Preuve de la légalité du séjour antérieur à la déclaration acquisitive de nationalité : le système documentaire fermé vole en éclats.
Bruxelles, 29 mars 2018 - Les articles 3 et 4 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 qui établissent une liste exhaustive des titres de séjour pour démontrer le caractère légal de la résidence antérieure à la demande de nationalité sont contraires aux articles 10, 11 et 191 de la Constitution parce qu’ils restreignent sans justification le champ d’application de l’article 7bis du CNB. Ils doivent être écartés sur la base de l’article 159 de la Constitution, de sorte que le demandeur peut démontrer le séjour légal durant la période requise à l’aide d’autres titres de séjour que ceux qui sont énumérés par ces articles.
Trib. fam. Bruxelles, 15 mai 2018 - La liste des faits personnels graves établie par l’article 1er, § 2, 4°, du CNB et par l’article 2 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 est exhaustive. Les infractions sanctionnées par des décisions judiciaires qui n’infligent aucune peine d’emprisonnement ferme au déclarant ne peuvent être considérées comme des faits personnels graves.
Nationalité – Acquisition art. 12bis CNB – Résidence antérieure à la déclaration – Titres de séjour – Attestation d’immatriculation / Titre spécial fonctionnaire UE – Faits personnels graves.
A. Les décisions commentées
1. Bruxelles, 29 mars 2018
La défenderesse a souscrit une déclaration de nationalité sur la base de l’article 12bis, § 1er, 1° du Code de la nationalité belge (étranger âgé de plus de 18 ans, né en Belgique et qui y séjourne légalement depuis la naissance). Le procureur du Roi avait émis un avis négatif fondé sur l’absence de titre de séjour tel que visé à l’article 4 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 durant une partie de la période de résidence devant être couverte. Il n’est pas contesté que la déclarante, qui est fille de fonctionnaires européens, réside légalement et de manière ininterrompue sur le territoire belge depuis sa naissance. Elle a bénéficié, jusqu’à environ un an avant la déclaration de nationalité, d’un titre de séjour spécial délivré par le SPF Affaires étrangères conformément à l’arrêté royal du 30 octobre 1991 relatif aux documents de séjour de certains étrangers en Belgique, pris en application de l’article 10, § 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980. Elle a ensuite été admise au séjour illimité. Le Tribunal de la famille de Bruxelles a jugé l’avis négatif du procureur du Roi non fondé et a fait droit à la demande d’acquisition de la nationalité. Le Tribunal a considéré que les dispositions de l’article 7bis du Code de la nationalité étaient respectées en l’espèce. Admettant que la liste des documents à prendre en considération en tant que preuve du séjour légal au sens de l’article 7bis, § 2, alinéa 1er, 2°, de ce Code établie par l’article 4 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 est exhaustive, le Tribunal a constaté que cette dernière disposition crée une discrimination entre les étrangers qui disposent d’un des titres de séjour qu’elle énumère et ceux qui disposent d’un autre titre de séjour. Il a en conséquence écarté l’application de l’article 4 précité en vertu de l’article 159 de la Constitution.
La Cour d’appel confirme ce jugement. Elle juge d’abord qu’aucune interruption de séjour légal ne peut être déduite du fait que l’appelante n’a été mise en possession d’un certificat pour enfants que plus de six mois après sa naissance, parce que ce certificat est purement déclaratif et ne fait que confirmer un droit au séjour légal existant depuis la naissance. Elle suit le premier juge en ce qu’il a considéré que l’énumération des documents à prendre en considération, suivant l’article 4 de l’arrêté royal précité est exhaustive. Elle le suit également en ce qu’il a refusé d’appliquer cette disposition, sur la base de l’article 159 de la Constitution, pour violation des articles 10 et 11 de la Constitution. La Cour d’appel estime, à la suite du Tribunal, que l’article 4 de l’arrêté royal est discriminatoire dans la mesure où il crée une différence de traitement injustifiée entre les Européens en séjour légal porteurs d’un titre de séjour figurant dans l’énumération et les européens en séjour légal porteurs d’un titre de séjour n’y figurant pas. Elle en conclut que cet article 4 restreint sans justification le champ d’application de l’article 7bis du Code de la nationalité belge.
2. Trib fam., Bruxelles, 15 mai 2018
Le demandeur a souscrit une déclaration de nationalité belge sur pied de l’article 12bis du Code de la nationalité belge. Le procureur du Roi a émis un avis négatif motivé par l’absence de titres de séjour légaux au sens de l’article 4 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 durant les cinq ans précédant la demande, l’intéressé ayant, durant une période de 5 mois et 5 jours au cours des 5 ans, été pourvu d’une attestation d’immatriculation. A l’audience, le ministère public maintient son avis négatif, considérant que l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 29 mars 2018 (résumé ci-dessus) ne concerne que les titres de séjour spéciaux délivrés par le SPF affaires étrangères. Il ajoute par ailleurs des éléments supplémentaires, qu’il considère comme des faits personnels graves formant obstacle à l’acquisition de la nationalité.
Sur le titre de séjour, le Tribunal considère que l’arrêt rendu par la Cour d’appel le 29 mars 2018 est transposable en l’espèce dès lors que le caractère inconstitutionnel de l’article 4 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 n’est pas lié à un titre de séjour en particulier, ni au fait que le déclarant soit ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne.
Le Tribunal observe au passage qu’à supposer que la période de séjour sous AI constitue une interruption dans le séjour, cette interruption serait inférieure à six mois et n’affecterait donc pas le caractère ininterrompu du séjour légal en application de l’article 7bis, § 3 du Code de la nationalité belge.
Le Tribunal relève par ailleurs que l’article 7bis, § 2, alinéa 1er, 2°, pris isolément, autorise la prise en compte de l’attestation d’immatriculation, puisqu’elle a eu pour effet concret que le déclarant a été admis ou autorisé à séjourner plus de trois mois dans le Royaume durant la période considérée. Il observe cependant que l’article 7bis, § 2, 2ème alinéa, habilite le Roi à dresser la liste des documents pris en considération en tant que preuve du séjour de plus de trois mois et que l’attestation d’immatriculation ne figure pas parmi les titres de séjour énumérés par les articles 3 et 4 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013. Il juge que cette exclusion est contraire aux articles 10, 11 et 191 de la Constitution, en ce qu’elle crée une différence de traitement discriminatoire entre les étrangers disposant d’un titre de séjour qui figure dans l’énumération et ceux qui disposent d’un titre de séjour qui n’y figure pas. Il écarte en conséquence les articles 3 et 4 de l’arrêté royal précité en application de l’article 159 de la Constitution, de sorte qu’il autorise le déclarant à démontrer à l’aide d’autres titres que ceux énumérés par les articles 3 et 4 de l’arrêté royal qu’au cours des cinq ans précédant la déclaration, il était autorisé à séjourner plus de trois mois dans le Royaume. Il admet à ce titre l’attestation d’immatriculation couvrant une période de plus de trois mois.
Sur les faits personnels graves, le Tribunal considère que la liste établie par l’article 1er, § 2, 4°, du Code de la nationalité belge, telle qu’elle est complétée par l’article 2 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013, est exhaustive. Il constate que les jugements invoqués à l’audience par le ministère public n’infligent aucune peine d’emprisonnement ferme au déclarant, de sorte que les infractions sanctionnées par ces décisions judiciaires ne peuvent être considérées comme des faits personnels graves.
B. Éclairage
1. Les titres de séjour prouvant la légalité du séjour durant la période antérieure à la déclaration
L’arrêt de la Cour d’appel ci-dessus résumé vient fort opportunément confirmer la jurisprudence adoptée depuis quelques mois par le Tribunal de la famille francophone de Bruxelles. Cette jurisprudence, encore mise en œuvre par la décision du 15 mai 2018, répond, au terme d’un raisonnement aussi irréprochable qu’inventif, au malaise provoqué par l’application stricte du système documentaire relatif à la preuve de la résidence légale couverte par un droit de séjour préalable à la déclaration de nationalité mis en place, sur habilitation du législateur, par le Roi.
L’article 7bis du Code de la nationalité belge établit le principe selon lequel la période de résidence principale sur le territoire à prendre en considération au titre de condition de base pour pouvoir introduire, notamment, une déclaration acquisitive de la nationalité sur la base de l’article 12bis du même Code doit être couverte par un droit de séjour légal. Le deuxième paragraphe, alinéa 1er, 2°, de cette disposition précise qu’il faut entendre, par « séjour légal » pour ce qui concerne cette période de résidence : « avoir été admis ou autorisé à séjourner plus de trois mois dans le Royaume ou autorisé à s'y établir conformément à la loi sur les étrangers ou la loi de régularisation ». Cette disposition, en son 2ème alinéa, charge également le Roi de déterminer, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, « les documents qui seront pris en considération en tant que preuve du séjour ». Le Roi s’est acquitté de cette mission en établissant, par les articles 3 et 4 de l’Arrêté royal du 14 janvier 2013, une liste conçue comme exhaustive des titres de séjour qui peuvent être admis comme preuve du caractère légal du séjour durant la période de, selon les cas, 5 ou 10 ans, voire pendant, comme en l’espèce devant la cour d’appel, toute la vie du déclarant.
Le caractère exhaustif de cette liste a, d’emblée, soulevé un certain nombre d’interrogations. L’on s’est étonné, d’abord, de ce qu’elle excluait les titres délivrés au cours de la procédure d’asile, même dans l’hypothèse d’une reconnaissance ultérieure du statut de réfugié. La réglementation aboutit en effet à interdire de prendre en compte le temps de la procédure de reconnaissance et ce, malgré le caractère déclaratif de celle-ci. La même interrogation s’est fait jour au sujet du temps écoulé entre la demande de droit de séjour en tant que citoyen européen ou membre de la famille d’un citoyen européen et l’octroi de celui-ci, compte-tenu également du caractère déclaratif de la reconnaissance du droit de séjour dans cette hypothèse. Dans les deux cas, la rigidité de la réglementation semblait mettre la Belgique en difficulté par rapport à ses obligations internationales. Plus généralement, la non-admission de l’attestation d’immatriculation valable pour 6 mois semblait contredire les termes mêmes de l’article 7bis du Code, qui définit le séjour légal dans ce contexte comme l’autorisation de séjourner plus de trois mois sur le territoire.
Confrontés à des avis négatifs du parquet s’en tenant strictement aux documents figurant sur la liste établie par l’arrêté royal, les tribunaux de la famille ont mobilisé plusieurs raisonnements pour en contourner l’excessive rigidité. Ainsi, le Tribunal de la famille de Liège a-t-il estimé qu’il y avait lieu de tenir compte de l’effet déclaratif de la reconnaissance du statut de réfugié, qui a pour conséquence que le déclarant doit être considéré comme réfugié rétroactivement à dater de la demande d’asile et donc comme ayant joui depuis ce moment d’un droit au séjour illimité[1]. Le Tribunal de la famille de Namur a admis une attestation d’immatriculation de plus de trois mois parce qu’elle répond à l’exigence légale de l’article 7bis, jugeant que celui-ci devait prévaloir sur le texte restrictif de l’arrêté royal[2]. Le Tribunal de la famille de Gand a pour sa part estimé que la liste de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 n’était pas exhaustive, arguant qu’il ne pouvait être inféré de la circonstance que certains documents devaient être acceptés comme preuves du séjour que d’autres documents ne pouvaient pas l’être également[3].
Le Tribunal de la famille de Bruxelles adopte depuis quelques mois à cet égard une position solidement étayée et qui a le mérite, à l’instar des raisonnements tenus à Namur et à Gand, de pouvoir être appliquée à toutes les hypothèses dans lesquelles le titre de séjour couvrant une partie de la durée de résidence exigée consacre un droit de séjour de plus de trois mois alors qu’il n’est pas repris dans la liste établie par l’arrêté royal du 14 janvier 2013. Tout en reconnaissant que la liste établie par les articles 3 et 4 de cet arrêté royal est exhaustive, ce qui est conforme à l’habilitation donnée par l’article 7bis, § 2, 2ème alinéa, du Code de la nationalité, le Tribunal bruxellois constate que le caractère non complet de cette liste engendre des différences de traitement entre étrangers injustifiables par rapport à l’alinéa 1er de la même disposition, en vertu duquel un séjour autorisé pour plus de trois mois est un séjour légal qui doit être pris en considération pour l’accès à la déclaration de nationalité. Le Tribunal conclut que les articles 3 et 4 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 sont contraires aux articles 10, 11 et 191 de la Constitution, qui garantissent le droit fondamental à l’égalité et à la non-discrimination. Sur la base de l’article 159 de la Constitution, qui enjoint aux Cours et tribunaux de n’appliquer les arrêtés et règlements que s’ils sont conformes aux normes qui leur sont supérieures, le Tribunal écarte l’application des articles 3 et 4 de l’arrêté royal et autorise les déclarants à prouver leur résidence légale durant la période précédant la demande à l’aide d’autres titres de séjour que ceux qui y sont énumérés[4].
Par l’arrêt du 29 mars 2018, la Cour d’appel confirme en tous points ce raisonnement. L’arrêt concerne un titre de séjour spécial délivré à la fille d’un fonctionnaire européen par le Service public fédéral Affaires étrangères conformément à l’arrêté royal du 30 octobre 1991. L’on ne voit pas pourquoi, cependant, son enseignement ne pourrait pas être étendu à l’ensemble des hypothèses dans lesquelles un titre de séjour ne figurant pas dans l’énumération des articles 3 et 4 de l’arrêté royal constate néanmoins un droit de séjour accordé pour plus de trois mois et est produit en vue de prouver la résidence légale durant la période qui précède une demande d’acquisition de la nationalité belge. S’il est vrai que la Cour d’appel considère que l’arrêté royal « crée une différence de traitement, sans justification, entre les Européens en séjour légal porteurs d’un titre de séjour légal qui figure dans la liste de documents de l’article 4 et les Européens en séjour légal porteurs d’un titre de séjour légal qui n’y figure pas », elle en tire une conclusion à portée générale : « L’article 4 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 n’étant pas conforme à la loi, en particulier en ce qu’il restreint sans justification le champ d’application de l’article 7bis du CNB, [il] doit être écarté. »
La portée générale de cet enseignement est d’ailleurs confirmée par le Tribunal dans le jugement ci-dessus résumé : « La solution retenue par cet arrêt est transposable en l’espèce : le caractère inconstitutionnel de l’article 4 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 n’est pas lié à un titre de séjour en particulier, ni au fait que le déclarant soit ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne.»
Relevons encore que la Cour d’appel confirme, de manière classique, la différence entre le droit de séjour et les titres qui le constatent. L’exigence de légalité du séjour porte sur le droit, et non sur l’instrumentum. Dès lors, la circonstance que la déclarante n’a été mise en possession d’un certificat pour enfants que près de six mois après sa naissance n’affecte pas la continuité du droit de séjour qui lui a été reconnu dès son premier jour, le certificat étant purement déclaratif et ne faisant que confirmer un droit au séjour légal (pré)existant depuis sa naissance.
L’article 138 du projet de loi portant dispositions diverses en matière de droit civil et portant modification du Code judiciaire en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges, qui est soumis à la signature royale, ajoute dans le § 2 de l’article 7bis du Code de la nationalité deux alinéas qui inscrivent dans cette disposition l’effet déclaratif de la reconnaissance du statut de réfugié et du droit de séjour en tant que citoyen européen ou membre de la famille d’un citoyen européen[5]. Pour ces catégories de personnes, la durée de la procédure d’autorisation du séjour ou du statut est désormais prise en considération par le Code comme séjour légal et peut donc être comptabilisée dans la période précédant la demande qui doit être couverte par un séjour légal.
La jurisprudence ici commentée garde toutefois toute sa pertinence pour les autres situations et, notamment, pour les personnes ayant obtenu leur statut de séjour sur la base d’un regroupement familial avec un Belge et ayant bénéficié, à un moment quelconque de leur parcours durant la période précédant leur déclaration de nationalité, d’un titre de séjour ne figurant pas sur la liste des articles 3 et 4 de l’arrêté royal.
2. Les interruptions de séjour admises
Le jugement du Tribunal ci-dessus résumé contient encore un enseignement intéressant au sujet du paragraphe 3 de l’article 7bis du Code de la nationalité, qui pourrait peut-être faire l’objet de plus d’applications dans les cas d’historiques de titres de séjour présentant des lacunes. Cette disposition prévoit que « le caractère ininterrompu du séjour défini au § 2 n'est pas affecté par des absences temporaires de six mois maximum et ce, pour autant que ces absences ne dépassent pas au total une durée d'un cinquième des délais requis par le présent Code dans le cadre de l'acquisition de la nationalité ». Si le principe est donc que la résidence principale sur le territoire durant la période précédant la demande et la légalité du séjour couvrant cette résidence doivent être ininterrompues, les absences temporaires restant dans les limites établies par le § 3 de l’article 7bis ne sont pas considérées comme portant atteinte au caractère ininterrompu du séjour.
La circulaire du 8 mars 2013 donne de cette disposition une interprétation qui nous paraît restrictive lorsqu’elle précise que doivent être considérées comme temporairement absentes les personnes visées à l’article 18, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 16 juillet 1992 relatif aux registres de la population et au registre des étrangers et lorsqu’elle indique que la radiation d’office doit être assimilée à une interruption de résidence de sorte qu’il convient dans ce cas de comptabiliser la durée de résidence légalement requise uniquement à partir de la date de réinscription de l’étranger dans un des registres.
Certes, dans l’espèce jugée par le Tribunal de Bruxelles le 15 mai 2018, il n’est pas question de radiation d’office, mais bien d’un court laps de temps couvert par une attestation d’immatriculation. Il n’est toutefois pas inintéressant de relever que le Tribunal considère, à bon droit selon nous, qu’à supposer que cette période constitue une interruption, elle est inférieure à six mois, de sorte qu’en application de l’article 7bis, § 3, du Code, elle n’affecte pas le caractère ininterrompu du droit de séjour légal.
3. Les faits personnels graves
Le jugement du 15 mai 2018 ci-dessus résumé est encore intéressant à un autre point de vue. Il tranche la question controversée[6] de savoir si la liste des faits personnels graves contenue par l’article 1er, § 2, 4°, du Code, tel que complété par l’article 2 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013, doit être considérée comme exhaustive ou si le procureur du Roi et, à sa suite, le juge, peuvent encore estimer que d’autres faits, non envisagés, peuvent ou doivent être retenus comme graves, avec la conséquence qu’ils permettent de s’opposer à l’acquisition de la nationalité. On sait que la notion de faits personnels graves n’avait fait l’objet, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 4 décembre 2012, d’aucune définition légale ou réglementaire et qu’elle était donc entièrement prétorienne. Le législateur de 2012 a conféré un contenu exemplatif à la notion et a chargé le Roi de « compléter » la liste.
Le Tribunal retient que le pouvoir exécutif a souhaité donner à la liste qu’il a complétée un caractère exhaustif et en veut pour preuve qu’il n’a assorti son énumération d’aucune locution comme « notamment » ou équivalent. Il constate que cette façon de faire est conforme aux objectifs de sécurité juridique et d’égalité de traitement des étrangers qui font une déclaration de nationalité. En l’espèce, il relève que les jugements invoqués à l’audience par le ministère public au titre de faits personnels graves n’infligent aucune peine d’emprisonnement ferme au déclarant et en déduit que les infractions sanctionnées par ces décisions judiciaires ne peuvent être considérées comme des faits personnels graves[7].
B.R.
C. Pour aller plus loin
C. Apers, « Quand l’effet déclaratif du droit de séjour ‘naturalise’ le séjour sous A.I. ! », Newsletter ADDE février 2016, www.adde.be
Projet de loi portant dispositions diverses en matière de droit civil et portant modification du Code judiciaire en vue de promouvoir des formes alternatives de résolution des litiges, art. 137 et suivants : http://www.lachambre.be/FLWB/PDF/54/2919/54K2919013.pdf
Pour citer cette note : B. Renauld, « Preuve de la légalité du séjour antérieur à la déclaration acquisitive de nationalité : le système documentaire fermé vole en éclats », Cahiers de l’EDEM, juin 2018.
[1] Trib. fam. Liège, 9 mars 2018, 17/1725/B.
[2] Trib. fam. Namur, 17 mai 2017, 16/650/B, https://www.ipr.be/sites/default/files/rechtspraak/20173_20170517.pdf
[3] Trib. fam. Gand, 21 avril 2016, 16/202/B, http://www.agii.be/sites/default/files/20160421_rb_gent.pdf
[4] Trib. fam. Bruxelles F, 9 novembre 2017, 14/2520/B (A.I.) ; 12 décembre 2017, 15/2903/B et 30 janvier 2018, 16/3312/B (titres de séjour spéciaux /A.R. du 30 octobre 1991 relatif aux documents de séjour en Belgique de certains étrangers) ; 15 février 2018, 2017/688/B (A.I. et titre de séjour spécial) ; 8 mai 2018 (titre de séjour spécial).
[5] Chambre, DOC 54 2919.
[6] Voy. notamment D. de Jonghe et M. Doutrepont, « Le Code de la nationalité belge, version 2013, De ‘Sois belge et intègre-toi’ à ‘Intègre-toi et sois belge’ », J.T., 2013, p. 335.
[7] Même solution à propos de dossiers ouverts à l’information judiciaire plusieurs années avant la déclaration et entretemps classés sans suites : Trib. fam. Bruxelles, 18 janvier 2018, 2016/2974/B. Contra : Gand, 14 janvier 2016, 2015/AR/1044.