L’arrêt Pirozzi c. Belgique de la Cour européenne des droits de l’Homme : examen de la procédure belge d’exécution du mandat d’arrêt européen au regard du droit au procès équitable, Suliane Neveu

Le 17 avril 2018, la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu un arrêt dans l’affaire Pirozzi c. Belgique[1], affaire qui concernait l’exécution, en Belgique, d’un mandat d’arrêt européen émis par l’Italie. La Cour a dû observer la conformité de la procédure d’exécution belge avec les obligations découlant notamment de l’article 6, § 1er de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Rappelons que depuis le 1er janvier 2004, le mandat d’arrêt européen (MAE)[2] remplace le système de l’extradition entre Etats membres de l’Union européenne (UE), en imposant à chaque autorité judiciaire nationale (autorité judiciaire d’exécution) de reconnaître et d’exécuter, moyennant des contrôles minimums, la demande de remise d'une personne, formulée par l'autorité judiciaire d'un autre Etat membre (autorité judiciaire d'émission), dans le cadre de l'exercice de poursuites pénales ou de l'exécution d’une peine ou d’une mesure privative de liberté. Le principe général est désormais, moyennant le respect de certaines conditions, de procéder à l’exécution du mandat d’arrêt européen émis par un autre Etat membre. En raison de l’application du principe de reconnaissance mutuelle, principe pouvant être défini comme « le fait qu’une décision judiciaire rendue dans un Etat membre, conformément aux règles appliquées dans cet Etat, soit exécutée, sans autre formalité dans tout autre Etat membre, comme s’il s’agissait d’une décision judiciaire de ce deuxième Etat »[3], le contrôle des autorités judiciaires nationales d’exécution doit rester marginal afin de garantir la libre circulation de la décision judiciaire étrangère. Le fondement du principe de reconnaissance mutuelle est la confiance mutuelle que se témoignent les Etats membres dans leurs systèmes de justice pénale respectifs. « Cette confiance repose en particulier sur le socle commun que constitue leur attachement aux principes de liberté, de démocratie et de respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que de l’État de droit»[4] et implique que chacun des États membres accepte l’application du droit pénal en vigueur dans les autres États membres, quand bien même la mise en application de son propre droit national conduirait à une solution différente[5].

  1. Les faits

Le requérant, Vittorio Pirozzi, est un ressortissant italien, actuellement détenu en Italie. En 2002, la Cour d’appel de Brescia le condamna à une peine de 15 ans de réclusion et à une amende de 80 000 euros pour trafic de stupéfiants. Monsieur Pirozzi n’avait pas pu comparaître à l’audience pour des raisons médicales. Il avait cependant été représenté par son avocat. Par la suite, le tribunal de Brescia réduisit la peine d’un an, à la suite d’une demande de grâce.

Le 27 juillet 2010, le parquet de Naples émit un mandat d’arrêt européen en vue de l’exécution de la peine restant à purger et le transmit par Signalement international Schengen (SIS). Grâce à la mise en œuvre d’une commission rogatoire internationale, Monsieur Pirozzi fut localisé à Bruxelles puis arrêté par la police belge, en août 2010. Le lendemain de son arrestation, il fut présenté à un juge d’instruction qui ordonna sa mise en détention. Les juridictions d’instruction belges rendirent ensuite le mandat d’arrêt européen exécutoire et Monsieur Pirozzi fut remis aux autorités italiennes en septembre 2010.

  1. Les griefs

Monsieur Pirozzi décida de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme. Il invoquait notamment une violation de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme[6], consacrant le droit à un procès équitable. Il estimait en particulier que les autorités belges auraient dû contrôler la légalité et la régularité du mandat d’arrêt européen, avant sa remise aux autorités italiennes, car ce mandat se basait sur une condamnation prononcée au terme d’une procédure par défaut, contraire selon lui à l’article 6.

  1. Quelques éléments de la procédure belge

Avant d’exposer le raisonnement de la Cour européenne des droits de l’Homme, il apparaît utile de rappeler brièvement quelques éléments de la procédure belge d’exécution du mandat d’arrêt européen, contenue dans la loi du 19 décembre 2003[7].

    a. La décision belge quant à l’exécution du mandat d’arrêt européen

Lorsque la personne est arrêtée en Belgique, elle est présentée au juge d’instruction dans les 48 heures de son arrestation[8]. Le juge décide ou non de la placer en détention.  

Le mandat d’arrêt européen peut être affecté d’une cause manifeste de refus d’exécution. Dans ce cas, le juge d’instruction peut prendre lui-même la décision de refuser l’exécution du mandat. Un recours  contre cette décision est possible[9].

En l’absence de cause manifeste de refus d’exécution, si la personne consent à sa remise, c’est le procureur du Roi qui prend la décision d’exécuter le mandat d’arrêt européen[10].

Au contraire, si l’intéressé a refusé de consentir à sa remise et que le juge d’instruction n’a relevé aucune cause manifeste de refus d’exécution, la décision sur l’exécution du mandat d’arrêt européen revient à la chambre du conseil[11]. Tant le ministère public que la personne concernée peuvent faire appel de la décision de la chambre du conseil devant la chambre des mises en accusation[12]. La décision de la chambre des mises en accusation peut, à son tour, faire l'objet d'un pourvoi en cassation[13].

    b. Les motifs de refus

Les motifs de refus d’exécution du mandat d’arrêt européen sont prévus aux articles 4 à 7 de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen.

Certaines causes de refus sont obligatoires et contraignent les autorités judiciaires à refuser l’exécution du mandat d’arrêt européen. Elles sont reprises aux articles 4, 1° à 5° et 6 de la loi du 19 décembre 2003. Parmi celles-ci figure notamment l’atteinte aux droits fondamentaux[14].

Au contraire, d’autres causes de refus d’exécution sont facultatives. Il s’agit d’une possibilité offerte aux autorités judiciaires belges de refuser l’exécution du mandat en présence de l’une d’entre elles[15]. C’est le cas du motif contenu dans l’article 7 de la loi du 19 décembre 2003, fondé sur le fait que la décision à la base du mandat d’arrêt européen émis aux fins d’exécution de la peine a été rendue par défaut. Cette disposition a été modifiée par la loi du 25 avril 2014[16], suite à la décision-cadre 2009/299/JAI du 26 février 2009[17].  Tout en maintenant le principe d’un refus possible en cas de condamnation prononcée par défaut, l’article 7, § 1er de la loi du 19 décembre 2003 comprend désormais quatre hypothèses dans lesquelles l’absence de la personne au procès ne peut pas emporter refus d’exécution ou exécution conditionnelle. Parmi celles-ci figure le cas où la personne a été défendue par un avocat qu’elle avait mandaté à cet effet (art. 7, § 1er, 2° : l’intéressé « ayant eu connaissance du procès prévu, a donné mandat à un conseil juridique, qui a été désigné soit par [lui] soit par l’État, pour le défendre au procès, et a été effectivement défendu par ce conseil pendant le procès »)

  1. La décision de la Cour européenne des droits de l’Homme

La Cour a examiné la conformité de la remise de Monsieur Pirozzi avec l’article 6, §1er de la Convention européenne des droits de l’Homme. Elle a rappelé que selon sa jurisprudence, une décision d’expulsion ou d’extradition peut exceptionnellement soulever une question sous l’angle de l’article 6 lorsque le fugitif a subi ou risque de subir un déni de justice flagrant dans l’État requérant. Ce principe a été énoncé pour la première fois dans l’arrêt Soering c. Royaume-Uni [18] puis confirmé dans plusieurs autres affaires[19] [20].  Précisons que « l’expression déni de justice flagrant a été jugée synonyme d’un procès manifestement contraire aux dispositions de l’article 6 ou aux principes y énoncés »[21].

La Cour a cependant tenu compte du contexte spécifique de la coopération en expliquant que la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen s’appuie sur un mécanisme de reconnaissance mutuelle lui-même fondé sur le principe de confiance mutuelle entre les États membres de l’UE[22]. Exposant l’importance du principe de reconnaissance mutuelle pour la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice[23], elle a toutefois rappelé que, si la création de cet espace est légitime au regard de la Convention[24], celle-ci ne peut se heurter aux droits fondamentaux[25]. Ainsi, le principe de reconnaissance mutuelle ne peut être appliqué de manière automatique et mécanique, au détriment des droits fondamentaux[26] et les juges doivent conserver un pouvoir d’appréciation[27].

En conséquence, si les juridictions des États qui sont à la fois parties à la Convention et membres de l’UE sont appelées à appliquer un mécanisme de reconnaissance mutuelle établi par le droit de l’UE, tel que celui prévu pour l’exécution d’un MAE, et qu’on leur soumet un grief sérieux et étayé dans le cadre duquel il est allégué que l’on se trouve en présence d’une insuffisance manifeste de protection d’un droit garanti par la Convention et que le droit de l’UE ne permet pas de remédier à cette insuffisance, elles ne peuvent renoncer à examiner ce grief au seul motif qu’elles appliquent le droit de l’UE .  Il leur appartient dans ce cas de lire et d’appliquer les règles du droit de l’UE en conformité avec la Convention[28]. Par ce raisonnement, la Cour a rejeté toute exécution aveugle et automatique du MAE.

En l’espèce, la Cour a jugé qu’il appartenait à l’autorité judiciaire qui avait délivré le mandat et à laquelle Monsieur Pirozzi devait être livré, à savoir les autorités judiciaires italiennes, d’apprécier la légalité et la régularité du MAE. Le ministère public belge n’avait donc pas de pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de l’arrestation et les juridictions belges ne pouvaient en refuser l’exécution que pour les motifs fixés par la loi belge[29]. À cet égard, la Cour a estimé que le contrôle effectué par les autorités belges, ainsi limité, ne posait pas de problème en soi avec la Convention dès lors que les juridictions belges avaient examiné le bien-fondé des griefs tirés de la Convention. En l’occurrence, elles avaient vérifié si l’exécution du mandat ne donnait pas lieu, dans le cas de Monsieur  Pirozzi, à une insuffisance manifeste de protection des droits garantis par la Convention[30].

En ce qui concerne la condamnation par défaut de Monsieur Pirozzi, la Cour a constaté que la loi belge, telle que modifiée en 2014, prévoyait la possibilité pour le juge belge de refuser l’exécution du MAE si le requérant avait été dans la situation énoncée dans la jurisprudence de la Cour dans l’affaire Sejdovic c. Italie[31] [32]. Cette affaire concernait l’extradition d’une personne jugée par défaut mais défendue à l’audience par un avocat commis d’office pour le représenter. La cour avait considéré qu’il n’était pas démontré que cette personne avait eu une connaissance suffisante des poursuites et des accusations à son encontre.  En conséquence, elle avait jugé qu’il n’était pas démontré que l’intéressé avait cherché à se soustraire à la justice ou qu’il avait renoncé de manière non équivoque au droit à comparaître.

En l’espèce, dans l’affaire Pirozzi, la Cour a jugé que le requérant était dans une toute autre situation. En effet, Monsieur Pirozzi avait officiellement été informé de la date et du lieu du procès devant la Cour d’appel de Brescia et, il avait été assisté et défendu par un avocat qu’il avait désigné lui-même et dont la défense s’est d’ailleurs avérée effective puisqu’elle a conduit à une réduction de peine.

La Cour européenne des droits de l’Homme a donc constaté que la mise en œuvre du MAE par les juridictions belges n’était pas entachée d’une insuffisance manifeste susceptible de renverser la présomption de protection équivalente dont bénéficient tant le système du MAE que sa mise en œuvre par le droit belge. La Cour conclut aussi que la remise de Monsieur Pirozzi aux autorités italiennes ne saurait être considérée comme étant basée sur un procès constituant un déni de justice flagrant. Par conséquent, elle estima que la remise de Monsieur Pirozzi aux autorités italiennes n’a pas violé l’article 6 § 1 de la Convention[33].

En conclusion, si l’arrêt Pirozzi c. Belgique fut l’occasion pour la Cour européenne des droits de l’Homme de rappeler que l’application du principe de reconnaissance mutuelle n’implique pas une exécution « à l’aveugle » des mandats d’arrêts européens, la Cour a néanmoins tenu compte des spécificités de cette forme de coopération, laquelle implique que l’essentiel des contrôles soit opéré dans l’Etat d’émission. Elle a toutefois rappelé que les Etats membres de l’UE doivent examiner tout grief sérieux, concernant une violation des droits fondamentaux, qui leur serait soumis. En l’espèce, la Cour a jugé que les autorités belges avaient suffisamment examiné le bien-fondé des griefs soulevés par le requérant. En outre, elle a validé les contours du motif de refus fondé sur le fait que le jugement de condamnation à exécuter ait été rendu par défaut, motif contenu dans l’article 7 de la loi du 19 décembre 2003 et issu de la décision-cadre2009/299/JAI du 26 février 2009.

Suliane NEVEU
Docteure en sciences juridiques de l’UCL
Chargée de cours invitée à l’UCL
Stagiaire judiciaire au tribunal de première instance du Hainaut

 

Pour citer cet article : S. Neveu, "L’arrêt Pirozzi c. Belgique de la Cour européenne des droits de l’Homme : examen de la procédure belge d’exécution du mandat d’arrêt européen au regard du droit au procès équitable", Les Cahiers du Crid&p, juin 2018.

 

[1] Requête n°21055/11.
[2] Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres, 2002/584/JAI, J.O., 2002, L 180/1.
[3] D. Flore, Droit pénal européen, les enjeux d’une justice pénale européenne, 2e éd., Bruxelles, Larcier, 2014, p.525, et du même auteur, « Reconnaissance mutuelle, double incrimination et territorialité », in G. de Kerchove et A. Weyembergh (dir.), La reconnaissance mutuelle des décisions judicaires pénales dans l’Union européenne, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2001, p. 75.
[4] Conseil, Programme de mesures destiné à mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des décisions pénales, 2001/C 12/02, Bruxelles, 29 novembre 2000. p. 1.
[5] C.J.C.E., Gozutok et Brugge, 11 février 2003, C-187/01 et C-385/01, point 33. Voy. V. Ricci, « The European Court of Justice case law strengthens EU penal area », in S. Hufnagel, C. Harfield et S. Bronitt (éd.), Cross-border law enforcement, Londres, Routledge, 2012, p. 23.

[6] Il invoquait également une violation de l’article 5, § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, consacrant le droit à la liberté et à la sûreté, alléguant que son arrestation par les autorités belges ne s’était pas faite selon les voies légales. Nous ne nous attarderons pas sur ce grief.
[7] Loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen, M.B., 22 décembre 2003.
[8] 24 heures à l’époque de l’affaire. Art. 11 de la loi du 19 décembre 2003.
[9] Art. 14 de la loi du 19 décembre 2003.
[10] Art. 13 de la loi du 19 décembre 2003.
[11] Art. 16 de la loi du 19 décembre 2003.
[12] Article 17, § 2 de la loi du 19 décembre 2003.
[13] Article 18, § 1er de la loi du 19 décembre 2003.
[14] « L'exécution d'un mandat d'arrêt européen est refusée […] 5° s'il y a des raisons sérieuses de croire que l'exécution du mandat d'arrêt européen aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée, tels qu'ils sont consacrés par l'article 6 du traité sur l'Union européenne ».
[15] Articles 6 et 7 de la loi du 19 décembre 2003.
[16] Loi du 25 avril 2014 portant des dispositions diverses en matière de Justice, M.B., 14 mai 2014.
[17] J.O.U.E., L  81, 27 mars 2009. Cette décision-cadre avait pour objectif d’uniformiser la formulation du motif de refus lié aux jugements rendus par défaut dans les instruments existants de reconnaissance mutuelle.
[18] Cour eur. D. H., Soering c. Royaume Uni, 7 juillet 1989, requête n° 14038/88.
[19] Par exemple, Mamatkoulov et Askarov c. Turquie (Gde Chambre), 4 février 2005, requêtes nos 46827/99 et 46951/99 et Othman c. Royaume-Uni, 17 janvier 2012, requête n° 8139/09.
[20] § 57 de l’arrêt. A ce sujet, voir S. Neveu, « Reconnaissance mutuelle et droits fondamentaux: quelles limites à la coopération judiciaire pénale ? », Rev. trim. D.H., 2016, vol. 1, pp. 137-140.
21] Division de la recherche de la Cour européenne des droits de l’homme, Guide de l’article 6 –Droit au procès équitable (volet pénal), Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2014, p. 54.
[22] § 58 de l’arrêt.
[23] § 59 de l’arrêt.
[24] § 60 de l’arrêt.
[25] § 61 de l’arrêt.
[26] Voy. Cour eur. dr. h., Avotiņš c. Lettonie, 25 février 2014, requête n°17502/07, § 116.
[27] § 62 de l’arrêt.
[28] § 63 de l’arrêt.
[29] § 66 de l’arrêt.
[30] § 67 de l’arrêt.
[31] Cour eur. D. H., Sejdovic c. Italie (Gde Chambre), 1er mars 2006, requête no 56581/00, § 84.
[32] § 68 de l’arrêt.
[33] §§ 69-72 de l’arrêt.

Publié le 05 juin 2018