C.C.E., 29 mai 2015, arrêt n° 146816

Louvain-La-Neuve

Réfugiés palestiniens. L’examen des conditions de reconnaissance ipso facto de la qualité de réfugié ne dispense pas de l’examen des critères d’octroi de la protection subsidiaire

Le Conseil du contentieux des étrangers annule une décision d’exclusion du statut de réfugié et de refus de protection subsidiaire à l’égard d’une requérante d’origine palestinienne ayant bénéficié de l’assistance de l’U.N.R.W.A. en Jordanie. L’arrêt d’annulation, sans remettre en cause l’application de l’article 1, D, de la Convention de Genève, repose sur l’évaluation du risque réel d’atteintes graves au sens de l’article 48/4, § 2, a) et b) de la loi du 15 décembre 1980 sur les étrangers. Le Conseil du contentieux des étrangers reproche à la partie défenderesse le refus de la protection subsidiaire à la suite d’une analyse focalisée sur l’absence d’un état personnel d’insécurité grave ayant occasionné la fuite hors de la zone d’action de l’U.N.R.W.A. alors que la requérante allègue des problèmes familiaux ultérieurs à sa fuite.

Art. 1, D, de la Convention de Genève – Art. 12, §1er, a), de la directive qualification – Art. 55/2 de la loi du 15 décembre 1980 – Reconnaissance ipso facto des réfugiés palestiniens – Protection subsidiaire.

A. Arrêt

1. Les Faits

La requérante, d’origine palestinienne, introduit une deuxième demande d’asile après en avoir déposée une première sous une fausse identité et une fausse nationalité. Elle fonde sa nouvelle demande sur les problèmes familiaux avec son mari et les menaces de mort émanant de son demi-frère. Ce dernier avait désapprouvé leur mariage en préférant une union avec l’un de ses amis. Elle appuie sa requête sur plusieurs pièces justificatives notamment le contrat de mariage, l’acte de naissance et les rapports médicaux attestant les violences conjugales.

2. Le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides

Le Commissariat général lui oppose une exclusion du statut de réfugié et un refus de la protection subsidiaire.

Concernant l’exclusion, son examen se base sur l’évaluation de deux conditions d’application de l’article 1, D, de la convention de Genève.

Premièrement, l’examen de la possibilité de retour dans la zone d’action de l’U.N.R.W.A., en l’occurrence la Jordanie, conduit le Commissariat à l’exclure du statut. Cette exclusion découle de l’absence d’indications attestant l’impossibilité pratique de retourner en Jordanie. La détention de deux passeports jordaniens dont l’un en cours de renouvellement à l’ambassade jordanienne confirme cette possibilité de retourner. Or, selon l’actuel consul jordanien en Belgique, toute personne détentrice d’un passeport jordanien valide peut rentrer en Jordanie sans autre formalité.

Deuxièmement, l’absence de raisons indépendantes de la volonté de la requérante ayant occasionnée sa fuite amène le Commissariat à justifier l’application de l’article 1, D. Il relève l’absence de crédibilité dans le récit de la requérante relatif à son mariage. Elle affirme avoir été victime des menaces de mort proférées par son demi-frère à la suite d’un mariage arrangé par les autres membres de sa famille. Pourtant, son avocat relève dans une correspondance adressée au Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides l’opposition des membres de la famille à cette union. Le peu d’empressement à déposer une nouvelle demande d’asile depuis 1997, année de dépôt de la première demande, conforte davantage le manque de crédibilité et conduit le Commissariat à conclure à l’exclusion du statut de réfugié.

S’agissant de la protection subsidiaire, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides constate l’absence de motifs distincts de ceux invoqués dans le cadre de l’examen de l’exclusion du statut de réfugié. Il en déduit un refus d’octroi de la protection subsidiaire au sens de l’article 48/4, § 2, a) et b), de la loi sur les étrangers. L’examen de l’article 48/4, § 2, c), le conduit à constater l’absence de risque réel d’atteintes graves en raison d’une violence aveugle en Jordanie[1].

3. Le Conseil du contentieux des étrangers

Le Conseil reproche à la partie défenderesse l’absence d’un examen individualisé du risque réel au sens de la protection subsidiaire à la suite d’une motivation considérant les motifs invoqués dans le cadre de l’analyse de l’état personnel d’insécurité grave selon l’article 1, D, de la convention de Genève comme impliquant le refus de la protection subsidiaire. Le Conseil considère le défaut de mener un examen distinct, alors que la requérante allègue les conflits familiaux survenus en Belgique, comme une application de l’article 48/4, § 2, a) et b), sans un examen individualisé du risque réel.

L’absence apparente d’examen des conflits familiaux en Belgique et le manque d’informations suffisantes concernant les conflits conjugaux en Jordanie amène le Conseil à annuler la décision du Commissariat pour instructions complémentaires. Selon le Conseil,

« ce volet du problème n’a pas été examiné dans la décision attaquée et il manque des éléments d’information concernant les conflits conjugaux en Jordanie pour évaluer correctement la demande de protection de la requérante »[2].

Le raisonnement du Conseil du contentieux des étrangers repose sur l’effet cumulatif de deux éléments de la demande dont le défaut d’examen ne lui permet pas de confirmer ou de reformer la décision attaquée. Il s’agit, d’une part, des problèmes familiaux attestés par les certificats médicaux et, d’autre part, de la situation peu favorable des femmes victimes des conflits conjugaux en Jordanie[3] documentée par un rapport du Département d’Etat des Etats- Unis d’Amérique.

B. Éclairage

L’arrêt du Conseil du contentieux des étrangers illustre une jurisprudence bien établie depuis l’arrêt El kott de la Cour de justice de l’Union européenne[4]. L’exclusion du statut de réfugié n’entraine pas le refus de la protection subsidiaire dont les causes d’exclusion sont prévues à l’article 17 de la directive qualification[5].

Dans l’affaire El Kott, la Cour de justice de l’Union européenne juge que le réfugié palestinien qui a quitté la zone d’action de l’U.N.R.W.A. en raison d’un « état personnel d’insécurité grave », sans qu’il puisse y trouver une protection, bénéficie de la reconnaissance ipso facto de la qualité de réfugié consacrée par l’article 1, D, de la convention de Genève[6]. Selon le HCR, un tel état implique des menaces pour la vie, la sécurité physique ou d’autres raisons sérieuses liées à un manque de protection[7]. Le Conseil du contentieux des étrangers le distingue par ailleurs des difficultés socio-économiques pouvant occasionner le départ de la région d’origine[8]. Le HCR et le Conseil du contentieux des étrangers estiment que doit également bénéficier de la reconnaissance ipso facto, le réfugié palestinien confronté à une impossibilité pratique de retourner dans la zone d’action de l’U.N.R.W.A[9].

L’analyse de la demande d’un requérant palestinien enregistré à l’U.N.R.W.A. dispense les instances d’asile de la mener sous l’angle de l’article 1, A, de la Convention de Genève en raison de la qualité de réfugié détenue par celui-ci[10]. Cette analyse prend également en compte le risque réel d’atteintes graves par le biais de l’examen des conditions d’application de l’article 1, D, précisément de l’état personnel d’insécurité grave. Ce dernier correspond aux risques de subir la persécution et les atteintes graves selon le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides[11].

Toutefois, la dispense de l’examen de la demande sous l’angle de l’article 1, A, et la prise en compte du risque réel lors de l’examen de l’état personnel d’insécurité grave n’empêchent pas une analyse distincte du risque réel au regard de la protection subsidiaire, à moins de méconnaitre l’existence de deux régimes distincts de protection consacrés dans la directive qualification (Protection subsidiaire et Genève). Dans l’arrêt objet du présent commentaire, le Conseil reproche à la partie défenderesse de ne pas distinguer l’examen du risque réel au sens de la protection subsidiaire, qui est futur, de celui de l’état personnel d’insécurité grave selon l’article 1, D de la convention de Genève, qui est passé. Or, la requérante invoque, en plus de raisons ayant justifiées son départ, les conflits familiaux avec son mari et les discriminations dont sont victimes les Palestiniens en Jordanie. L’arrêt sous examen ne remet pas en cause l’évaluation de l’article 1, D, de la Convention de Genève dont l’application n’est pas directement contestée par la requérante. Il concerne plutôt l’interprétation de l’article 48/4, § 2, a) et b), focalisée sur les raisons ayant justifiées le départ de la zone d’action sans un examen individualisé du risque engendré par les conflits familiaux survenus en Belgique.

En annulant la décision du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides pour instructions complémentaires orientées vers les conflits familiaux et la situation des femmes en Jordanie, le Conseil du contentieux saisit à juste titre la difficulté des instances d’asile de passer de l’examen de l’exclusion du statut de réfugié à celui de la protection subsidiaire.

T.M.

C. Pour en savoir plus

Lire l’arrêt :

C.C.E., 29 mai 2015, arrêt n°146 816

Jurisprudence :

C.J.U.E., 17 juin 2010, Bolbol, aff. C-31/09, EU:C:2010:351 ;

C.J.U.E., 19 décembre 2012, El Kott, C364/11, EU:C:2012:826.

Doctrine :

Claes M., « Niet-erkende beschermingsnood van Palestijnse vluchtelingen uit Libanon: de toepassing van artikel 1D Vluchtelingenverdrag in de Belgische asielprocedure », T.Vreemd., 2014, p. 52 ;

H.C.R., « Note on UNHCR’s Interpretation of Article 1D of the 1951 Convention relating to the Status of Refugees and Article 12(1)(a) of the EU Qualification Directive in the context of Palestinian refugees seeking international protection », 2013 ;

SAROLEA S. (Dir.), LEBOEUF L., La réception du droit européen de l’asile : la directive qualification, Louvain-la-Neuve, 2014 ;

TSOURDI L., « Réfugiés palestiniens et directive 2004/83/CE dite "qualification" : interprétation des notions de la cessation de la protection ou de l’assistance d’UNRWA "pour quelque raison que ce soit" et du pouvoir de se prévaloir "ipso facto" de la Directive qualification », Newsletter EDEM, janvier 2013.

Pour citer cette note : T. Maheshe, « Réfugiés palestiniens. L’examen des conditions de reconnaissance ipso facto de la qualité de réfugié ne dispense pas de l’examen des critères d’octroi de la protection subsidiaire», Newsletter EDEM, août 2015.


[1] Pour l’exposé de la décision du C.G.R.A, voy. C.C.E., 29 mai 2015, arrêt n°146 816, point 1.

[2] C. C. E., op. cit., point 3. 4.

[3] Idem, point 3.4, p. 6.

[4] Sur la jurisprudence du C.C.E., voy. S. Saroléa (Dir.), L. Leboeuf, La réception du droit européen de l’asile : la directive qualification, Louvain-la-Neuve, 2014, pp. 124-27.

[6] C.J.U.E., op. cit., par. 63 à 65.

[7] H.C.R., « Note on UNHCR’s Interpretation of Article 1D of the 1951 Convention relating to the Status of Refugees and Article 12(1)(a) of the EU Qualification Directive in the context of Palestinian refugees seeking international protection », 2013, p. 5.

[8] Voy. S. Saroléa (Dir.), L. Leboeuf, op. cit., p. 126.

[9] C.C.E. (3 Juges), 29 janvier 2010, n° 37. 912 ; H.C.R., op. cit., p. 5.

[10] C.C.E., 27 mai 2013, arrêt n°103. 509, R.D.E., 2013, n°174, p. 470.

[11] Voy. S. Saroléa (Dir.), L. Leboeuf, op. cit., p. 126.

Publié le 13 juin 2017