C.C.E., 30 mars 2017, n° 184749

Louvain-La-Neuve

Article 9ter : la disponibilité effective du traitement nécessaire.

Le Conseil du contentieux des étrangers annule la décision de l’Office des étrangers déclarant non fondée la demande d’autorisation de séjour sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 (séjour médical). Il remet en cause la motivation relative à la disponibilité effective du traitement médicamenteux en Guinée en se référant à la formulation d’un document de l’OMS qui indiquerait, selon lui, que la disponibilité des médicaments serait un objectif à atteindre plutôt qu’une réalité.

Séjour médical – loi du 15 décembre 1980 – article 9ter – motivation formelle – disponibilité effective du traitement – annulation.

A. Arrêt

Le requérant est un ressortissant guinéen. Il est arrivé en Belgique en novembre 2010 et a introduit une demande d’asile, laquelle s’est clôturée négativement par une décision de refus du Conseil du contentieux des étrangers (28 décembre 2012, n° 94 485). Il a également introduit une demande d’autorisation de séjour en application de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, en mai 2011. Un an plus tard, l’Office des étrangers a pris à son égard une décision déclarant la demande non fondée mais l’a retirée et a autorisé le requérant au séjour temporaire, en juin 2012.

En mars 2013, le requérant a introduit une nouvelle demande d’asile, à nouveau rejetée par le Conseil du contentieux des étrangers (15 octobre 2013, n° 111 969). Dans le même temps, en juin 2013, il a introduit une demande de prorogation de son titre de séjour sur la base de l’article 9ter. L’Office des étrangers a, en date du 14 novembre 2013, pris une décision de refus assortie d’un ordre de quitter le territoire.

En février 2015, le requérant a introduit une nouvelle demande d’autorisation de séjour sur la base de l’article 9ter. L’Office des étrangers l’a déclarée non fondée en juin 2016 au motif que le rapport du médecin conseil indiquait que l’ensemble de traitements médicaux et suivi nécessaires étaient disponibles et accessibles dans le pays d’origine, que l’état de santé du requérant ne l’empêchait pas de voyager et qu’il n’y avait pas, d’un point de vue médical, de contre-indication à un retour. Il s’agit de la décision attaquée.

Dans son recours en annulation, le requérant allègue un manquement dans le chef de l’Office des étrangers à son obligation de motivation formelle. Il estime notamment que « [l]a décision renvoie vers des sites divers, sans que ne soient cités des passages pertinents qui confirmeraient les motifs de la décision ; une simple référence à des sites internet sans que le passage pertinent ne soit cité et reproduit ne peut constituer une motivation adéquate ». Il ajoute que pour établir la disponibilité du suivi médicamenteux nécessaire, l’Office ne s’est fondé que sur deux sites Internet ainsi que sur la « liste des médicaments essentiels en Guinée » de 2012. Quant à ce dernier document, le requérant estime qu’il n’en ressort pas clairement que les médicaments nécessaires sont effectivement disponibles en Guinée.

Le Conseil du contentieux des étrangers rejoint ce grief, en ce qu’il reproche au médecin conseil de s’être fondé sur la liste des médicaments essentiels en Guinée pour un médicament en particulier (Aciclovir), nécessaire afin de soigner la pathologie du requérant. Il souligne que « si ladite liste contient plusieurs pages consistant en des tableaux énumérant des médicaments, leur dosage ainsi que leur forme pharmaceutique, force est de constater qu’il ne ressort nullement de cette liste que ces médicaments qualifiés d’"essentiels" par le Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique de la République de Guinée, soient effectivement disponibles dans le pays » (pt 3.2).

Par conséquent, le Conseil considère que cette liste ne rend nullement compte de la disponibilité réelle des médicaments y figurant en Guinée. Il précise que l’Office des étrangers s’est également référé à un document de l’OMS de 2002 intitulé « La sélection des médicaments essentiels », lequel indique que « [l]es médicaments essentiels ont pour but d’être disponibles à tout moment dans le cadre de systèmes de santé fonctionnels, en qualité suffisante, sous une forme appropriée, avec une qualité assurée, accompagnés d’une information adéquate et à un prix accessible pour les individus et les communautés ». Toutefois, selon le Conseil, il ressort de la formulation de ce document (« ont pour but ») que la disponibilité des médicaments essentiels semble n’être qu’un objectif à atteindre. Il ne peut donc déduire de ce document la disponibilité effective des médicaments de la liste, d’autant plus que le requérant « a notamment fait valoir […] que "le pays ne dispose pas de ressources suffisantes pour assurer les coûts récurrents des infrastructures sanitaires et l’approvisionnement en médicaments", en se fondant sur un document issu du site de l’OMS ».

Le Conseil conclut que le médecin conseil n’a fourni aucune garantie que le médicament requis (Aciclovir) soit effectivement disponible au requérant à son retour en Guinée et que ce faisant, l’Office des étrangers a manqué à son obligatoire de motivation formelle

B. Éclairage

Selon l’article 9ter, § 1er, al. 1er, de la loi du 15 décembre 1980, l’étranger qui peut solliciter une autorisation de séjour pour raisons médicales est celui qui « souffre d’une maladie telle qu’elle entraine un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine ». Deux conditions à l’inclusion s’en dégagent : la gravité de la maladie et l’absence d’un traitement adéquat dans le pays d’origine.

L’arrêt commenté ne revient pas sur le niveau de gravité requis (qui semble aujourd’hui être en théorie fixé[1]). Il porte sur le contenu du traitement adéquat et contient des indications qui, si elles ne sont pas nouvelles, méritent d’être soulignées. Le cœur du raisonnement du Conseil du contentieux des étrangers concerne la disponibilité du traitement médicamenteux nécessaire au requérant.

Il est largement admis que l'adéquation du traitement doit s'entendre à la fois de la distribution possible du médicament ou de la possibilité de suivre un traitement et les examens qui l'accompagnent, et de la possibilité concrète pour le malade d'en bénéficier compte tenu de critères financiers, d'éloignement, etc.[2]. Dans l’arrêt commenté, le Conseil insiste sur la disponibilité effective du traitement. Il interprète un document officiel (la liste des médicaments essentiels établie par le Ministère de la Santé et de l’Hygiène Publique de la République de Guinée) à la lumière d’un document de l’OMS et en déduit que la formulation n’assure pas que le traitement soit effectivement disponible. L’OMS dispose, dans son document de 2002 joint au dossier administratif, que « les médicaments essentiels ont pour but d’être disponibles ». Et le Conseil d’en déduire que « la disponibilité des médicaments essentiels semble n’être qu’un objectif à atteindre ». Une telle argumentation a le mérite d’être concrète et précise et, pour le coup, de vérifier effectivement la disponibilité du traitement. Ce n’est pas parce qu’un document officiel ou un site Internet comprend une énumération de médicaments ou de professionnels de la santé que le traitement nécessaire peut être considéré comme disponible[3]. Il s’agit d’une jurisprudence constante du Conseil qui mérite d’être rappelée en ce qu’elle rencontre au mieux les objectifs de la loi et ce qui sous-tend le critère de la disponibilité.

Plus largement, la décision commentée engage une réflexion sur l’introduction – presque – simultanée par un étranger de demandes d’autorisation de séjour de différentes natures. En l’espèce, le requérant a introduit une première demande d’asile, dès son arrivée en Belgique, et une seconde, avant même de demander la prorogation de son titre de séjour sur la base de l’article 9ter. Est-ce à dire que le refus des demandes d’asile, basées sur un risque de persécution en raison de l’homosexualité, a entrainé l’introduction de demandes de séjour pour raisons médicales ? Ou que l’intéressé n’était pas suffisamment informé (ou correctement dirigé) à son arrivée sur les possibilités disponibles eu égard à sa situation personnelle ? Au vu de la différence substantielle entre une demande d’asile fondée sur l’orientation sexuelle et une demande de séjour médical, on peut se poser la question, d’autant plus que la gravité de sa maladie n’a pas été questionnée (l’Office ayant même retiré sa première décision déclarant non fondée la demande 9ter en raison des problèmes de santé du requérant).

À cette première piste de réflexion, s’ajoute une seconde : celle de l’impact sur les parcours de vie de la longueur des procédures. Entre l’arrivée du requérant, en novembre 2010, et la décision commentée, sept ans se sont écoulés. Une durée relativement importante, pendant laquelle il a pu nouer des relations affectives et sociales, et se construire un cadre et des conditions de vie, bien que dans une insécurité juridique permanente.

H.G.

C. Pour aller plus loin

Pour consulter l’arrêt :

CCE, 30 mars 2017, n° 184 749.

Jurisprudence:

- CCE, 28 décembre 2012, n° 94 485 ;

- CCE, 15 octobre 2013, n° 111 969

Pour citer cette note : H. Gribomont, « Article 9ter : la disponibilité effective du traitement nécessaire », Cahiers de l’EDEM, août 2017.

 


[1] Voy. not. J.-Y. Carlier et S. Sarolea, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, pp. 507-512.

[2] Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 2005-2006, n° 51-2478/001, p. 35 et 137. Voy. p. e. CCE, 19 juillet 2012, n° 84 888 ; 30 janvier 2014, n° 117 951 ; 29 mai 2015, n° 146 669 ; 5 juillet 2016, n° 171 260.

Publié le 01 septembre 2017