C.E., arrêt n° 221.166 du 24 octobre 2012

Louvain-La-Neuve

Un passeport périmé établit à suffisance l’identité du demandeur d’un titre de séjour « 9ter ».

Le dépôt d’un passeport dont l’authenticité n’est pas remise en cause établit à suffisance l’identité du demandeur d’un titre de séjour pour raisons médicales, même si sa date de validité est dépassée.

Article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 – Article 48/4 de la loi du 15 décembre 1980 – Article 15 de la directive 2011/95/UE « qualification » - Article 4 de la directive 2011/95/UE « qualification » – séjour pour raisons médicales – protection subsidiaire – passeport périmé admis par le C.C.E. (rejet du recours en cassation)

A. Larrêt

L’Office des étrangers (O.E.) introduit devant le Conseil d’Etat (C.E.) un recours en cassation contre l’arrêt n° 71152 rendu le 30 novembre 2011 par le Conseil du contentieux des étrangers (C.C.E.). Par cet arrêt, le C.C.E. annule la décision d’irrecevabilité d’une demande de titre de séjour pour raisons médicales (demande « 9ter ») adoptée par l’O.E. à l’encontre de ressortissants arméniens dont le passeport a expiré.

Le raisonnement de l’O.E. repose sur une distinction entre les éléments constitutifs de l’identité d’un individu qui ne peuvent changer, d’une part, et ceux susceptibles d’évoluer, d’autre part[1]. L’article 9ter, § 2, 1°, de la loi du 15 décembre 1980 requiert la production d’un document établissant « le nom complet, le lieu et la date de naissance et la nationalité » du demandeur d’un titre de séjour sur cette base. Si un passeport périmé permet d’établir les trois premiers éléments de l’identité du demandeur, il ne suffit pas selon l’O.E. à prouver la nationalité qui peut avoir été modifiée depuis.

Tout en reconnaissant que la nationalité du demandeur forme une part inhérente de son identité, et doit être établie pour qu’une demande 9ter soit recevable, le C.C.E. considère que le dépôt d’un passeport périmé suffit à renverser la charge de prouver cette nationalité. En l’espèce, « aucun élément susceptible de générer des doutes quant à l’actualité de la possession de la nationalité arménienne par les requérants n’apparait du dossier administratif et de la note des défendeurs »[2]. Le passeport périmé permet d’établir la nationalité des requérants jusqu’à preuve du contraire.

Le C.E. confirme le raisonnement du juge du fond. Il se réfère pour cela aux travaux préparatoires de la loi modifiant l’article 9ter afin de répondre aux critiques de la Cour constitutionnelle, où le législateur envisage explicitement la preuve de l’identité d’un demandeur à l’aide d’un passeport périmé[3]. Le raisonnement de l’O.E. reposant sur une distinction entre les éléments fixes et évolutifs de l’identité d’un individu est rejeté.

B. L’éclairage

Tant le C.E. que le C.C.E. fondent leur raisonnement en droit belge. Le C.C.E. rappelle l’arrêt de la Cour constitutionnelle n° 193/2009 du 26 novembre 2009. En l’espèce, la Cour jugea discriminatoire l’exigence imposée aux demandeurs d’un titre de séjour pour raisons médicales « 9ter » de fournir un document d’identité, alors que ceux qui invoquent d’autres traitements inhumains et dégradants sur base de l’article 48/4 de la loi du 15 décembre 1980 peuvent établir autrement leur identité[4]. Le C.E. se réfère quant à lui aux travaux préparatoires de la loi modifiant l’article 9ter pour admettre l’établissement de l’identité d’un demandeur à l’aide d’un passeport périmé.

Cette solution tirée de l’intention du législateur permet d’assurer la cohérence du droit belge avec le droit de l’Union européenne. L’article 15 de la directive 2011/95/UE « qualification » enjoint les États d’octroyer la protection subsidiaire face à tout risque réel de traitements inhumains et dégradants[5]. L’origine médicale ou non de ce risque importe peu. L’article 4 de la même directive consacre le principe d’une charge de la preuve partagée en ce qui concerne l’établissement de l’identité du demandeur : un passeport même périmé doit être admis au titre de début de preuve.

Comme le reconnait la Cour constitutionnelle dans l’arrêt n° 95/2008 du 26 juin 2008, l’article 9ter organise une « procédure parallèle »[6] à la protection subsidiaire consacrée par l’article 15 de la directive 2011/95/UE transposé par l’article 48/4 de la loi du 15 décembre 1980. Puisque « le refus d’un titre de séjour sur la base de l’article 9ter de la loi relative aux étrangers ne signifie pas nécessairement que l’étranger ne puisse bénéficier de la protection subsidiaire »[7], les détenteurs d’un passeport périmé confrontés à une décision d’irrecevabilité de leur demande 9ter pour des motifs formels pourraient solliciter la protection subsidiaire sur base de l’article 48/4.

Cela contreviendrait à la volonté du législateur belge, validée par la Cour constitutionnelle dans l’arrêt n° 95/2008[8], de traiter les demandes de titre de séjour médical au travers d’une procédure spécifique se voulant plus adaptée en raison de l’intervention d’un médecin. En outre, la répartition institutionnelle de la charge d’examiner les demandes de protection établie par le droit belge, selon laquelle les demandes « 9ter » relèvent de l’O.E. et les demandes « 48/4 » du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, serait remise en cause.

En limitant la possibilité pour l’O.E. d’adopter des décisions d’irrecevabilité formelles de demandes 9ter, les juges belges assurent la stabilité de l’édifice belge de la protection des étrangers victimes de maladies graves. Si le droit belge semble être le seul fondement de leur raisonnement, le droit de l’Union européenne, en particulier l’obligation d’accorder la protection subsidiaire face à tout risque réel de subir un traitement inhumain et dégradant, apparait en filigrane.

L.L.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.E., arrêt n° 221.166 du 24 octobre 2012.

Pour citer cette note : L. LEBOEUF, « Un passeport périmé établit à suffisance l’identité du demandeur d’un titre de séjour ‘9ter’ », Newsletter EDEM, décembre 2012.


[1] C.E., arrêt n° 221.166 du 24 octobre 2012, § 4 ; C.C.E., arrêt n° 71152 du 30 novembre 2011, § 3.8.

[2] C.C.E., ibidem, § 3.14 : « noch uit de bestreden beslissing noch uit het administratief dossier noch uit de verweernota blijkt dat er elementen waren die twijfels deden rijzen over verzoeksters actuele bezit van deze Armeense nationaliteit » (traduction libre).

[3] Loi du 29 décembre 2010 portant dispositions diverses, M.B., 31 décembre 2010 ; C.E., op. cit., § 6.

[4] C.C., arrêt n° 193/2009 du 26 novembre 2009, cons. B.6.

[5] La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme comprend l’insuffisance de soins face à un état de santé particulièrement grave parmi les traitements inhumains et dégradants, voy. Cour eur. D.H., 21 avril 1997, D. c. Royaume-Uni, req. n° 30240/96 ; 27 mai 2008, N. c. Royaume-Uni, req. n° 26565/05 ; 20 décembre 2011, Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique, req. n° 10486/10.

[6] C.C., arrêt n° 95/2008 du 26 juin 2008, cons. B.11.

[7] Ibidem.

[8] Ibidem, cons. B.15.

Publié le 23 juin 2017