Pour quelles raisons s'intéresser aujourd'hui aux penseurs de l'Islam médiéval?

CISMOC

10 janvier 2018

Dans le cadre du cycle de conférences SSH2020-Islam « Pensées, rationalités, cultures et sociétés d’Islam : hier, aujourd’hui, demain » soutenu par le Secteur des Sciences humaines (SSH) et son projet stratégique « Louvain 2020 », nous avons le plaisir de recevoir :

Cristina d’Ancona, Professeure à l’Université de Pise, spécialiste de la philosophie antique et médiévale.

Résumé de la conférence:

L’histoire de la philosophie est une discipline ancienne et bien établie dans le système du savoir, tout en ayant par là même moins d’attrait pour les approches contemporaines, lesquelles accordent la primauté des Social Sciences par rapport aux Humanities. Et pourtant, malgré son air vieillot, l’histoire de la philosophie a parfois une valeur supplémentaire, qui s’ajoute à sa valeur épistémique intrinsèque: elle peut suggérer des analyses qui, servata distantia, sont utiles aussi dans le contexte culturel contemporain. Tel est le cas pour ce segment de l’histoire de la philosophie qui est représenté par la philosophie du monde musulman médiéval. A partir de deux passages, situés l’un au début et l’autre à la fin de la philosophie arabe médiévale, nous allons constater ensemble les transformations de l’aristotélisme qui en ont marqué l’histoire. De là, nous allons réfléchir ensemble sur un point spécifique, utile dans le contexte culturel contemporain: qu’est-ce qui a permis ces transformations, dans la perspective d’une continuité avec le savoir grec. Un “Aristote” vivant et toujours relu selon les catégories exégétiques ambiantes, qui dans le cas de la philosophie du monde musulman médiéval sont celles de l’Antiquité tardive, est bien différent de l’Aristote de Stagire dont l’histoire de la philosophie essaie de reconstuire les doctrines à l’aide des disciplines philologiques, historiques et proprement philosophiques indispensables à cette fin. En nous interrogeant sur ce qui a permis à cet “Aristote” vivant d’évoluer dans un milieu aussi distant du sien que celui des cours de la Bagdad abbaside et de la Cordoue almohade, nous allons probablement obtenir des réponses d’une certaine utilité dans le débat contemporain sur l’héritage grec dans les mondes chrétien de langue latine et musulman de langue arabe.

Résumé du séminaire de recherche :

L’essor de la philosophie dans le monde de langue arabe est marqué par un fait décisif: dans le sillage des écoles philosophiques de l’Antiquité tardive, les textes d’Aristote ont été accompagnés d’une exégèse néoplatonicienne. Cette tendance, typique surtout de l’école d’Alexandrie, devient chez les premiers savants intéressés à la philosophie dans le monde musulman une fusion explicite des deux traditions aristotélicienne et néoplatonicienne. Il n’y a aucun sujet sur lequel cette fusion s’avère plus profonde que l’âme humaine. Une lecture analytique de certains passages de deux textes traduits à la même époque – les Ennéades de Plotin et une paraphrase anonyme du De Anima d’Aristote – montre que cette fusion représente le point de départ d’une des doctrines les plus caractéristiques de la philosophie arabe médiévale parvenue à maturité: celle de la “jonction” entre l’intellect humain et l’Intellect comme substance séparée.