C.C., 21 mars 2013, n° 43/2013

Louvain-La-Neuve

Demandeurs de protection subsidiaire pour raison médicale et demandeurs de protection subsidiaire du fait d’une situation de violence généralisée: la différence de traitement est raisonnablement justifiée.

La différence de traitement entre les étrangers qui se sont vus refuser, en première instance, une demande de protection subsidiaire pour raison médicale et ceux qui se sont vus refuser, en première instance, une demande de protection subsidiaire du fait d’une situation de violence généralisée dans le pays d’origine ou de résidence habituelle est raisonnablement justifiée. La seule exception que la Cour a admise à cette interprétation était la suivante : « pour éviter que la limitation de l’aide sociale à l’aide médicale urgente n’entraîne pour des personnes qui souffrent d’une maladie grave un risque réel pour leur vie ou leur intégrité physique, il faut qu’ elles puissent recevoir les soins médicaux, tant préventifs que curatifs, nécessaires à écarter un tel risque ».

Art. 3, 13, CEDH – Art. 10, 11, 23 Const., Art. 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 – Art. 9ter, 48/4 de la loi du 15 décembre 1980 – Protection subsidiaire pour raison médicale – Protection subsidiaire du fait d’une situation de violence généralisée – Différence de traitement – Niveau de l’aide sociale.

A. Arrêt

Le Tribunal du travail de Liège a posé à la Cour une question préjudicielle par laquelle il s’interrogeait sur la compatibilité de l’article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976, avec les articles 10, 11 et 23, de la Constitution lus en combinaison avec les articles 3 et 13 CEDH. L’interprétation de cet article ne permet pas aux étrangers qui se sont vus refuser leur demande de protection subsidiaire pour raisons médicales sur la base de l’article 9ter de bénéficier de toute forme d’aide sociale, hormis l’aide médicale urgente, pendant la durée de l’examen de leur recours par le C.C.E. Cette situation se distingue de celle des étrangers qui se sont vus refuser leur demande de protection subsidiaire du fait d’une situation de violence généralisée dans leur pays d’origine ou de résidence habituelle, sur la base de l’article 48/4 de la loi du 15 décembre 1980, qui continuent, quant à eux, à bénéficier de l’aide sociale, le recours de plein contentieux étant suspensif.

La Cour rappelle que les articles 9ter et 48/4 de la loi du 15 décembre 1980 constituent, ensemble[1], la transposition en droit belge de l’article 15 de la directive 2004/83/EC du Conseil (ci-après la « directive qualification »)[2]. Ensuite, la Cour fait référence à la jurisprudence de la Cour eur. D.H. selon laquelle la circonstance que l’expulsion influe sur l’état de santé ou l’espérance de vie de l’intéressé ne conduit à une violation de l’article 3 CEDH que dans certains cas exceptionnels, lorsque les considérations humanitaires militant contre l’expulsion sont impérieuses[3]. Le législateur national a pris en compte que l’évaluation de la situation médicale d’un étranger nécessite des compétences particulières, la spécificité de la procédure d’asile ainsi que des raisons budgétaires, et a opté pour la mise en œuvre d’une procédure légale spécifique et distincte de la procédure d’asile, afin d’évaluer les demandes de protection subsidiaire pour raison médicale[4]. La Cour rappelle que par un arrêt du 26 juin 2008[5], elle a jugé que ce choix du législateur n’était pas contraire, en soi, aux articles 10 et 11 de la Constitution[6]. La Cour y avait notamment observé que la différence de traitement entre les deux catégories des demandes repose sur un critère objectif et qu’elle est justifiée par la nature de l’examen auquel il doit être procédé[7]. De surcroît, elle avait considéré que la règle prévue par l’article 9ter offrait suffisamment de garanties aux demandeurs d’une autorisation de séjour[8].

Ce préalable posé, la Cour examine si la différence de traitement qui résulte de la restriction de l’aide sociale à l’aide médicale urgente pour les demandeurs de protection subsidiaire pour raison médicale pendant l’examen de leur recours est raisonnablement justifiée, et en particulier, si elle ne porte pas atteinte de manière disproportionnée au droit à un recours effectif. L’article 57, § 2, de la loi organique du C.P.A.S. limite à l’aide médicale urgente l’aide sociale octroyée aux étrangers qui séjournent illégalement sur le territoire. Etant donné que le recours en annulation pour cette catégorie des demandeurs de protection subsidiaire n’est pas suspensif, leur séjour est considéré comme illégal pendant toute la durée de la procédure[9].

La Cour se réfère ensuite à sa jurisprudence selon laquelle le législateur peut légitimement considérer que la restriction de l’aide sociale à l’aide médicale urgente pour ceux qui ont introduit un recours auprès du Conseil d’Etat contre le refus de leur demande de régularisation de séjour est légitime ainsi que compatible, entre autres, avec les articles 10 et 11 de la Constitution et avec l’article 3 CEDH[10]. Toutefois, l’étranger qui est dans l’impossibilité absolue de donner suite à un ordre de quitter le territoire pour des raisons médicales doit bénéficier de l’aide sociale[11]. En conséquence, la Cour procède en énonçant que suite au refus de leur demande et en raison du caractère illégal de leur séjour, il convenait de restreindre à l’aide médicale urgente l’aide sociale octroyée aux demandeurs de la protection subsidiaire sur base de l’article 9ter pendant l’examen de leur recours auprès du C.C.E.[12].

La seule exception que la Cour a admise à cette interprétation pour cette catégorie de demandeurs est la suivante : « pour éviter que la limitation de l’aide sociale à l’aide médicale urgente n’entraine pour des personnes qui souffrent d’une maladie grave un risque réel pour leur vie ou leur intégrité physique, elles peuvent recevoir les soins médicaux, tant préventifs que curatifs, nécessaires à écarter un tel risque »[13]. Sous réserve de ladite qualification, la différence de traitement est, selon la Cour, raisonnablement justifiée et la question préjudicielle appelle donc une réponse négative.

B. Éclairage

La Cour a basé son argumentation, entre autres, sur le fait que l’étranger qui demande la protection subsidiaire sur base de l’article 48/4 de la loi du 15 décembre 1980 sollicite nécessairement la reconnaissance du statut de réfugié, le premier statut étant complémentaire au second et alternatif à celui-ci. Selon la Cour, l’effet suspensif du recours contre une décision négative découle de la procédure dite à guichet unique en matière d’asile. S’il est vrai que les articles 9ter et 48/4 constituent ensemble la transposition de l’article 15 de la directive 2004/83/CE dans le droit national, il reste qu’à ce stade du développement du droit européen, la directive 2003/9/CE (ci-après la « directive relative aux conditions d’accueil ») est applicable obligatoirement aux seules demandes de protection qui découlent de la Convention de Genève. En ce qui concerne les demandes d’autres formes de protection, les États Membres sont « invités » à étendre le champ d’application de la directive[14].

La refonte de la directive, qui sera probablement adoptée en juin 2013, par le Parlement européen et le Conseil, élargit le champ d’application ratione personae en précisant qu’elle est également applicable aux personnes demandant la protection subsidiaire[15]. En conséquence, dans un futur proche, le législateur belge devra revoir la loi dans la mesure où l’article 9ter constitue également la transposition du statut de protection subsidiaire envisagée par la directive qualification. Par conséquent, toutes les garanties de la directive seront applicables et la restriction de l’aide sociale à l’aide médicale urgente ne sera plus justifiable. Les cas dans lesquels le recours n’est pas suspensif, et par conséquent la présence du demandeur considérée comme illégale, sont définis dans la refonte de la directive relative aux procédures d’asile : la nature du fondement de la demande ne figure pas parmi les exceptions qui sont établies[16].

En outre, la Cour semble tirer seulement partiellement les conséquences de la jurisprudence de la Cour eur. D.H. dans l’arrêt Budina, où la Cour a rappelé qu’elle n’a pas exclu « la possibilité que la responsabilité de l’État soit engagée [sous l’angle de l’article 3] par un traitement dans le cadre duquel un requérant totalement dépendant de l’aide publique serait confronté à l’indifférence des autorités alors qu’il se trouverait dans une situation de privation ou de manque à ce point grave qu’elle serait incompatible avec la dignité humaine »[17]. En outre, dans l’arrêt M.S.S., la Cour a considéré que la situation d’un demandeur d’asile qui « s’est trouvé pendant des mois, vivant dans la rue, sans ressources, sans accès à des sanitaires et ne disposant d’aucun moyen de subvenir à ses besoins essentiels » a atteint le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention[18].

En espèce, la Cour Constitutionnelle a clarifié dans une certaine mesure son interprétation en reconnaissant, au-delà de l’accès à l’aide médicale urgente, le droit aux soins médicaux, tant préventifs que curatifs, nécessaires pour écarter un risque réel pour la vie ou l’intégrité physique. Cette affirmation ne semble toutefois pas écarter complètement le risque d’une violation des articles 3 et 13 CEDH, telles qu’ils sont interprétés par la Cour eur. D.H. En outre, elle posera des problèmes d'ordre pratique dans la phase de mise en application. Quel sera en effet le niveau des soins médicaux, qu’entendons-nous exactement par ‘un risque réel pour la vie ou l’intégrité physique’ et quelle autorité sera chargée de son évaluation pour chaque cas individuel ?

L.T.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.C., 21 mars 2013, n°43/2013.

- M.S.S. c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, requ. n° 30696/09.

- Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, 28 juin 2011, requ. n° 8319/07.

- Budina c. Russie, 18 juin 2009, n° 45603/05 (inadmissible).

- N. c. Royaume-Uni, 28 mai 2008, n° 26565/05.

- C.C., 26 juin 2008, n° 95/2008.

- C.C., 21 décembre 2005, n° 194/2005.

- C.C., 17 janvier 2002, n° 17/2002.

- C.C., 30 juin 1999, n° 80/99.

- COREPER (Conseil de l’UE), Proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil établissant des normes pour l'accueil des demandeurs d'asile (Refonte) [Première lecture]- Accord politique.

- COREPER (Conseil de l’UE), Amended proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on common procedures for granting and withdrawing international protection status (Recast) [First reading]- Analysis of final compromise text with a view to agreement (disponible seulement en anglais).

Pour citer cette note : L. Tsourdi, « Demandeurs de protection subsidiaire pour raison médicale et demandeurs de protection subsidiaire du fait d’une situation de violence généralisée: la différence de traitement est raisonnablement justifiée », Newsletter EDEM, mai 2013.


[1] Nous soulignons.

[2] C.C., 21 mars 2013, n° 43/2013, B.4.1.

[3] Ibid, B.4.2. Voy aussi Cour eur. D.H., N. c. Royaume-Uni, 28 mai 2008, req. n°26565/05, §42 et également Cour eur. D.H., Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, 28 juin 2011, req. n° 8319/07, §§ 281-292.

[4] Ibid, B.5, faisant référence aux travaux préparatoires ainsi qu’à l’exposé des motifs de la loi du 15 septembre 2006 qui a inséré l’article 9ter dans la loi du 15 décembre 1980.

[5] C.C., 26 juin 2008, n° 95/2008.

[6] C.C., 21 mars 2013, précité, B.6.

[7] Ibid, faisant référence aux B.11-B.14 de son arrêt précité n° 95/2008.

[8] Ibid.

[9] Ibid, B.9.

[10] Ibid, B.10, faisant référence à l’arrêt n° 17/2002 du 17 janvier 2002.

[11] Ibid, B.11, faisant référence aux arrêts n° 80/99 du 30 juin 1999 et n° 194/2005 du 21 décembre 2005.

[12] Ibid, B.12.

[13] Ibid, B.13.

[14] Considérant 16 ainsi que article 2, (b) et (c), de la Directive relative aux conditions d’accueil.

[15] Considérant 13 ainsi que l’article 3, § 1, Accord Politique, Refonte de la directive relative aux conditions d’accueil, 2012.

[17] Cour eur. D.H., Budina c. Russie, 18 juin 2009, n° 45603/05 (inadmissible).

[18] Cour eur. D.H., M.S.S. c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, n° 30696/09, § 263.

Publié le 20 juin 2017