C.J.U.E., 23 avril 2015, Espagne contre Samir Zaizoune, aff. C-38/14

Louvain-La-Neuve

Séjour irrégulier : peine d’amende et éloignement du territoire ne peuvent être mutuellement exclusifs.

La directive retour est incompatible avec une législation nationale à travers laquelle le séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers peut être sanctionné seulement par une amende à l’exclusion de l’éloignement du territoire national, cette dernière mesure n’étant prise qu’en présence de facteurs aggravants additionnels.

Directive retour - Séjour irrégulier – Décision de retour - Éloignement ou amende – Incompatibilité.

A. Arrêt

M. Zaizoune, ressortissant marocain, a été interpellé le 15 juillet 2011 sur le territoire espagnol par les forces de l’ordre. N’ayant pas pu présenter ses documents d’identité, l’intéressé a été arrêté et une procédure d’éloignement a été engagée. Cette procédure a abouti, le 19 octobre 2011, à l’adoption d’une décision d’éloignement du territoire espagnol, assortie d’une interdiction d’entrée pendant cinq ans.

L’intéressé a formé un recours contre cette décision devant le juge de l’ordre du contentieux administratif qui a annulé ladite décision en remplaçant l’éloignement par une amende.

Le Gouvernement a interjeté appel de cette décision devant la juridiction de renvoi. Cette dernière a fait observer qu’en l’état actuel du droit espagnol, la sanction principale au séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers est l’amende, à défaut de l’existence de facteurs aggravants additionnels justifiant le remplacement de l’amende par l’éloignement du territoire national.

Sur la base de cette observation, une question préjudicielle a été posée à la C.J.U.E. : doit-on interpréter la directive 2008/115 en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre qui prévoit, en cas de séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers sur le territoire de cet État, d’imposer, selon les circonstances, soit une amende, soit l’éloignement, les deux mesures étant exclusives l’une de l’autre.

La Cour a commencé par rappeler l’objectif de la directive 2008/115, à savoir de mettre en place une politique efficace d’éloignement et de rapatriement. Elle a ensuite rappelé les jurisprudences El-Dridi et Achughbabian en vertu desquelles il existe une obligation pour les États membres de prendre une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Elle a rappelé enfin que, lorsqu’une décision de retour a été prise, mais que l’obligation de retour n’a pas été respectée, l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/115 impose aux États membres, dans le but d’assurer l’efficacité des procédures de retour, de prendre toutes les mesures nécessaires pour procéder à l’éloignement de l’intéressé.

Dans la mesure où la réglementation espagnole dont question permet d’imposer une amende en lieu et place d’un éloignement, la Cour a considéré qu’elle était susceptible de faire échec à l’application des normes et des procédures communes établies par la directive 2008/115 et, le cas échéant, de retarder le retour, portant ainsi atteinte à l’effet utile de cette directive.

Elle répond dès lors par l’affirmative à la question posée : il y a incompatibilité avec la directive 2008/115. De manière plus générale, la Cour affirme qu’aucune disposition d’un acte relevant de l’acquis communautaire ne permet la mise en place d’un mécanisme qui prévoit, en cas de séjour irrégulier de ressortissants de pays tiers sur le territoire d’un État membre, d’imposer, selon les circonstances, soit une amende, soit l’éloignement, les deux mesures étant exclusives l’une de l’autre.

B. Éclairage

Cet arrêt constitue la suite logique des jurisprudences Achughbabian et Sagor de la C.J.U.E. Dans son arrêt Achughbabian, la C.J.U.E. avait jugé que la directive retour ne s’opposait pas à une réglementation d’un État membre réprimant le séjour irrégulier par des sanctions pénales pour autant que celle-ci permette l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers auquel la procédure de retour établie par ladite directive a déjà été appliquée et qui séjourne irrégulièrement sur ledit territoire sans motif justifié de non-retour[1].

Dans son arrêt Sagor, la C.J.U.E. avait précisé qu’une peine pécuniaire n’empêchait en aucune manière qu’une décision de retour soit prise et mise en œuvre dans le plein respect des conditions de la directive 2008/115 et ne portait pas non plus atteinte aux normes communes en matière de privation de liberté énoncées aux articles 15 et 16 de cette directive[2].

L’arrêt Zaizoune confirme le critère général permettant de déterminer la compatibilité avec la directive 2008/115/CE d’une sanction pénale, sous quelque forme que ce soit, du séjour irrégulier : ne pas faire obstacle à la procédure d’éloignement : soit que les deux puissent être poursuivis concomitamment (comme l’amende), soit qu’une tentative d’éloignement ait déjà été vainement entreprise jusqu’à son terme.

En Belgique, l’article 75, al. 1er, de loi du 15 décembre 1980 dispose :

« l’étranger qui entre ou séjourne illégalement dans le Royaume est puni d’un emprisonnement de huit jours à trois mois et d’une amende de vingt-six EUR à deux cent EUR ou d’une de ces peines seulement. »

L’incompatibilité de la peine de prison prévue par cet article avec la jurisprudence Achughbabian suscitée a déjà été discutée précédemment[3]. Au risque de demeurer en contradiction avec cette jurisprudence, nous avions ainsi relevé que le législateur belge devrait modifier cet article 75 afin de conditionner la sanction pénale d’emprisonnement de l’étranger en séjour irrégulier d’une part, à l’application préalable des mesures coercitives prévues aux articles 7, 74/14 et 74/15 de la loi du 15 décembre et, d’autre part, au séjour irrégulier du ressortissant concerné sur le territoire national sans motif justifié de non-retour. À défaut, la législation belge resterait en contradiction avec la directive au retour.

A contrario, il y a lieu d’observer que la peine d’amende telle que prévue à l’article 75 est pour sa part compatible avec les jurisprudences Sagor et Zaizoune suscitées, et plus largement la directive retour, à condition toutefois de ne pas être exclusive de l’éloignement.

P.dH.

C. Pour aller plus loin

Pour consulter l’arrêt : C.J.U.E., 23 avril 2015, Espagne c. Samir Zaizoune, C-38/14, EU:C:2015:260.

Jurisprudence :

C.J.U.E., 28 avril 2011 El Dridi c. Italie, C-61/11 ;

C.J.U.E., 6 décembre 2011, Achughbabian c. France, C-329/11 ;

C.J.U.E., 6 décembre 2012, Md Sagor c. Italie, C-430/11 ;

Doctrine :

P. d’Huart, "Délit de séjour irrégulier et directive retour : révision en vue de la jurisprudence de la Cour de cassation", Newsletter EDEM, décembre 2013.

Pour citer cette note : P. d’Huart, « Séjour irrégulier : peine amende et éloignement du territoire ne peuvent être mutuellement exclusif », Newsletter EDEM, avril 2015.


[1] C.J.U.E., 6 décembre 2011, Achughbabian c. France, C-329/11, pt 50.

[2] C.J.U.E., 6 décembre 2012, Md Sagor c. Italie, C-430/11.

Publié le 13 juin 2017