« Métiers de la clinique, clinique des métiers »
organisé avec l’appui du CriDIS
Actuellement coordonné par J.L. Brackelaire, A.C. Frankard et T. Périlleux, le groupe rassemble des chercheurs et professionnels de la santé mentale : psychologues, psychiatres, sociologues cliniciens, criminologues, intervenant en institution et intéressés aux questions que soulèvent les métiers de la clinique dans le champ institutionnel et social.
Le séminaire qui les réunit est devenu un lieu de témoignage et de transmission permettant de penser les difficultés de la pratique : par exemple, difficultés dans les équipes, ruptures dans la transmission de l’histoire institutionnelle, précarisation des métiers et violence institutionnelle, fragilité des communautés de pratiques, crises et contradictions non surmontées, forces et limites de l’intervention …
Le groupe cherche à soutenir une épistémologie des sciences humaines cliniques. Il est soucieux de développer une démarche qui articule recherches et actions, qui ne dépossède pas les professionnels de leur propre savoir et qui questionne la position d’un clinicien inscrit dans un processus de recherche.
Séminaire & argumentaire
Argument :
La clinique se pratique dans différents métiers, s’inscrit dans des professions, implique des collaborations interdisciplinaires, s’exerce en institution ou en rapport avec des institutions. Elle s’organise dans un travail particulier, auquel il n’est pas toujours porté une attention suffisante. Car les métiers de cliniciens sont des métiers précaires qui nécessitent des accommodements fragiles. Ils sont aux prises avec différentes violences qui s’exercent sur eux. Pour être en mesure de (re)mobiliser une responsabilité humaine là où elle est mise à mal, ils requièrent des capacités d’articulation avec d’autres et des forces d’invention institutionnelle.
Il nous semble important de constituer un lieu où nous pouvons réfléchir en commun aux conditions qui permettent de détisser et retisser le métier de clinicien – et de le faire à partir de nos engagements en institutions du secteur de la santé mentale.
Parmi les questions que nous souhaitons mettre au travail figurent notamment celles-ci :
- Un clinicien a à faire aux obstacles du réel de son travail, aussi bien dans le transfert que dans les agencements institutionnels. Il peut en souffrir différentes conséquences psychiques : découragement, épuisement, isolement, sentiment d’impuissance, désensibilisation… Où peut-il en traiter ? Sur quelles bases peut-il élaborer les dilemmes de son activité ?
- En institution, se posent des questions récurrentes sur l’ajustement des fonctions, qui suscitent de nombreuses tensions et peuvent aller jusqu’à provoquer des crises institutionnelles. S’il s’agit d’instituer des frontières et des articulations entre métiers, au-delà de la seule répartition des « territoires », qui porte le repérage des entre-deux et des socles d’identification dans les métiers ? Avec qui et sous quelles modalités poser ces questions ?
- Les professionnels sont de plus en plus souvent interpellés par des demandes d’évaluation externe, qui risquent de porter atteinte aux valeurs qui les animent. Comment d’une évaluation-contrôle passer à une forme d’évaluation construite à partir de la clinique et élaborée au service de la clinique ? Comment penser la mémoire et la transmission, les dynamiques de confiance/défiance, la « pratique à plusieurs » et la coopération, au sein d’équipes parfois prises dans des tourmentes institutionnelles ?
- Les violences psychosociales et celles du travail confrontent les cliniciens à la nécessité d’inventer de nouveaux dispositifs et d’autres places. Qu’est-ce que cette invention suppose de risques et d’engagements ? S’il apparaît de nouveaux métiers ou de nouveaux lieux d’intervention, font-ils bouger les frontières ?
En outre, si comme G. Le Blanc le soutient, « la capacité clinique est intimement liée à la qualité démocratique », alors dans quelle enceinte un clinicien peut-il – ou doit-il – faire entendre une voix critique ? Face à des situations d’oppression, qui peuvent concerner les bénéficiaires mais qui peuvent aussi la concerner elle-même, la clinique a-t-elle une vocation critique ? La responsabilité humaine, des personnes et des institutions, nous oblige à répondre de nous-mêmes et d’autrui ; lorsqu’elle est attaquée dans des phénomènes de violence et d’oppression, sa remobilisation en appelle à l’échafaudage de pratiques professionnelles renouvelées dans différents champs articulés de la vie commune. Un chercheur clinicien aurait là à reconnaître et à assumer des responsabilités en quelque sorte redoublées. Les enjeux de santé mentale au travail – et du travail en santé mentale – doivent-ils nous amener à une forme de politisation de la souffrance, à une clinique critique ?
Enfin, la recherche nous semble importante dans la prise en compte de ces problématiques. Doit-on faire une différence entre un travail de supervision et un travail de recherche ? Un chercheur ouvre-t-il des espaces de parole inédits ? Quels « outils » peut-il proposer dans une juste distance à l’équipe de professionnels ou co-construire et mettre à l’œuvre avec eux ?
Notre projet s’ancre dans des engagements dans des institutions très différentes, à partir desquelles nous pensons pourtant que le partage d’expériences peut se révéler fructueux :
- des institutions psychiatriques (en particulier en pédopsychiatrie) confrontées à la question de l’évaluation des pratiques cliniques ;
- une clinique du travail, appelée à inventer de nouvelles formes d’intervention face à l’oppression qui s’exerce dans les milieux de travail ;
- l’institution universitaire dans ses liens et collaborations avec les institutions de la santé mentale, chez nous et ailleurs, nous amenant à questionner l’importance de l’articulation entre recherche et clinique dans la construction de nouvelles catégories et de nouveaux dispositifs d’intervention cliniques.
Les objectifs seraient dans un premier temps, de préciser ensemble certains concepts qui deviendraient une grille de lecture de notre réflexion, pour penser notamment :
- une clinique du travail (comment l’aborder avec nos formations différentes et nos outils spécifiques)
- des « outils humains » mis au service du projet thérapeutique
- la recherche-action dans notre champ.
On aimerait faire de ce séminaire le lieu d’un cheminement en commun placé sous le signe de ce qu’écrivait M. de Certeau : un « lieu d’échange instaurateur » qui met au travail les différences dans un collectif, un « laboratoire » de la palabre où nous pouvons mettre à l’épreuve certaines de nos pratiques et certains de nos dispositifs – e.p. leurs difficultés, leurs ornières, leurs échecs, parce qu’il est sans doute plus fructueux de parler de ce qui achoppe que de ce que nous semblons bien maîtriser.