C.C.E., 24 octobre 2013, n°112.643

Louvain-La-Neuve

Refus d’accorder la protection internationale à un demandeur d’asile qui bénéficie du statut de réfugié en Afrique du Sud.

Le Conseil du contentieux des étrangers refuse d’accorder la protection internationale à un demandeur d’asile de nationalité rwandaise et reconnu réfugié en Afrique du Sud au motif qu’il reste en défaut de démontrer que les autorités sud-africaines seraient incapables de lui assurer une protection réelle au sens de l’article 48/5, § 4, de la loi du 15 décembre 1980.

Demande d’asile - Premier pays d’asile - Article 48/5, § 4, loi 1980 - Directive procédure.

A. Arrêt

La requérante, de nationalité rwandaise, a été reconnue réfugiée en Afrique du Sud en 2008. Elle a quitté l’Afrique du Sud la même année pour le Mozambique où elle y a séjourné illégalement avec son mari de manière ininterrompue avant d’arriver sur le territoire belge. Elle y introduit une demande d’asile le 25 juin 2012.

A l’appui de sa demande, la requérante invoque une crainte de persécution en Afrique du Sud en raison des violences xénophobes rencontrées.

Le C.C.E. considère que la seule question pertinente à examiner est la possibilité de bénéficier d’une protection réelle auprès des autorités sud-africaines.

La demande de protection ne doit être traitée que sous l’angle du nouvel article 48/5, §4, de la loi du 15 décembre 1980 qui stipule que : « Il n’y a pas lieu d’accorder de protection internationale lorsque le demandeur d’asile bénéficie déjà d’une protection réelle dans un premier pays d’asile, à moins qu’il soumette des éléments dont il ressort qu’il ne peut plus se prévaloir de la protection réelle qui lui a été accordée dans le premier pays d’asile  ou qu’il n’est plus autorisé à entrer sur le territoire de ce pays. A condition que l’accès au territoire de ce pays lui soit à nouveau autorisé, un pays peut être considéré comme étant un premier pays d’asile si le demandeur d’asile est reconnu réfugié dans ce pays et qu’il peut encore y bénéficier de cette protection, sauf s’il bénéficie d’une autre protection réelle dans ce pays, y compris du principe de non-refoulement ».

En l’espèce, le Conseil estime que la requérante reste en défaut de démontrer que les autorités sud-africaines seraient incapables de lui assurer une protection réelle au sens de l’article 48/5, § 4, et rejette, par conséquent, sa demande de protection internationale.

B. Éclairage

Cet arrêt est un des premiers arrêts rendus par le Conseil sur le traitement d’une demande d’asile lorsque le requérant est déjà reconnu réfugié par un Etat tiers depuis l’entrée en vigueur de la loi du 8 mai 2013 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, la loi du 12 janvier 2007 sur l'accueil des demandeurs d'asile et de certaines autres catégories d'étrangers et la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action sociale[1] le 1er septembre 2013.

Plus particulièrement, l’article 4, 5°, de la loi insère un nouveau § 4 à l’article 48/5 de la loi de 1980 qui prend en compte la protection obtenue dans un premier pays d’asile. La présomption de protection suffisante dans ce pays est réfragable puisque l’intéressé peut démontrer qu’il ne peut plus y bénéficier d’une protection réelle ou qu’il ne peut plus y rentrer. On entend par premier pays d’asile soit celui où la personne est reconnue réfugiée et l’est toujours, soit toute autre protection équivalente, en ce compris le principe de non-refoulement.

L’article 48/5, § 4, de la loi de 1980 transpose partiellement, en droit belge, dans des termes quasi identiques, les articles 25 et 26 de la Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres (Directive « Procédures »). Ces articles permettent aux Etats membres de déclarer une demande de protection irrecevable lorsque le demandeur s’est vu reconnaître la qualité de réfugié dans un autre pays et qu’il peut encore se prévaloir de sa protection ou qu’il y bénéficie d’une autre protection suffisante et, à condition, qu’il puisse être réadmis dans ce pays en cas de renvoi. Ce pays y est qualifié de « premier pays d’asile ».

Pour autant, la transposition partielle des articles 25 et 26 de la Directive « Procédures » en droit belge n’a qu’un impact limité sur le traitement par le juge d’une demande de protection lorsque le requérant bénéficie déjà de la protection d’un autre Etat. En effet, avant cette récente transposition, le C.C.E. considérait que le réfugié reconnu par un Etat tiers n’avait pas intérêt à demander l’asile[2] sauf si ce dernier invoquait une crainte de persécution dans le pays qui lui a accordé la protection[3].

En revanche, la transposition a au moins le mérite de clarifier le droit belge au regard du droit de l’Union européenne[4]

Par ailleurs, la directive « procédures » vient d’être révisée par la Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres (Directive « Procédure » refondue) mais aucune modification substantielle n’est intervenue sur cette question.

En outre, le juge belge devra s’enquérir, lorsqu’il déterminera si la présomption de protection suffisante dans le premier pays d’asile instaurée par l'article 48/5 peut être renversée ou non, du traitement qui sera réservé au réfugié après son refoulement. En effet, dans l’arrêt Hirsi c. Italie, la CEDH a jugé que la qualité de réfugié de la personne refoulée ne suffit pas à garantir l’effectivité de la protection qu’elle aura dans le pays de refoulement.

En effet, la Cour considère que « l’expulsion, l’extradition ou toute autre mesure d’éloignement d’un étranger par un Etat contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3 de la Convention, et donc engager la responsabilité de l’Etat en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Dans ce cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays »[5].

Pour évaluer le risque de traitements inhumains et dégradants, l’Etat de renvoi devra examiner les conséquences prévisibles du renvoi d’un étranger dans le pays de destination en tenant compte tant de la situation générale qui y prévaut que de la situation individuelle du demandeur d’asile.[6]

L’Etat de renvoi devra également évaluer les risques de renvoi arbitraires par le premier pays d’asile vers son pays d’origine.[7]

En cas de protection insuffisante, le statut de réfugié devra  être accordé au demandeur d’asile par les autorités belges conformément à l’article 48/5, § 4.

Le juge devra également être attentif, en cas de protection effective dans le premier pays d’asile, aux conditions d’accueil des réfugiés dans ce pays puisqu’elles peuvent, le cas échéant, être constitutives d’un traitement inhumain et dégradant  au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne conformément à la jurisprudence strasbourgeoise et de la Cour de Justice de l’Union européenne[8].

Dans l’hypothèse où les conditions d’accueil des réfugiés seraient contraires à l’article 3 CEDH et 4 CDFUE, le réfugié ne pourrait pas être refoulé dans son premier pays d’asile alors qu’il n’obtiendrait pas la qualité de réfugié en Belgique automatiquement puisque le droit belge n’appréhende pas ce cas de figure en tant que tel. Cette lacune juridique entraîne la création d’une nouvelle catégorie d’étrangers en situation irrégulière[9] à l’instar de ce qu’il se produira en France suite à l’arrêt du Conseil d’Etat français Cimade-B du 13 novembre 2013 bien que pour des raisons différentes. En effet, depuis cet arrêt, un réfugié reconnu comme tel dans un premier pays tiers et dont la protection n’est pas effective, verra sa demande de statut en France examinée comme s’il demandait l’asile pour la première fois. En cas de rejet de sa demande d’asile en France, il ne pourra bénéficier de titre de séjour en vertu du droit français mais ne pourra  être refoulé ni dans son pays de nationalité ni dans son premier pays d’asile.

S.D.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.C.E., 24 octobre 2013, n°112.643.

Législation

Article 48/5, § 4, de la loi du 15 décembre 1980.

Article 25 et 26 de la Directive 2005/85/CE.

Articles 33 et 35 de la Directive 2013/32/UE.

Jurisprudence

C.C.E. (3 juges), arrêt n° 56654 du 24 février 2011.

C.C.E. (3 juges), arrêt n° 59527 du 12 avril 2011.

C.C.E., arrêt n° 78795 du 3 avril 2012.

C.C.E., arrêt n° 78995 du 11 avril 2012.

C.C.E., arrêt n° 77715 du 21 mars 2012.

C.C.E. (3 juges), arrêts n° 68863, 68864 et 68865 du 20 octobre 2011.

Cour eur. D.H.,  SUFI et HELMI c. Royaume-Uni, 28 juin 2011.

Cour eur. D.H., M.S.S. c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011.

Cour eur. D.H., HIRSI JAMAA ET AUTRES c. Italie, 23 février 2012.

C.J.U.E., 21 décembre 2011, N.S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10.

Doctrine

E. NERAUDAU, « En cas d’impossibilité de transfert Dublin, l’Etat requérant n’est en principe pas obligé d’appliquer la clause de souveraineté. », Newsletter EDEM, novembre 2013.

Pour citer cette note : S. DATOUSSAID, « Refus du C.C.E. d’accorder la protection internationale à un demandeur d’asile qui bénéficie du statut de réfugié en Afrique du Sud », Newsletter EDEM, décembre 2013.


[1] Ci-après : la loi du 8 mai 2013.

[2] Voy. par.ex. C.C.E. (3 juges), arrêt n° 56654 du 24 février 2011 ; C.C.E. (3 juges), arrêt n° 59527 du 12 avril 2011 ; C.C.E., arrêt n° 78795 du 3 avril 2012 ; arrêt n° 78995 du 11 avril 2012 ; arrêt n°77715 du 21 mars 2012.

[3] Voy. par.ex. C.C.E. (3 juges), arrêt n° 56654 du 24 février 2011 ; C.C.E. (3 juges), arrêts n° 68863, 68864 et 68865 du 20 octobre 2011.

[4] L. LEBOEUF., « Les pays sûrs en droit belge de l’asile. Le "pays d’origine sûr", "pays tiers sûr" et "premier pays d’asile" dans la loi de 1980 et la jurisprudence du Conseil du contentieux des étrangers », R.D.D.E., 2012, n° 168, p. 201.

[5] Cour eur. D.H., HIRSI JAMAA ET AUTRES c. Italie, 23 février 2012, § 114.

[6] Ibid., § 117.

[7] Ibid., §§ 148 à 156.

[8] Voy. Cour eur. D.H.,  SUFI et HELMI c. Royaume-Uni, 28 juin 2011 ; M.S.S. c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011 ; C.J.U.E., 21 décembre 2011, N.S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, pt 82.

[9] En ce sens voy. R. KEMPF, « Quand le Conseil d’Etat crée une nouvelle catégorie d’étrangers en situation irrégulière », in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 9 décembre 2013.

Publié le 16 juin 2017