Arrêt du Conseil d’État no 220.321 du 13 juillet 2012 : commentaire

Louvain-La-Neuve

Cassation par le Conseil d’État de la reconnaissance du statut de réfugié octroyée par le C.C.E. à un demandeur d’asile précédemment condamné à six ans de prison pour terrorisme. La décision repose sur deux arguments : une contradiction dans les motifs avancés par le C.C.E. et une violation de la foi due aux actes.

Cassation – reconnaissance – condamnation pour terrorisme – exclusion – participation – agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies

La cassation du C.E. repose sur deux arguments : une contradiction dans les motifs avancés par le C.C.E. et une violation de la foi due aux actes.

D’une part, le C.C.E. admet l’organisation d’une filière d’envoi de deux volontaires en Irak pour y combattre les forces américaines, le désir du requérant de partir pour le Djihad, de devenir martyr et de frapper les intérêts américains en exécutant des opérations suicide[1]. D’autre part, il considère que faute de pouvoir caractériser davantage les cibles et les méthodes utilisées, ces faits ainsi établis n’atteignent pas le seuil d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. Cela constitue, aux yeux du C.E., une contradiction.

Pourtant, faute d’informations supplémentaires – les cibles sont-elles civiles ou militaires ? Quel type d’arme devait être utilisé ? – il était excessif, selon nous, de tenir pour établi l’existence d’une « menace pour la paix et la sécurité internationales, dans le but de gravement intimider une population ou de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale. »[2] Combattre les forces américaines, réaliser des attaques suicides et participer au Djihad ne constituent pas en soi des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies. Au vu de cela, l’affirmation d’une contradiction dans le raisonnement du C.C.E. nous apparaît inappropriée. Tout au plus pourrait-on y voir un manque de clarté dans la motivation.

Le Conseil d’État a également considéré que le C.C.E. avait violé la foi due aux actes lorsqu’il a considéré qu’il n’avait été mis en évidence aucun fait précis donnant à penser que dans le cadre de ses activités au sein du groupe terroriste, le requérant s’était rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies[3]. Rappelons que trois éléments fondaient l’exclusion prononcée par le C.G.R.A. : soutien logistique à une entreprise terroriste, contrefaçon et cession frauduleuse de passeports, et participation active dans l’organisation d’une filière d’envoi de volontaires en Irak. Le C.C.E. n’a pas nié ces faits, mais a contesté leur qualité d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies. De quels services matériels ou intellectuels s’agissait-il ? Pour quel attentat terroriste les passeports devaient-ils être utilisés ? La qualification de faits de terroristes par une juridiction nationale ne suffit pas. Ce n’est pas refuser de donner foi aux pièces du dossier de souligner que les faits rapportés n’atteignent pas le seuil de qualification requis.

Au vu de cela, il nous semble que la cassation prononcée par le Conseil d’État n’a pas suffisamment pris en compte le niveau d’exigence de la qualification d’agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies[4]. Les faits tels que circonscrits par le C.G.R.A., bien que qualifiés de terroristes par une juridiction nationale, ne constituent pas des actes précis permettant cette qualification. On relèvera également qu’une question intéressante n’a pas été posée par la défense : avoir purgé une peine de prison ne devrait-il pas permettre au requérant d’être considéré comme ayant expié sa faute ? En d’autres termes, des faits pour lesquels une peine a déjà été purgée peuvent-ils encore fonder une exclusion ?


[1] C.E. (section du contentieux administratif), arrêt no 220.321 du 13 juillet 2012 ; C.C.E., arrêt no 64.356, 1er juillet 2011, p. 16.

[2] C.C.E., arrêt no 64.356, 1er juillet 2011, p. 15.

[3] C.E. (section du contentieux administratif), arrêt no 220.321 du 13 juillet 2012, p. 10.

[4] Pour plus de précisions sur le sens de cette expression, voy. G. S. GOODWIN-GILL et J. MCADAM, The Refugee in International Law, 3rd edition, Oxford, Oxford University Press, 2007, pp. 185-197 ; A. ZIMMERMANN et P. WENNHOLZ, « Article 1 F (Définition of the Term 'Refugee'/Définition du Terme "Réfugié") », in The 1951 Convention Relating to the Status of Refugees and its 1967 Protocol: a Commentary, sous la direction de A. ZIMMERMANN (éd.), Oxford, Oxford University Press, 2012, pp. 602-606 ; Supreme Court of Canada, Pushpanathan v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), no[1998] 1 S.C.R. 982, 4 juin 1998.

Publié le 23 juin 2017