Discours du Corps académique

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prononcé par la Pre Louise Deldicque et le Pr Vincent Yzerbyt

Rentrée académique 2022-2023

cora

Monsieur le Recteur,
Madame l’Administratrice générale,
Mr le Président du Conseil d’Administration,
Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs en vos titres et qualités,

Les crises se succèdent. La liste des dossiers qui préoccupent les académiques est longue et il ne saurait être question ici d’en épuiser tous les thèmes. Trois dossiers retiendront plus particulièrement notre attention : la digitalisation, l’individualisation et le financement de l’université.

Le premier point d’attention concerne la profonde transformation technologique qu’est la digitalisation. L’épidémie de la COVID a accéléré cette mutation de façon extraordinaire. Nous nous interrogeons sur les effets de cette mutation.

Évitons de reproduire, dans cette troisième révolution industrielle, l’erreur qui a accompagné les deux premières, celle de sous-estimer leur coût social et leurs effets pervers. La digitalisation est riche de promesses, dont une partie est déjà réalisée. Dans le même temps, si la mutation n’est pas régulée, elle peut être prise dans une dialectique négative qui transforme les promesses en régressions.

Voyez plutôt.

D’un côté, la digitalisation fournit l’infrastructure d’une communication vraiment mondiale. Quel bonheur de pouvoir communiquer instantanément avec n’importe quel chercheur du monde : Galilée, Erasme ou Kant en auraient rêvé !  Mais comment ne pas voir, d’un autre côté, que la numérisation entraîne souvent la fermeture dans des cercles étroits de semblables ? Qui plus est, la concentration d’information et de pouvoir dans le chef de quelques-uns n’est pas sans mettre en péril nos systèmes démocratiques.

La communication horizontale qu’autorise la technologie digitale encourage en principe la contradiction et la discussion, composantes essentielles pour la quête de vérité. Dans le même temps, elle survolte les polémiques dans l’espace public et dé-légitimise des expertises pourtant validées par des communautés de chercheurs exigeants. La numérisation peut aussi favoriser certains types d’apprentissage. Mais les études attestent qu’utilisés à larges doses, les écrans ne génèrent que des apprentissages appauvris et peu durables.

Face aux avancées ambivalentes de la numérisation, une vraie difficulté de régulation des usages se pose aujourd’hui à nous, académiques. On ne peut déléguer cette question à un niveau central. A tous les étages, il faut un usage dosé, pesé, raisonnable, du digital. Il faut inventer un contact avec l’étudiant qui soit riche et personnel plutôt qu’algorithmique. Préservons et cultivons les vertus du présentiel, surtout en début en début de parcours universitaire

Dans la foulée, notre deuxième point d’attention concerne l’individualisation du métier des académiques et des parcours des étudiants.

Nous sommes de plus en plus amené.es à travailler solitairement. L’atomisation des savoirs l’emporte sur le croisement des disciplines. Le monde scientifique se dirige peu à peu dans un jeu compétitif qui ne facilite pas l’approfondissement et la confirmation des données obtenues, pouvant inciter à la fraude. La collaboration, la solidarité et l’humanité doivent rester l’essence de notre métier.

On observe le même phénomène d’individualisation chez nos étudiant·es. Ils et elles ont été amené·es à suivre une partie de leur cursus à distance, parfois de manière très isolée. Ces mêmes étudiant·es à qui on attribue un programme individualisé, perdent progressivement la structure pré-établie de blocs et de cycles. Cela entrave la création d’une culture de cohorte, de ‘promotion’, et ruine les principes d’entraide et de solidarité. Cela n’encourage pas la prise en compte des points de vue d’autrui et l’indispensable tempérance dans l’affirmation de soi face au collectif. Cette individualisation entraîne aussi une perte de repères, voire un isolement social et une détérioration, insidieuse, de la santé mentale.

D’autres nuages assombrissent le ciel. L’augmentation du nombre de recours et autres procédures révèle un climat de suspicion. Les collègues qui assument la lourde tâche de présider les jurys de délibération prennent aujourd’hui toute la mesure de la perte de confiance réciproque que provoque ce juridisme. Il importe de retisser du lien.

Venons-en à la question de la disette financière. Chaque année, le niveau de financement par étudiant continue de diminuer. A l’instar de ce qui se passe pour le réchauffement climatique, il est grand temps de prendre conscience que l’on fonce droit dans le mur. Les illusions sont tenaces. Pourtant, une fois atteint ce point de bascule, la chute risque d’être vertigineuse.

Déjà, dès l’entame de leur parcours universitaire, certaines franges nanties de notre population préfèrent étudier à l’étranger. Peut-on admettre que s’instille de manière diffuse l’idée que notre enseignement supérieur s’appuie sur des institutions de relégation ? La conviction du CORA est qu’il faut investir davantage bien sûr, mais surtout qu’il faut oser des mesures nouvelles, qui sortent du cadre. Des propositions existent mais la frilosité reste de mise, alors que notre Fédération Wallonie-Bruxelles pourrait innover en bouleversant la manière de concevoir la prise en charge par les Etats de la formation de leurs résidents au sein de l’espace européen.

En interne aussi, il importe de ne pas se résigner, mais d’inventer de nouvelles réponses. Notre institution doit mieux exploiter l’ensemble des degrés de liberté à sa disposition pour anticiper les obstacles, alléger les procédures, simplifier la structure, et libérer du temps pour les missions académiques. Exerçons des choix positifs partout où cela est possible.

Mesdames et Messieurs, un peu plus de deux ans après l’émergence d’une pandémie mondiale, notre Université doit, comme l’ensemble de la société, prendre la pleine mesure des bouleversements auxquels nous sommes confrontés : digitalisation, perte du lien social et disette financière.

D’autres dossiers s’imposent bien sûr. Le caractère suicidaire d’une croissance qui fait fi des réalités de notre maison commune, la Terre, ne devrait plus faire débat. Nous sommes fiers de notre université. Elle s’est engagée avec force dans la transition. Le CORA salue les initiatives nombreuses des membres de notre communauté, à tous les échelons, pour intégrer toujours plus cette dimension. Plus question de tergiverser !

Mais d’autres points exigent une attention bien plus importante que ce n’est encore le cas aujourd’hui. Le CORA est très attentif au dossier de la Formation Initiale des Enseignants. Enjeu majeur pour l’enseignement obligatoire, cette réforme est de longue date au centre des préoccupations de nombreux académiques. Nous encourageons les autorités à mieux épauler leurs travaux.

Enfin, nous nous élevons contre le poids des habitudes, des ornières, dans le traitement du harcèlement. Chacune et chacun doit pouvoir travailler dans l’assurance d’une pleine reconnaissance de son apport, mais aussi dans une totale sérénité. Au-delà du flanc punitif et répressif, qui doit recevoir l’attention nécessaire, l’institution doit être rien moins qu’exemplaire quant à l’instauration d’un climat de respect des personnes. L’UCLouvain doit aussi améliorer l’inclusion de personnes émanant de toutes les sphères de notre société dans les diverses composantes de notre institution. Convenons-en, nous sommes loin du compte.

Dans les crises que nous vivons, nous, académiques de Louvain, ne choisissons pas le retrait. Nous choisissons l’engagement. Tout au long de cette mandature, le CORA a prôné une concertation étroite avec les autres corps. Cela a débouché sur des initiatives porteuses au niveau du conseil académique tel que le groupe de travail sur les perspectives de l’université au sortir de la pandémie. Le CORA entend garder comme priorité de cultiver un climat de confiance avec les autres catégories de personnel au sein de notre université. Tout le monde en sort gagnant. Pour tous les défis qui viennent d’être évoqués, nous en appelons donc à un dialogue renouvelé avec toutes les composantes de l’université.

Nous vous remercions pour votre attention !