C.C.E., arrêt n° 92.462 du 29 novembre 2012

Louvain-La-Neuve

Des informations générales n’individualisent pas le risque de persécution lorsque le récit du demandeur relatif à des persécutions passées n’est pas crédible.

Non crédible quant aux persécutions qu’elle aurait subies avant sa fuite, la requérante pakistanaise de confession chrétienne n’établit pas in concreto sa crainte fondée de persécutions. Elle ne peut dès lors invoquer utilement des informations générales sur son pays d’origine.

Art. 4 Directive 2011/95/UE dite « qualification » - persécution religieuse - informations générales - établissement in concreto du risque de persécution (rejet)

A. Arrêt

La requérante, membre d’une famille de ressortissants pakistanais de confession chrétienne, sollicite du Conseil du contentieux des étrangers (ci-après le « C.C.E. ») la réformation de la décision de rejet de sa demande d’asile adoptée par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (ci-après le « C.G.R.A. »).

La décision du C.G.R.A. repose sur les incohérences émaillant le récit de la requérante, qui contredit celui des autres membres de sa famille quant aux persécutions prétendument subies en raison de leur foi chrétienne. Soulignant que la requérante ne dépose aucun document d’identité, sans pour autant remettre en cause son origine pakistanaise, le C.G.R.A. juge non crédibles les faits invoqués pour étayer sa demande d’asile. 

Dans un premier arrêt, le C.C.E. avait rejeté le recours au motif que ni la requérante ni son avocat ne s’étaient présentés à l’audience[1]. Constatant que cette absence était due à une erreur de la Poste dans la remise de la convocation, le Conseil d’État annule l’arrêt du C.C.E.[2]. Celui-ci, siégeant à trois juges par application de l’article 39/10, 2°, de la loi du 15 décembre 1980, est amené à connaitre pour la première fois du fond du recours dans un l’arrêt commenté.

La requérante dépose différents documents établissant la réalité de sa foi chrétienne, par ailleurs non remise en cause par le C.G.R.A., et mentionnant les persécutions généralement subies par les chrétiens au Pakistan. Elle tente également d’expliquer les incohérences de son récit.

Le C.C.E. siégeant à trois juges n’est pas convaincu par les explications fournies par la requérante[3]. Au vu des incohérences de son récit, il considère les documents relatifs aux persécutions généralement subies par les chrétiens pakistanais comme inutiles (« niet dienstig »). Le manque de crédibilité de la requérante implique qu’elle n’établit pas le risque de persécutions in concreto[4].

B. L’éclairage

L’analyse du C.C.E. porte exclusivement sur la réalité des persécutions passées alléguées par la requérante. Les trois juges considèrent ses allégations non crédibles, et écartent en conséquence les informations générales relatives à la situation vécue par les chrétiens au Pakistan. Faute d’avoir été persécutée par le passé, la requérante ne démontre pas in concreto risquer les mauvais traitements mentionnés dans ces rapports généraux.

Or, comme le note le Haut-commissariat pour les réfugiés des Nations-Unies (« H.C.R. ») dans son Guide, « le sort subi par des parents ou des amis ou par d'autres membres du même groupe racial ou social peut attester que la crainte du demandeur d'être lui-même tôt ou tard victime de persécutions est fondée »[5]. L’existence de persécutions passées, si elle permet de présumer que la crainte de subir des persécutions futures est fondée[6], ne conditionne pas la reconnaissance du statut de réfugié.

Ainsi, dans l’arrêt Y. et Z., étonnamment considéré par le C.C.E. comme non pertinent au motif qu’il concerne des demandeurs d’asile pakistanais ahmadistes et non chrétiens[7], la Cour de justice de l’Union européenne rappelle l’obligation des États d’évaluer le risque concret de persécutions « avec vigilance et prudence »[8] conformément à l’article 4 de la directive « qualification ». Cet article enjoint, entres autres, la prise en compte de « tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande »[9].  

Ces règles constituent autant d’expression du principe général d’évaluation prospective de la crainte fondée de persécution[10]. En ignorant les informations générales invoquées par le demandeur d’asile au motif que ses allégations de persécutions passées ne sont pas crédibles, le C.C.E. applique un test d’individualisation tellement sévère qu’il parait occulter l’évaluation du risque futur de persécution. L’application de ce test au contentieux de l’annulation des décisions de renvois « Dublin » avait pourtant été condamnée par l’arrêt M.S.S. de la Cour européenne des droits de l’homme comme contraire au droit à un recours effectif combiné à l’article 3 CEDH[11]. La pertinence des informations générales au regard de la situation personnelle de la requérante aurait dû être analysée.

L’arrêt commenté, en se focalisant sur l’analyse de crédibilité du demandeur d’asile quant à des persécutions subies par le passé, manque le but premier de l’examen d’une demande d’asile : s’assurer de l’absence objective de risque de persécutions futures compte tenu de l’ensemble des informations disponibles. Ce faisant, il transforme la présomption positive de recevabilité d’une demande d’asile en cas de persécutions passées en un motif de rejet de cette demande.

                                                                                                                                                               L.L.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.C.E., arrêt n° 92.462 du 29 novembre 2012.

Pour citer cette note : L. LEBOEUF, « Des informations générales n’individualisent pas le risque de persécution lorsque le récit du demandeur relatif à des persécutions passées n’est pas crédible », Newsletter EDEM, janvier 2013.


[1] C.C.E., arrêt n° 64.107 du 28 juin 2011.

[4] Ibidem, § 2.3.

[5] H.C.R., Guide des procédures et critères pour déterminer la qualité de réfugié, 1979 (ré-ed. 1992), § 43. Voy. aussi le § 45 : « la crainte d'être persécuté n'est pas censée être réservée aux personnes qui ont déjà été persécutées; elle peut être également le fait de celles qui veulent éviter de se trouver dans une situation où elles pourraient l'être ».

[6] Lorsque le demandeur d’asile établit avoir été victime de persécutions par le passé, il revient à l’administration d’avancer de « bonnes raisons de croire » que cette persécution passée ne se reproduira pas pour rejeter la demande d’asile (Art. 4, § 4, directive 2011/95/UE dite « qualification » transposé par l’art. 57/7bis de la loi du 15 décembre 1980).

[7] C.C.E., arrêt n° 92.462 précité, § 2.4.

[9] Art. 4, § 3, a), de la directive 2011/95/UE dite « qualification ». Parmi les dispositions de la directive qualification non transposées en droit belge, celles qui sont favorables au demandeur d’asile bénéficient de l’effet direct (voy. S. VAN RAEPENBUSCH, Droit institutionnel de l’Union européenne, 2010, p. 486).

[10] G. GOODWIN-GILL et J. MCADAM, The Refugee in International Law, 3rd ed., Oxford, OUP, 2007, p. 92.

[11] Cour eur. D.H., 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, req. n° 30696/09, §§ 150, 374, 394.

Publié le 21 juin 2017