C.J.U.E., 30 mai 2013 (Mehmet Arslan c. République tchèque), C-534/11

Louvain-La-Neuve

Détention aux fins d’éloignement et demande d’asile.

La directive 2008/115/CE n’est plus applicable à un étranger en séjour irrégulier détenu en vue de son éloignement à partir de son introduction d’une demande d’asile jusqu’à l’adoption de la décision de premier ressort statuant sur cette demande. La refonte de la directive procédure étend l’autorisation de séjourner jusqu’au 2e ressort.

Directive 2008/115/CE – Normes et procédures communes en matière de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Applicabilité aux demandeurs d’asile – Possibilité de garder en rétention un ressortissant de pays tiers après l’introduction d’une demande d’asile.

A. Arrêt

La question préjudicielle posée à la C.J.U.E. concerne l’applicabilité de la directive 2008/115 aux ressortissants de pays tiers qui ont introduit une demande de protection internationale au sens de la directive 2005/85. La Cour considère que la directive 2008/115 n’est pas applicable à un ressortissant de pays tiers qui a introduit une demande d’asile au sens de la directive 2005/85, et ce pendant la période courant de l’introduction de ladite demande jusqu’à l’adoption de la décision de premier ressort statuant sur cette demande ou, le cas échéant, jusqu’à l’issue du recours qui aurait été introduit contre ladite décision[1]. Cela s’explique par le fait qu’un demandeur d’asile a le droit de demeurer sur le territoire de l’État membre auprès duquel il a introduit sa demande d’asile, à tout le moins jusqu’à ce que sa demande ait été rejetée en premier ressort et ne saurait donc être considéré comme étant en « séjour irrégulier » au sens de la directive 2008/115, celle-ci visant à l’éloigner dudit territoire[2].

La Cour rappelle que la rétention à des fins d’éloignement régie par la directive 2008/115/CE et la rétention ordonnée à l’encontre d’un demandeur d’asile relèvent de régimes juridiques distincts. Les États membres demeurent libres d’établir, dans le plein respect de leurs obligations découlant tant du droit international que du droit de l’Union, les motifs pour lesquels un demandeur d’asile peut être placé ou maintenu en rétention[3]. Ainsi, dans la situation où l’étranger en séjour irrégulier a été placé en rétention en raison d’un risque de fuite et où sa demande d’asile paraît avoir été introduite dans le seul but de retarder, voire de compromettre, le retour, le maintien en rétention dudit étranger, même après l’introduction d’une demande d’asile, pourrait demeurer justifié[4].

Par ailleurs, si la directive 2008/115 est inapplicable pendant le déroulement de la procédure d’examen de la demande d’asile, celle-ci peut se poursuivre si la demande d’asile est rejetée. Il serait en effet porté atteinte à l’objectif de cette directive, à savoir le retour efficace des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, s’il était impossible pour les États membres d’éviter, dans ce cas de figure, que l’intéressé puisse, par l’introduction d’une demande d’asile, obtenir automatiquement sa remise en liberté[5].

B. Éclairage

La refonte de la directive accueil adoptée en septembre 2012 précise quant à la rétention d’un demandeur d’asile dans le cadre de la procédure de retour :

« On ne peut placer un demandeur [de protection] en rétention que […] lorsque le demandeur est placé en rétention en liaison avec une procédure de retour dans le cadre de la directive 2008/115/CE, pour préparer le retour et/ou poursuivre le processus d'éloignement et lorsque l'État membre peut justifier sur la base de critères objectifs, tels que le fait que le demandeur a eu la possibilité d'accéder à la procédure d'asile, qu'il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur introduit la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d'empêcher l'exécution de la décision de retour ».[6]

Concernant l’autorisation de séjour en cas de demande d’asile, celle-ci est assurée au minimum jusqu’à « l’adoption de la décision de premier ressort statuant sur cette demande ou, le cas échéant, jusqu’à l’issue du recours qui aurait été introduit contre ladite décision ». Concrètement, cela signifie qu’il n’est pas obligatoire d’autoriser au séjour sur le territoire de l’État membre l’étranger qui introduit un recours à l’encontre d’une décision négative sur sa demande d’asile. Cela demeure à la discrétion des États, ainsi que l’atteste l’emploi des termes « ou, le cas échéant ».

Cette latitude laissée aux États change avec l’adoption de la refonte de la Directive 2005/85/CE relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres. L’article 46, § 5, de la refonte dispose à l’égard du droit à un recours effectif à l’encontre des décisions relatives à l’octroi d’une protection internationale :

« les États membres autorisent les demandeurs à rester sur leur territoire jusqu'à l'expiration du délai prévu pour l'exercice de leur droit à un recours effectif et, si ce droit a été exercé dans le délai prévu, dans l'attente de l'issue du recours. »[7]

L’adoption de cette nouvelle directive devrait amener la jurisprudence de la C.J.U.E. relative au cas ici étudié à considérer qu’en cas de demande d’asile, le séjour doit au minimum est autorisé jusqu’à :

« l’adoption de la décision de premier ressort statuant sur cette demande et, le cas échéant, jusqu’à l’issue du recours qui aurait été introduit contre ladite décision ».

Une conséquence directe de la transposition de cette nouvelle directive en droit belge sera la fin de la pratique des O.Q.T. asile (Annexe 13quinquies). Il s’agit d’O.Q.T. délivrés après décision négative du C.G.R.A. et qui sont suspendus en cas de recours au C.C.E. Conformément à l’article 52/3, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980[8], ces O.Q.T. peuvent seulement être délivrés si l’étranger est en séjour irrégulier. Dès lors que les demandeurs d’asile devront être autorisés à séjourner jusqu’à ce que le C.C.E. se soit prononcé, ces O.Q.T. asile ne pourront normalement plus être délivrés à leur encontre.

Malgré l’adoption de cette refonte de la directive procédure, la révision en cours de la loi du 15 décembre 1980 confirme la pratique de l’O.Q.T. asile. Le projet de nouvel article 52/3, § 1er se lit comme suit :

« § 1. Lorsque le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides […] refuse de reconnaître le statut de réfugié ou d’octroyer le statut de protection subsidiaire à l’étranger et que celui-ci séjourne de manière irrégulière[9] dans le Royaume, le ministre ou son délégué doit délivrer sans délai un ordre de quitter le territoire […]. Lorsque le Conseil du Contentieux des Étrangers rejette le recours de l’étranger contre une décision prise par le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides en application de l’article 39/2, § 1er, 1°, et que l’étranger séjourne de manière irrégulière dans le Royaume, le ministre ou son délégué décide sans délai de prolonger l’ordre de quitter le territoire prévu à l’alinéa 1er[10] »[11].

La condition du séjour irrégulier après décision négative du C.G.R.A. n’étant pas rencontrée, dès lors que le demandeur d’asile ayant introduit un recours devant le C.C.E. sera autorisé à séjourner en vertu de la nouvelle directive procédure, aucun O.Q.T. ne pourra normalement être délivré. Aucun O.Q.T. ne pourra donc être prolongé après la décision négative du C.C.E. comme le prévoit la nouvelle loi. Conformément au principe européen de coopération loyale, la refonte de la directive procédure adoptée au Parlement européen devrait conduire la Belgique à revoir son projet de modification de la loi du 15 décembre 1980.

P.dH.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.J.U.E., 30 mai 2013, Mehmet Arslan c. République tchèque, C-534/11, non encore publié au Rec. C.J.U.E.

Documents législatifs

Pour citer cette note : P. dHuart, « Détention aux fins d’éloignement et demande d’asile », Newsletter EDEM, juin 2013.


[1] C.J.U.E., 30 mai 2013, Mehmet Arslan c. République tchèque, C-534/11, non encore publié au Rec. C.J.U.E., § 49.

[2] Ibid., § 48.

[3] Ibid., § 56.

[4] Ibid., § 57.

[5] Ibid., § 60.

[7] Position du Conseil en première lecture en vue de l'adoption d'une directive du Parlement européen et du Conseil relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait du statut conféré par la protection internationale (refonte), 8260/13, Bruxelles, 31 mai 2013.

[8] « § 1er. Lorsque le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides refuse de reconnaître le statut de réfugié ou d'octroyer le statut de protection subsidiaire à l'étranger et que celui-ci séjourne de manière irrégulière dans le Royaume, le ministre ou son délégué décide sans délai que l'étranger tombe dans les cas visés à l'article 7, alinéa 1er, 1° à 12° ou à l'article 27, § 1er, alinéa 1er et § 3 ».

[9] Nous soulignons.

[10] Nous soulignons.

Publié le 20 juin 2017