Attestations psychologiques dans la procédure d’asile, un papier qui pèse lourd ?

Louvain-La-Neuve

Matinée d’étude Ulysse, 12 décembre 2019

Jean-François Hayez

A. Introduction

Attestation psychologique dans la procédure d’asile : un papier qui pèse lourd ?

Le thème de cette matinée de réflexion, posé sous la forme d’une question, n’est évidemment pas simple.

Après discussion avec Alain Vanoeteren, celui-ci m’a signifié qu’il ne souhaitait pas tellement que je vous expose, de façon plus ou moins théorique et institutionnalisée, la manière dont la juridiction à laquelle j’appartiens appréhende les attestations psychologiques.

Il voulait surtout que je vous parle, de manière peut-être plus informelle et intime, de mon expérience personnelle en tant que juge au Conseil du contentieux des étrangers.

Aussi, tout au long de mon intervention, je vais essayer d’identifier et de mettre en évidence tous les éléments qui interviennent, à des stades et des degrés différents, dans ma réflexion personnelle et dans le processus qui me conduisent à finalement décider d’accorder ou non une protection internationale à un demandeur d’asile.

Dans ce cadre, je tâcherai de mettre en évidence les difficultés auxquelles je suis confronté dans ma pratique quotidienne mais aussi de vous révéler les outils dont je dispose pour y faire face.

B. Mon travail en tant que juge au CCE

Pour bien comprendre de quoi nous parlons, il me semble important de rappeler ou de préciser l’objet et la nature de mon travail en tant que juge au Conseil.

J’y suis magistrat au sein de la 5ième chambre, soit une de celles affectées au traitement des recours de plein contentieux introduits contre les décisions du Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides relatives à la qualité de réfugié ou à la protection subsidiaire.

Dans ces affaires en particulier, le Conseil dispose d’une compétence de pleine juridiction qui signifie qu’il « soumet le litige dans son ensemble à un nouvel examen et qu’il se prononce, en dernière instance sur le fond du litige, ayant la compétence de réformer ou de confirmer les décisions du Commissaire général […], quel que soit le motif sur lequel il […] s’est appuyé pour parvenir à la décision contestée (…) ».  

Voilà donc tout l’enjeu : décider de refuser ou d’accorder la protection internationale. Autrement dit, il me revient de me forger une intime conviction, en dernier ressort, quant à la question de savoir si le demandeur a un besoin légitime de protection internationale.

Alors quels sont les éléments qui entrent en jeu et interviennent lorsque je suis amené à me forger mon intime conviction ?

A ce stade, j’en identifie plusieurs que je propose d’aborder, non par ordre d’importance, mais plutôt en suivant l’ordre plus ou moins chronologique dans lequel ils interviennent et sont appréhendés dans le processus de décision.

1. Bagage socio-culturel et expérience du magistrat

Je m’appelle Jean-François HAYEZ, j’ai quarante ans, je suis marié, j’ai trois enfants. Je suis l’avant-dernier d’une famille de cinq enfants : trois sœurs et un frère originaire de l’Équateur, adopté à un jeune âge. Né d’un père pédopsychiatre et d’une mère juriste, je crois pouvoir dire que j’ai plutôt été élevé dans une famille qui, si elle n’est pas parfaite, a néanmoins des valeurs d’ouverture sur l’extérieur, d’accueil, d’écoute et de tolérance bienveillante.

J’ai rejoint le Conseil en tant que juge au mois de mai 2012. Avant cela, j’ai travaillé durant près de dix ans comme avocat au sein d’un cabinet spécialisé en droit des étrangers, matière pour laquelle je me suis passionné dès mes études universitaires à l’Université catholique de Louvain.

Pourquoi vous raconter tout cela ? Non par besoin d’assouvir une envie narcissique déplacée mais plutôt pour vous rappeler qu’au Conseil du contentieux des étrangers, les décisions sont rendues par des femmes et des hommes qui ont chacune et chacun leur propre histoire, leur propre sensibilité et leur propre expérience personnelle et professionnelle, ce qui influe inévitablement sur la manière d’appréhender un récit d’asile ou de se convaincre du bienfondé d’une demande d’asile. 

Cette dimension, trop souvent oubliée, est une réalité qui intervient comme fondement de notre État de droit !

Ainsi, le bagage socio-culturel et l’expérience de vie du magistrat constituent un premier élément que j’identifie comme ayant un rôle à jouer dans le processus qui va amener le juge à se forger son intime conviction.   

Et c’est le moment de pointer une première difficulté à laquelle je suis confronté dans l’exercice de ma fonction de juge au Conseil, à savoir celle qui veut que, selon le principe du juge unique inscrit dans la loi, chaque dossier ou chaque demande est, selon la règle, confié à un juge qui décide seul.

Ainsi, si l’évaluation de la crédibilité d’un récit d’asile est toujours un exercice difficile, elle l’est d’autant plus lorsqu’il s’agit de devoir décider seul à propos de récits d’asile qui renferment la plupart du temps une dimension très subjective et font intervenir des éléments difficiles à apprécier parce que difficilement objectivables, par exemple l’orientation sexuelle d’une personne, son profil social ou familial ou encore la réalité d’une relation ou d’un vécu conjugal.

2. Interactions et collégialité

Si ce principe du juge unique est une réelle difficulté, elle est toutefois tempérée « en coulisse » par le fait que les juges du Conseil collaborent généralement avec un ou deux attachés juristes. A titre personnel, je travaille actuellement avec trois attachées : nous échangeons sur les dossiers et partageons nos réflexions. Même si, au final, je reste le seul et ultime décideur qui tranche et signe l’arrêt, leurs avis est entendu et elles sont, de la sorte et dans cette stricte limite, associées au processus décisionnel.

De la même manière, j’appartiens à une chambre du Conseil où il y a beaucoup d’interaction entre collègues et où nous n’hésitons pas, lorsque cela est nécessaire, à partager nos questions ou nos impressions sur les dossiers et les problématiques que nous abordons même si, à nouveau, une telle démarche revêt un caractère strictement informel et informatif puisqu’au final, chaque juge décide seul et en toute indépendance.

Je passe aussi sous silence la possibilité, prévue par la loi, de fixer certaines affaires devant des chambres collégiales qui siègent à 3 juges, en chambres réunies ou en assemblées générales,…

L’interaction informelle avec les attachés et les collègues est donc un deuxième élément que j’identifie comme intervenant dans le processus de prise de décision, dans les limites que j’ai précisées et qui tiennent au principe d’un juge unique et indépendant.

C. La crédibilité du récit d’asile

Un troisième élément, et non des moindres, est évidemment la crédibilité du récit d’asile présenté, qui occupe une place importante dans l’examen du bienfondé d’une demande d’asile.

La question qui se pose est qu’est ce qui fait la crédibilité d’un récit

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la crédibilité du récit ne dépend pas uniquement des déclarations – plus ou moins convaincantes, précises et circonstanciées – du demandeur. D‘autres facteurs sont pris en compte, à savoir, dans le désordre et sans en dresser une liste exhaustive :

-  le contexte socio-culturel dans lequel s’inscrit le récit,

-  la vraisemblance générale des évènements,

-  les éléments « objectifs » de preuve apportés

-  et le profil personnel du demandeur.

1. Les informations sur le contexte général

Tout d’abord, la crédibilité d’un récit se mesure en tenant notamment compte du contexte socio-culturel général dans lequel il s’inscrit.

Ainsi, pour que je puisse évaluer la crédibilité d’un récit ou le bienfondé des craintes invoquées, encore faut-il que je puisse être tenu informé des pratiques culturelles, sociales, religieuses, coutumières, prévalant dans le pays d’origine du demandeur. Lorsque cela s’indique, il faut aussi que je sois tenu informé de la situation sécuritaire du pays concerné.

C’est ici toute la problématique de l’accès aux informations sur la situation générale existant dans les pays d’origine et c’est le moment pour moi de pointer une deuxième difficulté à laquelle je suis confronté en tant que juge au Conseil, à savoir l’absence de pouvoir d’instruction qui veut que par lui-même, le juge ne peut recueillir aucune information ni faire aucune recherche à propos d’un pays d’origine ou d’une problématique particulière. Aussi, si je considère que de telles mesures sont nécessaires pour me permettre de statuer, je ne peux que annuler la décision attaquée et demander que les parties me communiquent les informations souhaitées.

La jurisprudence du Conseil comprend un nombre important d’arrêts en ce sens.

De mon point de vue, une telle absence de pouvoir d’instruction, alors que le Conseil est censé statuer en plein contentieux et exercer un pouvoir de pleine juridiction, le place dans une position très inconfortable ; en effet nombre d’annulations émanant du Conseil liées à la carence d’informations générales trouvent souvent leur origine dans le fait que le juge sait, de source personnelle, qu’une telle pratique existe ou a évolué dans le pays d’origine, sans toutefois pouvoir en faire état dans ses arrêts. L’effet recherché est donc, selon moi, contreproductif puisque la procédure d’asile s’en trouve rallongée, sans certitude qu’au final on obtiendra effectivement les informations que l’on espère obtenir.

A ce stade le rôle des parties est donc très important et elles seraient bien inspirées de permettre au Conseil de statuer en connaissance de cause même si j’ai pleinement conscience qu’il n’y a pas parfaite égalité des armes entre l’avocat et le Commissariat général sur cette question, l’avocat ayant bien moins de moyens pour recueillir des informations que le Commissaire général en sa qualité d’instance spécialisée, seule chargée de l’instruction par loi des demandes d’asile.

Quelques exemples pour illustrer mon propos :

Dans un arrêt n° 209 313 du 14 septembre 2018 concernant une jeune femme béninoise craignant de subir un mariage forcé de type lévirat – c’est-à-dire d’être mariée de force au frère de son défunt mari – le Conseil a souligné que les déclarations de la requérante sont « cohérentes par rapport aux informations objectives […] soulignant à cet égard le fait que « les violences et discriminations à l’égard des femmes sont courantes au Bénin ; les pratiques coutumières comme le mariage forcé ou précoce, la polygamie, les rites de veuvage ou le lévirat persistent au Bénin. [] et que plus d’un tiers des femmes âgées de 20 à 24 ans vivaient en union avant l’âge de 18 ans, en particulier dans les départements du Nord – d’où [la requérante est] originaire (…) ».

Au contraire, dans un arrêt n° 167 873 du 19 mai 2016, le Conseil a estimé que « la réaction d’étonnement de la requérante, suite à l’annonce par son ex-mari de sa volonté de marier sa fille aînée, manque de vraisemblance au vu du milieu familial et marital dans lesquels elle avait vécu avant son divorce, soit la présentation d’un milieu où le poids des traditions et de la religion est important. »

Le Conseil prend aussi en compte les pratiques culturelles, sociales, légales ou religieuses afin de déterminer si le concept de « persécution de groupe » s’applique dans le pays d’origine, à savoir une persécution résultant d’une politique délibérée et systématique, susceptible de frapper de manière indistincte tout membre d’un groupe déterminé du seul fait de son appartenance à celui-ci.

Ainsi, par exemple, concernant les mutilations génitales féminines, le Conseil applique dans une certaine mesure le concept de persécution de groupe, la jurisprudence voulant que lorsque les informations sur la pratique des MGF dans un pays d’origine traduisent un risque objectif et significativement élevé d’excision, à tout le moins pour les jeunes filles mineures qui n’y ont pas encore été soumises, ce risque suffit en lui-même à fonder une crainte de persécution, sauf à établir qu’en raison de circonstances exceptionnelles qui lui sont propres, la requérante n’y serait pas exposée ou serait raisonnablement en mesure de s’y opposer.

Cette jurisprudence du Conseil est actuellement d’application pour les jeunes filles originaires de Guinée, de Djibouti, de Somalie ou encore de certaines régions de Côte d’Ivoire et du Sénégal.

2. Les déclarations du demandeur

Ensuite, à côté des informations générales qui viennent décrire le contexte socio- culturel, entendu au sens large, prévalant dans le pays d’origine, la crédibilité du récit est évidemment aussi l’affaire de celui qui en est au centre, à savoir le demandeur, qui a la lourde tâche de convaincre de la réalité des faits qu’il invoque et du fait qu’il a raison de craindre d’être persécuté en cas de retour.

Normalement, il est donc attendu de lui, lorsqu’il évoque son récit, qu’il énonce des déclarations assez circonstanciées, précises et consistantes sur ce qui lui est arrivé.

Mais il faut aussi que les évènements qu’il affirme avoir vécus ne heurtent pas le bon sens et ne soit pas manifestement invraisemblables.

Exemples :

Ainsi, par exemple, la facilité avec laquelle une personne se découvre homosexuelle et s’accepte comme telle, sans que cela ne suscite en elle la moindre réflexion intérieure ou le moindre ressenti – certaines évoquant même un sentiment de joie ou de soulagement – alors qu’elle provient d’un pays, d’une société et d’une famille largement homophobe, sera souvent considéré comme un indice d’absence de crédibilité.

Il en va de même des comportements d’imprudence du requérant homosexuel qui prend le risque d’entretenir un rapport intime avec son compagnon dans la maison familiale de son père imam sans prendre le soin de s’enfermer, alors que certains membres de la famille sont présents. De tels risques, pris dans un climat culturel très hostile aux homosexuels, sont à ce point inconsidérés qu’ils en deviennent invraisemblables.

A cet égard, il faut garder à l’esprit que les juges au Conseil sont spécialisés dans le traitement des demandes d’asile. Ils rendent plusieurs centaines d’arrêts par an et voient donc passer autant de récits d’asile, ce qui leur donne une certaine expérience et expertise.

A titre personnel, travaillant dans la matière depuis plus de quinze ans, mon expérience acquise fait que, dans certains cas, je remarque très vite si le récit est empreint de vécu. Pour d’autres en revanche, l’invraisemblance se veut manifeste.

Enfin, une dernière catégorie de récits se trouve entre les deux et relève d’une sorte de zone grise… Pour ceux-là, les seules déclarations du demandeur ne suffisent ni à rejeter la demande ni à la déclarer fondée, et je tiendrai compte d‘autres facteurs.

3. Les éléments de preuve

Parmi ces facteurs, se trouvent les éléments de preuve que le demandeur peut apporter concernant les faits personnels qu’il invoque. En matière d’asile, la preuve peut s’établir par toute voie de droit : actes d’état civil officiels établissant l’identité, le décès d’un proche dans les circonstances alléguées, la naissance d’un enfant, documents établissant le dépôt d’une plainte, mandat d’arrêt, avis de recherche, jugement de condamnation, témoignage privé, support vidéo ou audio, bref tout élément de preuve qui vient directement étayer le récit invoqué.

Dans ses arrêts, le Conseil rappelle le principe selon lequel la charge de la preuve est désormais partagée entre le demandeur d’asile et l’instance compétente, en l’occurrence le Commissariat général.

Focus sur les certificat médicaux et attestations psychologiques en tant qu’éléments de preuve des faits invoqués

Et le poids des attestations psychologiques et médicales en tant qu’éléments de preuve des faits invoqués dans tout ceci ?

L’état de santé du demandeur est un point qui apparait dans de nombreuses demandes d’asile. Dans cette perspective, les requérants produisent souvent des documents à teneur médicale ou psychologique (certificats, attestations, rapports) et ainsi se pose régulièrement la question de la force probante de ces documents.

En général, la question de l’établissement des séquelles physiques ou psychologiques bien objectivables par un spécialiste – qu’il soit psychiatre ou médecin traitant, psychologue ou psychothérapeute – ne pose pas de problème, pourvu qu’il ressorte d’un document suffisamment circonstancié quant à la nature du traumatisme et des séquelles ainsi que leurs symptômes. Ainsi, face à de tels documents, le Conseil rappelle dans ses arrêts « qu’il ne met nullement en cause l’expertise médicale ou psychologique d’un médecin ou d’un psychologue qui constatent le traumatisme ou les séquelles d’un patient ».

Beaucoup plus délicate est la question de l’établissement objectif du lien entre le traumatisme et les séquelles ainsi constatés et les faits invoqués par le requérant, le Conseil rappelant souvent à cet égard que « le médecin ou le psychologue ne peuvent pas établir avec certitude les circonstances factuelles dans lesquelles ce traumatisme ou ces séquelles ont été occasionnés ».

La difficulté réside ici dans les cas où le praticien établit le lien entre le traumatisme qu’il constate et les évènements invoqués par le requérant dans son pays d’origine en se basant uniquement sur des déclarations de son patient identiques à celles jugées non crédibles par le Conseil ou en se basant sur des déclarations qui entrent manifestement en contradiction avec les explications livrées par le demandeur devant les instances d’asile.

Deux exemples pour illustrer mon propos :

Ainsi, par exemple, dans une affaire irakienne, une attestation indiquait que le demandeur d'asile souffrait d’un syndrome de stress-post traumatique en raison de sa participation à une attaque au cours de laquelle il avait vu d'autres soldats irakiens se faire exécuter par des terroristes. Pourtant, il avait expliqué, au CGRA, qu'il n'était pas présent lors de cette attaque et qu'il faisait l'objet de poursuites judiciaires précisément en raison de sa désertion.

Plus récemment, dans une affaire venue devant moi, un rapport psychiatrique très circonstancié, daté du 30 septembre 2018, mettait en évidence le fait que le requérant, qui se présentait comme esclave au Niger, était très affecté par la récente nouvelle du suicide de sa mère, elle aussi esclave, mais qu’il avait dû laisser au pays. Dans son rapport, le psychiatre faisait état d’une grande sincérité dans les propos de son patient et y voyait le gage d’un récit crédible. Toutefois, lors de son entretien au Commissariat général mené quelques mois plus tard, le requérant n’a pas évoqué le suicide de sa mère. Aux dernières nouvelles, elle serait toujours en vie, retenue chez le maître. Confronté à cette incohérence lors de l’audience, le requérant me confirme que sa mère est bien vivante et qu’il a menti à son psychiatre car il n’avait pas confiance en lui…

Ceci m’amène à insister sur le contenu des attestations psychologiques et des rapports médicaux. Je pense en effet que les praticiens qui rédigent de tels documents doivent s’efforcer de rester neutres et objectifs : leur rôle n’est pas de donner leur avis subjectif sur la crédibilité d’un récit mais de faire un travail objectif d’« expert », au sens juridique du terme. Ainsi, plutôt que des affirmations intangibles sur l’origine du traumatisme ou des séquelles, une attestation aura, selon moi, plus de poids si son auteur s’en tient à formuler des hypothèses en avançant qu’il est « vraisemblable » ou « plausible » ou « pas manifestement impossible » que le traumatisme constaté vienne des faits invoqués par le requérant ; il faut en effet éviter de confondre l’expertise apportée dans le cadre d’une demande d’asile particulière par un médecin ou un thérapeute avec l’intervention d’un témoin ou d’un défenseur [1].

Cela ne signifie pas pour autant que tout document attestant les séquelles physiques ou psychiques est d’office jugé non probant.

En effet, le Conseil tient compte des enseignements tirés de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme en cas de « présomption de traitement contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme », soit la disposition qui interdit la torture et les traitements inhumains et dégradants.

La première question que je me pose en présence d’attestations médicales ou psychologiques est donc celle de savoir s’il y a présomption de traitement contraire à l’article 3 de la CEDH.

J’estime que tel est le cas si le certificat médical ou l’attestation psychologique déposés sont suffisamment circonstanciés, rédigés avec sérieux et émettent – avec toute la prudence requise – une hypothèse quant à la compatibilité entre les séquelles y constatées et les faits allégués. Tel sera également le cas en présence de séquelles d’une nature ou d’une spécificité particulières : cicatrices importantes révélatrice d’une blessure par balle ou par explosif, état psychique très mauvais (avec tentatives de suicide, prise d’alcool ou de stupéfiants...),...

On voit donc ici toute l’importance du contenu des documents, qui sera mis en balance avec les déclarations du requérant.

Ainsi, lorsque les documents présentés ne font pas état de séquelles d’une certaine spécificité ou gravité et ne permettent pas d’établir un quelconque lien avec le récit de la partie requérante, je conclus généralement à leur absence de force probante ;

Lorsque le certificat médical ou l’attestation psychologique sont circonstanciés, émettent un lien plausible avec les faits invoqués et concordent avec des déclarations qui sont à tout le moins en partie crédibles, je conclurai généralement que les faits sont établis et, éventuellement que la demande est fondée, le cas échéant après avoir fait jouer la présomption selon laquelle une persécution passée est un indice sérieux d’une crainte fondée de persécution future.    

En revanche, plus difficile est le cas de figure où le récit d’asile n’est pas du tout crédible mais où je me trouve en présence de documents qui attestent que le demandeur a manifestement été soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.

En présence de tels document et si, en plus de l’absence de crédibilité générale du récit, je reste, au-delà même du simple doute, dans l’ignorance totale des circonstances exactes dans lesquelles ces mauvais traitements ont été infligés, il me sera impossible de conclure que la personne concernée a effectivement déjà été persécuté au sens de la Convention de Genève et de faire jouer en sa faveur la présomption que j’ai citée tout à l’heure. En effet, les mauvais traitements constatés peuvent trouver leur origine dans une série d’autres circonstances que celles alléguées par le requérant à l’appui de sa demande mais qui m’échappe, je pense par exemple au suivi d’une route migratoire dangereuse.

Enfin, en présence de certificats et d’attestations circonstanciées dont il est permis de déduire que le demandeur a fait l’objet de traitements contraire à l’article 3 de la CEDH mais dont il reste un doute quant à leur origine, l’obligation qui pèse sur moi de le dissiper me conduira à annuler la décision attaquée et à solliciter des mesures d’investigation complémentaires quant à l’origine des séquelles ou du traumatisme constatés, faisant à ce titre peser la charge de la preuve sur les épaules du Commissaire général.

A cet égard, il est à souligner que l’article 48/8 de la loi du 15 décembre 1980, en vigueur depuis le 22 mars 2019, permet désormais au Commissaire général de solliciter « l’avis d’un praticien professionnel des soins de santé compétent » au sujet d’un certificat médical qui serait déposé. A ce jour, et à ma connaissance, le Conseil n’a pas encore rendu d’arrêt enjoignant au Commissaire général de faire usage de cette possibilité mais rien n’est à exclure à cet égard pour le futur.

Focus sur les certificats médicaux et attestations psychologiques en tant qu’éléments de preuve des difficultés du requérant à livrer son récit de manière cohérente

A côté de cela, nombre d’attestations psychologiques et de rapports médicaux sont également déposés afin de rendre compte du fait que le demandeur souffre de troubles psychiques susceptibles d’altérer sa capacité à présenter de manière cohérente les faits invoqués à l’appui de sa demande d’asile.

Ainsi, en présence de telles indications, j’adopte généralement le raisonnement suivant :

Premièrement, je vérifie in concreto si les difficultés du requérant à présenter son récit d’asile de manière cohérente sont suffisamment étayées.

A cet égard, à nouveau, j’attache de l’importance au contenu des attestations médicales ou psychologiques qui doit être sérieux et circonstancié.

Si j’estime ne pas disposer d’éléments suffisants pour me permettre de déterminer si le demandeur « est normalement apte à présenter son cas », j’annule la décision attaquée en vue de la réalisation de mesures d’instruction complémentaires sur ce point.

Deuxièmement, en présence de difficultés avérées, je vérifie si le Commissaire général a effectivement tenu compte de ces difficultés du requérant à présenter son récit d’asile de manière cohérente dans l’évaluation du bienfondé de ses craintes et si la méthode d’audition a bien été adaptée aux besoins du demandeur.

J’annulerai la décision attaquée si j’estime que le CGRA n’a pas suffisamment tenu compte de l’état de santé du requérant en adaptant sa méthode d’audition au cas d’espèce ; par exemple, s’il a posé trop de questions fermées et précises quant à certains points majeurs du récit ou s’il s’est trop focalisé sur les déclarations du demandeur sans tenir davantage compte d’éléments externes, tels que les déclarations d’autres membres de la famille (lorsque cela est possible) ou l’existence d’informations générales…

En tout état de cause, dans les cas d’une vulnérabilité psychologique avérée et bien étayée, je m’astreins à faire preuve de plus de souplesse dans l’appréciation des déclarations du requérant.

Toutefois, le simple dépôt d’attestations psychologiques en guise d’explication de contradictions ou d’imprécisions constatées pendant l’audition n’offre pas la garantie pour le requérant d’obtenir gain de cause. Généralement, les attestations psychologiques et les constats qu’elles posent sont mis en perspective avec le contenu même des rapports d’audition où je vérifie in concreto si, au travers des déclarations du requérant, des difficultés sont effectivement apparues en ce qui concerne la compréhension des questions ou la manière d’y répondre. 

Et c’est le moment pour moi de pointer ce que je vois comme une autre faiblesse de la procédure devant le Conseil, à savoir le fait qu’elle est en principe exclusivement écrite alors que dans cette matière plus que dans n’importe quelle autre, il m’apparaît que l’oralité des débats ne saurait être négligée.

A cet égard, il me semble essentiel de souligner l’importance que j’attache personnellement à l’audience. Ceux qui sont déjà venus y assister savent combien de temps j’y consacre. Je considère en effet qu’elle constitue une étape fondamentale de la procédure en ce que la rencontre entre le demandeur et le juge peut réellement accroître significativement la conviction de ce dernier. Il s’agit en effet du seul contact direct que j’ai avec le demandeur d’asile. C’est souvent l’occasion pour moi de me faire une idée quant à la sincérité du requérant et, éventuellement, de me rendre compte de sa fragilité intellectuelle, du traumatisme dont il souffre, de l’origine possible de ce traumatisme et de ses conséquences sur ses capacités à expliquer ce qui lui est arrivé, simplement en l’interrogeant ou en constatant la posture qu’il adopte.

Je ne saurais donc que trop insister sur l’importance de la présence des requérants à l’audience et sur l’importance, pour les avocats et les intervenants extérieurs, de préparer celle-ci avec leurs clients, en les encourageant à se montrer eux-mêmes, dans la plus grande authenticité, sans jouer de rôle et en se gardant, cela va sans dire, de toute manipulation.

Focus sur les problèmes psychologiques et médicaux comme motifs de crainte

Nous avons donc vu que les attestations psychologiques et les rapports médicaux ont clairement un rôle à jouer dans le cadre de l’établissement de la crédibilité d’un récit, que ce soit en intervenant à titre d’éléments de preuve des faits ou afin de rendre compte des difficultés d’un demandeur à présenter son récit d’asile de façon convaincante.

Il y a un autre point qu’il faut aborder et qui concerne le fait que l’état de santé physique ou psychique d’un demandeur peut lui-même être source d’une crainte de persécution dans son chef ou être à l’origine de l’octroi d’une protection internationale.

Ainsi, le Conseil a-t-il déjà reconnu la qualité de réfugié à des personnes en raison de leur séropositivité, en raison du fait qu’elles sont albinos, voire même en raison du fait qu’elles sont malades mentales, le Conseil ayant reconnu, dans ces différents cas de figure, que ces personnes étaient exposées, dans leur pays d’origine, à un risque de persécution en raison de leur maladie et de leur appartenance à un groupe social déterminé.     

De même, le Conseil applique, plus ou moins régulièrement, le concept de « crainte exacerbée » qui lui permet de reconnaitre la qualité de réfugié à une personne qui invoque des raisons impérieuses faisant obstacle à toute perspective raisonnable de retour dans le pays d’origine même si les persécutions antérieures qu’elle a subies ne présentent plus aucun risque de se reproduire.

Ainsi, cette notion de « crainte exacerbée » comporte une forte dimension psychologique.  Le cas le plus typique concerne la reconnaissance de la qualité de réfugié aux femmes qui souffrent des séquelles permanentes de leur excision passée. Bien que le Conseil estime que l’excision ne risque pas de se reproduire, il peut leur reconnaitre la qualité de réfugié sur la base des raisons impérieuses lorsqu’il se trouve en présence d’un dossier médical très étayé, faisant état, de manière circonstanciée, de séquelles physiques et psychologiques d’une telle ampleur et d’une telle nature qu’il ne peut être raisonnablement envisagé de renvoyer la requérante chez elle.

Par ailleurs, en matière de protection subsidiaire, le Conseil a été amené à se prononcer sur le niveau de violence affectant certaines régions du monde en proie à des conflits armés. Dans tous les cas où il a estimé qu’il y avait bien une situation de violence aveugle mais que celle-ci n’atteignait pas un niveau tel qu’elle touche indistinctement toute personne du seul fait de sa présence sur place, le Conseil vérifie s’il existe des éléments propres à la situation personnelle du demandeur qui peuvent démontrer qu’il risque plus qu’un autre d’être exposé à la violence aveugle qui sévit dans son pays ou dans sa région d’origine.

A cet égard, la démonstration d’une vulnérabilité psychologique ou l’existence d’un handicap voire d’une maladie pourra entrer en ligne de compte.  

Ainsi, par exemple, dans le cas d’un demandeur originaire de Bagdad et souffrant d’une maladie mentale, le Conseil a pu considérer que « cet élément propre à la situation personnelle du requérant accroit sa vulnérabilité par rapport à d’autres personnes et l’expose davantage que d’autres à la violence indiscriminée qui règne à Bagdad.

En effet, le Conseil estime qu’en cas de retour en Irak, le requérant, par son comportement émotionnel instable et fragile, risque, en posant des choix irrationnels ou non éclairés, de s’exposer davantage à cette violence aveugle » (arrêt du 5 juillet 2018 n° 206 527).

Il me faut encore souligner, pour être complet, qu’il m’arrive aussi de considérer le profil vulnérable d’une personne, engendré notamment par sa fragilité psychologique, comme pouvant entraver son accès à une protection effective de ses autorités ou pour l’appréciation du caractère raisonnable de la possibilité d’installation dans une autre partie de son pays d’origine.

D. Conclusion

Et ceci m’amène à conclure. 

On le voit les attestations psychologiques et médicales occupent une place importante dans la procédure d’asile.

Toutefois, elles ne sont pas les seules et bien d’autres facteurs interviennent dans le processus qui m’amène à prendre ma décision dans les dossiers qui me sont confiés.

Parmi ces facteurs, j’ai cité, de manière non exhaustive, ma sensibilité personnelle, mon expérience professionnelle, mes interactions informelles avec mes attachés et mes collègues, le contenu même du dossier, à savoir les déclarations du requérant consignées dans les rapports d’audition, le recours, les éléments de preuve et les attestations psychologiques et médicales qui sont produites tantôt comme élément de preuve des faits invoqués lorsqu’elles établissent un lien entre les faits invoqués et les séquelles constatées tantôt comme élément de preuve de la vulnérabilité du demandeur qui peut directement influer sur sa capacité à exposer ses craintes de manière cohérente ou qui peut par elle-même justifier l’octroi d’une protection internationale. Enfin, je rappelle encore l’importance des échanges à l’audience qui apportent souvent un éclairage pertinent sur le dossier et le profil du demandeur.

Ainsi, il est très difficile – et certainement non généralisable – de rendre compte du raisonnement et du cheminement qui sont suivis jusqu’à se forger une intime conviction. Il est toutefois évident que je n’appréhende pas tous ces éléments l’un après l’autre, de manière hermétique ou cloisonnée. Au contraire, je les prends ensemble, dans leur globalité et je les fais interagir entre eux.

A cet égard, la loi étant ce qu’elle est – et j’ai pointé les difficultés auxquelles je suis confronté dans ma pratique quotidienne : absence de pouvoir d’instruction, procédure écrite et principe du juge unique - il me faut, autant que faire se peut, « objectiver » mon travail et tenter de le rendre aussi uniforme que possible pour éviter de tomber dans l’arbitraire. Et c’est ici que le « travail juridique » - qui intègre notamment la prise en compte des preuves, l’application des présomptions et la rigueur dans le raisonnement - pour autant qu’il soit soutenu par la connaissance des conditions culturelles et sociales ayant court dans le pays concerné ainsi que par la connaissance du profil particulier du demandeur – revêt un rôle essentiel.

C’est pourquoi, en matière d’asile particulièrement, le travail des avocats et des intervenants externes – médecins traitants, psychiatres, psychologues, psychothérapeutes, assistantes sociales et tuteurs (pour les mineurs) – ne doit pas être sous-estimé. Lorsqu’il est bien fait – c’est-à-dire avec l’objectivité et le détachement nécessaires – il est même un élément de choix à la bonne compréhension des dossiers par le Conseil et contribue à la rigueur de son raisonnement.

Si mon engagement et mon raisonnement ne suffiront sans doute pas à gommer totalement la frustration que le médecin ou le psy peut ressentir du fait qu’ils ne sont pas toujours suivis dans leurs avis d’expert et qu’au final ce n’est pas eux qui prennent la décision, j’espère à tout le moins qu’ils pourront les apaiser un peu et les aider à gommer ce qui est parfois excessif dans leurs écrits.

Pour citer cette note : J.-F. Hayez, « Attestations psychologiques dans la procédure d’asile, un papier qui pèse lourd ? », Cahiers de l’EDEM, décembre 2019.

Publié le 24 décembre 2019