Modification du seuil de peine permettant l’arrestation immédiate : fallait-il vraiment prévoir des exceptions ?, Marie-Aude Beernaert et Léa Teper

L’arrestation immédiate est une mesure prévue dans la loi du 20 juillet relative 1990 à la détention préventive (art. 33, § 2). Elle permet au parquet, moyennant le respect de certaines conditions, de solliciter des cours et tribunaux que le justiciable soit immédiatement arrêté au moment du prononcé de sa condamnation. Si cette requête aboutit, l’ordre d’arrestation immédiate devient un titre de détention préventive jusqu’à ce que la condamnation soit devenue définitive et exécutoire.

Précédemment, cette mesure n’était possible qu’en cas de condamnation à une peine d’un an d’emprisonnement minimum sans sursis. Ce seuil vient toutefois d’être porté à trois ans par une loi du 21 décembre 2017, sauf s’agissant d’infractions terroristes ou à caractère sexuel, pour lesquelles le seuil d’un an a été maintenu.

La présente contribution entend revenir sur les règles générales encadrant l’arrestation immédiate, avant de questionner la pertinence du changement législatif récemment opéré.

Arrestation immédiate : notion et champ d’application

L’arrestation immédiate tend à garantir l’exécution d’une condamnation en attendant que celle-ci ne devienne définitive et ainsi exécutoire. Les délais d’exercice des voies de recours étant suspensifs, l’exécution d’une condamnation ne peut en effet être exigée qu’une fois que la décision est coulée en force de chose jugée, autrement dit lorsqu’elle n’est plus susceptible d’opposition, d’appel ou de cassation.

A cet égard, l’ordre d’arrestation ne constitue ni plus ni moins qu’un titre de détention provisoire[1], dont le but est d’éviter que le condamné, qu’il soit présent ou qu’il fasse défaut à l’audience[2], ne se soustraie à l’exécution de sa peine. Elle ne peut donc pas être considérée comme une peine complémentaire et jamais être requise à des fins punitives[3]. Pour les mêmes raisons, il ne peut pas non plus être décidé qu’elle soit exécutée sous surveillance électronique[4]. Une fois ordonnée, l’ordre d’arrestation immédiate forme un tout avec la décision principale[5] et n’est susceptible d’aucun recours[6].

Dès lors qu’elle se dresse comme un remède contre la crainte que le condamné ne respecte pas volontairement les prescrits de sa condamnation, l’arrestation immédiate ne peut avoir lieu que moyennant le respect de plusieurs conditions :

  • elle doit être demandée par le ministère public et faire l’objet d’un débat contradictoire ;
  • elle ne peut être ordonnée que lorsque les circonstances de la cause indiquent un risque que le condamné ne tente de se soustraire à l’exécution de sa peine ;
  • elle n’est possible qu’en cas de condamnation à une peine de minimum trois ans (un an dans certains cas) d’emprisonnement sans sursis.

C’est donc cette dernière condition qui vient de faire l’objet d’une modification, par le biais d’une loi du 21 décembre 2017[7]. Publiée au Moniteur du 11 janvier 2018, la réforme est entrée en vigueur le 21 janvier et est immédiatement applicable aux affaires en cours, indépendamment de la date de commission des faits, conformément aux règles classiques sur l’application dans le temps des lois de procédure pénale.

Elle aura notamment pour conséquence que l’arrestation immédiate ne devrait plus pouvoir être prononcée que tout à fait exceptionnellement par le tribunal de police, dans la mesure où nombre d’infractions qui l’autorisaient précédemment ne la permettront plus désormais, étant punissables d’une peine maximale d’emprisonnement qui n’atteint pas (encore) trois ans. On songe notamment au délit de fuite lors d’un accident ayant causé des lésions corporelles ou la mort (art. 33, § 2 de la loi relative à la police de la circulation routière) ou à la conduite en dépit d’une déchéance du droit de conduire (art. 48 de la même loi). Un projet est toutefois actuellement en discussion à la Chambre qui prévoit de rehausser les peines prévues pour plusieurs de ces infractions de roulage[8], ce qui devrait largement neutraliser l’effet de la réforme sur ce point. 

Ratio legis de la réforme législative

D’après l’exposé des motifs de la loi[9], 10% des détenus en détention préventive sont des condamnés non définitifs, emprisonnés sur la base d’une arrestation immédiate, intervenant souvent alors qu’ils faisaient défaut à l’audience[10]. Sur opposition, 80% d’entre eux bénéficient d’un sursis, d’une peine de probation autonome ou d’une réduction de peine en deçà du seuil requis pour l’arrestation provisoire, rendant celle-ci impossible. Pour cette catégorie de détenus, l’arrestation immédiate devient donc l’illustration d’un paradoxe : la volonté de s’assurer que le condamné exécute une peine d’emprisonnement qui sera in fine abandonnée au profit d’une peine moins lourde débouche sur une incarcération, certes de courte durée, mais susceptible néanmoins d’avoir eu de graves conséquences psychologiques, sociales, familiales et professionnelles.

En outre, même ceux dont la condamnation est confirmée pourront généralement bénéficier d’une surveillance électronique suivie d’une libération provisoire, dès que leur peine sera devenue définitive. Il faut savoir, en effet, que l’actuel régime d’exécution des peines privatives de liberté inférieures ou égales à trois ans permet à la plupart de ces condamnés de purger leur peine sous bracelet électronique (à tout le moins s’ils disposent d’un titre de séjour valable en Belgique) jusqu’à ce qu’ils atteignent, après quelques semaines ou quelques mois, la date d’admissibilité à la libération provisoire. Cela vide également l’arrestation immédiate d’une bonne partie de son sens, puisqu’en réalité l’incarcération d’une personne est ordonnée pour garantir l’exécution d’une peine qui ne devra pourtant pas être exécutée en prison.

D’après les circulaires ministérielles applicables en la matière[11], les condamnés pour des infractions terroristes ou pour des infractions sexuelles commises sur des mineurs sont toutefois soumis à un régime spécifique : les premiers sont exclus de la mesure de surveillance électronique, tandis que les autres peuvent l’obtenir, mais uniquement sur décision de l’administration centrale (plutôt que du directeur) et sans pouvoir bénéficier d’une interruption de peine dans l’attente de la décision ; et, s’agissant de la libération provisoire, les uns et les autres ne peuvent en bénéficier qu’au terme d’une procédure plus stricte que pour les condamnés de droit commun, impliquant ici aussi que la décision soit prise par l’administration centrale plutôt que par le directeur de la prison où ils sont détenus.

C’est précisément cette spécificité qui a amené le législateur à assortir le changement législatif d’une exception et à maintenir, pour les infractions terroristes et celles visées aux articles 371/1 à 387 du Code pénal, le seuil précédemment applicable d’un an[12].

Les exceptions prévues sont-elles justifiées ?

Si l’on peut comprendre et partager les arguments avancés en faveur du rehaussement du seuil de l’arrestation immédiate à trois ans, la justification donnée à l’exception faite pour les infractions terroristes et sexuelles interpelle davantage.

En termes de hiérarchie des normes, il peut en effet sembler pour le moins curieux que le contenu d’une loi soit dicté par référence à celui de circulaires ministérielles.

L’exception introduit en outre une différence de traitement entre justiciables, dont on peut se demander si elle résisterait au contrôle de la Cour constitutionnelle. A supposer qu’elle soit fondée sur un critère objectif (à chercher dans le régime prévu par circulaires ministérielles ?) et qu’elle poursuive un but légitime, non explicité comme tel dans les travaux préparatoires de la loi (garantir l’exécution d’une peine qui devra au moins pour partie s’exécuter en prison ?), elle semble en toute hypothèse disproportionnée dans la mesure où elle inclut toutes les infractions à caractère sexuel, et non uniquement celles commises sur mineurs qui sont les seules à faire l’objet d’un traitement spécifique en termes d’exécution des peines[13].

Finalement, ce que la réforme du 21 décembre 2017 illustre une fois de plus en creux, c’est l’impérieuse nécessité de fournir enfin un cadre légal à l’exécution des peines privatives de liberté de trois ans ou moins, toujours régie par circulaires ministérielles dans l’attente de l’entrée en vigueur complète de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des condamnés ou d’une réforme législative plus vaste.

Marie-Aude BEERNAERT                                                   Léa TEPER
Professeure ordinaire (UCL-CRID&P)                                   Assistante (UCL-CRID&P)

 

Pour citer cet article : M.-A. Beernaert et L. Teper, " Modification du seuil de peine permettant l'arrestation immédiate : fallait-il vraiment prévoir des exceptions ?", Cahiers du Crid&p, février 2018.

 

[1] Cass., 5 mai 1992, R.G. 6494, Pas., 1992, I, n° 463 ; Cass., 5 décembre 2012, RG P.12.1886.F, Pas., 2012, n° 669.
[2] M.-A. Beernaert, Détention préventive, Bruxelles, Bruylant, 2016, p.157 ; Cass., 22 septembre 1993, RG P.93.1121.F, Pas., 1993, n° 368.
[3] S. Berbuto, « Arrestation immédiate », in O. Klees (e.a.), Droit pénal et de la procédure pénale, Malines, Wolters Kluwer Belgium, 2006, suppl. 13, p. 12.
[4] Cass., 14 juin 2017, R.G. P.17.0531.F, disponible sur http://www.cass.be.
[5] D. Vandermeersch, « Le sort de l’arrestation immédiate dans le dédale des voies de recours », note sous Cass., 5 décembre 2012, RG P.12.1886.F, J.T., 2013, p. 60.
[6] Art. 33 § 2, alinéa 3 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive ; Cass., 25 novembre 1987, RG 6205, Pas., 1988, n° 191.
[7] La même loi introduit aussi la possibilité de prononcer une période de sûreté à l’égard d’auteurs de certaines infractions (ceci fait l’objet d’un autre article des Cahiers du CRID&P ).
[8] Projet de loi relatif à l’amélioration de la sécurité routière, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n°54-2868/001.
[9] Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n°54-2731/001, p. 4.
[10] Le chiffre cité de 10 % interpelle, dans la mesure où ce n’est en réalité que durant le délai ordinaire d’opposition (et, si une opposition est formée dans ce délai, jusqu’à ce qu’elle soit reçue) que les condamnés par défaut sont susceptibles d’être privés de liberté sur la base d’un ordre d’arrestation immédiate. Le délai extraordinaire d’opposition n’empêche, quant à lui, pas de procéder à l’exécution de la peine (art. 187, § 2, al. 2, C.i.cr.) : passés les 15 premiers jours à partir de la signification de la décision par défaut, la condamnation devient en effet définitive sous la condition résolutoire d’une opposition recevable (et non déclarée non avenue) formée dans le délai extraordinaire.
[11] Circulaire ministérielle n° ET/SE-2 du 17 juillet 2013 relative à la surveillance électronique et circulaire n°1817 du 15 juillet 2015 relative à la libération provisoire (voir ci-dessous).
[12] Projet de loi modifiant la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive concernant l’arrestation immédiate et introduisant une période de sureté, Exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n°54-2731/001, p.4.
[13] L’exposé des motifs (Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n°54-2731/001, p.4) reconnaît au demeurant cette différence (« En ce qui concerne les infractions sexuelles, le projet de loi prévoit cette exception [maintien du seuil d’un an] de manière générale et pas seulement lorsque celles-ci sont commises sur des mineurs, comme le prévoit la circulaire »), mais sans la justifier pour autant.

Publié le 06 février 2018