C.J., 6 décembre 2012, Md Sagor, aff. C-430/11, non encore publié au Rec.

Louvain-La-Neuve

Pénalisation du séjour irrégulier et Directive 2008/115/CE : seules les sanctions pénales qui ne s’opposent pas à l’éloignement effectif de l’étranger sont autorisées.

La Directive retour ne s’oppose pas aux sanctions pénales qui sont compatibles avec son objectif central, l’éloignement effectif de l’étranger. Une peine d’amende pouvant, sous certaines conditions, être remplacée par une peine d’expulsion est compatible avec la Directive. En revanche, la Directive retour s’oppose à une peine d’assignation à résidence qui prendrait fin dès que le transfert physique de l’intéressé, hors du territoire de l’UE, est possible.

Directive 2008/115/EC - pénalisation du séjour irrégulier - compatibilité des sanctions pénales avec la directive - peine d’amende – peine d’expulsion - peine d’assignation à résidence.

A. L’arrêt

Dans cette affaire, le Tribunal de Rovigio s’interroge sur la compatibilité de la réglementation italienne, qui impose des sanctions pénales pour le délit de séjour irrégulier, avec la Directive 2008/115/CE (ci-après la directive « retour »). La juridiction de renvoi saisie pose à ce sujet trois questions préjudicielles à la C.J.U.E. Par ses première et deuxième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2008/115 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre réprimant le séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers par une peine d’amende pouvant être remplacée par une peine d’expulsion ou par une peine d’assignation à résidence. Par sa troisième question, le Tribunal se questionne, plus généralement, sur la compatibilité avec le principe de coopération loyale (art. 4, § 3, T.U.E.), d’un instrument législatif national qui, d’après le Tribunal, a été adopté avec le but de contourner la directive retour ou, en tout cas, de limiter son champ d’application.

La Cour de Justice commence par réaffirmer que la directive retour « n’a pas pour objet d’harmoniser dans leur intégralité les règles des États membres relatives au séjour des étrangers […] [et] ne s’oppose pas à ce que le droit d’un État membre qualifie le séjour irrégulier de délit et prévoit des sanctions pénales pour dissuader et réprimer la commission d’une telle infraction »[1]. Cependant, la Cour rappelle que de telles mesures pénales ne devraient pas compromettre le but de la directive, qui est l’éloignement effectif de l’étranger ou, en d’autres termes, ne devrait pas la priver de son effet utile[2]. En essayant de délimiter le champ des obligations qui découlent de la directive retour, la Cour confirme sa jurisprudence précédente selon laquelle la directive s’oppose à une poursuite pénale pouvant conduire à une peine d’emprisonnement au cours de la procédure de retour en ce qu’une telle démarche risquerait de retarder l’éloignement[3].

En l’espèce, la Cour est confrontée à deux autres hypothèses : d’une part, la sanction du délit du séjour irrégulier par une amende à laquelle se substitue l’assignation à résidence et, d’autre part, la sanction pénale par une amende à laquelle se substitue une expulsion directement exécutable. En ce qui concerne la première hypothèse, la Cour observe qu’une peine d’assignation à résidence ne contribue pas à la réalisation de l’éloignement et donc ne constitue pas une « mesure » ou « une mesure coercitive » au sens de l’article 8 de la directive retour[4]. Au contraire, la peine d’assignation à résidence est susceptible de retarder le retour en entravant des mesures coercitives, comme la reconduite à la frontière[5]. La Cour conclut que la directive retour s’oppose à l’imposition d’une telle mesure, en l’absence d’une disposition qui prévoit que son exécution prenne fin dès qu’il est possible de réaliser l’éloignement de l’individu[6].

En ce qui concerne la deuxième hypothèse, la Cour considère que ni la poursuite pénale elle-même, ni la peine d’amende ne sont susceptibles d’entraver la procédure de retour[7]. La loi italienne prévoit que le retour peut être réalisé même si la procédure pénale n’a pas abouti et l’application d’une peine pécuniaire n’empêche en aucun cas qu’une décision de retour soit prise et mise en œuvre. Dans le cas où cette peine est remplacée par une peine d’expulsion, celle-ci est également compatible avec la directive retour[8]. La Cour a basé son raisonnement sur le fait que l’obligation de retour, telle qu’elle est prévue par l’imposition d’une peine d’expulsion dans la loi italienne, est immédiatement exécutoire. Concernant l’absence d’un délai de départ volontaire dans la loi nationale, la Cour souligne que l’article 7, paragraphe 4, de la directive retour « permet aux États membres de s’abstenir d’accorder un délai de départ volontaire, notamment, lorsqu’il existe un risque que l’intéressé s’enfuie pour se soustraire à la procédure de retour. »[9]

B. L’éclairage

Md Sagor est le troisième arrêt de la Cour de Justice qui précise la relation entre la directive retour et la criminalisation du séjour irrégulier. Par rapport au raisonnement juridique, c’est de loin le plus décevant. Dans le premier arrêt (El-Dridi), la Cour a souligné que la politique de retour devait être efficace, mais en même temps respectueuse des droits fondamentaux[10]. La Cour a répété cette argumentation dans le deuxième arrêt (Achughbabian)[11]. Par contre, aucune mention sur les droits fondamentaux n’a été faite dans l’arrêt Md Sagor. Aucun examen de la compatibilité des provisions de la loi italienne avec les droits fondamentaux tels qu’ils sont reconnus par la Charte n’a été effectué. La Cour s’est contentée d’argumenter exclusivement sur la base de l’efficacité et de seulement analyser si les mesures adoptées par la loi italienne sont capables de retarder le retour. Cette analyse n’est pas incorrecte, mais elle est incomplète. La Cour devrait aussi analyser la proportionnalité de ces mesures. La Cour estime que l’assignation à résidence aurait été compatible avec la directive si l’exécution de cette peine prenait fin dès que le transfert physique de l’intéressé était possible, sans faire aucune analyse de cette mesure par rapport aux garanties que la directive retour établit pour des personnes qui sont privées de leur liberté.

En outre, l’analyse de la Cour sur le point de l’absence d’un délai de départ volontaire dans le cas où une peine d’amende est substituée par une peine d’expulsion est plutôt superficielle. La philosophie de la directive retour est celle de la gradation des mesures. En principe, l’individu doit disposer de la possibilité de quitter le territoire volontairement. Malgré le fait que la peine d’expulsion, telle qu’elle est prévue par la loi italienne, n’établisse pas cette possibilité, un fait qui est d’ailleurs soulevé par la Commission européenne, la Cour se contente de soulever l’exception du principe énoncé par l’article 7, paragraphe 4, de la directive, à savoir l’existence d’un risque de fuite, sans développer son raisonnement. Quelle est en fait la compatibilité de cette mesure avec le principe de l’octroi d’un délai de départ volontaire[12]? En plus, la Cour elle-même souligne que « toute appréciation à cet égard doit se fonder sur un examen individuel du cas de l’intéressé »[13]. Or, la Cour n’explique pas comment une loi qui exclut automatiquement tous les individus du bénéfice d’un départ volontaire, satisfait le critère de l’examen individuel.

L.T.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.J., 6 décembre 2012, Md Sagor, aff. C-430/11, non encore publié au Rec.

- Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, J.O.U.E., L 348/98, 24 décembre 2008 ;

- R. RAFAELLI, « Criminalizing Irregular Immigration and the Returns Directive: An Analysis of the El Dridi Case », European Journal of Migration and Law, vol. 13, no 4, janvier 2011, pp. 467-489.

Pour citer cette note : L. TSOURDI, « Pénalisation du séjour irrégulier et Directive 2008/115/CE : seules les sanctions pénales qui ne s’opposent pas à l’éloignement effectif de l’étranger sont autorisées », Newsletter EDEM, décembre 2012.


[1] C.J., Md. Sagor, op. cit., § 31 ; C.J., 6 décembre 2011, Achughbabian, C-329/11, § 28.

[2] C.J., Md. Sagor, op. cit., § 32 ; C.J. Achughbabian, op. cit., § 39 ; C.J., 28 avril 2011, El-Dridi, C-61/11 PPU, § 55.

[3] C.J., Md. Sagor, op. cit., § 33 ; C.J., Achughbabian, op. cit., §§ 37-39, 45 ; C.J., 28 avril 2011, El-Dridi, C-61/11 PPU, § 59.

[4] C.J., Md. Sagor, op. cit., § 44; la directive retour autorise l’utilisation des mesures coercitives en dernier ressort dans la mesure où elles sont proportionnées et ne comportent pas d’usage de la force allant au-delà du raisonnable.

[5] Ibid, § 45.

[6] Ibid, § 46.

[7] Ibid, §§ 35-36.

[8] Ibid, § 37.

[9] Ibid, § 41.

[10] C.J., El-Dridi, précité.

[11] C.J., Achughbabian, précité.

[12] Art. 7,  § 1, de la directive 2008/115/CE.

[13] C.J., Md. Sagor, op. cit., § 41.

Publié le 23 juin 2017