Discours du recteur, le Pr Vincent Blondel

EVENTS

Rentrée académique 2022-2023

Vincent Blondel

Selon la dernière édition du « World Happiness Report » (le rapport mondial sur le bonheur, des Nations Unies), la Belgique figure dans le top 20 des pays les plus heureux au monde, comme 15 autres pays du continent européen. Le classement se base, entre autres, sur de larges enquêtes auprès de la population. Si vous en doutiez, il faut donc bien lire dans ce classement que nous, vous et moi, nous figurons en fort bonne place parmi les femmes et les hommes les plus heureux du monde !

L’exceptionnelle période de paix que nous avons connue et les conditions socio-économiques favorables dont nous jouissons pourraient laisser croire à la pérennité d’une apparente tranquillité. Cette tranquillité pourrait conduire à oublier que les conflits, les guerres ou les crises sont davantage la norme. Pour António Guterres, secrétaire général de l’ONU, l’humanité n’est aujourd’hui plus qu’à un « malentendu » ou une « erreur de jugement » de l’anéantissement. Cette année, dès le 28 juillet, l’humanité a atteint le « jour du dépassement ». En sept mois, nous avons consommé toutes les ressources que la Terre peut régénérer en une année. La raréfaction des ressources peut conduire à une perte de tempérance sociale, à la prédation et à la violence. Le premier ministre belge annonce « cinq ou dix hivers difficiles ». Les prix élevés de l’énergie, alimentent l’inflation qui, elle-même, alimente la pauvreté et menace l’emploi. La détresse économique pourrait déstabiliser les démocraties européennes.

L’université ne vit pas hors des enjeux du monde. Elle ne peut ignorer les défis politiques, climatiques, sanitaires, économiques et sociaux. Face à des défis, on ne baisse pas les bras. Et l’université ne peut pas baisser les bras.

Elle peut et elle doit être un lieu de proposition, de souffle et de perspectives. Elle doit être exemplaire et doit contribuer à ouvrir, au cœur de toutes ces crises, de nouveaux chemins vers de nouveaux possibles. Elle doit contribuer à construire l’avenir et ne regarder le passé que pour le comprendre. Cet engagement est bien loin de la quiétude des temps de paix et de tranquillité. Mais cette intranquillité-là est aussi notre vocation.

Au-delà de son devoir d’exemplarité, la responsabilité de l’université me semble être de trois ordres.

  • (Un.) Elle doit d’abord s’exprimer librement, de manière transparente et avec objectivité, sans confondre son rôle avec celui des responsables politiques.
  • (Deux.) Elle doit être une force de propositions construites sur la recherche et l’expertise scientifique.
  • (Et trois.) Elle doit contribuer à former, à conscientiser et outiller les étudiantes et les étudiants pour le futur, et tout au long de la vie.

Je vous propose de parcourir ensemble ces trois dimensions.

1. L’université s’exprime librement

Quelques jours après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’ensemble des onze rectrices et recteurs belges ont pris position en disant leur effroi face aux pertes humaines, aux souffrances et aux destructions. Ils ont appelé les gouvernements à s’assurer que la coopération académique puisse se poursuivre, dans toute la mesure du possible.

Un peu plus tard, après la manifestation publique de soutien apportée par les universités russes à l’invasion d’Ukraine, les universités belges ont suspendu leurs relations avec les universités concernées. Elles ont toutefois laissé à leurs chercheuses et chercheurs le soin de maintenir localement des relations individuelles de coopération avec leurs collègues russes.

Maintenir ces liens est nécessaire. La libre circulation des idées, même aux heures les plus sombres d’un conflit armé, surtout aux heures les plus sombres, est une valeur essentielle.

Sur ce même principe et dans un registre moins tragique, l’UCLouvain s’est engagée avec d’autres pour éviter que, dans le cadre du Brexit, la science et la mobilité des chercheurs et des étudiants en Europe ne se coupe du Royaume-Uni. Au cours des 40 dernières années, le programme Erasmus a été la semence la plus sûre et la plus profonde de la fragile construction européenne. Rompre ces précieux liens serait dramatique.

Maintenir le dialogue à travers le monde nécessite de continuer à développer nos réseaux. Et nous devons aussi le faire sans nous cantonner au monde occidental. Notre université a une longue tradition de collaboration avec le Sud. C’est un extraordinaire maillage qui s’est créé avec de nombreux alumni en Afrique, en Amérique latine et en Asie, devenues actrices et acteurs de changement dans leur pays. Notre coopération avec le Sud doit être amplifiée. A l’approche des 600 ans de la fondation de notre université, l’UCLouvain se veut pionnière dans la conception d’une coopération co-construite avec ses partenaires. Je me rendrai cette année en Afrique conjointement avec Luc Sels, recteur de la KU Leuven, pour réaffirmer cette volonté partagée par nos deux universités, alors que se fêteront prochainement les 70 ans de la fondation de Lovanium à Kinshasa. Ce sera un moment particulièrement symbolique. Il permettra d’éclairer d’un jour nouveau le sens et l’esprit de nos projets avec le Sud dans toute sa diversité.

Que ce soit avec le Royaume-Uni, avec la Russie ou dans nos relations Nord-Sud, plus que jamais, le dialogue et les liens scientifiques et éducatifs constituent un des remparts les plus sûrs pour combattre les incompréhensions et prévenir les excès. C’est la responsabilité de l’université de le rappeler avec force et surtout de le démontrer.

Et elle peut le faire avec une grande liberté de parole. Car si l’université ne vit pas hors des enjeux du monde, elle n’est pas non plus soumise aux contraintes des interactions politiques qui imposent leur propre logique. Nous n’avons pas le droit de confondre notre rôle avec celui des politiques. Cette liberté de parole de l’université est aussi celle qui lui donne sa force.

L’université s’exprime et il en va de même des membres de notre communauté qui s’expriment au départ de leur expertise scientifique. Ce sont chaque année des milliers d’interventions publiques d’experts de l’UCLouvain dans tous les domaines, y compris ceux qui touchent aux grandes mutations et aux défis de notre époque.

Que ce soit pour, par exemple, alerter des effets du confinement sur la santé mentale ou sur le processus de deuil de proches, décrire, expliquer et analyser les effets des vaccins, analyser l’efficacité et les risques du télétravail, comprendre les intérêts géostratégiques dans un conflit, analyser les perspectives en matière d’énergie, mieux comprendre l’éco-anxiété et la surmonter, analyser les effets d’une réforme économique ou encore suggérer des modèles de taxations vertueux.

Nous devons nous exprimer. Mais nous devons le faire avec précaution et déontologie, là où nous sommes légitimes. Notre légitimité résulte de notre expertise scientifique. Par conséquent, nous outrepassons notre liberté académique lorsque nous nous exprimons publiquement en utilisant notre statut d'expert pour exprimer des opinions qui sont en dehors de notre champ de compétence. Notre parole d’expert est nécessaire ; mais en dehors de nos domaines d’expertise, elle n'a ni plus ni moins de poids que celle de n'importe quel citoyen.

2. L’université lieu de création de perspectives nouvelles

L’université constitue un lieu unique et original de création de perspectives de long terme. Mais aussi de réponses à plus court terme. Elle doit plus que jamais inscrire cette volonté au cœur de ses missions. Elle a cette possibilité toute particulière de dialogue entre de nombreux domaines comme par exemple, technologie, sociologie, histoire, médecine, psychologie ou éthique. Elle dispose d’une capacité d’audace, de renouvellement et de propositions, en-dehors des sentiers battus, des impasses et des défaitismes. Elle doit être un lieu de liberté et de propositions utiles à la société.

Cette capacité, nous l’exploitons jour après jour. Les recherches foisonnent, dans tous les domaines.

Rien que ces derniers mois, des chercheuses et chercheurs de notre université ont développé :

  • Des recherches sur les mécanismes bloqueurs du covid,
  • un autotest covid simplifié,
  • des mesures du permafrost et de la calotte arctique,
  • un système d’alerte contre la fonte de la banquise,
  • une compréhension des échanges gazeux entre forêt et atmosphère,
  • une analyse de l’impact de la pollution sur les mammifères marins,
  • une stratégie globale d’usage des terres,
  • des propositions de stratégie européenne pour limiter la déforestation,
  • des propositions de réhabilitations durables à Bruxelles.

Sans doute plus que jamais nous devons être attentifs aux impacts potentiels de notre pratique scientifique, y compris de la recherche fondamentale, sur les enjeux très concrets de ce siècle.

Les vertus du dialogue interdisciplinaire sont comprises par les étudiantes et étudiants. Celles et ceux des Écoles Normale Supérieure les résument dans une tribune récente publiée dans le journal Le Monde :
« Ainsi, la communauté mathématique peut mettre à profit sa connaissance des systèmes complexes pour améliorer les modèles avec lesquels les climatologues anticipent l’ampleur des sécheresses à venir, ce qui sert ensuite aux agronomes pour mettre au point des variétés résistantes. De même, des géographes et sociologues peuvent se saisir de ces travaux pour identifier à l’avance les populations vulnérables et des politiques d’adaptation efficaces. La recherche impliquée est suffisamment riche pour que toutes les disciplines puissent y participer et que la recherche fondamentale y trouve une place essentielle. »

Attentifs à la planète, soucieux des enjeux du monde, nous devons l’être aussi à la qualité des liens qui nous unissent. En interne, il importe en particulier de soutenir nos politiques en matière de bien-être et d’inclusivité. Nous ne relâcherons pas nos efforts dans la lutte contre toutes les formes de harcèlement et de violences de genre. L’UCLouvain doit assurer partout un environnement de respect, tant pour son personnel, que pour les étudiantes et les étudiants.

Notre université n’entend pas fuir ses responsabilités. Nous devons mettre toute notre énergie à la recherche collective des manières efficaces de faire évoluer les mentalités et les pratiques. Dès cette rentrée, et dans le cadre du plan « Respect », tous les étudiants et étudiantes sont invités à suivre une formation en ligne de sensibilisation et de formation sur leur espace de cours Moodle. En ce premier jour de rentrée, plus de 40.000 personnes ont déjà visionné l’invitation à cette sensibilisation. Tous les responsables de l’université, plus de 1.200 personnes, seront également formés dans les semaines à venir pour mieux prévenir et combattre le harcèlement sous toutes ces formes.

Le plan Respect a permis de renforcer, d’améliorer et d’élargir les dispositifs existants. Les cas de harcèlement nécessitent un traitement rigoureux. Je veux nous engager à continuer à affronter cette question avec détermination, sans relâcher notre attachement au respect des droits fondamentaux.

Cette détermination, nous devons la déployer ensemble et non seulement contre le harcèlement et les violences de genre mais aussi contre toutes les formes de discrimination et de violence. Nous devons cultiver la diversité comme source d’inspiration et moteur de nouvelles perspectives pour notre université et la société plus largement.  Et ainsi contribuer durablement à « Inventer nos lendemains ».

3. L’université lieu de formation des étudiantes et des étudiants pour le futur

Venons-en finalement à l’enseignement et, plus largement, à la formation. L’accumulation des mutations que nous traversons nous invite tout naturellement à questionner nos enseignements.

Les auteurs d’un récent sondage (publié dans le Lancet) de 10.000 jeunes de 10 pays de tous les continents rapportent que 75 % des jeunes de 16 à 25 ans trouvent que l'avenir est effrayant. Avec les scores les plus élevés en Asie et en Amérique du Sud. En découvrant les conséquences de la perte de la biodiversité ou les incidences du dérèglement climatique, l’angoisse, l’incompréhension, l’impuissance voire parfois la colère, pointent chez les jeunes qui dénoncent l’inadéquation des formations avec les défis d’aujourd’hui.

Les acteurs socio-économiques partagent cette même attente. Les entreprises, les administrations, le secteur associatif doivent pouvoir mobiliser les compétences adéquates pour s’adapter aux changements systémiques auxquels nous devons faire face.

Face à ces interpellations, comment définir un horizon désirable ? Nous devons reconnecter nos programmes de formation avec la réalité des limites planétaires, de la fragilité du vivant et des enjeux économiques, sociaux et de démocratie. Par notre rôle de formation, nous portons la responsabilité de développer des savoir et des compétences pour penser et construire la société de demain mais aussi celle de raviver le courage, l’espoir et l’émerveillement.

Il y a deux ans, l’UCLouvain lançait un vaste plan transition dans le cadre de son plan stratégique Horizon 600. Ce plan prévoit que, dans chaque faculté, les étudiantes et étudiants suivent des apprentissages en lien avec le développement durable. L’intégration transversale de ces enjeux s’inscrit dans la logique de la mineure interdisciplinaire mise en place en 2016. Pour cette rentrée, 141 cours thématiques répartis dans les 14 facultés seront proposés.

Il y a quelques jours, une centaine d’enseignants et les responsables de programmes de l’UCLouvain étaient réunis autour de l’intégration des enjeux du développement durable dans les programmes de formation. J’invite chaque faculté à emboîter ce pas pour que les commissions de programme s’approprient ces évolutions.

Conclusion

Mesdames et Messieurs,

A la sortie de la deuxième guerre mondiale, le poète et résistant français René Char nous interrogeait énergiquement : « Comment vivre sans inconnu devant soi ? ».

Monseigneur Jozef De Kesel, grand chancelier de notre université, a présidé la célébration eucharistique de cette rentrée. J’aimerais citer un extrait de son homélie : « Oui, l’insécurité et l’instabilité posent problème et mettent en danger l’équilibre d’une société. […] Mais le contraire est tout aussi vrai. Si rien ne change jamais, si l’avenir n’est que la prolongation du passé, si l’on n’aborde les nouveaux défis qu’avec les évidences de ce qu’on a toujours dit, cette stabilité devient elle-même facteur d’instabilité »

Notre université fêtera bientôt ses 600 ans avec la KU Leuven notre sœur de cœur. Les dix prochaines années ne seront qu'un bref moment dans notre longue histoire, mais compte tenu des défis à venir, il s'agira d'une décennie critique, qui nécessitera des changements bien au-delà de la continuité. Pour cela, nous avons besoin de la mobilisation et de l’engagement de toutes et tous.

Cet engagement est bien loin de la quiétude des temps de paix et de tranquillité. Mais, comme je l’évoquais, cette intranquillité-là est notre vie et notre vocation. 

Pour souligner cette volonté, quoi de plus symbolique que d’accueillir celles et ceux qui porteront demain l’avenir de notre université ?

Au terme d’un exigeant processus de sélection, plus de 40 nouvelles professeures et nouveaux professeurs nous rejoignent cette année. Je les invite à me rejoindre.

J’espère que cet accueil dans la communauté universitaire de l’UCLouvain leur aura laissé entrevoir combien les attentes collectives mais aussi la confiance à leur égard sont grandes.

On behalf of our community, I welcome all these new colleagues and hope they will find at UCLouvain a place of fruitful exchanges and of unique professional and human experiences, within the international community.

C’est confiant en vos capacités, à toutes et tous, à porter ces changements ambitieux et nécessaires que je déclare ouverte l’année académique 2022-2023.