Médiation et transaction pénales : du neuf pour ces alternatives au procès pénal !, Mona Giacometti et Léa Teper

         Introduction

      Faisant d’une pierre deux coups, la loi du 18 mars 2018 modifiant diverses dispositions du droit pénal, de la procédure pénale et du droit judiciaire[1] réforme deux alternatives au procès pénal classique : la transaction pénale, dont la   constitutionnalité est désormais rétablie, et la médiation pénale, dont le champ d’application est élargi et le régime rapproché de celui applicable à la transaction[2].

         1. La transaction pénale version 4.0[3] : une procédure désormais conforme aux standards constitutionnels

             a. Quelques rappels fondamentaux

      Visée à l’article 216bis du Code d’instruction criminelle, la transaction pénale, dont il existe une version « simple »[4] et une version « élargie », permet l’extinction définitive des poursuites[5] moyennant le paiement, par l’auteur présumé      d’une infraction, d’une somme d’argent dont le montant est déterminé par le ministère public[6].

C’est lorsqu’elle était conclue alors que l’action publique avait été mise en mouvement, soit pendant l’instruction, soit alors que l’affaire était fixée devant une juridiction de fond, que la transaction pénale – élargie[7] – présentait un problème de  constitutionnalité.

En effet, cette forme de transaction déroge au principe de l’indisponibilité de l’action publique une fois qu’un juge – d’instruction ou de fond – est saisi d’une affaire[8]. Si un contrôle purement formel de la transaction pénale était effectué par la juridiction saisie[9], celui-ci a néanmoins été jugé insuffisant et ineffectif par la Cour constitutionnelle dans un arrêt du 2 juin 2016[10].

  1. Le contrôle juridictionnel mis en place par la loi du 18 mars 2018

Le législateur devait dès lors intervenir pour répondre aux problèmes de constitutionnalité soulevés par la Cour. C’est désormais[11] chose faite avec la mise en place d’une procédure d’homologation de la transaction pénale élargie[12].

Outre les conditions déjà contrôlées auparavant[13], le juge saisi doit désormais vérifier, avant d’homologuer la transaction, le caractère proportionné de celle-ci par rapport à la personnalité du suspect ainsi qu’à la gravité des faits, et si le suspect a accepté la transaction proposée de manière libre et éclairée [14].

Conformément au souhait de la Cour constitutionnelle, le législateur a également veillé à l’effectivité de ce contrôle, en imposant au ministère public de motiver ses réquisitions visant à l’homologation de la transaction pénale[15].

S’il décide d’homologuer la transaction, le juge rend une décision motivée[16], à la suite de laquelle la transaction peut être exécutée[17], avec le paiement de la somme convenue, ainsi que, selon nous, l’exécution des confiscations éventuelles et le paiement des frais de justice[18]. L’action publique s’éteint alors[19] dans le chef de l'auteur qui a accepté et observé la transaction homologuée[20].

En cas de refus d’homologation, le dossier est à nouveau transmis au procureur du Roi qui décide alors de la suite à donner à l’affaire[21]. La juridiction ayant refusé l’homologation ne pourra, quant à elle, plus poursuivre l’examen du fond de l’affaire[22]. La confidentialité des négociations de la transaction pénale élargie est par ailleurs assurée[23].

  1. Conclusion

On peut sans aucun doute saluer cette réforme de la transaction pénale élargie, qui met fin aux pratiques divergentes des juridictions dont certaines acceptaient d’effectuer le contrôle juridictionnel exigé par la Cour constitutionnelle, là où, dans d’autres arrondissements judiciaires, il n’était plus possible de conclure la moindre transaction pénale (élargie) à défaut de possibilité d’homologation par les juridictions compétentes.

Il faut toutefois constater qu’il subsiste une certaine insécurité juridique pour les justiciables, qui pourraient bien voir l’accord conclu avec le ministère public non homologué, avec pour conséquence, le retour au procès pénal « classique », à défaut de ligne directrice guidant le contrôle de proportionnalité effectué par le juge. Il aurait par ailleurs été opportun qu’une motivation écrite soit imposée au ministère public lorsqu’il requiert l’homologation de la transaction[24].

On peut également peut-être regretter que le législateur n’ait pas mis à profit la période de deux ans qui aura été nécessaire à l’adoption de la loi modificatrice depuis l’arrêt de la Cour constitutionnelle pour réfléchir à une réforme plus ambitieuse du régime de la transaction pénale, encore trop souvent perçue comme un procédé participant à une « justice de classe » permettant aux plus nantis d’échapper aux poursuites pénales sans autre conséquence, sans aucune perspective préventive d’infractions futures[25]. Mais peut-être connaitrons-nous bientôt la transaction pénale 5.0….

      2. La médiation pénale version 2.0[26] : une adaptation réfléchie

La médiation pénale permet au ministère public de proposer à l’auteur présumé d’un acte délinquant l’accomplissement d’une ou plusieurs mesures et conditions reprises à l’article 216ter du Code d’instruction criminelle[27], ce qui aura pour effet l’extinction de l’action publique. Elle constitue une forme de justice pénale négociée, permettant à l’auteur présumé d’une infraction de ne pas être poursuivi en échange du respect – accepté – de conditions.

Depuis la loi du 18 mars 2018, elle est possible à tout stade de la procédure, à condition qu’aucun jugement ou arrêt définitif n’ait été rendu. Revenons brièvement sur les motifs à la base de ce changement et les nouveautés fondamentales apportées par la loi.

  1. Un changement attendu

Contrairement aux objectifs initialement poursuivis par le législateur[28], la médiation pénale s’est rapidement imposée comme une alternative au classement sans suite plutôt qu’aux procédures contentieuses[29], aboutissant à une sous-utilisation de la médiation comme réelle « diversion par rapport aux juridictions pénales »[30]. Pour la première fois au début de l’année 2016[31], le législateur a dès lors envisagé une réécriture complète de l’article 216ter du Code d’instruction criminelle en vue d’élargir le champ d’application de la procédure de médiation.

Mais la volonté avouée du législateur de calquer cette procédure sur celle de la transaction[32] l’a forcé à mettre cette modification en suspens pendant deux ans. Cette dernière ayant été mise à mal par la Cour constitutionnelle[33], le législateur aurait en effet manqué de cohérence s’il avait modifié la médiation pénale sans prendre en compte les enseignements de l’arrêt du 2 juin 2016. Il a donc préféré privilégier une réaction tardive mais réfléchie pour éviter de se heurter une nouvelle fois à la censure de la Cour[34].

  1. Un champ d’application ratione temporis étendu : une « extinction élargie de l’action publique moyennant l’exécution de mesures »[35] tenant compte des enseignements de la Cour constitutionnelle

A l’instar de la transaction élargie, la médiation pénale est dorénavant possible même lorsqu’a été saisi un juge d’instruction ou un juge du fond, pour autant qu’aucun arrêt ou jugement définitif n’ait été rendu au pénal[36].

Tenant compte de l’épisode constitutionnel par lequel est passé l’article 216bis du Code d’instruction criminelle, l’article 216ter prévoit en outre un contrôle d’un juge indépendant sur la convention de médiation établie entre le procureur du Roi et le suspect. Sur réquisition motivée du ministère public, le juge compétent devra ainsi contrôler d’une part si les conditions d’application légales de la médiation sont respectées et d’autre part si les mesures proposées sont proportionnées à la gravité des faits et à la personnalité du suspect, et acceptées par lui de manière libre et éclairée[37]. Si le contrôle s’avère positif, le juge homologue la convention, de la même manière que ce que la loi prévoit en matière de transaction.

L’action publique s’éteint dès l’instant où le suspect a satisfait à toutes les mesures et conditions, homologuées préalablement par un juge.

  1. Conclusion

La nouvelle mouture de l’article 216ter du Code d’instruction criminelle rencontre majoritairement les exigences que la Cour constitutionnelle a formulées à l’égard de la transaction pénale. Ses champs sémantique et matériel en sortent plus clairs et précis, ce qui, nous l’espérons, permettra une pratique plus répandue de ce mode d’extinction de l’action publique.

Le législateur ainsi réussi le pari de la rigueur et de la cohérence, bien qu’il soit regrettable, tout comme en matière de transaction, qu’il n’ait pas profité de l’occasion pour établir des lignes directrices claires concernant l’étendue du contrôle exercé par le juge.

Mona GIACOMETTI                                                   Léa TEPER
Assistante-doctorante (UCL- CRID&P)                      Assistante (UCL- CRID&P)
Avocate (Joyn Legal)                                                      Avocate (Ixene)

 

Pour citer cet article : M. Giacometti et L. Teper, "Médiation et transaction pénales : du neuf pour ces alternatives au procès pénal !", Les Cahiers du Crid&p, juin 2018.

 

[1] Loi modifiant diverses dispositions du droit pénal, de la procédure pénale et du droit judiciaire, M.B., 2 mai 2018.
[2] Projet de loi, n° 54-2753/1, p. 12.
[3] Si la transaction pénale a été introduite, pour la première fois, par un A.R. du 10 janvier 1935, elle a depuis lors connu plusieurs réformes d’envergure, en 2011 (transaction 2.0.), en 2016 (transaction 3.0) et aujourd’hui, en 2018 (transaction 4.0).
[4] Initiée par le ministère public au stade de l’information, soit avant toute mise en mouvement de l’action publique, elle est visée à l’art. 216bis, § 1er, C. i. cr.
[5] Art. 216bis, § 1er, al. 7, C. i. cr.
[6] Voy. à ce sujet, l’art. 216bis, § 1er, al. 1er et 4, C. i. cr.
[7] Art. 216bis, § 2, al. 1er, C. i. cr.
[8] M. Fernandez-Bertier, M. Giacometti, N. Van der Eecken, “La transaction pénale et la reconnaissance préalable de culpabilité comme modes alternatifs de règlement des conflits pénaux : l’heure des comptes a sonné », in La loi Pot-Pourri II, un an après, Bruxelles, Larcier, 2017, pp. 171-222, spéc. p. 178.
[9] Chambre du conseil, voire chambre des mises en accusation lorsque la transaction est conclue au stade de l’instruction, ou tribunal de police, correctionnel (voire Cour d’appel) au stade du jugement en première instance.
[10] C. const., 2 juin 2016, n° 83/2016. Pour une analyse plus détaillée de cet arrêt, voy. M. Fernandez-Bertier, M. Giacometti, N. Van der Eecken, op. cit., spéc. pp. 180-183.
[11] La réforme de la procédure de la transaction pénale élargie s’est fait attendre de nombreux mois, alors qu’elle avait été annoncée en juin 2017. Q. parl. nos 19067 et 19070, Compte rendu intégral, Ch. repr., Commission de la Justice, 7 juin 2017, CRIV 54 COM 681.
[12] Voy. aussi, au sujet de la réforme, M. Fernandez-Bertier, M. Bonneure, « Le point sur quelques réformes législatives récentes : la transaction pénale, la saisie et la confiscation spéciale, et la lutte anti-blanchiment », Dr. pén. entr., 2018/2, à paraitre.
[13] Soit, les conditions d’application formelles relatives au champ d’application matériel de la transaction pénale, si l’auteur avait accepté et observé la transaction proposée (endéans le délai prescrit) et, le cas échéant, si la victime et l’administration fiscale ou sociale avaient été dédommagées. Art. 216bis, § 2, aL. 10, C. i. cr. dans sa version antérieure à la loi du 18 mars 2018.
[14] Art. 216bis, § 2, al. 8. Si le juge compétent vérifiait autrefois que le suspect avait accepté la transaction, le contrôle du juge ne portait pas sur le caractère libre et éclairé de l’accord du suspect. Voy. Art. 216bis, § 2, al. 10, C. i. cr. dans sa version antérieure à la loi du 18 mars 2018.
[15] Art. 216bis, § 2, al. 8, C. i. cr.
[16]C.S.J., avis du 29 novembre 2017 sur les dispositions du projet de loi modifiant diverses dispositions du droit pénal, de la procédure pénale et du droit judiciaire (Chambre, 54-2753/001) qui concernent la « transaction élargie », p. 12, disponible sur http://www.csj.be/sites/default/files/press_publications/advies_minschik_fr.pdf, consulté le 25 mai 2018.
[17] Voy. à cet égard, M. Fernandez-Bertier, M. Giacometti, N. Van der Eecken, op. cit., spéc. pp. 196-197. Projet de loi, n° 54-2753/1, p. 31.
[18] Conformément à l’art. 216bis, § 1er, al. 6 et 7, C. i. cr.
[19] L’extinction de l’action publique ne doit ainsi plus être constatée par la juridiction compétente mais bien par le ministère public, suite à l’exécution de la transaction proposée, ce qui mènera au classement de l’affaire. Rapport de la commission de la Justice (1ère lecture), n° 54-2753/5, pp. 7 et 40.
[20] Art. 216bis, § 2, al. 11, C. i. cr.
[21] Projet de loi, n° 54-2753/1, p. 30.
[22] Art. 216bis, § 2, al. 8, C. i. cr. Le législateur s’est ici inspiré de ce qui est prévu dans le cadre de la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité, en cas de refus d’homologation de l’accord conclu entre ministère public et auteur des faits quant à la peine à prononcer. Voy. art. 216, § 4, al. 5, C. i. cr.
[23] Art. 216bis, § 2, al. 8 et 10, C. i. cr.
[24] C.S.J., avis du 29 novembre 2017 précité, p. 10,
Un réquisitoire écrit n’est, en effet, pas imposé au ministère public. Voy. Rapport de la commission de la Justice (1ère lecture), n° 54-2753/5, p. 39.

[25] Notamment sur le modèle du droit anglo-saxon, intégré en droit français sous la dénomination de « convention judiciaire d’intérêt public », qui permet d’imposer aux personnes morales responsables d’infractions, non seulement le paiement d’une somme d’argent mais également la mise en place d’un programme de conformité, ou la supervision de l’entité pendant une période probatoire définie. Voy. à cet égard, M. Fernandez-Bertier, M. Giacometti, N. Van der Eecken, op. cit., spéc. pp. 199-203. Voy. aussi M. Fernandez-Bertier, M. Bonneure, « A vos marques, prêts, transigez ! », Article paru dans L’Echo du 16 mai 2018.
[26] Le législateur a en effet décidé, pour la première fois depuis la création du dispositif en 1994, de procéder à une réécriture complète de l’article 216ter C. i. cr.
[27] Selon le législateur, la notion de « mesure » recouvre les propositions axées sur l’auteur, qu’il y ait ou non une victime, tandis que la notion de « condition » vise l’accord relatif aux dommages et intérêts et réparation des dommages (Projet de loi organisant une procédure de médiation pénale, Exposé des motifs, Doc. Parl., Sén., 1992-1993, n°652/1, p. 43).
[28] Projet de loi organisant une procédure de médiation pénale, Exposé des motifs, Doc. Parl., Sén., sess. ord. 1992-1993, n° 48-652/1, pp. 3 et 4 et COL 8/99 du Collège des procureurs généraux du 8 avril 1999 relative à la médiation pénale, p. 7.
[29] Not. Ch. Guillain, C. Scohier, « La gestion pénale d’une cohorte de dossiers stupéfiants (1993-1997) : les résultats disparates d’une justice dite alternative », in L. Van Campenhoudt e.a., Réponses à l’insécurité. Des discours au pratiques, Bruxelles, Labor, 2000, p. 317-320 ; S. Davreux e.a., Évaluation de l’application de la loi sur la médiation pénale en Belgique du 1/1/1996 au 31/12/1996, Bruxelles, Ministère de la Justice, 1997, p. 628.
[30] Ch. Mincke, De l’utopie à l’aveuglement. La médiation pénale belge face à ses idéaux fondateurs, Facultés universitaires Saint-Louis, 2006, p. 79.
[31] Projet de loi modifiant le statut juridique des détenus et la surveillance des prisons et portant des dispositions diverses en matière de justice, Avant-projet, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2015-2016, n° 54-1986/001, p. 93 ; voy. également l’avis rendu par le Conseil supérieur de la justice sur cet avant-projet de loi, disponible sur http://www.hrj.be/sites/default/files/press_publications/ppiv-fr.pdf.
[32] Voy. not. projet de loi, n° 54-2753/1, pp. 11 et 12.
[33] C. const., 2 juin 2016, n° 83/2016. Pour une analyse plus détaillée de cet arrêt, voy. M. Fernandez-Bertier, M. Giacometti, N. Van der Eecken, op. cit., p. 183.
[34] Ce qu’il rappelle, par ailleurs, dans l’exposé des motifs de la loi dite « Pot-Pourri IV » - Projet de loi modifiant le statut juridique des détenus et la surveillance des prisons et portant des dispositions diverses en matière de justice, Exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2015-2016, n° 54-1986/001, p. 6.
[35] Projet de loi, n° 54-2753/1, p. 50.
[36] Art. 216ter, § 6 C. i. cr. Cette extension du champ d’application se traduira, nous semble-t-il, par la possibilité pour le ministère public de donner suite à la proposition de la défense d’accorder au suspect l’une ou l’autre des conditions ou visées par l’article 216ter.
[37] Art. 216ter, § 6, al. 3, C. i. cr.

Publié le 05 juin 2018