Faut-il limiter les allocations de chômage dans le temps ? “Si on le fait à la hussarde, cela va être un désastre”

Louvain-La-Neuve

Bruno Van der Linden, professeur d’économie à l’UCLouvain et chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires), livre son éclairage sur cette question sensible. “On peut mener une réflexion sur la fin de droits, mais c’est une réforme d’une complexité rare”, prévient-il.


Laurent Gérard

Laurent Gérard - Journaliste
Publié le 12-12-2022 à 06h32

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Faut-il mettre un terme aux allocations de chômage après deux ou trois ans? Il en est question. ©Jean Luc Flemal



1. Quelle est la situation à l’étranger ?

”Dans la toute grande majorité des pays, explique l’économiste, on a un système composé d’une assurance chômage, à durée déterminée et donc avec une fin de droits, au-delà de laquelle on bascule vers un système d’assistance (différent de celui qui existe en Belgique avec les CPAS, qui sont ouverts à tout le monde). Dans certains pays, il y a une assistance spécifique pour les chômeurs arrivés en fin de droits. La durée du droit aux allocations de chômage peut varier fortement d’un pays à l’autre et au sein d’un même pays, en fonction des caractéristiques du chômeur : par exemple, un travailleur plus âgé qui aurait longtemps cotisé peut avoir une fin de droits plus lointaine que des plus jeunes. Dans certains cas, le montant de l’allocation diminue fortement quand vous passez dans l’assistance, dans d’autres moins. Parfois les règles sont claires et simples, parfois très compliquées.”

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2. Quel est l’impact de la limitation du droit aux allocations à l’étranger ?

”C’est très variable mais, en résumé, la présence de la fin de droits, avec ce que cela implique comme chute de revenus, va provoquer pour les uns une augmentation de l’accès à l’emploi, et pour les autres, une sortie vers d’autres statuts (retrait du marché du travail, maladie, disparition des radars). C’est nuancé. Mais pour qui est-ce efficace ? C’est difficile de répondre. Cela dépend de la capacité des chômeurs à répondre à des incitations monétaires (des baisses de revenus, NdlR). Bien sûr, cela tient à leur âge et à leur formation, mais aussi à d’autres difficultés auxquelles ils sont confrontés (santé, logement, famille…).”

3. Quel est l’impact de la dégressivité des allocations de chômage en Belgique ?

Des études récentes (de l’OCDE, de l’Onem ou de ma collègue Muriel Dejemeppe) convergent pour dire que cette accélération de la diminution des allocations de chômage avec le temps n’a pas produit d’effet clair en matière de retour à l’emploi plus rapide. Cela rejoint des travaux menés dans d’autres pays, qui montrent que ceux qui ont des durées relativement courtes de chômage sont en moyenne plus susceptibles de réagir aux incitations monétaires que des chômeurs de longue durée, peut-être en raison d’autres facteurs (santé, logement, démotivation, rejet par les employeurs…). Le seul impact est que les gens vont avoir davantage de soucis financiers. Dans la littérature internationale, on remarque que les personnes en fin de droits font moins d’effort de recherche d’emploi alors qu’on s’attendrait à l’inverse, vu la plus grande pression financière. Cela pose la question de l’accompagnement de ces personnes et des ressources (humaines et financières) de l’institution (CPAS ou une autre à inventer) qui jouerait le rôle d’assistance en cas de fin de droits.”

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4. Quelle est l’autre spécificité belge ?

”La Belgique a choisi de ne pas avoir de coupure claire entre assurance et assistance. L’assurance, c’est une couverture du risque que vous avez vécu (la perte d’emploi) où l’on ne vous demande pas si vous êtes riche ou pauvre, tandis que pour bénéficier de l’assistance, vous devez démontrer que vous êtes pauvre. En Belgique, l’assurance chômage a des caractéristiques d’assistance, parce que les allocations de chômage varient selon que l’on est cohabitant, chef de ménage ou isolé. Par ailleurs, au bout de deux ans, le montant des allocations de chômage n’est pas nettement au-dessus de ce que l’on touche au CPAS. On ne peut donc pas réfléchir à la fin de droits sans se poser des questions sur les allocations de chômage avant la fin de droits et sur le fait que certains groupes verront une différence de revenus après la fin de droits et d’autres pas.”

5. Quel serait l’impact de la limitation des allocations de chômage dans le temps sur les finances publiques ?

”L’effet principal attendu, c’est le retour à l’emploi et la baisse du chômage, mais dans la mesure où cela va pousser des gens vers d’autres statuts (maladie, invalidité, CPAS…), les dépenses vont grossir dans d’autres secteurs. Calculer le gain pour les finances publiques prises globalement est donc difficile et incertain. Mon hypothèse est que la différence ne serait pas énorme.”

6. Quelles améliorations apporter au système belge de chômage ?

”Dans la plupart des pays qui ont une fin de droits, les montants des allocations de chômage ne descendent pas à toute allure avec de multiples étapes comme c’est le cas en Belgique. Vous pouvez avoir un premier plateau pendant la première année de chômage, un deuxième à un niveau plus bas la deuxième année et puis la fin de droits. C’est plus simple. Ce qu’il faut éviter, c’est ce qu’on a fait en Belgique avec la réforme de la dégressivité de 2011-2012 qui a abouti à un système complexe qui fait qu’un ordinateur est nécessaire pour savoir dans combien de jours vous allez perdre combien d’euros. C’est tellement opaque que les incitations monétaires n’ont pas de chance de jouer un rôle. On peut mener une réflexion sur la fin de droits, mais c’est une réforme d’une complexité rare et si on la fait à la hussarde, cela va être un désastre.”

Article original (site de LaLibre.be) (réservé aux abonnés)

Published on December 13, 2022