-pourri II », in Questions d’actualité en droit pénal et en procédure pénale, Limal, Anthemis, 2017, pp.141 et s.
[3] Doc.parl., Chambre, sess.ord., 2015-2016, n° 1418/005, p.16.
[4] Notons que dans son arrêt 2/2018, évoqué ci-après, la Cour constitutionnelle a jugé conforme aux articles 10, 11 et 13 de la Constitution et à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, le principe d’un délai plus long accordé au ministère public, que ce soit pour interjeter appel après la formation du premier appel (article 203, § 1er, al. 2, C.i.cr.) ou pour notifier son recours (article 205 C.i.cr.). A l’estime de la Cour, il n’est en effet « pas sans justification raisonnable que le ministère public – qui défend l’intérêt général – puisse le cas échéant d’abord prendre connaissance de l’étendue de l’appel des parties qui peuvent former un tel appel et qui peuvent en limiter la portée, pour pouvoir déterminer ensuite s’il y a lieu de soumettre à nouveau l’ensemble de l’action publique à l’appréciation du juge » (considérant B.11.1).
[5] E. Van Dooren et M. Rozie, , « Het hoger beroep in strafzaken in een nieuw kleedje », N.C., 2016, p. 129, n°37.
[6] N. Colette-Basecqz et E. Delhaize, op. cit., ., p. 171-172; D. Vandermeersch , « Les voies de recours après la loi pot-pourri II », in La loi « pot-pourri II », un an après, Larcier, 2017, pp. 249-251.
[7] Cass., 29 novembre 2017, R.G. P.17.0761.F (tous les arrêts de cassation cités sont consultables en ligne à l’adresse www.juridat.be).
[8] L’avocat général concluait en ces termes, à l’appui de l’interprétation retenue par la Cour : « Cette interprétation permet de rencontrer le double souci exprimé par le législateur : d’une part, elle permet au ministère public, en cas d’appel du prévenu défaillant, d’encore interjeter appel alors que le délai ordinaire d’appel est écoulé » (rappelons en effet que lorsque la décision a été rendue par défaut à l’égard du prévenu, le délai d'appel court à partir de la signification en ce qui le concerne, mais à compter du prononcé de la décision en ce qui concerne le ministère public) « et, d’autre part, elle le met en mesure d’interjeter appel par la voie normale lorsque, par exemple, le prévenu interjette appel d’un jugement contradictoire in extremis le trentième jour du délai originaire ».
[9]S’agissant de parties qui n’ont pas elles-mêmes interjeté appel, la partie civile ne saurait former à leur égard un appel incident sur pied de l’article 203, § 4, du Code d’instruction criminelle.
[10] Doc.parl., Chambre, sess.ord., 2015-2016, n° 1418/001, p. 3.
[11] En ce compris le ministère public (Cass., 18 avril 2017, R.G. P.17.0105.N).
[12] Du tribunal ayant rendu la décision attaquée ou du tribunal / de la cour d’appel devant lequel l’affaire est portée.
[13] La requête ne doit pas nécessairement être déposée le même jour que celui où la déclaration d’appel a été signée au greffe mais elle doit, en tout état de cause, l’être endéans le délai fixé par la loi pour interjeter appel (Cass., 8 mars 2017, RG P.16.1268.F).
[14] Nous ne reviendrons pas ici sur la notion de griefs, qui a fait l’objet d’une abondante jurisprudence de la Cour de cassation (pour une synthèse, voy. D. Vandermeersch ,, op. cit., pp. 252-262), largement évoquée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt 148/2017 d’annulation partielle de la loi pot-pourri II.
[15] C.C., 18 janvier 2018, n° 2/2018, consultable en ligne à l’adresse suivante : www.const-court.be
[16] Cass., 31 janvier 2017, RG P.16.1052.N, avec les conclusions avocat général R. Mortier .
[17] Voy. les conclusions de l’avocat général R. Mortier précédant Cass., 31 janvier 2017, RG P.16.1052.N.

Publié le 27 mars 2018