C.C.E., 10 octobre 2013, n°111.674

Louvain-La-Neuve

La crédibilité de l’orientation homosexuelle doit s’évaluer en interrogeant le demandeur sur son expérience personnelle.

Le Conseil du contentieux des étrangers juge que la crédibilité de l’orientation homosexuelle du requérant s’évalue en tenant compte de ses expériences personnelles. La méconnaissance de la législation du pays d’origine pénalisant l’homosexualité ne suffit pas pour conclure que le demandeur n’est pas homosexuel.

Art. 48/3 de la loi du 15 décembre 1980 – Art. 8, §1er, de la directive procédure – Crédibilité – Orientation homosexuelle – Demande d’asile tardive (annulation).

A. Arrêt

Le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (C.G.R.A.) rejette la demande d’asile introduite par le demandeur pakistanais, qui se prétend homosexuel, au motif notamment que son orientation homosexuelle n’est pas crédible.

Le Conseil du contentieux des étrangers (C.C.E.) commence par rappeler que, conformément à l’article 8, § 1er, de la directive 2005/85/CE dite « procédure », la circonstance que le demandeur ait introduit sa demande d’asile tardivement ne suffit pas pour la considérer comme non crédible. Bien que cette disposition n’ait pas été transposée par le législateur belge, le droit belge doit être interprété conformément à cette dernière.

Le C.C.E. poursuit en reprochant au C.G.R.A. de ne pas avoir sérieusement remis en cause l’orientation homosexuelle du demandeur. Selon le C.C.E., le C.G.R.A. ne pouvait déduire de la seule méconnaissance de la législation pakistanaise pénalisant l’homosexualité que le demandeur n’est pas homosexuel. Soulignant la particulière complexité de l’évaluation de la crédibilité de l’orientation homosexuelle, le C.C.E. souligne qu’elle doit se réaliser en tenant compte des expériences personnelles du demandeur relatives à « la manière dont il identifie lui-même son orientation sexuelle ; les expériences vécues durant sa jeunesse ; la prise de conscience et l’expression de son orientation sexuelle ; le non-respect des prescriptions culturelles, familiales et de son entourage ; la nature et la qualité des relations entretenues avec les membres de sa famille ; les amours et relations sexuelles ; la vie au sein de la communauté gay et éventuellement l’influence de sa religion »[1]. Ces différents éléments doivent ensuite être confrontés au contexte du pays d’origine.

Le C.C.E. ajoute que, même s’il ne transparaît pas du récit du requérant qu’il soit personnellement visé en tant qu’homosexuel au Pakistan, il se peut que tout homosexuel y risque la persécution du seul fait de son orientation homosexuelle. En outre, puisque le requérant s’est affiché en tant qu’homosexuel en Belgique, cela peut avoir une incidence sur les risques qu’il encourt personnellement au Pakistan.

Afin que le C.G.R.A. évalue l’orientation homosexuelle du demandeur en tenant compte de son expérience personnelle, d’une part, et que le cas échéant il vérifie si le demandeur a une crainte fondée de persécution en tant qu’homosexuel au Pakistan, d’autre part, le C.C.E. annule sa décision de rejet de la demande d’asile et lui renvoie l’affaire.

B. Éclairage

Dans l’arrêt commenté, le C.C.E. invite le C.G.R.A. à ne pas se contenter de vérifier la (mé)connaissance de la situation généralement vécue par les homosexuels dans le pays d’origine, mais à interroger le demandeur quant à son vécu personnel.

Cette invitation a été réitérée par l’arrêt n° 115126 rendu le 5 décembre 2013. Dans cet arrêt, le C.C.E. confirme une décision de rejet de la demande d’asile introduite par un ressortissant nigérien qui se prétendait homosexuel au motif que les réponses apportées aux questions relatives à son expérience personnelle ne sont pas convaincantes[2]. En l’espèce, le C.C.E. souligne notamment le caractère peu convainquant des réponses apportées par le demandeur aux questions de savoir comment il définit l’orientation homosexuelle, comment il a pris conscience de son homosexualité et comment il a vécu cette prise de conscience.

Ce faisant, le C.C.E. aligne sa jurisprudence sur les principes directeurs du H.C.R. selon lesquels il convient d’interroger le demandeur d’asile qui se prétend LGBTI au sujet de : son auto-identification en tant que personne LGBTI, son enfance, son « coming-out », son identité de genre, son sentiment de non-conformité, ses relations familiales, ses relations romantiques et sexuelles, ses relations avec la communauté LGBTI et sa religion[3]. Le H.C.R. met en outre l’emphase sur l’interrogation du demandeur quant à son vécu personnel. Il considère que les questions relatives « aux perceptions, aux sentiments et aux expériences personnels du demandeur en matière de différence, de stigmatisation et de honte » sont plus aptes à permettre l’identification d’une personne LGBTI que les questions sur ses pratiques sexuelles[4].

Cette précision intervient à l’heure où la Cour de justice de l’Union européenne doit se prononcer sur une question préjudicielle adressée par le Conseil d’État des Pays-Bas au sujet du mode d’établissement de la crédibilité de l’orientation homosexuelle[5]. En substance, la juridiction néerlandaise souhaite savoir si l’examen de crédibilité doit respecter certaines limites relatives notamment au droit à l’intégrité physique[6] et à la vie privée et familiale.

L.L.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.C.E., 10 octobre 2013, n° 111.674.

En jurisprudence

Pour citer cette note : L. LEBOEUF, « La crédibilité de l’orientation homosexuelle doit s’évaluer en interrogeant le demandeur sur son expérience personnelle », Newsletter EDEM, février 2014.


[1] C.C.E., 10 octobre 2013, n°111.674, §2.1. : « de persoonlijke identificatie met een seksuele geaardheid, de beleving tijdens zijn jeugd, de bewustwording en uiting van deze geaardheid, het afwijken van de voorschriften van zijn cultuur, familie en samenleving, de aard en kwaliteit van zijn familiale relaties, zijn liefdes en seksuele relaties, de beleving binnen de gay gemeenschap en eventueel de invloed van (zijn) religie » (notre traduction libre).

[2] C.C.E., 5 décembre 2013, n° 115126.

[3] H.C.R., « Demandes de statut de réfugié fondées sur l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre », Principes directeurs sur la protection internationale n° 9, 2012, § 63. Voy. aussi V. TÜRK, « Ensuring Protection to LGBTI Persons of Concern », I.J.R.L., 2013, pp. 120-129.

[4] H.C.R., op. cit., § 62.

[6] Certains États membres de l’Union, comme la Tchéquie, pratiquaient jusqu’il y a peu des tests phallométriques. Cela a amené un Tribunal allemand à suspendre un transfert Dublin d’un demandeur d’asile homosexuel vers la Tchéquie au motif qu’il y subirait une violation des articles 3 et 8 CEDH (Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, Homophobie, transphobie et discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, 2010, p. 65).

Publié le 16 juin 2017