Mandat d'arrêt : retour des formalités prescrites à peine de remise en liberté, Mona Giacometti

Saisie d’un recours en annulation de l’article 7, 4° et 5° de la loi du 21 novembre 2016 relative à certains droits des personnes soumises à un interrogatoire[1], la Cour constitutionnelle a, aux termes d’un arrêt rendu le 5 juillet 2018, annulé ces dispositions. Celles-ci visaient à abroger la sanction de remise en liberté à défaut de motivation du mandat d’arrêt ou de signature de celui-ci[2]. Concrètement, cela signifie que de telles irrégularités doivent, à nouveau, entrainer la remise en liberté de l’inculpé.

1. La loi du 21 novembre 2016 et la suppression des formalités du mandat d’arrêt prescrites à peine de remise en liberté

La loi du 21 novembre 2016 relative à certains droits des personnes soumises à un interrogatoire – aussi appelée la loi « Salduz + » - n’est pas passée inaperçue. Transposant la directive relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales[3], elle a en effet considérablement étendu le droit à l’assistance d’un avocat au cours d’une audition, en visant désormais toute personne entendue quant à des faits punissables d’une peine privative de liberté, que cette personne soit ou non privée de sa liberté, qu’il s’agisse ou non de sa première audition[4], et ce sous peine de sanction[5].

Ce ne sont néanmoins pas ces aspects de la nouvelle réglementation qui ont été soumis à la censure de la Cour constitutionnelle.

En effet, le législateur a profité de l’adoption de la loi du 21 novembre 2016 pour abroger, à l’article 16 de la loi sur la détention préventive, la sanction s’attachant aux formalités substantielles liées à la délivrance d’un mandat d’arrêt qui, si elles n’étaient pas respectées, donnaient lieu à la remise en liberté de l’inculpé[6].

Ces formalités pour lesquelles la sanction de remise en liberté a été abrogée tiennent en premier lieu à l’obligation faite au juge d’instruction, lors de l’interrogatoire obligatoire précédant la délivrance du mandat d’arrêt[7], d’informer l’inculpé de la possibilité qu’un mandat d’arrêt soit décerné, d’entendre ses observations à ce sujet, et le cas échéant, celles de son avocat[8].

Il en va de même concernant la nécessité de motiver le mandat d’arrêt en y indiquant l’énonciation du fait pour lequel il est décerné, la disposition législative visée, les indices sérieux de culpabilité, ainsi que les circonstances de fait de la cause et celles liées à la personnalité de l’inculpé justifiant la délivrance dudit mandat eu égard aux critères imposés par l’article 16, § 1er de la loi sur la détention préventive[9].

La loi du 21 novembre 2016 concernait également l’obligation faite au juge d’instruction, de signer le mandat d’arrêt[10].

Ainsi, si les formalités précitées, tenant à l’obligation d’informer et d’entendre l’inculpé quant à la possible délivrance d’un mandat d’arrêt, aux mentions du mandat d’arrêt ou à la signature de celui-ci par le magistrat instructeur, restaient imposées, c’est la sanction en cas de non-respect, soit la remise en liberté de l’inculpé, qui s’est trouvé être supprimée par la loi du 21 novembre 2016.

La motivation du législateur tenait, principalement, au fait que la sanction immédiate de remise en liberté ignorait la possibilité de rectification éventuelle de la forme manquante et était appliquée de manière disproportionnelle à l’égard de conditions formelles n’ayant pas toutes la même importance. En outre, elle ne correspondait pas à la théorie générale des irrégularités prévue à l’article 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale[11].

2. Une violation du droit à la liberté individuelle ? Affirmatif selon la Cour constitutionnelle !

Aux termes d’une motivation aussi concise que percutante, la Cour constitutionnelle estime, dans son arrêt du 5 juillet 2018, que la suppression de la sanction de remise en liberté de l’inculpé en cas de non-respect des formalités tenant à la signature et à la motivation du mandat d’arrêt constitue une violation du droit à la liberté individuelle garanti par l’article 12 de la Constitution.

Avant d’examiner les motifs de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, notons qu’à défaut pour le recours de l’avoir visé, la Cour constitutionnelle n’a pas eu l’occasion de statuer sur la conformité de la disposition de la loi du 21 novembre 2016[12] supprimant la sanction de remise en liberté lorsque, au cours de l’interrogatoire, le juge d’instruction a omis d’informer l’inculpé sur la possibilité qu’un mandat d’arrêt soit décerné à son encontre et de recueillir ses observations, et le cas échéant celles de son conseil, à ce propos. Ainsi, si cette formalité n’a pas été respectée, aucune conséquence ne peut en être tirée pour solliciter la remise en liberté de l’inculpé.

La formalité relative à la signature du mandat d’arrêt par le juge d’instruction

Afin d’apprécier la constitutionnalité de la suppression de la sanction de remise en liberté en cas d’absence de signature du juge d’instruction sur un mandat d’arrêt, la Cour constitutionnelle se place aussi bien sous l’angle de l’article 12 de la Constitution que de l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui garantissent tous deux le droit à la liberté individuelle.

Sur cette base, la Cour constitutionnelle souligne que la signature du juge d’instruction est une formalité substantielle qui garantit que le mandat d’arrêt émane bien de ce magistrat.

Etant donné le caractère essentiel du droit à la liberté individuelle, l’omission d’une telle formalité, même en cas de force majeure, constitue, selon la Cour, une irrégularité grave et, partant, irréparable. Ainsi, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 5 de la Convention[13], il en résulte que le mandat non signé violerait automatiquement le droit à la liberté individuelle.

La Cour constitutionnelle en conclut que l’article 7, 5° de la loi du 21 novembre 2016, en abrogeant la sanction de la remise en liberté du détenu en raison de l’absence de signature du juge d’instruction viole tant l’article 12 de la Constitution que l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette disposition est – partant – annulée.

La formalité relative à la motivation du mandat d’arrêt

Lorsqu’elle apprécie les conséquences de la suppression de la sanction en cas de vice affectant la motivation du mandat d’arrêt, la Cour constitutionnelle renvoie ici – uniquement - à l’article 12, alinéa 3 de la Constitution. Pour rappel, cette disposition permet de porter atteinte à la liberté individuelle, pour autant que la personne fasse l’objet d’une arrestation sur la base de l’ordonnance motivée d’un juge qui doit être signifiée dans les 48 heures de la privation de liberté.

La Cour relève que l’article 7, 5° de la loi du 21 novembre 2016, en permettant que le mandat d’arrêt ne comporte pas de motivation, viole cette disposition constitutionnelle.

A cet égard, la Cour souligne que cette conclusion s’impose même s’il est généralement admis que les juridictions d’instruction appelées à contrôler la légalité du mandat d’arrêt décerné[14] puissent en corriger les motifs, soit en remplaçant un motif erroné par un motif exact, soit en rectifiant les erreurs éventuelles dont le mandat serait entaché[15].

Cette jurisprudence - conforme à celle de la Cour européenne des droits de l’homme[16] - ne s’impose néanmoins que pour autant que les juridictions d’instruction ne constatent pas un vice irréparable[17], lequel pourrait résulter d’une absence totale de motif[18].

S’en tenant au prescrit de l’article 12, alinéa 3 de la Constitution, la Cour estime qu’il y a lieu d’annuler l’article 7, 5° de la loi du 21 novembre 2016.

Ainsi, l’absence de motivation du mandat d’arrêt emporte désormais à nouveau la remise en liberté de l’inculpé, un tel défaut constituant un vice irréparable auquel les juridictions d’instruction, statuant sur la légalité du mandat d’arrêt, ne sauraient remédier.

Le maintien des effets des dispositions annulées

Les effets des dispositions annulées sont maintenus à l’égard de tous les mandats d’arrêt qui auraient été décernés sur cette base avant le 1er septembre 2018. Ainsi, il n’est pas question de solliciter la remise en liberté d’un inculpé qui en aurait été privé avant cette date sur la base d’un mandat d’arrêt non signé ou motivé. Pour tous les mandats d’arrêt délivrés à partir du 1er septembre 2018, par contre, la sanction de remise en liberté redevient applicable en l’absence de motivation ou de signature du juge.

Mona GIACOMETTI
Assistante et doctorante – UCL (CRID&P)
Avocate au barreau de Bruxelles

Pour citer cet article : M. Giacometti, "Mandat d'arrêt : retour des formalités prescrites à peine de remise en liberté", Cahiers du Crid&p, octobre 2018.

[1] M.B., 24 novembre 2016.

[2] C. const., 5 juillet 2018, n° 91/2018, M.B., 1er août 2018.

[3] Directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires, J.O., L. 294 du 6 novembre 2013, p. 1.

[4] Voy. art. 47bis, § 2, 1), C.I.Cr., tel que remplacé par l’art. 3 de la loi du 21 novembre 2016 relative à certains droits des personnes soumises à un interrogatoire, M.B., 24 novembre 2016. Pour un commentaire de cette loi, voy. P. Monville, M. Giacometti, « Le droit d’accès sans restriction à un avocat dans les procédures pénales : (enfin) une révolution copernicienne », in Les droits du justiciable face à la justice pénale, Coll. C.U.P., Liège, Anthémis, 2017, pp. 11-58.

[5] À savoir, l’impossibilité de fonder une condamnation sur le fondement des déclarations faites par une personne en violation des dispositions concernant la concertation confidentielle et l’assistance d’un avocat au cours de l’audition. Voy. art. 47bis, § 6, 9), C.I.Cr.

[6] Ces formalités avaient été introduites par la loi du 31 mai 2005 modifiant la loi du 13 mars 1973 relative à l'indemnité en cas de détention préventive inopérante, la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive et certaines dispositions du Code d'instruction criminelle, M.B., 16 juin 2005, ces dispositions étant jugées substantielles au regard des droits de défense. Voy. le projet de loi, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2003-2004, n°51-1371/001, p. 8.

[7] Qui reste quant à lui prescrit à peine de remise en liberté. Art. 16, § 1er, al. 1er de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive.

[8] Art. 7, 2° de la loi du 21 novembre 2016 […] abrogeant, à l’art. 16, § 2, al. 5 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, la phrase « A défaut de respect de ces conditions, l'inculpé est mis en liberté ».

[9] Art. 7, 4° de la loi du 21 novembre 2016 […] abrogeant, à l’art. 16, § 5, al. 2 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, la phrase « A défaut de ces informations, l'inculpé est mis en liberté ».

[10] Art. 7, 5° de la loi du 21 novembre 2016 […] abrogeant, à l’art. 16, § 6, al. 1er, la phrase « A défaut de la signature du juge, l'inculpé est mis en liberté ».

[11] Projet de loi relatif à certains droits des personnes soumises à un interrogatoire, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2015-2016, n° 54-2030/001, p. 86.

[12] Art. 7, 2° de la loi du 21 novembre 2016, modifiant l’article 16, § 2, alinéa 5 de la loi sur la détention préventive.

[13] Voy. not., Cour eur. D. H., 12 février 2013, Yefimenko c. Russie, §§101-111, dans lequel la Cour évoque l’irrégularité grave et manifeste qui entraîne, en soi, une violation du droit à la liberté individuelle garanti par l’article 5 de la Convention. Voy. aussi Cour eur. D.H., 9 juillet 2009, Mooren c. Allemagne, §75.

[14] Sur la base de l’article 21, § 4 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, M.B., 14 août 1990.

[15] C. const., 5 juillet 2018, n° 91/2018, M.B., 1er août 2018, points A.3.2 et A.3.3.

[16] La Cour européenne des droits de l’homme admet en effet, elle-même, qu’une ordonnance de placement en détention affectée d’un vice de forme, parce qu’elle ne décrirait pas de manière suffisamment détaillée les éléments de fait et de preuve qui fondent les soupçons et les motifs qui justifient une privative de liberté, n’est pas affectée d’une irrégularité grave et manifeste qui la rendrait invalide, ex facie, au regard l’article 5, § 1er de la Convention. Cour eur. D.H., 9 juillet 2009, Mooren c. Allemagne, §§83 et 86 à 89.

[17] Cass., 27 mai 2015, R.G. P.15.0707.F.

[18] C. const., 5 juillet 2018, n° 91/2018, M.B., 1er août 2018, points A.3.2 et A.3.3.

Publié le 08 octobre 2018