Organes de concertation et maisons de transition : vers un autre modèle de détention ?, Marie-Aude Beernaert

Issus de textes adoptés cet été, deux dispositifs devraient prochainement voir le jour sur le terrain pénitentiaire qui paraissent porteurs de potentialités intéressantes : les organes de concertation et les maisons de transition

1. Des organes de concertation obligatoires dans toutes les prisons

Comme l’avait souligné, en son temps, la Commission Dupont, « il est possible d’éviter dans une très large mesure les effets préjudiciables de la détention si la problématique de la forme à donner à l’exécution de la peine privative de liberté n’est pas abordée essentiellement à partir de l’institution pénitentiaire et des intérêts de celle-ci, mais également à partir de l’univers des condamnés eux-mêmes, des valeurs et des intérêts qu’ils estiment dignes d’être pris en considération ainsi qu’à partir de la représentation qu’ils se font de leurs nécessités et de leurs besoins »[1].

Consacrant cette idée fondamentale selon laquelle les condamnés devraient être considérés comme des interlocuteurs valables et des partenaires à part entière dans le cadre de processus décisionnels qui les concernent, l’article 7 de la loi de principes du 12 janvier 2005 avait prévu l’instauration, dans chaque prison, d’un organe de concertation permettant aux détenus « de s’exprimer sur les questions d’intérêt communautaire pour lesquelles ils peuvent apporter leur participation ». Il aura toutefois fallu attendre plus de treize ans pour que cette disposition finisse par entrer en vigueur. C’est désormais chose faite, depuis le 15 septembre 2018, date de l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 22 juin 2018 qui fixe la composition et les modalités de fonctionnement de cet organe de concertation[2].

Aux termes de cet arrêté royal, l’organe de concertation se composera d’un directeur de la prison (président), d’un secrétaire et d’un membre du personnel (désignés par le président), et de quatre détenus au moins tirés au sort parmi ceux qui auront posé leur candidature. Un premier appel à candidatures aura lieu en mars prochain, les mandats, d’une durée d’un an, étant censés prendre cours au 1er avril de chaque année.

L’organe de concertation devra se réunir au minimum une fois par trimestre pour débattre de questions touchant à la collectivité (offre d’activités sportives ou culturelles, horaires des visites, liste des articles disponibles à la cantine, …). Même s’il n’aura qu’une compétence d’avis, la généralisation de cet organe devrait participer au développement d’une culture de communication qui fait parfois cruellement défaut en prison.

2. Des maisons de transition

La loi du 11 juillet 2018 portant des diverses dispositions en matière pénale[3] a créé une base légale pour l’instauration de futures maisons de transition. Plusieurs articles ont été insérés ou modifiés à cet effet dans la loi relative au statut juridique externe du 17 mai 2006, qui permettront à l’avenir[4] de placer certains condamnés dans ce type d’établissements.

Conçues comme de petites structures agréées par les autorités, les maisons de transition se veulent une sorte d’étape intermédiaire entre la détention classique et le retour du condamné dans la société, avec un régime très ouvert et spécifiquement destiné à préparer la réinsertion sociale.

Les condamnés pourraient y être placés pour autant qu’ils satisfassent à un certain nombre de conditions, définies au nouvel article 9/3 de la loi relative au statut juridique externe : condition de temps (se trouver à 18 mois près dans les conditions d’octroi de la libération conditionnelle), d’absence de contre-indications[5] et de consentement du condamné[6].

La décision de placer un condamné dans une maison de transition relèvera du ministre de la Justice, sur demande écrite du directeur de la prison (le détenu lui-même n’ayant pas la possibilité d’initier la procédure).

On est certes encore très loin d’un projet comme celui porté par l’ASBL « De Huizen – Les Maisons », qui prône le remplacement intégral du parc pénitentiaire par un réseau de maisons de détention pour tous les catégories de détenus[7], Mais fût-elle encore symbolique, on se réjouira malgré tout de cette première étapevers une nouvelle philosophie de la détention, pensée non plus dans une logique de contrôle et de discipline à grande échelle, mais bien plutôt en termes de soutien sur mesure à la réinsertion sociale…

 

Marie-Aude BEERNAERT
Professeure ordinaire UCL - CRID&P

Pour citer cet article : M.-A. Beernaert, "Organes de concertation et maisons de transition : vers un autre modèle de détention ?", Cahiers du Crid&p, octobre 2018.

[1] Rapport final de la Commission Dupont, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2000-2001, no 50-1076/1, p. 70.

[2] M.B., 4 septembre 2018.

[3] M.B., 18 juillet 2018.

[4] Deux projets pilotes (l’un en Flandre et l’autre en Wallonie) devraient prochainement être agréés, sur la base d’un appel à candidatures publié au M.B. du 30 juillet 2018.

[5] Qu’il s’agisse des contre-indications classiques du statut externe (risque de voir le condamné se soustraire à l'exécution de la peine, commettre des infractions graves ou importuner les victimes) ou propres à la mesure concernée (inaptitude du condamné à vivre dans un régime communautaire ouvert).

[6] Sur les conditions du placement et sur le règlement d’ordre intérieur de la maison.

[7] http://dehuizen.be/fr/home.

Publié le 08 octobre 2018