C.E., arrêt n° 222.012 du 11 janvier 2013

Louvain-La-Neuve

Le C.C.E. peut statuer sur la protection subsidiaire, non visée par la requête, sans permettre aux parties de faire valoir leurs observations pour autant qu’il se limite aux informations contenues dans le dossier administratif.

L’effet dévolutif de l’appel introduit devant le C.C.E. sur base de l’art. 39/2, §1, de la loi du 15 décembre 1980 déroge au principe ultra petita. Même si la requête ne vise que la décision de rejet de la demande d’asile, le C.C.E. peut réformer la décision d’octroi de la protection subsidiaire sans permettre aux parties de faire valoir leurs observations. Ce faisant, le C.C.E. doit respecter les droits de la défense en se limitant aux informations contenues dans le dossier administratif.

Art. 39/2, § 1, de la loi du 15 décembre 1980 – art. 2 du Code judiciaire – art. 1138, 2°, du Code judiciaire – ultra petita – spécificité de l’effet dévolutif dans le contentieux des étrangers de pleine juridiction – droits de la défense (rejet)

A. Arrêt

La requérante introduit devant le Conseil d’État (C.E.) un recours en cassation contre l’arrêt n° 72.318 rendu le 20 décembre 2011 par le Conseil du contentieux des étrangers (C.C.E.). Par cet arrêt, le C.C.E. réforme la décision d’octroi de la protection subsidiaire adoptée par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (C.G.R.A.) sans que la requête ne l’y invite.

Devant le C.E., la requérante invoque la violation du principe ultra petita consacré à l’article 1138, 2°, Code judiciaire (C. Jud.). Elle se plaint en outre de la violation de ses droits de la défense, faute d’avoir pu répondre aux arguments du C.C.E. selon lesquels elle ne remplit pas les conditions fixées à l’article 48/4 de la loi du 15 décembre 1980 pour bénéficier de la protection subsidiaire.

Le C.E., se référant aux travaux préparatoires de l’article 39/2, § 1, de la loi du 15 décembre 1980, considère au contraire que « la volonté claire et expresse du législateur est de reconnaitre au C.C.E. la compétence d’analyser une demande d’asile dans son ensemble et de refuser le statut de protection subsidiaire même si le recours ne porte que sur le refus de la reconnaissance du statut de réfugié »[1]. La compétence du C.C.E. n’est pas limitée au rejet de la demande d’asile visé par la requête, mais couvre également l’octroi de la protection subsidiaire. L’effet dévolutif du recours de pleine juridiction consacré par l’article 39/2, § 1, de la loi de 1980 a la particularité de déroger au principe ultra petita.

Le C.E. poursuit en affirmant l’obligation du C.C.E. de respecter les droits de la défense lorsqu’il statue sur la protection subsidiaire non visée par la requête. Si « cela implique qu’il doit se limiter aux informations présentes dans le dossier administratif et de la procédure »[2], le C.C.E. n’a par contre aucune obligation de communiquer à l’avance « les motifs sur base desquels il conclut finalement au rejet de la protection subsidiaire »[3]. En l’espèce, les informations factuelles qui justifient la décision du C.C.E. de ne pas octroyer la protection subsidiaire étaient mentionnées tant dans la décision du C.G.R.A. que dans la requête. Elles étaient connues de la requérante, qui a pu s’exprimer sur celles-ci. Son recours en cassation est en conséquence rejeté.

B. Éclairage

L’article 1138, 2°, C. Jud. énonce comme motif de cassation d’un jugement la circonstance qu’ « il a été prononcé sur choses non demandées ou adjugé plus qu'il n'a été demandé ». Cette interdiction de statuer ultra petita ne s’applique cependant au contentieux administratif que de manière supplétive, conformément à l’article 2 C. Jud[4].

Dans les travaux préparatoires de l’article 39/2, § 1, de la loi du 15 décembre 1980, le législateur exprime sa volonté de déroger au principe ultra petita. Il considère que « la "réformation" ou "révision" de la décision contestée implique que le Conseil [le C.C.E.] peut ‘reconnaître’ ou ‘refuser’ la qualité de réfugié ou de personne jouissant du statut de la protection subsidiaire à l’étranger qui a fait appel d’une décision du commissaire général aux réfugiés et aux apatrides lui étant entièrement ou partiellement défavorable »[5]. L’effet dévolutif en contentieux des étrangers de pleine juridiction a la particularité de permettre au juge du C.C.E. de statuer ultra petita.

Cependant, les droits de la défense, en particulier le principe du contradictoire, doivent être respectés. Ainsi, dans l’arrêt n° 219.215 du 8 mai 2012, le C.E. casse un arrêt du C.C.E. qui examinait une question d’initiative sans permettre aux parties de faire valoir leurs observations. En l’espèce, le C.C.E. rejette le recours introduit contre le rejet d’une demande d’asile au motif que les autorités du pays d’origine sont capables d’assurer une protection, ce que le C.G.R.A. n’avait jamais prétendu.

Dans l’arrêt commenté, le C.E. souligne au contraire que la décision du C.C.E. de réformer l’octroi de la protection subsidiaire se fonde exclusivement sur des considérations factuelles contenues dans le dossier administratif, et discutées par les parties. Le C.E. considère que le principe du contradictoire n’implique pas d’obligation pour le C.C.E. de « porter préalablement à la connaissance de la requérante les motifs pour lesquels il décide de refuser la protection subsidiaire »[6].

Le critère employé par le C.E. pour conclure à la violation ou au respect du principe du contradictoire semble être celui de la discussion préalable des faits fondant l’appréciation juridique du C.C.E. Dans l’arrêt n° 219.215, les faits permettant de conclure à l’accessibilité d’une protection dans le pays d’origine n’avaient pas été discutés. Dans l’arrêt commenté, ceux sur base desquels le C.C.E. décide de refuser la protection subsidiaire avaient au contraire fait l’objet de débats.

Ce faisant, le C.E. étend au stade du recours la distinction entre l’établissement des circonstances factuelles, d’une part, et l’appréciation juridique de celles-ci, d’autre part, réalisée par la Cour de justice de l’Union européenne au stade de l’examen par l’administration dans l’affaire M.M.[7]. En l’espèce, la Cour a considéré que le devoir de coopération de l’administration avec le demandeur d’asile se limite à l’établissement des faits, et ne comprend pas leur qualification juridique. Elle a conclu à l’absence d’obligation de l’administration de, « préalablement à l’adoption de sa décision, informer l’intéressé de la suite négative qu’elle se propose de réserver à sa demande »[8].

L.L.*

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.E., arrêt n° 222.012 du 11 janvier 2013.

Pour citer cette note : L. LEBOEUF, « Le C.C.E. peut statuer sur la protection subsidiaire, non visée par la requête, sans permettre aux parties de faire valoir leurs observations pour autant qu’il se limite aux informations contenues dans le dossier administratif », Newsletter EDEM, février 2013.


[1] C.E., arrêt n° 222.012 du 11 janvier 2013, § 5.1 in fine : « Het is derhalve de duidelijke en uitdrukkelijke bedoeling van de wetgever dat de Raad voor Vreemdelingenbetwistingen de asielaanvraag in haar geheel kan onderzoeken en ook de beschermingsstatus kan weigeren, al werd enkel beroep tegen de weigering van de erkenning aangetekend » (notre traduction).

[2] Ibidem, § 5.2 : « […] hetgeen inhoudt dat hij zich moet beperken tot de gegevens van het administratief en het rechtsplegingsdossier » (notre traduction).

[3] Ibidem, § 5.2 in fine : « de motieven op grond waarvan hij uiteindelijk tot weigering van de subsidiaire beschermingsstatus besluit ».

[4] J. SOHIER, Les procédures devant le Conseil d’Etat, 2e ed., Bruxelles, Kluwer, 2009 n° 155, p. 100.

[6] C.E., arrêt n° 222.012, op. cit., § 5.2 : « was de Raad […] niet verplicht de motieven op grond waarvan hij uitendelijk tot weigering van de subsidiaire bescherming besluit, vooraf ter kennis van de verzoekster te brengen » (notre traduction).

[8] Ibidem, § 75.

*L’auteur remercie M. Jean-François Van Drooghenbroeck, professeur à l’UCL, pour ses éclaircissements.

Publié le 21 juin 2017