Du 2 février au 19 mai 2024, l’exposition Murs d’images d’écrivains prend ses quartiers au Musée L. L’occasion de pénétrer dans l’univers visuel de grands noms de la littérature et d’explorer les murs d’images qui ont nourri leur imagination et inspiré leur création. Rencontre avec Anne Reverseau et Jessica Desclaux, co-commissaires de cette exposition.
Propos recueillis par Aline Aulit
Tableaux et photographies soigneusement accrochés, cartes postales punaisées dans du liège ou plus récemment images numériques « épinglées » sur un mur virtuel… Nous aimons nous entourer d’images, parce qu’elles nous évoquent des souvenirs, parce qu’elles ornent nos intérieurs, parce qu’elles nous inspirent. Ces images sont le reflet de notre histoire personnelle, sociale et culturelle. Qu’en est-il pour les écrivains et écrivaines ? Comment les murs d’images ont-ils influencé et influencent-ils encore aujourd’hui la création littéraire ? Fondée sur des dossiers d’archives et des témoignages actuels, l’exposition Murs d’images d’écrivains présente plusieurs reconstitutions d’environnements visuels de bureaux d’écriture, montrées pour la plupart pour la première fois. Le parcours met en lumière les différentes formes et fonctions des murs d’images pour un écrivain, avec un éventail de cas variés, de la fin du XIXe siècle à nos jours, d’Emile Verhaeren à Hélène Giannecchini et Philippe De Jonckheere, en passant par Roger M artin du Gard, Colette , Christian Dotremont ou encore Louis Aragon.
Un projet de recherche universitaire qui s’expose dans un musée… est-ce approprié ?
Anne Reverseau Depuis les prémisses de mon projet de recherche HANDLING (ndlr : il s’agit d’un programme de recherche financé par l’ERC (European Research Council) piloté par Anne Reverseau, et basé à l’UCLouvain. Il porte sur le maniement des images matérielles par les écrivains de la fin du XIXe siècle à la période contemporaine), j’ai souhaité que celui-ci se clôture par une exposition au Musée L, et plus particulièrement dans l’espace dit des « expositions singulières » qui s’appelle maintenant « vitrine de la recherche ». Exposer ce type de recherche, littéraire et historique, dans un musée tous publics est passionnant. En effet, cela nécessite de proposer aux visiteur·euses de découvrir un sujet pointu au travers d’une expérience immersive. Un mode de diffusion qui demande aux chercheur·euses un exercice de vulgarisation, de reformulation et de synthétisation très stimulant. Par ailleurs, les exigences scénographiques nous obligent à remettre notre pensée en mouvement, en fonction des espaces à notre disposition, des objets qui nous sont prêtés, etc. Nous devons partir d’éléments concrets pour reformuler notre discours.
Jessica Desclaux J’ajouterais que la collaboration avec les équipes du Musée L a été très enrichissante. Nous avons beaucoup appris en termes de médiation scientifique. En effet, nous sommes, en tant qu’enseignantes, mues par le désir de transmettre. Dans un musée, il faut construire un parcours et un discours en visant des publics différents, de tous les âges, bien plus divers que celui d’une salle de cours ou d’un séminaire de recherches ! C’est donc très intéressant de voir comment nos textes sont reformulés par des professionnel·les de la communication. L’enseignant, comme le chercheur, a quelque chose à apprendre du musée, institution dont l’une des missions historiques est d’éduquer le visiteur. Il me semble que l’université et le musée se rejoignent sur bien des questions. Leur dialogue me paraît assez naturel.
AR Pour ma part, je suis également impatiente de me confronter aux avis des publics lors des visites guidées. Même si cette exposition clôture en quelque sorte un projet de recherche de 5 ans sur la manipulation des images par les écrivains, elle ouvrira sans doute de nouvelles voies d'exploration.
Etes-vous toutes les deux des collectionneuses d'images ?
AR Personnellement, je possède des boites à chaussures remplies de cartes postales et d'images découpées et j'ai fait du collage plus jeune, oui. Mais c'est dans le cadre de ma thèse, pour laquelle j’ai étudié la relation des écrivains à la photographie, que j’ai plongé dans les archives, dans les tiroirs et les albums des auteurs et autrices qui se sont intéressé·es aux images, à tout type d’images. Plus récemment, et en entraînant l’ensemble de l’équipe d’HANDLING, je me suis intéressée plus particulièrement à la question du mur d’images, qui consiste à créer son propre univers iconographique à la verticale, dans son environnement personnel… C’est une pratique que nous connaissons toutes et tous, qu’il s’agisse des posters que nous affichons dans nos chambres d’ados ou des albums que nous créons sur Instagram ou Pinterest, si on considère les formes numériques prises aujourd’hui par cette pratique ancienne. L'enjeu est donc d'identifier ce qui est spécifique à l'usage qu'en font les écrivains.
JD Je suis une collectionneuse en devenir… Disons que je passe plus de temps à rêver d’acheter des estampes et des photographies que je n'en achète.
Cette pratique du mur d'images a-t-elle toujours existé ?
AR Elle s’inscrit en effet dans une histoire longue. Notre objectif est de mettre en avant la continuité entre les pratiques des collectionneurs du XIXe siècle ou les images collectées par les surréalistes jusqu’au passage au numérique. Avec l’équipe du projet HANDLING, je me suis donc entourée de spécialistes d’époques différentes pour penser et retranscrire cette continuité.
JD La reproduction des images connait un essor considérable au cours du XIXe siècle, avec la gravure, la photographie et les progrès techniques… C’est cette diversification des images dans les intérieurs d’écrivains qu’il nous intéressait de saisir pour sortir du modèle connu du collectionneur de peintures ou d’estampes qui préexiste à notre période d’étude. Il nous importait aussi de distinguer différentes
pratiques de « murs d’images », de les inscrire dans leur époque et dans une réflexion plus théorique sur la création.
Quelles sont les différentes sections de l’exposition ?
JD L’exposition présente un parcours en 5 temps : 1. Des murs publics aux murs privés 2. Intérieurs d’esthètes 3. Panthéons littéraires 4. Vers l’écriture 5. Ressaisir sa vie. Elle donne lieu à plusieurs reconstitutions à partir de documents originaux d’environnements visuels d’intérieurs montrées pour certaines pour la première fois. Nous sommes particulièrement heureuses d’exposer une partie des portraits d’écrivains du bureau de Roger Martin du Gard, de remonter le moodboard du dernier appartement de Christian Dotremont avec l’aide de Mélanie Michelet des AML, tout comme d’avoir obtenu la confiance d’une écrivaine comme Hélène Giannecchini qui viendra recomposer le mur d’images confectionné pour écrire l’un de ses romans. L’un des moments forts de l’exposition sera la chambre d’images de Louis Aragon, lorsque le visiteur sera entouré de plus de 300 images hétérogènes, lieu émouvant autant que mystérieux. D’autres visiteurs seront peut-être plus hypnotisés par la coulée d’images et de sons de l’installation murale de Philippe De Jonckheere.
Un des fils conducteurs qui semble guider la visite de l’exposition est l’aspect matériel et concret de cette pratique du mur d’images. Les écrivains sont aussi un peu bricoleurs semble-t-il…
AR En effet. Qu’il s’agisse des punaises rouges chez Louis Aragon, des épingles rouillées évoquées par Colette, du scotch noir de Roger Martin du Gard ou du sparadrap médical chez Hélène Giannecchini, les écrivains bricolent souvent leurs propres outils. Cette question du mode d’accrochage se trouve d’ailleurs au coeur de la performance « Défaire le mur. Performance muette », de François Durif, artiste et écrivain, organisée pour le finissage de l’exposition.
Votre exposition porte le titre « Murs d’écrivains ». A l’heure de l’écriture inclusive, est-ce un choix de conserver ce nom au masculin ?
JD C’est une question qui nous a en effet beaucoup habitées. Le parcours ne montre pas assez de femmes à notre goût. Celles-ci sont néanmoins bien présentes en tant qu’écrivaines, sous deux angles. D’une part, en tant qu’autrices de romans. Avec les cas de Colette et Hélène Giannecchini, l’exposition montre la manière dont la culture visuelle imprègne la création littéraire. D’autre part, en tant que sujets de portraits. Il y en a peu au sein des panthéons d’écrivains ou d’écrivaines au regard des hommes : George Sand, Colette, Elsa Triolet… Leurs figures sont d’autant plus remarquables. Violette Leduc est l’une des rares à afficher uniquement des portraits de Simone De Beauvoir, mais son cas est particulier. Ces panthéons dans les bureaux disent quelque chose de la représentation par un écrivain ou une écrivaine d’une communauté littéraire et intellectuelle où il se projette et de la place faite aux femmes au sein de celle-ci.
AR Les femmes ont, sur les murs, souvent été réduites à des images-objets. On pense aux images de pin-up ou de cocottes. Pourtant, les femmes ont joué un rôle essentiel de conservation de ces murs d’images. Dans plusieurs des cas montrés dans l’exposition ou évoqués dans le livre qui l’accompagne, en effet, ce sont souvent les épouses, les filles ou les petites-filles qui ont fait en sorte que ces murs puissent
encore être visibles aujourd’hui.
Crédit photo : Maison Elsa Triolet-Aragon
L'exposition Murs d’images d’écrivains à découvrir du 2/2 au 19/4/24 au Musée L
Elle est présentée au 1er étage du Musée L. Son commissariat est assuré par Anne Reverseau (professeure à l’UCLouvain et directrice de recherches) et Jessica Desclaux (chargée de recherches au FNRS). Une exposition réalisée dans le cadre du programme de recherche « HANDLING : Writers Handling Pictures. A Material Intermediality (1880-today) », dirigé par Anne Reverseau à l’UCLouvain.
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Autour de l’exposition
> Jeudi 15 février (nocturne du Musée L) – 17h30 : Visite guidée de l’exposition par les commissaires Jessica Desclaux & Anne Reverseau.
18h30 : Présentation du livre Murs d’images d’écrivains à la librairie du musée, le Coin L
> Jeudi 14 mars – 12-13h : Conférence de Laurence Brogniez (Professeur de Littérature à l’ULB) : « De l’atelier d’artiste à l’atelier d’écrivain au XIXe siècle ».
14-17h : Rencontre du groupe de contact FNRS « Ecrits d’artistes » autour des chambres d’écrivains et d’artistes, à l’invitation de Laurence Brogniez, Jessica Desclaux et Anne Reverseau.
> Jeudi 28 mars – 13h-14h30 : « Ecrire avec des murs d’images » : rencontre avec l’autrice Hélène Giannecchini dont le mur d’images ayant servi à l’écriture de Voir de ses propres yeux (Seuil, 2020) est présenté dans l’exposition (entretien mené par Corentin Lahouste et Anne Reverseau). Discussion suivie d’une visite guidée de l’exposition par Jessica Desclaux et Anne Reverseau.
> Mardi 14 mai – 12h30-13h30 : Conférence de Ralph Dekoninck (Professeur d’Histoire de l’art à l’UCLouvain) : Penser les images par les images. Atlas, murs, tableaux iconographiques en histoire de l’art, d’Aby Warburg à l’intelligence artificielle.
> Dimanche 19 mai – 14h30-17h : Performance de François Durif (artiste et écrivain): Défaire le mur. Performance muette, pour le finissage de l’exposition. Rencontre avec les commissaires dans l’espace de l’exposition.