Accord de coopération conclu le 2 février 2018 entre l’État fédéral, la Région wallonne, la Région flamande, la Région de Bruxelles-Capitale et la Communauté germanophone

Louvain-La-Neuve

Commentaire de l’accord de coopération visant à transposer la Directive « permis unique ».

Le 2 février 2018, un accord de coopération a été conclu entre l’État fédéral et les entités fédérées compétentes en vue de (finalement) transposer la Directive « permis unique ». Cet accord contient la nouvelle procédure de demande unique dont bénéficieront les travailleurs migrants. Il introduit également un titre unique, couvrant à la fois le droit de séjour et le droit au travail, pour de nombreux ressortissants étrangers.

Accord de coopération – Directive 2011/98/UE – Transposition – Nouvelle procédure de demande unique – Permis unique.

A. Introduction

Au bout de plusieurs années de tractations, la transposition de la Directive 2011/98, dite « permis unique », établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre, semble se profiler à l’horizon[1].

Le 2 février 2018, un accord de coopération a été conclu entre l’État fédéral, la Région wallonne, la Région flamande, la Région de Bruxelles-Capitale et la Communauté germanophone en vue de la transposition de ladite Directive[2]. Cet accord a, depuis lors, été soumis aux différentes assemblées législatives concernées en vue de faire l’objet d’une loi d’assentiment. Le 14 mars dernier, le Parlement de la Région wallonne[3] et de la Région flamande[4] ont adopté une telle loi. Le lendemain, la Chambre des représentations a également voté en faveur du projet de loi déposé par le Gouvernement fédéral[5]. À Bruxelles, une proposition d’ordonnance a été déposée mais elle n’a, à ce jour, pas encore été votée[6].

Si la Directive « permis unique » n’est pas encore entièrement transposée, l’accord de coopération comporte en son sein les grandes lignes de la réforme et de la procédure qui sera dorénavant applicable. Ce commentaire se propose ainsi d’exposer le contenu de l’accord de coopération, tout en sachant que la loi du 15 décembre 1980 et la législation relative à l’occupation des travailleurs étrangers devront encore être modifiées. Avant cela, un bref rappel des raisons pour lesquelles la Belgique accuse un tel retard dans la transposition de la Directive « permis unique » s’impose.

B. Les raisons du retard belge

L’objectif de la Directive « permis unique » est double. Premièrement, renforcer la simplification procédurale, grâce à l’instauration d’une procédure de demande unique débouchant sur la délivrance, dans le cadre d’un acte administratif unique, d’un titre combiné autorisant à la fois le séjour et le travail[7]. Deuxièmement, réduire les inégalités de traitement entre les travailleurs étrangers et les citoyens de l’Union, en garantissant un socle commun de droits aux ressortissants de pays tiers travaillant légalement dans un État membre[8]. La Directive « permis unique » comporte ainsi un volet procédural, faisant l’objet du chapitre II, et un volet matériel, couvert par le troisième chapitre. In fine, la Directive doit permettre de simplifier et d’harmoniser les procédures, et de créer des conditions d’emploi minimales équivalentes dans l’ensemble de l’Union[9].

En Belgique, les procédures de demande de permis de travail et de permis de séjour étant distinctes, la Directive européenne modifie le mode de traitement de ces demandes. Aujourd’hui, les demandes de permis de séjour sont adressées à l’Office des étrangers par l’intermédiaire soit des consulats belges à l’étranger, soit des communes lorsque l’étranger réside déjà légalement en Belgique. Par contre, les demandes de permis de travail sont introduites par l’employeur auprès de l’autorité régionale compétente. En vue de se conformer à la Directive « permis unique », la Belgique doit ainsi mettre fin à cette procédure dédoublée. La première raison de la transposition tardive de la Directive tient ainsi, comme l’énonçait le Ministre Peeters en 2015, au fait que celle-ci « modifie complètement le mode de traitement des demandes de séjour liées à l’accès au marché du travail ou précisant la possibilité de travailler pour les personnes en séjour légal »[10]. La Belgique n’étant toutefois pas le seul pays européen ayant une procédure dédoublée, cette raison n’est pas, à elle seule, suffisante pour justifier le retard pris.

La transposition de la directive s’est également heurtée au processus de régionalisation d’une partie de la matière, rendant plus complexe l’instaurant d’une procédure de demande unique respectant la répartition des compétences. S’inscrivant dans le prolongement de la régionalisation des politiques d’emploi et d’intégration, la Sixième Réforme de l’État a organisé le transfert de la compétence en matière d’immigration économique au profit des Régions. Auparavant, le pouvoir de ces dernières se limitait à délivrer ou retirer les permis de travail et les autorisations d’occupation, selon les conditions et dans les limites fixées par la législation fédérale[11]. Aujourd’hui, les Régions sont exclusivement compétentes en ce qui concerne l’occupation des travailleurs étrangers, à l’exception des normes relatives au permis de travail délivré en fonction de la situation particulière de séjour des personnes concernées (permis de travail C)[12]. En vertu de sa compétence résiduelle, l’État fédéral demeure toutefois compétent pour l’accès au territoire et l’octroi des titres de séjour. Suite à la Sixième Réforme de l’État, la règlementation relative à l’occupation des travailleurs étrangers et celle relative à l’accès au territoire et au séjour relèvent ainsi du domaine de compétence d’autorités différentes, ce qui a rendu la transposition de la Directive « permis unique » plus compliquée encore[13].

Dès lors que la Belgique est contrainte d’établir une procédure de demande unique débouchant sur la délivrance d’un permis unique, l’autorité fédérale et les Régions sont obligées de collaborer. La connexité entre le droit de séjour et le droit au travail requière effectivement une approche cohérente et coordonnée. Dans un avis de juin 2016, le Conseil d’État a estimé que « compte tenu de la répartition des compétences dans les matières appréhendées par la directive 2011/98/ UE, sa transposition ne peut résulter que d’un accord de coopération à conclure entre l’Autorité fédérale, la région Flamande, la région de Bruxelles-capitale, la Région Wallonne et la Communauté germanophone »[14]. De surcroit, l’article 92bis, § 3 c), de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles stipule que l’autorité fédérale et les Régions concluent un accord de coopération pour la « coordination des politiques d’octroi du permis de travail et d’octroi du permis de séjour, ainsi que les normes relatives à l’emploi de travailleurs étrangers »[15]. Le Conseil d’État s’est appuyé sur cette disposition insérée en 1993 pour imposer aux acteurs fédéraux et régionaux compétents de conclure un accord de coopération en vue de transposer la Directive « permis unique ».

Entre-temps, face à la non-transposition de la Directive « permis unique », du moins en ce qui concerne le volet procédural, la Commission européenne a initié la procédure d’infraction[16]. Le 31 mars 2014, soit trois mois après la date limite de transposition, la Commission a envoyé une lettre de mise en demeure à la Belgique, laquelle s’est défendue en invoquant l’impact de la récente réforme institutionnelle. N’ayant toujours pas adopté les mesures nécessaires en vue de la transposition de la Directive, la Belgique a reçu un avis motivé, le 30 avril 2015[17]. Quelques mois plus tard, en espérant que la Belgique se conforme finalement à ses obligations européennes, la Commission a saisi la Cour de Justice, le 29 novembre 2015, et a proposé une astreinte journalière de 52,828.16 euros à compter de l’arrêt de la Cour[18]. Les autorités belges ont alors accéléré le pas et, compte tenu de l’évolution de la situation, la Commission a décidé de surseoir à la procédure de saisine. En juin 2016, le Conseil d’État, saisi des différents projets de textes législatifs visant à transposer la Directive, a jugé qu’un accord de coopération entre les différentes autorités compétentes était nécessaire. La conclusion d’un tel accord a engendré un retard supplémentaire. Lasse, la Commission européenne a, à nouveau, décidé de saisir la Cour de justice, en juillet 2017[19]. Face au retard accumulé par les autorités belges, la Commission a ainsi exercé les moyens de pression à sa disposition, sans que la Belgique ne soit, à l’heure actuelle, sanctionnée, malgré un retard de transposition de plus de 4 ans.

Après une longue concertation, les différentes autorités compétentes sont parvenues à un accord sur la détermination de la procédure devant déboucher sur la délivrance d’un titre unique, couvrant à la fois le droit de séjour et le droit au travail. Celui-ci est matérialisé dans l’accord de coopération du 2 février 2018.

C. La nouvelle procédure de demande de permis unique

Avant de décrire la nouvelle procédure élaborée dans l’accord de coopération, précisons qui sont les personnes concernées par le permis unique et par les dispositions de l’accord de coopération.

Le champ d’application rationae personae de la Directive est défini en son article 3. Celle-ci s’applique, d’abord, aux ressortissants de pays tiers qui, depuis l’étranger, demandent à séjourner en Belgique afin d’y travailler. Il s’agit ici de migrants communément qualifiés d’« économiques », c’est-à-dire admis à des fins de travailler. Ces personnes sont soumises à la procédure de demande unique et se voient délivrer un permis unique, au sens de la Directive. L’article 15 de l’accord de coopération précise ainsi que la procédure de demande unique « s’applique à toute demande d’autorisation de séjour à des fins de travail pour une période de plus de 90 jours »[20].

Sont également visés les ressortissants de pays tiers déjà admis sur le territoire d’un État membre aux fins d’y travailler, mais également à d’autres fins que le travail et qui sont autorisés à travailler. La Directive ne se limite donc pas aux migrants économiques compris au sens strict. Au contraire, la Directive a vocation à s’adresser à toutes les personnes étrangères disposant d’un droit au travail dans un État membre, indépendamment de leur motif de séjour. Si ces personnes ne sont pas concernées par la procédure de demande unique, la Directive prévoit qu’elles bénéficient d’un titre unique, c’est-à-dire un titre de séjour sur lequel figure des indications concernant l’autorisation de travailler[21].

Le deuxième paragraphe de l’article 3 de la Directive instaure néanmoins une longue liste de personnes exclues de son champ d’application. Sont ainsi exclues des personnes déjà couvertes par le droit européen et bénéficiant d’un statut plus privilégié, notamment les membres de la famille de citoyens européens, les résidents de longue durée et les bénéficiaires d’une protection internationale. Toutefois, bien que ces personnes soient exclues du champ d’application de la Directive, l’accord de coopération prévoit que leur titre de séjour en Belgique mentionnera les données relatives à l’autorisation de travail[22]. Le titre de séjour indiquera dorénavant si, et dans quelle mesure, le travail est autorisé. Cela doit renforcer la sécurité juridique pour l’ensemble des personnes concernées, et remédier à la situation où une dispense de permis de travail existe, sans pour autant être mentionnée sur un document.

En ce qui concerne les autres Directives européennes adoptées en matière d’immigration économique, notamment les Directives « travailleurs saisonniers » et « transferts intra-groupe » qui doivent encore être transposées en droit belge, il a été décidé de soumettre ces travailleurs étrangers aux règles prévues par l’accord de coopération. Bien qu’exclus du champ d’application de la Directive « permis unique », la procédure de permis unique instituée par l’accord de coopération s’appliquera à leur égard[23].

  1. L’instauration d’un guichet unique

En vertu de l’article 4 de la Directive, l’employeur ou le travailleur, s’adressant à un guichet unique, doit pouvoir déposer une demande de permis couvrant à la fois le séjour et l’accès au travail, le fameux « permis unique »[24]. L’accord de coopération prévoit que la demande de permis unique est introduite sous la forme d’une demande d’autorisation de travail, sachant que celle-ci vaut demande d’autorisation de séjour[25]. La demande est donc introduite auprès de l’autorité compétente pour le volet « travail » qui fait office de guichet unique.

L’accord de coopération prévoit que la demande de permis unique est introduite par l’employeur, auprès de l’autorité régionale compétente[26]. Le critère principal pour déterminer l’autorité régionale territorialement compétente est celui du lieu principal de travail de la personne étrangère[27]. S’il s’agit d’une demande d’autorisation de travail à durée illimitée (l’équivalent du permis de travail A actuellement), l’autorité compétente est celle correspondant au domicile du travailleur. Toutefois, l’article 8 de l’accord de coopération stipule que si l’autorité régionale saisie n’est pas celle compétente, elle transmet elle-même la demande à l’autorité compétente dans un délai de quatre jours ouvrables[28].

  1. Le traitement de la demande

Une fois la demande complète et recevable, c’est-à-dire que les documents relatifs tant au volet « travail » que « séjour » sont produits[29], le délai (de rigueur) de quatre mois endéans lequel une décision doit être prise prend cours[30]. À l’heure actuelle, les demandes de permis de travail étant traitées endéans des délais plus courts, espérons que la pratique ne soit pas ralentie par l’instauration d’un délai maximal, fixé par l’article 5, paragraphe 2, de la Directive, déraisonnablement long pour beaucoup d’employeurs. 

Dans les quinze jours qui suivent l’introduction de la demande, l’autorité régionale transmet une copie du dossier à l’Office des étrangers[31]. Chaque autorité décide, dans le respect de leurs compétences respectives, de l’octroi de l’autorisation de séjour et de l’autorisation de travail. L’accord de coopération mentionne, à l’article 24, paragraphe 2, que l’Office des étrangers et les autorités régionales traitent les demandes « de manière conjointe ». Sans doute, aurait-il fallu indiquer « de manière parallèle ».

Si l’article 5 de la Directive, en faisant référence à l’autorité compétente pour recevoir la demande et délivrer le permis unique, peut laisser penser qu’une seule et même autorité statue sur la demande, le considérant 12 du préambule précise que cela est « sans préjudice du rôle et des responsabilités des autres autorités et, le cas échéant, des partenaires sociaux en ce qui concerne l’examen de la demande et de la décision à laquelle elle donne lieu ». L’autorité qui reçoit la demande ne doit donc pas statuer sur l’ensemble de la demande. La Belgique peut ainsi prévoir que la demande de permis unique doive faire l’objet d’une décision positive, à la fois de l’autorité régionale compétente, et de l’Office des étrangers, ce qu’a confirmé la Commission européenne[32].

En parallèle, l’autorité régionale compétente examine si les conditions de délivrance d’une autorisation de travail sont remplies, et l’Office des étrangers entame une « enquête de sécurité » pour s’assurer que la personne étrangère peut obtenir une autorisation de séjour[33]. Si la Région n’a pas encore statué, l’Office prend une décision sous la condition suspensive de l’autorisation de travail. Lorsque les deux décisions sont positives, celles-ci sont incorporées dans un acte administratif unique qui est, ensuite, notifié par l’Office des étrangers au travailleur, et l’employeur en est informé[34]. Si l’Office des étrangers prend une décision positive mais que la Région, au contraire, adopte une décision négative, celle-ci est notifiée par la Région au travailleur et à l’employeur. Par contre, si c’est l’Office qui adopte une décision négative, il en informe la Région, et la notifie au travailleur uniquement.

En ce qui concerne le contrôle effectué par l’Office des étrangers, l’exposé des motifs précise qu’il s’agit d’un contrôle de sécurité. D’après le schéma repris dans les travaux préparatoires, l’Office analyse les éléments d’ordre public, de sécurité nationale, de santé publique et de fraude. Il est fait mention des conditions de l’article 3, 4° à 9°, de la loi du 15 décembre 1980. En ce qui concerne les moyens de subsistance suffisants, il va de soi que la rémunération découlant de l’activité professionnelle en Belgique doit suffire. Ce contrôle devrait donc se limiter à des considérations sécuritaires et d’ordre public, de manière à ne pas rendre l’exercice par les Régions de leur compétence en matière d’immigration économique excessivement difficile[35].

  1. La délivrance du permis unique et voies de recours

Lorsque l’autorité régionale compétente et l’Office des étrangers adoptent chacun une décision positive, le ressortissant de pays tiers se voit octroyer un titre unique qui atteste de son autorisation de séjourner et de travailler. Celui-ci est délivré par la commune, si la personne concernée réside déjà légalement en Belgique. Si elle se trouve à l’étranger, une demande de visa est nécessaire puisque le permis unique n’est délivré qu’en Belgique, et non directement par les consulats à l’étranger[36]. Par ailleurs, l’article 33 de l’accord de coopération stipule que, dans l’attente de la délivrance physique du permis unique, une fois sur le territoire, la personne concernée se voit remettre un document de séjour provisoire sur base duquel elle peut commencer à travailler.

En cas de décision négative, soit de la part de l’administration régionale, soit de la part de l’Office des étrangers, les ressortissants de pays tiers disposent de voies de recours[37]. Les autorisations de travail et de séjour étant adoptées en vertu de législations différentes et par des autorités distinctes, les voies de recours sont également distinctes. Le ministre régional connaît des recours à l’encontre des refus d’autorisations de travail, et le Conseil du Contentieux des étrangers connaît, lui, des recours en annulation à l’encontre des décisions de refus d’autorisations de séjour. Lorsqu’une demande de permis unique est refusée, la voie de recours diffère ainsi selon le motif de refus.

  1. La mention relative à l’accès au marché du travail

Comme expliqué supra, le titre de séjour mentionnera dorénavant dans quelle mesure un ressortissant de pays tiers a accès au marché de l’emploi, indépendamment du motif pour lequel cette personne est admise en Belgique. Ainsi que le prévoit l’article 6 de la Directive, la forme du permis unique suit le modèle uniforme prévu par le Règlement européen n° 1030/2002, sur lequel seront mentionnées les informations concernant l’autorisation de travailler.

L’article 35 de l’accord de coopération prévoit qu’une ligne « Marché du travail » sera incluse sur le titre de séjour, suivie de « limité », « illimité », ou « non ». Pour les personnes aujourd’hui dispensées de l’obtention d’un permis de travail, les détenteurs d’un permis de travail A ou C (à l’exception des étudiants), il sera ainsi mentionné que leur accès au marché de l’emploi est illimité[38]. Dès lors que le titre de séjour mentionne directement que la personne a un accès illimité au marché de travail, sans qu’elle ne doive plus introduire une demande auprès des autorités régionales (comme c’était le cas pour le permis de travail A et C), cela clarifie et simplifie la situation tant pour le travailleur, que l’employeur potentiel, et les services d’inspection. Pour les autres, principalement les personnes étrangères autorisées à travailler à condition d’obtenir un permis de travail B, sachant que les personnes en séjour légal en Belgique et privées d’un accès au marché de l’emploi demeurent rares[39], la mention « limité » sera inscrite sur leur titre de séjour[40].

Dès lors que l’autorisation de travailler sera mentionnée directement sur le titre de séjour, les permis de travail tels qu’on les connait aujourd’hui devraient disparaitre (du moins pour les séjours de plus de 90 jours). L’accord de coopération et la transposition de la Directive « permis unique » n’entrainent pas une suppression des permis de travail. Les conditions d’accès au marché du travail pour les ressortissants de pays tiers ne changent pas. Seulement, les permis de travail ne seront plus délivrés matériellement, mais figureront dans le document de séjour[41]. À l’avenir, le titre de séjour mentionnera directement l’étendue de l’accès au marché de l’emploi.

Concernant l’autorisation de travailler, une dernière précision s’impose. L’exercice par les entités fédérées de leur compétence en matière d’immigration économique devant se faire dans le respect de l’Union économique belge, l’accord de coopération comporte un article 14 relatif au principe de reconnaissance mutuelle. En vertu de ce principe, une personne proposant des services sur le territoire d’une composante de l’État en se conformant aux règles qui y sont applicables est présumée pouvoir exercer librement cette activité sur le territoire de toute autre composante de l’État, sauf pour cette dernière à démontrer la nécessité d’imposer des règles plus strictes afin d’atteindre un objectif légitime[42]. En application de ce principe, l’article 14 prévoit que le ressortissant d’un pays tiers titulaire d’une autorisation de travail octroyée par une autorité régionale, ou celui qui est dispensé de l’obligation d’obtenir une telle autorisation de travail, peut travailler sur l’ensemble du territoire belge (pour le compte du même employeur, le cas échéant), pourvu que toutes les conditions d’admission à l’emploi ou de dispense prévues par la première autorité régionale soient respectées.

  1. La fin de l’autorisation de travailler

L’accord de coopération ne comporte aucune disposition relative à la durée de validité du permis unique. Sans doute, cette question devra-t-elle être réglée par les entités fédérées qui sont compétentes en la matière. Il est probable que, comme actuellement, l’autorisation de travailler soit d’une durée déterminée, et doive être renouvelée. À cet égard, l’article 21 de l’accord de coopération stipule que la demande de renouvellement ou de modification de l’autorisation de séjour à des fins de travail est introduite auprès de l’autorité régionale compétente et ce, au plus tard deux mois (et non plus un) avant l’expiration de la validité de l’autorisation précédente[43]. Cette disposition ne précise toutefois pas qui doit introduire la demande de renouvellement. Il s’agit sans doute de l’employeur, comme c’est le cas actuellement.

Par ailleurs, l’article 36, paragraphe 2, de l’accord de coopération énonce ceci : « Lorsque le ressortissant d’un pays tiers n’est plus autorisé à travailler, son séjour prend fin de plein droit nonante jours après la fin de l’autorisation de travailler ». D’après l’exposé des motifs, cette disposition doit permettre aux travailleurs étrangers de rechercher un nouvel emploi durant un délai de 90 jours, sans perdre automatiquement leur droit au séjour. Il s’agit là d’une avancée notable puisque, actuellement, les travailleurs étrangers ne bénéficient pas d’une telle période de transition. En pratique, la fin de l’autorisation de travailler peut donner lieu à la fin de l’autorisation de séjour. En vertu de l’accord de coopération, les travailleurs étrangers devraient donc être mieux protégés. Toutefois, la suite de l’article 36 de l’accord indique que cela est « sans préjudice de la faculté du ministre [de l’Intérieur] ou de son délégué, de mettre fin au séjour conformément à la législation relative à l’accès au territoire, au séjour, à l’établissement et à l’éloignement des étrangers ». La protection offerte aux travailleurs migrants ne prend donc pas la forme d’un droit et, en définitive, il n’est pas garanti que la pratique évolue à l’avenir. L’administration fédérale conserve la faculté de mettre fin au séjour du travailleur étranger qui n’est plus autorisé à travailler.

D. Conclusion

Dans un dossier qui tarde depuis de nombreux mois, la conclusion d’un accord de coopération le 2 février 2018 et l’adoption de lois d’assentiment par plusieurs assemblées législatives (mais pas encore toutes) sont le signal que le dénouement est proche, plus de six ans après l’adoption de la Directive « permis unique ». Malgré les complexités institutionnelles belges, le retard accumulé est difficilement justifiable.

La nouvelle procédure contenue dans l’accord de coopération présente certains atouts. Conformément à l’objectif principal de la Directive « permis unique », la fin de la procédure dédoublée permettra vraisemblablement de réduire les lourdeurs administratives tant pour les employeurs que les travailleurs. Outre l’introduction d’une procédure de demande unique, la délivrance d’un titre unique, sur lequel figure l’autorisation de travailler, et pas seulement pour les migrants économiques, est également source de sécurité juridique pour l’ensemble des personnes concernées.

Au-delà des textes, il reste à voir comment la procédure de demande unique sera mise en œuvre. Le transfert de dossiers d’une administration à l’autre sera, sans doute, la cause de certains retards. Le délai maximal de quatre mois prévu par la Directive ne garantit pas davantage que les administrations traiteront les demandes dans un délai raisonnable pour les employeurs. Par ailleurs, une question demeure en suspens concernant les demandes de séjour afin de venir travailler en Belgique pour une période inférieure à trois mois. La non-application de l’accord de coopération laisse penser que les procédures actuelles demeurent applicables.

Enfin, on peut regretter que les négociations entre les différentes entités fédérées et le gouvernement fédéral n’aient pas donné lieu à un débat plus large sur l’immigration économique. Dans les débats politiques, la question de l’immigration économique n’est que très peu abordée, et la transposition de la Directive « permis unique » aurait pu être l’occasion d’envisager une autre politique en la matière, plus ouverte ne serait-ce qu’à l’égard des étrangers déjà présents sur le territoire belge, que ce soient les étudiants étrangers ou les travailleurs sans papiers[44]. Pressés par le temps, les négociateurs n’ont pas eu l’opportunité d’aborder ces questions. Sans doute aussi, n’était-ce pas le lieu de débattre de ces questions qui méritent qu’une discussion de fond avec les partenaires sociaux soit menée. En tout état de cause, la matière de l’immigration économique est maintenant régionalisée et c’est au niveau de chaque entité fédérée compétente qu’un débat sur l’immigration économique doit être mené. Les élections de 2019 représentent une occasion d’ouvrir le débat, espérons que certains oseront proposer une vision différente de ce que peut être l’immigration.

J.-B. F.

C. Pour aller plus loin

Document parlementaire :

-  L’exposé des motifs et l’accord de coopération, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 2933/001.

Doctrine :

- Vanpraet J., « De bevoegdheidsverdeling inzake de tewerkstelling van buitenlandse arbeidskrachten na de zesde staatshervorming », Migratie- en migrantenrecht, Vol. 15, Bruges, Die Keure, 2014, p. 3.

- Verschueren H., « Tendensen en uitdagingen van het arbeidsmigratierecht », Migratie- en migrantenrecht, Vol. 14, Bruges, Die Keure, 2011, p. 507.

 

Pour citer cette note : J.-B. Farcy, « Commentaire de l’accord de coopération visant à transposer la Directive « permis unique » », Cahiers EDEM, avril 2018.

 

[1] En vertu de l’article 16 de la Directive, la transposition de celle-ci devait être effectuée au plus tard le 25 décembre 2013.

[2] L’accord de coopération « portant sur la coordination des politiques d’octroi d’autorisations de travail et d’octroi du permis de séjour, ainsi que les normes relatives à l’emploi et au séjour des travailleurs étrangers » peut être consulté dans les travaux parlementaires de la Chambre des représentants, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 2933/001.

[3] Parlement wallon, sess. ord., 2017-2018, n° 1024/3.

[4] Parlement flamand, sess. ord., 2017-2018, n° 1484/3.

[5] Projet de loi portant assentiment à l’accord de coopération entre l’État fédéral, la Région wallonne, la Région flamande, la Région de Bruxelles-Capitale et la Communauté germanophone portant sur la coordination des politiques d’octroi d’autorisations de travail et d’octroi du permis de séjour, ainsi que les normes relatives à l’emploi et au séjour des travailleurs étrangers, Exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 2933/004.

[6] Parlement de la Région Bruxelles-Capitale, Projet d’ordonnance portant assentiment à l’accord de coopération entre l’État fédéral, la Région wallonne, la Région flamande, la Région de Bruxelles-Capitale et la Communauté germanophone portant sur la coordination des politiques d’octroi d’autorisations de travail et d’octroi du permis de séjour, ainsi que les normes relatives à l’emploi et au séjour des travailleurs étrangers, sess. ord., 2017-2018, n° A-638/1.

[7] Préambule de la Directive, considérant 3.

[8] Préambule de la Directive, considérant 20.

[9] Préambule de la Directive, considérants 3 et 19.

[10] Chambre des représentants de Belgique, Questions et réponses écrites : réponse du vice-premier ministre et ministre de l’Emploi, de l’Economie et des Consommateurs, chargé du Commerce extérieur du 30 avril 2015, à la question n° 110 de monsieur le député Frank Wilrycx du 16 février 2015, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2014-2015, QRVA 54 023, 4 mai 2015, p. 62.

[11] Pour une analyse critique de la répartition antérieure des compétences entre le niveau fédéral et régional, voy.: H. Verschueren, « Tendensen en uitdagingen van het arbeidsmigratierecht », Migratie- en migrantenrecht, Vol. 14, Bruges, Die Keure, 2011, pp. 511 – 514 (en particulier).

[12] J. Vanpraet, « De bevoegdheidsverdeling inzake de tewerkstelling van buitenlandse arbeidskrachten na de zesde staatshervorming », Migratie- en migrantenrecht, Vol. 15, Bruges, Die Keure, 2014, p. 3.

[13] Le Conseil d’État dans son avis relatif à la proposition de loi spéciale relative à la Sixième Réforme de l’État avait, d’ailleurs, attiré l’attention sur ce point. CE (section législation), Avis n° 53.932/AG du 27 août 2013, p. 36.

[14] Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 2933/001, p. 7.

[15] Loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, M.B., 15 août 1980.

[16] Le chapitre III de la Directive relatif au « droit à l’égalité de traitement » est, selon la Belgique, déjà respecté par diverses mesures législatives assurant une égalité entre travailleurs.

[17] Commission européenne, Procédures d’infraction du mois d’avril : principales décisions, Communiqué de presse, 29 avril 2015.

[18] Commission européenne, Communiqué de presse, 19 novembre 2015.

[19] Commission européenne, Procédures d’infraction du mois d’avril : principales décisions, Communiqué de presse, 13 juillet 2017.

[20] Pour les séjours de moins de trois mois, la procédure actuelle devrait donc continuer à s’appliquer.

[21] Art. 7 de la Directive « permis unique ».

[22] Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 2933/001, p. 17.

[23] Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 2933/001, p. 18.

[24] Le « permis unique » est défini comme suit : « titre de séjour, comportant une mention relative à l’accès au marché du travail, qui permet à un ressortissant d’un pays tiers de séjourner légalement sur le territoire belge pour y travailler » (art. 3, 10° de l’accord de coopération).

[25] Art. 17, al. 2, de l’accord de coopération.

[26] Art. 18 de l’accord de coopération.

[27] Art. 7 de l’accord de coopération.

[28] Afin de faciliter l’échange d’informations et des documents, les parties à l’accord de coopération se sont engagées à créer une plateforme électronique (art. 40).

[29] La demande doit, notamment, comporter les documents suivants: le formulaire de la demande, le contrat de travail type, une copie du diplôme (si nécessaire), une copie du passeport, une preuve de paiement de la redevance, l’élection de domicile en Belgique, un certificat médical et un certificat de bonne vie et mœurs (ou l’équivalent).

[30] En cas de non-respect de ce délai, les autorisations de séjour et de travail sont réputées octroyées (art. 25, paragraphe 4, de l’accord de coopération).

[31] Art. 20 de l’accord de coopération.

[32] Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 2933/001, p. 10.

[33] Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 2933/001, p. 13.

[34] Art. 33 de l’accord de coopération.

[35] En vertu du principe de proportionnalité propre à tout exercice de compétence, l’autorité fédérale et les Régions doivent veiller, dans l’exercice de leurs compétences respectives, à ce qu’une autre autorité ne soit pas confrontée à des difficultés excessives pour mener efficacement la politique qui lui a été confiée. Entre autres : C. Const., n° 112/2011 du 23 juin 2011, B.5.

[36] Art. 34 de l’accord de coopération.

[37] Art. 37 et 38 de l’accord de coopération.

[38] Le terme illimité fait ici référence, non pas à la dimension temporelle, mais à l’étendue de l’accès au marché de l’emploi.

[39] On peut penser au conjoint d’un étudiant étranger, notamment, mais ils sont peu nombreux.

[40] Cette mention parait toutefois malencontreuse. Sans doute faut-il comprendre par-là que l’autorisation de travailler est limitée à un employeur, mais l’accord de coopération n’offre pas plus d’informations. Néanmoins, on peut imaginer qu’une des Régions, dans l’exercice de ses compétences, prévoit que l’autorisation de travail ne soit plus liée à un employeur mais soit, plutôt, liée à un secteur d’activité défini.

[41] Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2017-2018, n° 2933/001, p. 27.

[42] C. Const., n° 41/2010 du 29 avril 2010, B.5.3. L’article 14, paragraphe 3, de l’accord de coopération prévoit qu’un accord de coopération d’exécution peut limiter l’application du principe de reconnaissance mutuelle, si des raisons impérieuses d’intérêt général le justifient.

[43] Sachant que le délai maximal pour traiter de la demande est de quatre mois, il n’est pas certain que la demande de renouvellement soit traitée avant l’expiration de l’autorisation de travailler. Lorsque la demande de renouvellement du permis unique nécessite un examen plus approfondi de la part de l’autorité régionale, celle-ci peut, sur base de l’article 36, paragraphe 2, alinéa 3, de l’accord de coopération, demander à l’Office des étrangers de prolonger la validité du document de séjour du ressortissant de pays tiers.

[44] Voy. notamment: Conseil économique et social de la Région de Bruxelles-Capitale, Avis d’initiative relatif à la migration économique et l’occupation des travailleurs étrangers en Région de Bruxelles-Capitale, 16 juin 2016, disponible sur : https://ces.irisnet.be/fr/avis/avis-du-conseil/par-date/2016/a-2016-045-ces/view.

Publié le 08 mai 2018