Anvers (mis. acc.), 11 mai 2017, n° K/1021/2017

Louvain-La-Neuve

La détention des demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert en application du Règlement Dublin III : une jurisprudence en contradiction avec les garanties prévues en droit européen.

Dans l’arrêt commenté, la Chambre des mises en accusation de la Cour d’appel d’Anvers considère qu’un étranger ayant fait l’objet d’une décision de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire prise en application du Règlement Dublin III (annexe 26 quater) doit être considéré comme un étranger en séjour irrégulier s’il se maintient sur le territoire du Royaume au-delà du délai qui lui était laissé pour quitter le territoire et gagner l’Etat membre responsable du traitement de sa demande d’asile. Dans cette mesure, elle valide une décision de maintien d’un tel demandeur d’asile basée sur l’article 7 de la loi du 15 décembre 1980 (annexe 13 septies) et considère que le Règlement Dublin III n’est pas d’application à un tel cas de figure.

Détention – Règlement Dublin III, art. 28 – risque de fuite – Arrêt CJUE Al Chodor – Annexe 26quater – annexe 13septies – article 7 Loi 15.12.1980.

A. L’arrêt commenté

L’arrêt commenté est rendu suite à un appel introduit par le Procureur du Roi contre une ordonnance de la Chambre du conseil du Tribunal de première instance d’Hasselt qui avait ordonné la libération d’un étranger, demandeur d’asile, faisant l’objet d’une décision de refus de séjour prise en application du Règlement Dublin III[1]. L’Italie était considérée comme le pays responsable du traitement de sa demande d’asile.

En l’espèce, il ressort de l’arrêt commenté et de l’avis du Parquet général, que le demandeur d’asile a reçu, le 22 décembre 2016, un ordre de quitter le territoire consécutif à une décision de refus de séjour prise en application du Règlement Dublin III (annexe 26 quater), ordre de quitter le territoire auquel il n’a pas obtempéré. Les autorités italiennes avaient donné leur accord tacite pour sa prise en charge.

Le demandeur d’asile est ensuite interpellé en séjour irrégulier et se voit délivrer, le 11 avril 2017, un ordre de quitter le territoire avec maintien en vue d’éloignement (annexe 13 septies) prise sur la base des articles 7, 1° et 10° et 74/14 de la loi du 15 décembre 1980. La motivation de la décision réside essentiellement dans la circonstance que le demandeur d’asile n’a pas obtempéré au précédent ordre de quitter le territoire du 22 décembre 2016 (annexe 26 quater), qu’il réside en séjour irrégulier en Belgique, et que l’Italie est responsable du traitement de sa demande d’asile en application du règlement Dublin.

La décision de maintien est basée sur le seul article 7, al. 3 de la loi du 15 décembre 1980. Elle est également motivée par le fait que le requérant se soustraie à son obligation de quitter le territoire de la Belgique pour l’Italie.

Saisie d’une requête de mise en liberté, la chambre du conseil de Hasselt, en première instance, ordonne la libération du demandeur d’asile en date du 25 avril 2017.

Le Parquet fait appel de cette ordonnance le lendemain.

La Chambre des mises en accusation de la Cour d’appel d’Anvers suit l’avis du Parquet général et déclare l’appel recevable et fondé et, en conséquence, infirme l’ordonnance de libération rendue en première instance.

Elle juge que la mesure de privation de liberté du 11 avril 2017 a été prise en application de l’article 7 de la loi du 15 décembre 1980 et que, dès lors, il ne doit pas être fait application du Règlement Dublin III.

Elle valide donc la mesure de privation de liberté prise sur base de l’article 7 de la loi du 15 décembre 1980 et écarte l’application du Règlement Dublin III pour un demandeur d’asile qui, pourtant, avait fait l’objet d’une décision (annexe 26 quater) prise en application de ce Règlement.

B. Éclairage

L’arrêt commenté pose de nombreuses questions quant au respect des garanties fixées par le Règlement Dublin III.

La délivrance d’une annexe 13 septies postérieurement à une annexe 26 quater peut s’apparenter à une manœuvre juridique tendant à éviter les garanties prévues par le Règlement Dublin III en matière de détention des demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert sur le fondement de ce Règlement.

L’article 28 du Règlement Dublin III mentionne clairement, dans ses deux premiers paragraphes, que :

« 1. Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle fait l’objet de la procédure établie par le présent règlement.

2. Les États membres peuvent placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert conformément au présent règlement lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite de ces personnes, sur la base d’une évaluation individuelle et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées. »

L’article 2, n) de ce même Règlement définit le risque de fuite comme suit :

« «risque de fuite», dans un cas individuel, l’existence de raisons, fondées sur des critères objectifs définis par la loi, de craindre la fuite d’un demandeur, un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui fait l’objet d’une procédure de transfert. »

La détention d’un demandeur d’asile à l’encontre duquel a été prise une décision de transfert sur la base du Règlement Dublin III doit donc répondre à trois conditions cumulatives :

  1. Un risque non négligeable de fuite de cette personne doit être démontré, sur base d’une évaluation individuelle ;
  2. Le placement en rétention doit être proportionnel ;
  3. D’autres mesures moins coercitives ne peuvent pas être appliquées.

Le Règlement Dublin III, faut-il le rappeler, est un texte ayant effet direct en droit belge.

Dans son arrêt du 15 mars 2017, Al Chodor, n° C-528/15, la Cour de Justice de l’Union européenne a interprété ces dispositions comme suit :

« L’article 2, sous n), et l’article 28, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, lus conjointement, doivent être interprétés en ce sens qu’ils imposent aux États membres de fixer, dans une disposition contraignante de portée générale, les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur d’une protection internationale qui fait l’objet d’une procédure de transfert. L’absence d’une telle disposition entraîne l’inapplicabilité de l’article 28, paragraphe 2, de ce règlement. »

La Cour a donc clairement jugé que le Règlement Dublin III exige l’inscription dans le droit national d’une disposition contraignante à portée générale fixant les critères objectifs sur lesquels se fonde le risque de fuite visé par ce texte.

Le but de cette exigence est d’encadrer l’ingérence grave dans le droit à la liberté des demandeurs d’asile par des garanties strictes, à savoir la présence d’une base légale présentant les caractères de clarté, de prévisibilité, d’accessibilité en vue de protéger les demandeurs contre l’arbitraire.

En droit belge, la seule disposition légale prévoyant une possibilité de détention pour un demandeur d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert prise en application du Règlement Dublin III, est l’article 51/5, §3, alinéa 4 de la loi du 15 décembre 1980. Or, cet article ne soumet pas la légalité de la décision de détention à l’existence d’un risque de fuite. Cette disposition de droit national est donc contraire à l’article 28 du Règlement Dublin III qui est pourtant est directement applicable.

En principe, donc, l’article 28 du Règlement Dublin III, tel qu’interprété par l’arrêt Al Chodor précité, empêche les autorités belges de maintenir en détention des demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert Dublin, du moins tant que la loi belge n’a pas défini de manière claire les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite du demandeur sous procédure Dublin.

Dans l’arrêt commenté, en validant une décision de maintien fondée non pas sur l’article 51/5, §3, al. 4 de la loi du 15 décembre 1980, mais sur l’article 7 de cette même loi, la Chambre des mises en accusation transforme le statut juridique du détenu. Il n’est plus considéré comme un demandeur d’asile – faisant certes l’objet d’une procédure de transfert – mais comme un étranger en séjour irrégulier.

Cette attitude est contraire au droit belge et au droit européen. Nous formulons trois remarques quant à ce.

Premièrement, il semble que l’article 7 de la loi belge du 15 décembre 1980 ne peut être appliqué aux cas de transfert de demandeurs d’asile en application du Règlement Dublin III. En effet, cet article a été modifié par la  loi du 19 janvier 2012[2], qui a transposé partiellement la directive 2008/115/CE[3] dite « directive retour ». Cette directive est d’application, en vertu de son article 2, « aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre ».

L’article 15, §1 de cette directive 2008/115/CE précise que :

« À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:

  1. il existe un risque de fuite, ou
  2. le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. »

En outre, l’article 3 de la même directive définit le « retour » comme le fait, pour le ressortissant d’un pays tiers, de rentrer — que ce soit par obtempération volontaire à une obligation de retour ou en y étant forcé – soit dans son pays d’origine, soit dans un pays de transit conformément à des accords ou autres arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux, soit dans un autre pays tiers dans lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il sera admis.

Un transfert en Italie en application du Règlement Dublin III ne semble pas correspondre à l’une de ces catégories, l’Italie n’étant en l’espèce, pour le requérant, ni son pays d’origine, ni un pays de transit, ni un autre pays tiers où il déciderait de retourner volontairement et où il y serait admis

Dans le même ordre d’idées, la détention d’un demandeur d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert prise en application du Règlement Dublin III semble également en contradiction avec les enseignements de l’arrêt Kadzoev du 30 novembre 2009, rendu dans l’affaire C-357/09. Cet arrêt interprète la directive 2005/85, remplacée depuis par la directive « procédures »[4] mais les enseignements que l’on peut en tirer sont toujours d’actualité.

Ainsi, la Cour de Justice de l’Union européenne affirme, dans son arrêt Kadzoev, que

« 44. Aux termes de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2005/85, les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle demande l’asile et, conformément au paragraphe 2 de ce même article, lorsqu’un demandeur d’asile est placé en rétention, les États membres veillent à prévoir la possibilité d’un contrôle juridictionnel rapide.

45. Ainsi, la rétention à des fins d’éloignement régie par la directive 2008/115 et la rétention ordonnée à l’encontre d’un demandeur d’asile, notamment en vertu des directives 2003/9 et 2005/85 et des dispositions nationales applicables, relèvent de régimes juridiques distincts. »

En l’espèce, par analogie à l’arrêt Kadzoev, il faut considérer que la détention d’un demandeur d’asile faisant l’objet d’une procédure de transfert en application du Règlement Dublin III relève également d’un régime juridique distinct de celui de la directive « retour », qui ne peut pas lui être appliquée. En d’autres termes, l’arrêt Kadzoev nous apprend qu’un demandeur d’asile sous procédure Dublin est et reste un demandeur d’asile, ce qui signifie que sa situation juridique n’est pas régie par Directive retour (qui concerne les étrangers en séjour irrégulier) mais bien par les directives « asile ». Autrement dit, un demandeur d’asile, même sous procédure Dublin, ne peut être considéré comme étant en situation irrégulière de séjour.

L’article 7 de la loi du 15 décembre 1980 étant une transposition de cette directive « retour », il semble qu’il ne puisse pas servir de base légale à la détention d’un demandeur d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert prise en application du Règlement Dublin III.

Deuxièmement, nous avons déjà eu l’occasion de souligner que la détention d’un demandeur d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert « Dublin » ordonnée sur base de l’article 7 de la loi du 15 décembre 1980 s’apparente à un tour de passe-passe juridique destiné à éviter l’application des garanties prévues dans le Règlement Dublin III. Or, même si l’on estimait-, par impossible, qu’un demandeur d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert Dublin peut être considéré comme un étranger en séjour irrégulier auquel la directive « retour » peut s’appliquer, on ne saurait pour autant s’exonérer du respect de celles-ci.

Nous avons déjà rappelé que l’article 28 du Règlement Dublin III n’autorise la détention d’un demandeur l’asile à l’égard duquel il est fait application de ce Règlement que dans les cas où il existe un risque individuel démontré de fuite, où la détention est proportionnelle, et où il n’existe pas de mesures moins coercitives que la détention. L’arrêt Al Chodor impose en outre que la loi nationale précise les critères objectifs entourant cette notion de « risque de fuite ». Il ne peut dès lors suffire, pour motiver en droit une décision de détention telle que celle prise en l’espèce, d’invoquer l’article 7 de la loi du 15 décembre 1980 en arguant uniquement du fait que l’étranger détenu n’a pas obtempéré à une précédente décision d’éloignement. L’étranger détenu faisant l’objet d’une procédure « Dublin », il faut en outre démontrer la réunion des conditions prévues par l’article 28 du Règlement.

L’avocat général Yves Bot, dans ses conclusions générales rendues dans l’affaire C-60/16 Mohammad Khir Amayry contre Migrationsverket, suit le même raisonnement quant à la question de l’application des délais maximaux de détention prévus au paragraphe 3 de l’article 28 du Règlement Dublin III. Dans cette affaire, était en cause, comme dans l’arrêt commenté, un demandeur d’asile faisant l’objet d’une détention dans une phase tardive de la procédure de transfert Dublin. Dans ses conclusions, l’avocat général insiste sur le fait que toutes les garanties prévues par le Règlement Dublin III doivent être appliquées lorsqu’un demandeur d’asile fait l’objet d’une procédure de transfert prévue par ce Règlement, sans exception.

Troisièmement, si la détention d’un demandeur d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert prise en application du Règlement Dublin III semble aujourd’hui contraire au droit belge et au droit européen, il est toujours loisible au législateur de prendre la plume et de modifier les dispositions de la loi du 15 décembre 1980 dans le respect de l’arrêt Al Chodor.

La loi du 15 décembre 1980 contient bien une définition du risque de fuite, en son article 1, 11°, mais n’y définit nullement les critères objectifs pouvant conclure à son existence.

La section de législation du Conseil d’Etat avait d’ailleurs bien vu le problème il y a déjà plusieurs années. Dans son avis n°49.947/2/V du 27 juillet 2011, elle avait affirmé que « [d]ans la mesure où la reconnaissance d’un risque de fuite peut conduire au maintien de l’étranger ou à son assignation à résidence et donc impliquer une restriction de liberté 5, c’est au législateur qu’il appartient de définir les critères objectifs servant à déterminer s’il existe des raisons de penser qu’un ressortissant d’un pays tiers peut prendre la fuite. Or, l’article 3, 11°, en projet, ne transpose pas correctement l’article 3, point 7), de la directive 2008/115/CE, dès lors qu’il est en défaut de définir de tels critères, se contentant d’indiquer qu’il faut des “indices objectifs et sérieux”. À cet égard, l’énumération de tels indices dans le commentaire de l’article 3 de l’avant-projet ne peut suffire. »

Si le législateur souhaite avoir la possibilité de mettre en détention des demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert prise en application du Règlement Dublin III, il lui appartient donc de modifier la loi belge en définissant clairement les critères objectifs entourant la notion de « risque de fuite ». En attendant, toute détention d’étrangers se trouvant dans cette situation entrera en contradiction avec les garanties prévues par le droit européen.

M.L.

C. Pour en savoir plus

Lire l’arrêt :

Anvers (Mis. Acc.), arrêt K/1021/2017 du 11 mai 2017.

Pour aller plus loin

C.J.U.E., arrêt Kadzoev du 30 novembre 2009 (aff. C-357/09) ;

C.J.U.E., arrêt Al Chodor du 15 mars 2017 (aff. C-528/15).

Pour citer cette note : M. Lys, « La détention des demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert en application du Règlement Dublin III : une jurisprudence en contradiction avec les garanties prévues en droit européen », Newsletter EDEM, juin 2017.

 

[1] Règlement (UE) n°604/2013 du Parlement et du Conseil  du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte).

[2] Loi du 19 janvier 2012 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, M.B., 17 février 2012.

[3] Directive 2008/115/CE du Parlement et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

[4] Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte).

Publié le 06 juillet 2017