Bruxelles, Ch. mis. en acc., 1er juillet 2016

Louvain-La-Neuve

Le rappel du principe de subsidiarité

La privation de liberté d’une ressortissante étrangère en situation illégale est une mesure de dernier ressort. Elle ne peut être ordonnée qu’après qu’il ait été décidé qu’aucune autre mesure moins coercitive n’était envisageable.

Loi 15.12.1980, articles 7, 61, 71, 72 et 74/14 – Directive 2008/115/CE – Article 15 – Privation de liberté – Subsidiarité – Choix de la mesure la moins coercitive.

A. Arrêts

L’arrêt commenté est très bref et tient en deux pages. La Chambre des mises en accusation fait droit à la requête d’appel formée par la requérante, de nationalité congolaise, résidant de manière illégale sur le territoire belge.

Celle-ci a été arrêtée à son domicile. Elle y séjournait depuis au moins trois ans avec son compagnon et sa fille, tous deux de nationalité belge. Des démarches sont en cours pour tenter de régulariser sa situation administrative.

La Chambre des mises en accusation souligne que « la privation de liberté a été ordonnée sans avoir examiné, au préalable, si d’autres mesures étaient envisageables ». Elle souligne que la mesure n’est pas conforme à l’article 15 de la « Directive retour » qui pose pour principe la subsidiarité de la détention. La Cour estime que la privation de liberté est illégale dès lors qu’« une mesure moins coercitive aurait dû être envisagée ».

B. Éclairage

La Chambre des mises en accusation applique le principe de subsidiarité de la détention énoncé par l’article 15 de la directive Retour (directive 2008/115/CE du parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier) qui dispose que

« À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procé­dures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:

a) il existe un risque de fuite, ou

b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise ».

Celui-ci ne légitime la détention que comme mesure de dernier ressort. La Directive Retour prévoit quatre étapes lorsque le séjour cesse d’être régulier : premièrement, l’adoption d’une décision de retour, deuxièmement, un délai permettant le départ volontaire, troisièmement, l’enclenchement d’une procédure d’éloignement et, quatrièmement, le cas échéant, une mesure privative de liberté.

Cette gradation implique que les mesures les plus coercitives ne peuvent être envisagées qu’en ordre subsidiaire. La Cour de justice l’a rappelé à plusieurs reprises notamment dans l’arrêt El Dridi (2011). L’arrêt El Dridi souligne qu’« il convient de relever également que la directive 2008/115 établit avec précisions la procédure appliquée par chaque Etat membre au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et fixe l’ordre de déroulement des différentes étapes que cette procédure comporte successivement… Il découle du 16e considérant de ladite Directive ainsi que du libellé de son article 15, §1er, que les Etats membres doivent procéder à l’éloignement au moyen des mesures les moins coercitives possibles. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’exécution de la décision de retour sous forme d’éloignement risque, au regard d’une appréciation de chaque situation spécifique, d’être compromise par le comportement de l’intéressé que ces Etats peuvent procéder à la privation de liberté de ce dernier au moyen d’une détention » (§34 à 39).

La jurisprudence belge reste partagée quant à la mise en œuvre du principe de subsidiarité. Quelques arrêts suivent l’enseignement de la Cour de justice tandis que d’autres rejettent l’idée d’une subsidiarité obligatoire.

La deuxième chambre de la Cour de cassation juge, le 16 mai 2012, qu’« aucune disposition ne lui impose d’exposer en outre les raisons pour lesquelles il considère qu’une mesure moins contraignante serait inapte à rencontrer cet objectif ». Elle s’est prononcée dans le même sens le 14 août 2012. Par contre, par un arrêt du 27 juin 2012, elle avait rappelé le principe de subsidiarité. Le 20 novembre 2013, elle applique ce principe tout en jugeant que, dans le cas d’espèce, il a été respecté. Par un arrêt du 1er octobre 2014, la Cour de cassation considère qu’une décision administrative de rétention n’est pas légalement motivée « dans la mesure où elle ne justifie pas l’impossibilité de recourir à une mesure moins coercitive que la privation de liberté au regard des éléments relatifs à la vie privée de l’appelant et dont la véracité n’est pas remise en doute ».

L’arrêt commenté dont la motivation est fort brève ne permet pas de connaître les éléments de fait fondant la décision. Sous l’angle de la subsidiarité, les mentions figurant dans l’arrêt suffisent à sa motivation, à savoir l’arrestation au domicile d’une personne qui y résidait paisiblement depuis plus de trois ans, ayant développé une vie familiale, et tentant de régulariser son séjour. L’arrêt mentionne en outre qu’aucun élément du dossier administratif ne démontre qu’une mesure moins coercitive n’a été envisagée.

Il faut saluer une telle jurisprudence qui affirme de manière claire et nette l’importance du principe de subsidiarité sans le lier à des éléments de faits spécifiques qui le justifieraient. Le principe est dès lors mis en exergue en tant que tel. La Chambre des mises en accusation semble ici en faire une question de principe davantage qu’une application liée aux circonstances particulières d’un cas d’espèce.

S.S.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt

Doctrine

Voyez notamment sur la subsidiarité de la détention, voyez notamment les sites de projets CONTENTION et REDIAL, qui reprennent les principaux arrêts de la jurisprudence belge mais aussi des autres pays de l’Union européenne et de la Cour de justice, outre une analyse de ces jurisprudences.

Voyez aussi S. Sarolea et P. D'Huart, La réception du droit européen de l'asile en droit belge: la directive retour.

Pour citer cette note : S. Sarolea, « Le rappel du principe de subsidiarité. Note sous Bruxelles, Ch. mis. en acc., 1er juillet 2016 », Newsletter EDEM, juin 2016.

Publié le 09 juin 2017