C.C.E., 26 août 2013, n°108 583

Louvain-La-Neuve

Le certificat médical comme élément nouveau.

Le C.C.E. considère le certificat médical déposé par le requérant et attestant le stress post-traumatique dont il souffre comme un élément nouveau susceptible de justifier la prise en considération de sa demande d’asile ultérieure.

Art. 32 de la directive procédure – Art. 33, § 2, d), de la refonte de la directive procédure – Art. 51/8 de la loi du 15 décembre 1980 – Demande d’asile ultérieure – Élément nouveau – Certificat médical établissant un état de stress post-traumatique (annulation).

A. Arrêt

Dans sa première demande d’asile, le requérant soudanais prétend avoir fui la Lord Resistance Army de Kony dans laquelle il avait été enrôlé de force en tant qu’enfant-soldat. Considérant son récit non crédible, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (ci-après « C.G.R.A. ») lui refuse la qualité de réfugié ainsi que la protection subsidiaire. Saisi en appel, le Conseil du contentieux des étrangers (ci-après « C.C.E. ») confirme la décision du C.G.R.A[1].

Le requérant introduit ensuite une seconde demande d’asile. Il dépose comme « élément nouveau » un certificat médical attestant le stress post-traumatique dont il souffre. Le certificat mentionne le blocage psychologique dont souffre le requérant, actuellement en thérapie, pour aborder son passé d’enfant soldat[2].

L’Office des étrangers (ci-après l’ « O.E. ») refuse de prendre en considération cette demande d’asile ultérieure. Arguant que des problèmes d’ordre médical ne relèvent pas de la Convention de Genève[3], l’O.E. considère que le certificat déposé par le requérant ne constitue pas un élément nouveau de nature à « augmenter de manière significative la probabilité qu'il puisse prétendre à la reconnaissance comme réfugié »[4] .

Le C.C.E. juge la motivation de l’O.E. insuffisante. Il lui reproche de ne pas avoir envisagé la possibilité que le certificat médical appuie le récit d’asile du requérant, notamment en expliquant les incohérences décelées durant son interview par le C.G.R.A.[5] Pour cette raison, le C.C.E. annule la décision de l’O.E.

B. Éclairage

Dans cet arrêt, le C.C.E. considère un certificat médical attestant la vulnérabilité psychologique d’un demandeur d’asile comme élément nouveau de nature à « augmenter de manière significative la probabilité qu'il puisse prétendre à la reconnaissance comme réfugié »[6]. Ce faisant, le C.C.E. admet indirectement que le stress post-traumatique constitue un élément à prendre en considération dans l’examen d’un récit d’asile. Il rejoint en cela le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du H.C.R., selon lequel la charge de la preuve pesant sur le demandeur d’asile doit tenir compte des troubles mentaux dont il souffre[7]. De même, la Note du H.C.R. sur la charge et le degré de preuve dans la procédure de détermination du statut de réfugié invite les États à prendre en considération l’impact des expériences traumatiques vécues par un demandeur d’asile sur sa capacité à présenter un récit d’asile cohérent[8].

La prise en compte d’un certificat médical en tant qu’élément nouveau attestant la vulnérabilité particulière du demandeur d’asile, et impactant de ce fait l’analyse de crédibilité de son récit, renforce la position adoptée par le C.C.E. dans l’arrêt n° 99380 du 23 mai 2013. Dans cette affaire, objet d’une précédente newsletter de l’EDEM[9], le C.C.E. avait pris en compte le certificat médical attestant les troubles psychologiques dont souffrait le requérant pour considérer son récit d’asile crédible et lui reconnaitre la qualité de réfugié. Une position conforme à la jurisprudence de la Cour eur. D.H., exprimée notamment dans l’arrêt R.J. c. France commenté ci-avant[10].

Le 1er septembre dernier est entrée en vigueur la loi du 8 mai 2013. Par cette loi, le législateur a transféré au C.G.R.A. la compétence de déclarer les demandes d’asile ultérieures irrecevable en cas d’absence d’élément nouveau. Dans un souci déclaré d’améliorer l’efficacité et l’effectivité de la procédure d’asile belge[11], les demandes ultérieures seront désormais filtrées par le C.G.R.A. qui pourra soit les déclarer irrecevables, soit les analyser au fond. L’application de la jurisprudence ici commentée reviendra donc au C.G.R.A.

L.L.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.C.E., 26 août 2013, n° 108 583.

Pour citer cette note : L. LEBOEUF, « Le certificat médical comme élément nouveau. Note sous C.C.E., 26 août 2013, n° 108 583 », Newsletter EDEM, septembre 2013.


[1] C.C.E., 19 mai 2009, n° 27491.

[2] C.C.E., 26 août 2013, n° 108 583, § 3.1.

[3] Ibid., § 1.6.

[4] Art. 51/8, al. 1er, de la loi du 15 décembre 1980.

[5] C.C.E., n° 108 583, op. cit., § 3.3.2.

[6] Art. 51/8, al. 1er, de la loi du 15 décembre 1980.

[7] H.C.R., Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, ré-ed. 1992, §§ 206 et s.

[8] H.C.R., Note on Burden and Standard of Proof in Refugee Claims, 1998, § 9 : « Obviously the applicant has the duty to tell the truth. In saying this though, consideration should also be given to the fact that, due to the applicant’s traumatic experiences, he/she may not speak freely ».

[9] S. SAROLEA, « La prise en compte des attestations psychologiques », Newsletter EDEM, juin 2013.

[10] Cour eur. D. H., 19 septembre 2013, R.J. c. France, req. n° 10466/11. Voy. aussi  Cour eur. D.H., 18 avril 2013, Mo. M. c. France, req. n° 18372/10 commenté par L. LEBOEUF, « Les documents officiels produits par un demandeur d’asile ne peuvent être hâtivement considérés comme non authentiques », Newsletter EDEM, avril 2013 ; Cour eur. D.H., 3 septembre 2013, I. c. Suède, req. n° 61204/09 commenté par M. LYS ci-avant.

[11] Chambre, Doc. Parl. n° 23 2556, 2012-2013, p. 7 : « La mise en place de ce “filtre” au niveau du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides permettra de mieux distinguer les demandes qui comportent des éléments qui renvoient à un besoin de protection de celles qui sont introduites à seule fin d’allonger la procédure. En outre, la répartition parmi deux instances (Office des étrangers et Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides) de la compétence d’examiner les demandes d’asile multiples n’est pas sans inconvénients en termes d’efficacité et d’effectivité. »

Publié le 16 juin 2017