C.C.E., arrêts nos 195 323 et 197 537 respectivement du 23 novembre 2017 et du 8 janvier 2018

Louvain-La-Neuve

Quand une demande d’asile engendre un risque de persécution dans le pays d’origine.

Dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, le Conseil du Contentieux des étrangers reconnaît le statut de réfugié à deux ressortissants burundais. En dépit de l’absence de crédibilité dans le chef des requérants, il déduit la crainte de persécution à partir du dépôt de la demande de protection internationale en Belgique. Pour évaluer leur demande d’asile, le Conseil suit les lignes directrices de la Cour de Strasbourg. Selon ces lignes, les autorités nationales ne peuvent pas ignorer les éléments de preuve objectifs découlant des rapports émanant d’organes relevant des Nations Unies, d’O.N.G. ou de services gouvernementaux. Appliquées aux cas d’espèce, le Conseil reproche à la partie défenderesse d’avoir ignoré la situation générale dans le pays d’origine alors qu’elle est attestée par différents éléments de preuve objectifs.

Art. 1er, section A, § 2, Convention de Genève de 1951 — Art. 48/3, § 5, Loi du 15 décembre 1980 — Réfugié sur place - Opinions politiques imputées.

 

A. Arrêt

Les requérants sont originaires du Burundi. Ils sollicitent la protection internationale en Belgique pour plusieurs raisons.

Dans l’affaire n° 195 323, le requérant se plaint d’être persécuté pour deux motifs. D’un côté, il invoque des craintes de persécution du fait de son homosexualité. De l’autre, il allègue de nouvelles craintes de persécution liées à son affiliation au Parti d’opposition Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD). À l’appui de sa requête, il dépose plusieurs pièces parmi lesquelles une attestation de l’association burundaise AREVIE, un avis de recherche, les rapports émanant d’organes indépendants sur le Burundi, etc.

Dans l’affaire n° 197 537, le requérant sollicite la protection de la Belgique pour plusieurs raisons. D’abord, il craint les autorités burundaises en raison de son séjour dans plusieurs pays européens ou il aurait pu dénoncer, dans le cadre de sa demande d’asile, les crimes commis par les membres du parti au pouvoir (CNDD-FDD). Ensuite, il invoque ses origines ethniques tutsies. Enfin, il dit craindre des persécutions en raison de sa condamnation en Suède pour tentative de viol à la suite de la publication de son cas sur internet.

Après avoir relevé l’absence de crédibilité dans les déclarations des requérants, confirmant en cela l’analyse de la partie défenderesse, le Conseil du contentieux des étrangers leur reconnait la qualité des réfugiés. Il considère que le seul fait pour les requérants d’avoir quitté leur pays pour la Belgique, où ils ont introduit une demande d’asile, suffit pour établir l’existence d’une crainte de persécution au sens de l’article 48/3 de la loi du 15 décembre 1980 (§ 6.15 de l’arrêt n° 195 323 et § 6.15 de l’arrêt n° 197 537). Le Conseil du contentieux des étrangers évalue la crainte de persécution à partir de trois éléments objectifs, à savoir le durcissement du régime, la détérioration des relations entre le Burundi et la Belgique ainsi que la problématique des réfugiés burundais en général.

S’agissant du durcissement du régime, le Conseil relève une série d’éléments démontrant la radicalisation du régime burundais (§ 6,9 des arrêts n° 195 323 et n° 197 537). Il s’agit de: un rapport des Nations Unies sur les droits humains accablant pour le régime; la suspension de la coopération avec le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies; la sortie du Burundi de la Cour pénale internationale; la suspension de cinq organisations burundaises, etc.

Concernant la détérioration des relations entre le Burundi et la Belgique, le Conseil constate que les autorités ont pris une série des mesures et formulés des déclarations touchant directement la Belgique et ses ressortissants. Outre les déclarations hostiles à l’égard Belgique, les autorités burundaises ont décidé de retirer l’agrément de l’ambassadeur de Belgique au Burundi. En outre, ils procèdent à des perquisitions dans des appartements résidentiels occupés principalement par des ressortissants belges (§ 6,10 des arrêts n° 195 323 et n° 197 537).

Au sujet de la problématique des réfugiés burundais en général, le Conseil distingue deux catégories des ressortissants. D’une part, les réfugiés burundais dans les pays voisins font l’objet d’infiltration de services gouvernementaux dans leurs camps. Par ailleurs, ceux qui rentrent au Burundi courent un risque élevé d’être interpellés et placés en détention, car soupçonnés de vouloir rejoindre un groupe rebelle. D’autre part, les ressortissants burundais ayant séjourné en Europe, et particulièrement, en Belgique sont soupçonnés d’avoir de la sympathie envers l’opposition. Face à de tels soupçons, le Conseil reproche à la partie défenderesse de n’avoir pas démontré que les requérants pourraient échapper à un tel climat de suspicion.

B. Éclairage

Le raisonnement du Conseil soulève quelques commentaires relatifs aux critères d’évaluation des activités politiques sur place. Selon cette instance, la crainte que suscite le dépôt d’une demande d’asile en Belgique par les ressortissants burundais se rattache au critère relatif aux opinions politiques imputées par les autorités du pays d’origine. Par ce raisonnement, le Conseil du contentieux des étrangers considère le dépôt d’une demande d’asile comme pouvant engendrer les craintes de persécution au regard de la situation dans le pays d’origine. Se plaçant au moment de la décision, le Conseil prend en compte des éléments nouveaux intervenus depuis le départ des requérants. C’est la notion de réfugié « sur place »[1], définie par l’article 5 de la directive dite « qualification », lequel distingue, d’une part, les motifs objectifs de craintes postérieurs à la fuite et, d’autre part, les motifs subjectifs propres à la personne[2].

Concernant les motifs propres à la personne, la jurisprudence a développé des critères d’évaluation des activités politiques. Deux critères émergent dans la jurisprudence du Conseil, à savoir la continuité et l’intensité des activités politiques sur place[3]. Quatre facteurs d’évaluations ont été élaborés par la Cour européenne des droits de l’homme parmi lesquels : (1) l’éventuel intérêt par le passé du pays d’origine sur les activités politiques du requérant; (2) l’appartenance à une organisation d’opposition ciblée par le gouvernement; (3) la nature de l’engagement politique sur place (manifestations publiques ou activités sur internet) ; (4) les liens personnels et familiaux avec les opposants[4]. Dans les arrêts, objet du présent commentaire, le Conseil du contentieux des étrangers ne procède pas à l’évaluation de la crainte de persécution au regard de tels critères. L’absence de crédibilité dans le chef des requérants le conduit à ne pas considérer les motifs subjectifs de crainte et, par conséquent, à se satisfaire des facteurs objectifs.

S’agissant des motifs objectifs de craintes postérieurs à la fuite, il est requis de procéder à un examen rigoureux de la situation prévalant dans le pays d’origine. À cet effet, le Conseil du contentieux des étrangers se fonde sur les rapports émanant d’organes relevant des Nations Unies, d’O.N.G. ou de services gouvernementaux. Il en déduit diverses constatations que sont le durcissement du régime burundais, la détérioration des relations entre le Burundi et la Belgique ainsi que la problématique des réfugiés burundais en général (§ 6,8 des arrêts n° 195 323 et n° 197 537). Sur base de ces constations, le Conseil du contentieux des étrangers reconnait la qualité de réfugié au seul motif que les requérants ont déposé leur demande d’asile en Belgique. Cela n’implique pas pour autant que cette qualité doit être reconnue ipso facto à tout demandeur d’origine burundaise. Tout dépend de circonstances de l’espèce. Dans une tout autre hypothèse relative à la criminalisation de la fuite dans le pays d’origine (Ouzbékistan), le Conseil du contentieux des étrangers ne procède pas à la reconnaissance ipso facto du statut de réfugié aux demandeurs d’origine ouzbèkes[5] en dépit de l’existence du risque de poursuite pénale.

Ces arrêts traduisent la difficulté de procéder au partage de la charge de la preuve entre les requérants et les instances d’asile. Les autorités nationales ne peuvent pas ignorer les circonstances générales dans le pays d’origine attestées par les rapports émanant des Nations Unies, d’ONG, et des services gouvernementaux. Dans ces deux arrêts, le Conseil suit la jurisprudence strasbourgeoise en accordant un poids particulier à ces rapports en raison de leur autorité, la réputation des auteurs, du sérieux des enquêtes à leur origine, etc[6].

T.M.

C. Pour en savoir plus

Jurisprudence

C.C.E., arrêt n° 195 323 du 23 novembre 2017 ;

C.C.E., arrêt n° 197 537 du 8 janvier 2018.

Doctrine

CARLIER, J-Y, Droit d’asile et des réfugiés – De la protection aux droits, R.C.A.D.I., La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, 2008 ;

LEBOEUF, L. et SAROLEA, S. (dir.), La réception du droit européen de l’asile en droit belge : la directive qualification, Louvain-la-Neuve, U.C.L-CeDie, 2014 ;

MAHESHE, T., « Activités politiques sur place et risque de violation de l’article 3 CEDH : évaluation de la sincérité du requérant par la Cour européenne des droits de l’homme », Newsletter EDEM, juin 2017.

Pour citer cette note : T. Maheshe, « Quand une demande d’asile engendre un risque de persécution dans le pays d’origine », note sous C.C.E., arrêts nos 195 323 et 197 537 respectivement du 23 novembre 2017 et du 8 janvier 2018 », Cahiers de l’EDEM, février 2018.

 


[1] J-Y Carlier, Droit d’asile et des réfugiés – De la protection aux droits, R.C.A.D.I., La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, 2008, p. 222.

[2] Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, J.O.U.E., L. 337, 20 décembre 2011, p. 9.

[3] Sur la jurisprudence du C.C.E., voy. L. Leboeuf et S. Saroléa (dir.), La réception du droit européen de l’asile en droit belge : la directive qualification, Louvain-la-Neuve, U.C.L-CeDie, 2014, p. 31 et s.

[4] Cour eur. D. H., N.A. c. Suisse, arrêt du 30 mai 2017, req. n° 50564/14 ; Cour eur. D. H., A.I. c. Suisse, arrêt du 30 mai 2017, req. 23378/15 ; voy. aussi T. Maheshe, « Activités politiques sur place et risque de violation de l’article 3 CEDH : évaluation de la sincérité du requérant par la Cour européenne des droits de l’homme », Newsletter EDEM, juin 2017.

[5] Sur la jurisprudence du C.C.E., voy. L. Leboeuf et S. Saroléa (dir.), op. cit., p. 32.

[6] Sur cette jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, voy. L. Leboeuf, Le droit européen de l’asile au défi de la confiance mutuelle, Limal, Anthemis, 2016, p. 352 et s.

Photo : Rudi Jacobs, cce-rvv

Publié le 28 février 2018