Bruxelles, 10 août 2018

Louvain-La-Neuve

Les « Belges de statut congolais » étaient Belges. Bernadette Renauld

Une personne née au Congo belge de parents autochtones entre 1908 et 1960 a possédé la nationalité belge jusqu’à l’indépendance du Congo. Elle est en conséquence recevable à introduire une demande de recouvrement de la nationalité belge sur la base de l’article 24 du Code de la nationalité.

Nationalité – Recouvrement – « Belges de statut congolais » – Unicité de la nationalité belge.

 

A. Arrêt

La Cour d’appel de Bruxelles est saisie de l’appel, formé par le ministère public, d’un jugement du Tribunal de la famille francophone de Bruxelles du 14 décembre 2016, par lequel le juge, tout en considérant en termes de motifs que le requérant, né au Congo belge en 1943, ne pouvait se prévaloir de l’article 24 du Code de la nationalité belge, fait droit à sa demande de recouvrement par application de cette disposition. La Cour d’appel, constatant la contradiction flagrante entre les motifs et le dispositif du jugement entrepris, le met à néant et statue à nouveau sur la demande de recouvrement de la nationalité belge.

La Cour d’appel juge que les personnes nées sur le territoire de la colonie de parents « Congolais » étaient de nationalité belge, cette nationalité ayant remplacé la nationalité congolaise à la suite de l’incorporation du territoire du Congo au territoire belge. La situation juridique du Congo belge avant le 30 juin 1960 était caractérisée par une unité de souveraineté de l’Etat belge sur les deux territoires. La Cour d’appel en déduit que la nationalité belge était unique et identique sur l’ensemble de ces territoires. Tous les Congolais nés de parents congolais sur le territoire du Congo belge avant l’indépendance ont perdu la nationalité belge le 30 juin 1960. Il n’y a pas de raison de refuser l’application de l’article 24 du Code de la nationalité à leur égard, cette disposition ne faisant aucune distinction entre les Belges ayant perdu la nationalité. Une telle distinction serait dès lors discriminatoire en ce qu’elle amènerait à traiter défavorablement les Congolais par rapport à tous les autres étrangers ayant été Belges.

B. Eclairage

L’actuel article 24 du Code de la nationalité belge prévoit une possibilité de recouvrement de la nationalité par les étrangers ayant été Belges et ayant perdu cette nationalité autrement que par déchéance. Les conditions à remplir pour pouvoir faire une déclaration en recouvrement sont, outre le fait d’avoir, à un moment quelconque de sa vie, possédé la nationalité belge et l’avoir perdue, de résider légalement en Belgique depuis au moins douze mois au moment de la déclaration et d’être titulaire, à ce moment, d’un droit de séjour à durée illimitée.

Depuis plusieurs années se pose la question de savoir si les Congolais nés au Congo belge avant l’indépendance sont admissibles à recouvrer la nationalité belge sur la base de cette disposition. Le doute porte sur la nationalité belge possédée, ou pas, par les autochtones Congolais sous le régime colonial. Pour recouvrer la nationalité belge, il faut l’avoir perdue et, pour l’avoir perdue, il faut évidemment l’avoir possédée antérieurement. De deux choses l’une dès lors. Soit, les autochtones Congolais étaient Belges sous le régime colonial. Ils ont alors perdu cette nationalité belge au moment de l’indépendance. L’ayant perdue, ils peuvent, s’ils satisfont aux autres conditions posées par l’article 24 du Code, la recouvrer. Soit, les autochtones Congolais n’étaient pas Belges sous le régime colonial. Dans ce cas, ils n’ont jamais possédé la nationalité belge et ne peuvent donc pas prétendre recouvrer une nationalité qu’ils n’ont pas pu perdre puisqu’ils ne l’ont jamais eue.

La jurisprudence est divisée sur cette question, ce qui engendre une insécurité juridique et des discriminations évidentes entre Congolais nés avant le 30 juin 1960 au Congo belge de parents autochtones, car certains ont pu recouvrer la nationalité belge sur pied de l’article 24 du Code alors que d’autres, qui se trouvaient exactement dans la même situation, se sont vu refuser le recouvrement[1].

Dans un arrêt du 21 avril 2011, cité par la Cour d’appel, la Cour de cassation avait tranché la question en ces termes : « … si les Congolais ont, après l’annexion du Congo à la Belgique, acquis la nationalité belge, ce n’est pas en vertu des lois métropolitaines sur la nationalité mais des règles ayant cet objet contenues dans le titre Ier du livre Ier du Code civil congolais (…) la faculté de recouvrer la nationalité belge visée à l’article 24 du Code de la nationalité belge ne s’applique pas aux Belges de statut congolais, qui n’avaient pas acquis la nationalité belge en vertu des lois métropolitaines sur la nationalité. »[2]

Au terme d’un exposé s’appuyant sur une recherche historico-législative particulièrement fouillée, l’arrêt commenté prend l’exact contre-pied de la position adoptée par la Cour de cassation en 2011. Le nœud du problème, parfaitement mis en lumière par l’arrêt, est toujours le même :

les « Belges de statut congolais » doivent-ils être considérés, pour l’application de l’article 24 du Code de la nationalité belge, comme des « Belges » ?

L’article 24 du Code n’établit lui-même aucune distinction entre Belges ayant perdu la nationalité quant à la façon dont ils l’avaient acquise, le moment auquel ils l’avaient possédée ou l’endroit où ils résidaient lorsqu’ils étaient Belges. Toutes les personnes ayant possédé la nationalité belge à un moment quelconque de leur vie, que ce soit par filiation, par naissance sur le territoire, par déclaration ou naturalisation, sont visées par cette disposition. La disposition ne fait pas non plus de distinction entre les modes de perte de la nationalité, sauf pour exclure la perte par déchéance. La perte par renonciation n’est pas un cas d’exclusion, le législateur autorisant explicitement le procureur du Roi, dans cette hypothèse, à ne pas émettre d’avis négatif après avoir « apprécié les circonstances dans lesquelles le déclarant a perdu la nationalité belge ainsi que les raisons pour lesquelles il veut la recouvrer ». La perte collective en conséquence d’un démembrement territorial n’est pas non plus exclue des hypothèses visées par l’article 24.

Pour en exclure les « Belges de statut congolais » ou « sujets belges », il faut donc nécessairement considérer que ces personnes n’ont jamais possédé la nationalité belge, ou encore que la « nationalité belge » qu’elles possédaient sous le régime colonial n’était pas une « nationalité belge ».  Se posent alors immédiatement les questions suivantes : si les « Belges de statut congolais » n’étaient pas Belges, quelle nationalité possédaient-ils ?  S’il faut en revanche considérer qu’ils étaient « Belges », y avait-il, le cas échéant, sous le régime colonial, deux « nationalités belges » différentes ?

Ainsi que le relève l’arrêt de la Cour d’appel commenté, il ne peut être sérieusement prétendu que les personnes nées de parents congolais sur le territoire de la colonie étaient apatrides. Il est généralement considéré, comme l’indique d’ailleurs l’arrêt de la Cour de cassation du 21 avril 2011, que les Congolais ont collectivement acquis la nationalité belge par la cession à la Belgique de l’Etat indépendant du Congo par le Roi Léopold II, qui exerçait la souveraineté sur ce territoire après en avoir été le propriétaire personnel. Cette solution est conforme au droit international relatif aux conséquences sur les populations des cessions et annexions de territoire, qui veut que tout démembrement territorial exerce normalement une influence directe sur la nationalité des populations habitant les territoires concernés : la nationalité des autochtones devient celle de l’Etat dont la souveraineté s’étend désormais sur ces territoires[3].

S’il est acquis que les personnes nées au Congo belge avant le 30 juin 1960 étaient Belges, peut-on considérer que leur nationalité n’était pas la même nationalité belge que celle que possédaient les Belges de métropole ? Il est indéniable que les « Belges de statut congolais » ou « sujets belges » ne jouissaient pas de droits équivalents à ceux des « citoyens belges », à savoir les Belges de métropole et les Belges d’origine métropolitaine installés au Congo. Ce n’est pas le lieu ici de faire l’inventaire des différences. Il suffit de rappeler à cet égard que le régime colonial avait également établi des différences de statuts entre catégories de « Belges de statut congolais » : « Non seulement les sujets belges avaient moins de droits que les citoyens belges, mais parmi les sujets belges, il était encore fait une distinction supplémentaire entre les sujets inscrits au registre de la population et les sujets qui n’y étaient pas inscrits. Cet enregistrement était subordonné à ce que l’on appelait le degré de civilisation des intéressés.»[4] [5]

Ces différences de statuts n’ont toutefois pas eu, aux yeux de la Cour d’appel de Bruxelles, pour effet de créer deux nationalités belges de nature différente dès lors que la situation juridique du Congo belge se caractérisait par une unité de souveraineté de l’Etat belge. Il n’y a jamais eu qu’une seule nationalité belge. Telle est la conclusion de la Cour d’appel, qui en déduit que les « Belges de statut congolais » ont dès lors perdu la nationalité belge et peuvent donc la recouvrer en application de l’article 24 du Code.

Soyons toutefois de bon compte. La position adoptée par la Cour de cassation en 2011 peut s’expliquer si l’on se rappelle qu’avant sa modification par la loi du 4 décembre 2012, l’article 24 du Code de la nationalité permettait au procureur du Roi de ne pas émettre d’avis négatif, même lorsque le déclarant ne résidait pas en Belgique. La résidence en Belgique n’était donc pas une condition sine qua non pour recouvrer la nationalité perdue[6]. Admettre le recouvrement de la nationalité belge par les Congolais (ou Zaïrois) nés au Congo belge avant le 30 juin 1960 pouvait donc potentiellement concerner un nombre considérable de personnes, à savoir tous les Congolais résidant au Congo ou n’importe où dans le monde et nés avant 1960, ce qui n’avait peut-être pas été aperçu par le législateur.

Pour éviter les demandes de recouvrement de la nationalité par des Congolais ayant perdu tout lien avec la Belgique après l’indépendance, le législateur aurait probablement pu exclure du bénéfice de l’article 24 du Code les personnes ayant perdu la nationalité belge par démembrement territorial ou poser pour elles des conditions supplémentaires de résidence « en métropole ». C’est d’ailleurs ce qu’il a fait lorsque, par deux fois, il a offert aux Belges de statut congolais ayant résidé en Belgique la possibilité « d’acquérir ou de recouvrer » la nationalité belge[7].  Il reste que l’article 24 du Code, on l’a vu, ne comporte en lui-même aucune exclusion de ce type.

Les juges, pour atteindre ce résultat d’exclusion dont il n’est pas certain qu’il avait été envisagé par le législateur, ont été amenés à construire un raisonnement basé sur le type de nationalité belge possédée sous le régime colonial par les Belges de statut congolais. L’arrêt commenté démontre brillamment que ce raisonnement est fragile et peu convaincant.

Au-delà de la querelle juridique relative à l’interprétation de la législation coloniale, on peut encore se demander si, au XXIème siècle, tenter de faire correspondre la notion de « nationalité belge » du Code de la nationalité actuel à la situation des autochtones Congolais dominés par la puissance coloniale belge avant l’indépendance ne relève pas de l’anachronisme. Il est évident que lorsqu’avant 1960, on pensait la situation des « Belges de statut congolais » en relation avec celle des « citoyens belges » de la métropole, on n’imaginait pas une seule seconde les mettre sur un pied d’égalité. Cependant, l’on ne peut pas non plus perdre de vue qu’à ce moment, on n’imaginait pas non plus l’indépendance du Congo et la perte, par la Belgique, de « sa » colonie et de « ses » sujets. Pas plus que l’on ne pouvait se projeter 60 ans plus tard, dans une Europe forteresse fermant ses frontières à une immigration venant, notamment, d’Afrique sub-saharienne et singulièrement d’un Congo devenu si lointain. Si anachronisme il y a, il réside autant dans l’application de la qualité actuelle de Belge aux « Belges de statut congolais » sous le régime colonial que dans l’importation en droit contemporain de statuts ayant prévalu dans une situation juridique et factuelle aujourd’hui complètement dépassée. 

C’est pourquoi l’on ne peut, nous semble-t-il, que se réjouir de l’arrêt de la Cour d’appel ici commenté. D’abord parce qu’il est solidement argumenté et étayé en droit. Ensuite parce que la solution qui en découle est pragmatique. Enfin, parce que la conclusion qui s’en dégage offre à la Belgique une chance parmi d’autres d’assumer, près de 60 ans plus tard, une part de son histoire.

La procédure de recouvrement de la nationalité est, on l’a dit, réservée depuis 2012 aux anciens Belges bénéficiant du droit de séjourner en Belgique à durée illimitée et y résidant effectivement depuis un an au moins. De manière réaliste, il peut être estimé que les personnes nées de parents autochtones au Congo avant le 30 juin 1960 et satisfaisant à cette double condition de séjour ne sont pas légion à l’heure actuelle. Il ne paraît pas abusif de considérer que la naissance de ces personnes sur le sol de la colonie, sur un territoire administré par la Belgique et soumis à la législation adoptée en métropole, conjuguée au trajet migratoire les ayant menées en Belgique, doit leur permettre de recouvrer une nationalité belge qui leur avait été attribuée à la naissance.

En décider autrement conduit soit à ajouter à l’article 24 du Code une exclusion qu’il ne contient pas soit à maintenir et à perpétuer des différences de statuts fondées sur une conception colonialiste qui ne saurait recevoir de justification au XXIème siècle.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : Bruxelles, 10 août 2018, inédit

Jurisprudence : Cour de Cassation, 21 avril 2011, n° C.10.0394.F

Pour citer cette note : B. Renauld, « Les "Belges de statut congolais" étaient Belges », Cahiers de l’EDEM, septembre 2018.

 


[1] La confusion est telle qu’un arrêt de la Cour d’appel de Liège, statuant à propos d’une demande de pension de retraite, considère que malgré que l’appelant ait obtenu la nationalité belge par recouvrement sur la base de l’article 24 du Code, cela ne prouve pas qu’il était Belge. Cet arrêt considère qu’au moment où il travaillait au Congo pour l’administration belge, il était « Belge de statut congolais » et juge en conséquence que c’est à bon droit que la pension de retraite lui est refusée puisque la condition de nationalité pour l’obtention de cette pension n’était pas remplie. Cette affaire a été l’occasion, après un long parcours judiciaire, d’une question préjudicielle posée à la Cour constitutionnelle à propos de la discrimination qui en résulte entre « Belges » et « Belges de statut congolais » en ce qui concerne le droit à la pension de retraite. L’arrêt de la Cour sera prononcé le 11 octobre 2018 (rôle n°6716).

[3] Ch. L. Closset et B. Renauld, Traité de la nationalité en droit belge, 3ème éd., Bruxelles, Larcier, 2015, p. 361.

[4] F. Caestecker, « La législation belge relative à la nationalité 1830-1984 », in Myria, éd., Devenir belge, Histoire de l’acquisition de la nationalité belge depuis 1830, Malines, Wolters Kluwer, 2016, p. 34.

[5] Le droit belge ne serait pas le seul droit national à créer plusieurs catégories de nationaux. C’est toujours le cas au Royaume-Uni où coexistent le statut de citoyen britannique, le statut de British Dépendent Territories Citizens et le statut de British Overseas Citizens.

[6] La situation a changé avec l’adoption de la loi du 4 décembre 2012, qui impose désormais une résidence légale en Belgique durant les douze mois qui précèdent la demande et la possession d’un droit de séjour à durée illimitée au moment de celle-ci pour pouvoir prétendre recouvrer la nationalité belge.

[7] L’article 2, § 4, de la loi du 22 décembre 1961 relative à l’acquisition ou au recouvrement de la nationalité belge par les étrangers nés ou domiciliés sur le territoire de la République du Congo ou par les Congolais ayant eu en Belgique leur résidence habituelle disposait : « Les personnes qui au 30 juin 1960 possédaient la qualité de Belge de statut congolais et qui, avant cette date, ont résidé en Belgique pendant au moins trois ans, peuvent acquérir la nationalité belge en souscrivant une déclaration d’option (…). » Cette possibilité était ouverte durant deux ans. L’article 28 de la loi du 28 juin 1984 instituant le Code de la nationalité octroyait un nouveau délai de deux ans aux Congolais ayant leur résidence en Belgique pour faire une déclaration d’acquisition de la nationalité à des conditions simplifiées.

 

 

Publié le 28 septembre 2018