C.C.E., 24 septembre 2012, n° 88021

Louvain-La-Neuve

Le principe de l’unité de famille en droit d’asile.

La requérante, jeune majeure, Kosovare d’origine rom, doit être reconnue réfugiée en application du principe de l’unité de famille. Eu égard à son état de santé, elle est dépendante de ses parents reconnus réfugiés. La crédibilité doit être analysée en tenant compte de l’âge lors des faits, du niveau d’instruction et de l’état de santé.

L. 15/12/1980 (article 48/3), jeune majeure arrivée après ses parents reconnus réfugiés – Rom du Kosovo – minorité au moment des faits – fragilité psychologique – principe de l’unité de famille – (reconnaissance qualité de réfugié)

A. Arrêt

La requérante, ressortissante kosovare d’origine rom, rapporte avoir été enlevée à l’âge de 15 ans et soumise à la prostitution pendant trois ans. Elle parvient à s’échapper grâce à l’aide d’un compatriote d’origine Rom. Elle apprend que ses parents ont fui en Belgique et ont été reconnus réfugiés. À son arrivée en Belgique, le C.G.R.A. rejette sa demande en contestant la crédibilité de son vécu pendant les trois ans passés dans un réseau de prostitution. Quant à son appartenance à la communauté rom, elle sera appréciée comme étant insuffisante pour justifier en soi une protection internationale. Le C.G.R.A. précisant en outre que la situation des minorités s’est améliorée et que la protection offerte par les autorités est effective.

La requérante conteste cette analyse. Elle prouve que ses parents ont été reconnus réfugiés et dépose des pièces médicales relatives à son état de santé, ainsi que la preuve d’une convocation annulée par le C.G.R.A. aux fins de réaliser un examen neuropsychologique.

Le C.C.E. suit l’argumentation de la requérante qui reprochait au C.G.R.A. de ne pas avoir pris en compte le fait qu’elle était mineure lors de son enlèvement, son faible niveau d’instruction et son état de santé, non contestés. Le C.G.R.A. ne justifie pas avoir annulé l’entretien neuropsychologique qu’il avait programmé. L’examen de crédibilité doit intégrer ces trois éléments constitutifs d’un profil particulier. Les certificats médicaux montrent que son état de santé psychologique est très fragilisé et sont « de nature à corroborer de manière objective les faits d’enlèvement et de prostitution forcée allégués par la requérante à l’appui de sa demande d’asile ».

Ni l’identité, ni le lien de parenté de la requérante avec ses ascendants reconnus réfugiés ne sont remis en cause, de sorte que le dossier devait aussi être examiné sous l’angle de l’unité de famille. Le C.C.E. juge que ce principe s’étend aux personnes à charge, tel un descendant majeur, s’il dépend matériellement ou financièrement de l’assistance du membre de sa famille qui est reconnu réfugié en raison de son âge, d’une invalidité ou d’une absence de moyens propres de subsistance. Tel est le cas en l’espèce vu l’état de santé de la jeune fille, tant physique que psychologique.

B. Éclairage

La décision reconnaît la qualité de réfugié sur la base de l’unité de famille, qui ne nécessite pas la prise en compte des craintes personnelles. Elle n’exclut pas ces dernières, mais paraît ne pas juger utile de statuer sous cet angle eu égard à la conclusion positive sur la seule base de l’unité de famille.

À ce sujet, la prise en compte de la vulnérabilité du majeur est intéressante et rejoint la jurisprudence de la C.E.D.H. (en l’espèce jeune majeur). Si l’article 8 ne couvre a priori pas les relations entre majeurs, il les protège lorsqu’une relation de dépendance est démontrée[1]. Le principe de l’unité de famille n’est contraignant ni dans la Convention de Genève[2], ni dans la directive qualification[3], ni en droit belge[4]. Le C.C.E. l’applique toutefois sans réserve en se référant à la jurisprudence « constante » antérieure. Il l’intègre ce faisant dans le droit belge comme un principe fondamental du droit des réfugiés[5].

Les paragraphes de l’arrêt relatifs à l’appréciation de la crédibilité sont intéressants, en ce qu’ils invitent à prendre en compte la situation personnelle du demandeur d’asile pour en juger. En ce qui concerne l’état psychologique et les rapports médicaux s’y rapportant, le C.C.E. adopte une position qui tranche avec une partie de sa jurisprudence qui suit le C.G.R.A. lorsqu’il estime que le constat d’un P.T.S.D. (Post-Traumatic Stress Disorder) ne permet pas de rapporter la preuve du lien avec celui-ci et les faits relatés[6]. Ici, il « tend à les corroborer de manière objective »[7].

S.S.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.C.E., 24 septembre 2012, n° 88021.

  • Sur l’unité de famille, voyez notamment les conclusions EXCOM, « Regroupement des familles », no 9 (XXVIII), 1977 et no 24 (XXXII), 1981 ; les « UNHCR Guidelines on Reunification of Refugee Families », juillet 1983 ; K. JASTRAM, et K. NEWLAND, « L’unité de la famille et la protection des réfugiés », in E. FELLER, V. TÜRK, and F. NICHOLSON (dir.), La protection des réfugiés en droit international, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 669-675.
  • Sur le principe de l’unité de famille dans le cadre de la mise en œuvre du règlement de Dublin, voyez également L. LEBOEUF,  et E. NERAUDAU, La réception du droit européen de l’asile en droit belge. Le règlement Dublin et la directive qualification, sous la direction de S. SAROLÉA, Louvain-la-Neuve, 2012.
  • Sur la prise en compte des données psychologiques voyez notamment l’étude rédigée par l’A.S.B.L. Ulysse : A. VANOETEREN et L. GEHRELS, « La prise en considération de la santé mentale dans la procédure d’asile », Rev. dr. étr., no 155, 4/2009 p. 492.
  • Sur la crédibilité et la prise en compte de facteurs de vulnérabilité voyez notamment C.C.E., 27 mai 2008, arrêt n° 11.831 ou C.C.E., 10 novembre 2010, arrêt n° 51.013.

[1] Voyez notamment Cour eur. D.H., 23 juin 2008, Maslov c. Autriche, req. n° 1638/03, § 62 ; Cour eur. D.H., 20 septembre 2011, A.A. c. Royaume-Uni, req. n° 8000/08.

[2] Il a été intégré dans l'acte final de la conférence de plénipotentiaires des Nations unies sur le statut des réfugiés et des apatrides qui a recommandé aux gouvernements « de prendre les mesures nécessaires pour la protection de la famille du réfugié et en particulier pour assurer le maintien de l'unité de la famille du réfugié, notamment dans le cas où le chef de la famille a réuni les conditions voulues pour son admission dans un pays ».

[3] Voyez l’article 23 relatif au « Maintien de l'unité familiale ».

[4] La loi du 15 décembre 1980 n’y fait pas référence.

[5] Voyez notamment en droit français C.E., 23 févr. 2009, req. no 283246, qui reconnaît le principe, mais juge qu’il doit être écarté dans le cas où la personne qui sollicite sur son fondement le bénéfice du statut de réfugié peut se prévaloir de la protection d'un autre pays dont elle a la nationalité. Il casse l’arrêt des Sections réunies de la Cour nationale du droit d'asile (C.N.D.A., sect. réunies, 27 mai 2005, req. no 454056).

[6] Voyez notamment C.C.E., 24 avril 2012, req. n° 80 071 ; 20 avril 2012, req. n° 79 804 ; 31 mai 2012, req. n° 82 193.

[7] Dans le même sens voyez notamment C.C.E., 10 mai 2012, req. n° 80 985, concluant toutefois au défaut de crainte actuelle.

Publié le 23 juin 2017