Le congé pénitentiaire prolongé, Charlène Crahay

Depuis le 6 juillet 2017, une nouvelle mesure est venue s’ajouter au panel de modalités qui permettent à un condamné de sortir de prison avant le terme de sa peine : le congé pénitentiaire « prolongé », accordé pour des périodes alternatives de 7 jours (7 jours de congé, suivis de 7 jours de détention). Dépourvue de toute base légale, cette mesure n’est pas réglementée par la loi du 17 mai 2006 « relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine » (ci-après « loi du 17 mai 2006 »)[1], mais bien par de simples instructions de la direction générale des établissements pénitentiaires. Aux termes de celles-ci, les congés prolongés sont censés poursuivre un double objectif : réduire la surpopulation carcérale, et permettre une responsabilisation des détenus en leur offrant les possibilités de prendre eux-mêmes des initiatives en vue de leur réinsertion sociale.

Plusieurs exclusives sont toutefois prévues, tenant à la nature des faits (sont exclus les faits de mœurs ou ceux relevant de l’extrémisme) ou à la gravité de la peine (sont exclus les condamnés à des peines de réclusion et d’emprisonnement ferme de plus de 10 ans). Avant d’obtenir la mesure, les condamnés doivent en outre avoir préalablement bénéficié d’un cycle de congés « classique ».

En ce qui concerne les modalités pratiques de cette mesure, la décision d’octroyer le congé prolongé est confiée au directeur de l’établissement, ce qui ne manque pas d’interpeller : non seulement parce que les congés classiques sont, quant à eux, décidés par l’administration centrale[2], mais surtout parce, dans l’esprit de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe, les mesures qui modifient la nature de la peine prononcée étaient censées être réservées au pouvoir judiciaire[3]. Or, on peut se demander s’il n’est pas question d’un changement de la nature de la peine lorsqu’un condamné à une peine privative de liberté se retrouve en liberté une semaine sur deux…

Bien que l’on assigne à la mesure un objectif d’aide à la réinsertion, remarquons qu’en termes d’encadrement, la mesure n’envisage pas de procéder à un suivi ou à une évaluation par un assistant de justice, ni même la nécessité d’un plan de réinsertion. Il n’y a pas de programme spécifique à respecter, si ce ne sont les conditions habituellement associées au congé.

On peut également se demander dans quelle mesure cette modalité d’exécution de la peine peut favoriser la réinsertion alors que le détenu n’est disponible sur le marché de l’emploi qu’une semaine sur deux. Il paraît difficile, dans ces conditions, d’imaginer trouver un travail, s’engager dans une formation ou même signer un bail de location. Par conséquent, le milieu d’accueil constituera le principal appui du justiciable sans toutefois avoir été consulté pour l’octroi de la mesure. Si l’enquête sociale externe exigée pour le congé « traditionnel » révèle l’adéquation du milieu d’accueil pour un congé de 36 heures octroyé de manière mensuelle, est-elle toujours valide lorsqu’il s’agit d’accueillir le détenu 15 jours par mois ?

L’impact financier ne peut non plus être ignoré, d’autant que l’octroi de la mesure pour le détenu risque de s’accompagner de la perte de son éventuel emploi au sein de la prison. Dans bien des cas, il ne sera en effet pas concevable, pour l’organisation de l’établissement pénitentiaire, de mettre au travail un détenu une semaine sur deux. Les répercussions d’une telle mesure sont multiples et se traduisent, notamment, par une difficulté plus grande de cantiner lorsque le détenu est à l’intérieur des murs ou d’assumer un certain nombre de dépenses lors du congé. Son statut ne lui permettant pas d’accéder à des aides sociales, il n’a d’autre choix que de s’en remettre exclusivement à son milieu d’accueil pour lequel il devient alors une charge financière importante.

Du côté de l’administration pénitentiaire, cette nouvelle mesure exige aussi un certain nombre d’adaptations pour un bénéfice qui semble encore incertain. En effet, une organisation des cellules doit être réalisée afin de mettre en binôme deux détenus bénéficiant de congés prolongés et qui occuperont alors la même cellule à tour de rôle. Au-delà des considérations pratiques, la dimension des relations humaines et sociales est également à prendre en compte. Même si les détenus concernés ne seront pas amenés à cohabiter, il leur faudra malgré tout développer une certaine relation de confiance réciproque dans la mesure où la cellule ne sera pas entièrement vidée lors de chaque départ en congé.

En termes d’objectif de diminution de la population carcérale, certains directeurs de prison sont catégoriques : cette mesure n’est pas une réponse à la surpopulation locale. Dans certains établissements, le nombre de détenus concernés par la mesure ne s’élève qu’à une dizaine. Au niveau global, elle ne concernerait que 250 détenus environ, sur une population carcérale de plus de 10 000 individus.

Si la mesure ne semble donc pas remplir les objectifs visés, ni en termes de réduction de la surpopulation carcérale, ni en matière de réinsertion sociale, on peut à juste titre s’interroger sur sa légitimité. Dès lors que le détenu peut être libéré quinze jours par mois, y-a-t-il encore un intérêt à ce qu’il soit maintenu en prison durant l’autre quinzaine ?

En pratique, on peut se demander si la mesure n’est pas utilisée par les directeurs de prison comme un outil de pression sur les tribunaux de l’application des peines pour qu’ils octroient une libération conditionnelle. Dans leurs avis concernant l’octroi d’une mesure de libération conditionnelle, il semble en effet que certains directeurs critiquent la situation dans laquelle se trouvent les détenus bénéficiant de congés prolongés, en soulignant qu’ils ne sont soumis à aucune condition ou évaluation et qu’une libération conditionnelle constituerait donc un cadre plus sécurisant. La libération sous surveillance électronique, quant à elle, perd son sens pour ces détenus ayant bénéficié de congés prolongés car elle soumet le justiciable à une mesure plus contraignante et peut être interprétée, d’une certaine manière, comme un retour en arrière en termes d’accès à la liberté.

En conclusion, le congé pénitentiaire prolongé apparait comme une modalité d’exécution de la peine particulièrement controversée, tant dans sa légalité, que dans les objectifs qu’elle poursuit. En effet, la mesure n’est réglée par aucune loi et contribue dès lors à l’instabilité juridique des détenus. Elle change fondamentalement la nature de la peine et devrait, par conséquent, impliquer l’intervention de l’autorité judiciaire. Par ailleurs, le congé prolongé ne semblerait pas atteindre les objectifs qui lui étaient assignés en termes de réduction de la surpopulation carcérale et de promotion de la réinsertion sociale. Pour ce dernier aspect, le manque de modalités déterminant l’accompagnement des condamnés à l’extérieur en est probablement la cause, mais il faut reconnaître que l’organisation même de la mesure instaurant une alternance de semaines à l’intérieur et à l’extérieur des murs ne permet de toute façon guère l’engagement du détenu dans un vrai projet de réinsertion. En réalité, ce que la mesure permet surtout, c’est d’éprouver le cadre conditionnel et de fournir des garanties quant à la capacité du détenu à respecter des engagements. Ainsi conçue, il est toutefois primordial qu’elle évolue très rapidement vers une libération, à tout le moins conditionnelle.

Charlène CRAHAY
Assistante
Ecole de criminologie
Faculté de droit et de criminologie

 

Pour citer cet article : C. Crahay, "Le congé pénitentiaire prolongé", Cahiers du Crid&p, novembre 2017.

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[1] Qui continue au contraire de définir le congé comme une mesure permettant au condamné « de quitter la prison 3 fois 36 heures par trimestre » (art. 6, § 1er, de la loi du 17 mai 2006).
[2] « Le ministre ou son délégué » (art. 10, § 1er, de la loi du 17 mai 2006) soit, en pratique, la direction de gestion de la détention (DGD) au sein du SPF Justice.
[3] Rapport de la commission de la Justice du Sénat sur le projet de loi relatif aux tribunaux de l'application des peines, Doc. parl., Sén., sess. ord. 2004-2005, n° 3-1127/5, pp. 3-4.

Publié le 28 novembre 2017