Prolongation de la détention : forme et contrôle judiciaire de la décision de prolongation de la détention aux fins d’éloignement.
La décision de prolongation de la détention aux fins d’éloignement au-delà de six mois doit être un acte écrit et motivé. Elle doit faire l’objet d’un contrôle judiciaire d’opportunité. Il doit exister soit un risque de fuite, soit une volonté d’éviter ou d’empêcher l’éloignement dans le chef du détenu. En cas de report de l’éloignement, l’Etat d’accueil doit délivrer une décision écrite, mais pas nécessairement un titre de séjour.
Éloignement – Ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier – Détention – Motifs – Prolongation – Forme de la décision – Contrôle judiciaire d’opportunité – Report de l’éloignement – Confirmation écrite.
A. Arrêt
Le 9 août 2013, M. Mahdi, ressortissant soudanais dépourvu de documents d’identité valides, a été arrêté en Bulgarie. Il a ensuite été placé dans un centre de rétention administrative, le temps d’exécuter les mesures coercitives de reconduite à la frontière prises à son encontre. Le 12 août 2013, il a signé une déclaration de retour volontaire au Soudan, sur laquelle il est revenu ultérieurement. L’ambassade soudanaise a confirmé l’identité de M. Mahdi, mais a refusé de délivrer un document de voyage du fait que M. Mahdi ne souhaitait pas retourner au Soudan.
À l’issue du délai initial de rétention de six mois, les autorités bulgares ont saisi une juridiction administrative afin d’obtenir la prolongation de la rétention, invoquant notamment le risque de fuite et le manque de coopération de l’intéressé. Dans ce contexte, la juridiction bulgare a saisi la C.J.U.E. pour lui poser cinq questions.
La première tend à savoir si, lorsqu’elle réexamine la situation de l’intéressé à l’issue du délai initial de rétention de six mois, l’autorité administrative compétente doit adopter un acte écrit motivé en droit et en fait. La Cour rappelle que, dans le cadre de la directive « retour » (2008/115/CE), la seule exigence concernant l’adoption d’un acte écrit est que la rétention soit ordonnée par écrit en droit et en fait. Cette exigence doit être comprise comme se rapportant également à toute décision sur la prolongation de la rétention, étant donné que la rétention et la prolongation présentent une nature analogue et que le ressortissant doit être en mesure de connaître les motifs de la décision prise à son égard.
La deuxième question porte sur l’étendue du contrôle de légalité d’une décision de prolongation de la détention au-delà de six mois. La Cour déclare qu’une autorité judiciaire statuant sur une demande de prolongation d’une rétention initiale de six mois doit obligatoirement être en mesure de statuer sur tout élément de fait et de droit pertinent pour déterminer si la prolongation est justifiée. L’autorité judiciaire doit être en mesure de rechercher tout autre élément pertinent pour sa décision au cas où elle le jugerait nécessaire. Elle doit pouvoir substituer sa propre décision à celle ayant ordonné la rétention initiale et ordonner soit la prolongation de la rétention, soit une mesure de substitution moins coercitive, soit la remise en liberté du ressortissant lorsque cela est justifié.
La troisième question concerne la possibilité de prolonger une période initiale de rétention au-delà de six mois au seul motif que le ressortissant d’un pays tiers n’est pas muni de documents d’identité et que, dès lors, il existe un risque de fuite du ressortissant. La Cour rappelle ici que c’est uniquement en cas de persistance du risque de fuite que l’absence de documents d’identité peut être prise en compte pour la prolongation d’une détention au-delà de six mois. Il s’ensuit qu'une absence de documents d’identité ne peut pas, à elle seule, justifier une prolongation de la rétention.
La quatrième question porte sur l’imputation à M. Mahdi du refus de l’ambassade soudanaise de lui octroyer des documents d’identité et, le cas échéant, sur la possibilité de qualifier son comportement de manque de coopération, ce qui justifierait la prolongation de sa rétention. La Cour considère que M. Mahdi ne peut être considéré comme ayant fait preuve d’un « manque de coopération » au sens de la directive que s’il résulte de l’examen de son comportement qu’il n’a pas coopéré à la mise en œuvre de l’opération d’éloignement et qu’il est probable que cette opération dure plus longtemps que prévu à cause de ce comportement. Il s’agit donc d’une question factuelle qu’il appartient à la juridiction de renvoi de trancher.
Enfin, la dernière question est formulée en ces termes : un État membre peut-il être obligé de délivrer un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour à un ressortissant d’un pays tiers n’étant pas en possession de documents d’identité et n’ayant pas obtenu de tels documents de son pays d’origine, après qu’un juge national a libéré ce ressortissant au motif qu’il n’existerait plus de perspective raisonnable d’éloignement ? En réponse, la Cour déclare que, si la Bulgarie n’est pas tenue de délivrer à M. Mahdi un titre de séjour autonome ou un droit de séjour en cas de libération, elle doit néanmoins lui délivrer une confirmation écrite de sa situation, conformément à ce qui est prévu dans la directive.
B. Éclairage
Le point le plus remarquable de l’arrêt concerne sans doute la nature du contrôle que doit effectuer l’autorité judiciaire saisie d’une demande de prolongation de la rétention. Selon la C.J.U.E., en cas de périodes de détention prolongées, l’autorité judiciaire chargée du contrôle devrait rechercher tout élément pertinent pour sa décision et pouvoir substituer sa propre décision à celle ayant ordonné la rétention initiale. Elle devrait également être en mesure d’ordonner soit la prolongation de la rétention, soit une mesure de substitution moins coercitive, soit la remise en liberté du ressortissant lorsque cela est justifié. Ce contrôle, ainsi décrit, a toutes les apparences d'un contrôle d'opportunité. Cela signifie-t-il que le contrôle mensuel de légalité de la détention des étrangers aux fins d’éloignement tel qu’il est pratiqué en Belgique devrait muer vers un contrôle d’opportunité ?
L’arrêt Mahdi, qui ne concerne que le contrôle de la prolongation de la décision de rétention, n’apporte pas de réponse définitive à cette question. Le contrôle d’opportunité doit être opéré, selon les termes de l’arrêt, au moment de la « prolongation de la rétention ». Reste à savoir ce qu’entend la Cour par « prolongation de la détention ». Conformément au paragraphe 42 de l'arrêt : « Toute rétention qui dépasse six mois doit être considérée […] comme une rétention prolongée aux fins de l’article 15, paragraphe 3, de la [directive 2008/115/CE]. » La Cour n’exclut pas explicitement qu’une détention de moins de six mois puisse être considérée comme une « rétention prolongée ». Alors que l’Avocat général semblait l’affirmer[1], la Cour se garde soigneusement de fournir le moindre élément qui puisse le laisser penser. Or, cela est important puisque l’obligation de procéder à un contrôle judiciaire d’opportunité telle qu’elle est formulée dans l’arrêt concerne seulement les contrôles réalisés au terme d’une « détention prolongée »[2]. La Cour n’était malheureusement pas saisie d’une question tendant à déterminer la nature du contrôle judiciaire à opérer à l’égard de décisions de rétention qui seraient « prolongées » avant l’expiration d’une période initiale de six mois. En conséquence, la seule certitude qui puisse être tirée de l’arrêt Mahdi est qu’au terme d’une détention de six mois, un contrôle judiciaire d’opportunité défini selon les modalités contenues dans l’arrêt doit être opéré.
Pour le reste, au sens de la directive 2008/115, une distinction pourrait être faite entre deux types de contrôle : un contrôle de légalité, immédiatement après la prise de décision de détention, et un contrôle d’opportunité, au moment de la prolongation de celle-ci au-delà de six mois. La nature d’éventuels contrôles réalisés après le 1er contrôle de légalité et avant l’expiration de la période de six mois de détention n’est pour l’heure pas définie et demeure donc à l’appréciation des États membres. Cela limite considérablement la portée de l’arrêt Mahdi sur la pratique belge.
Un second point important de l’arrêt concerne l’article 6 de la directive 2008/115. Cette disposition impose aux États membres de prendre une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Cela a pour conséquence que les États sont placés devant une alternative : soit ils régularisent les ressortissants de pays tiers[3], soit ils prennent à leur encontre une décision de retour. D’aucuns ont considéré que cet article 6 imposait une régularisation dans le cas où la décision de retour ne serait pas exécutée par l’État membre[4]. L’arrêt Mahdi exclut désormais cette lecture : « un État membre ne peut être obligé de délivrer un titre de séjour autonome à un ressortissant d’un pays tiers n’étant pas en possession de documents d’identité et n’ayant pas obtenu de tels documents de son pays d’origine, après qu’un juge national a libéré ce ressortissant au motif qu’il n’existerait plus de perspective raisonnable d’éloignement. Toutefois, cet État membre doit, dans un tel cas, délivrer audit ressortissant une confirmation écrite de sa situation. »[5]
Cela fait écho au considérant 12 de la directive dans lequel on pouvait déjà lire : « Afin d’être en mesure de prouver leur situation spécifique en cas de vérifications ou de contrôles administratifs, [les ressortissants de pays tiers qui sont en séjour irrégulier, mais qui ne peuvent pas encore faire l’objet d’un éloignement] devraient se voir délivrer une confirmation écrite de leur situation. »
Il revient donc aux États membres de délivrer une décision d’éloignement à tout étranger en séjour irrégulier et, à défaut de pouvoir les éloigner, de leur notifier une décision écrite de report de leur éloignement. Les États membres bénéficient d’une grande latitude pour déterminer la forme et le modèle de cette confirmation écrite[6]. Cela peut inclure l’octroi d’un titre de séjour, mais pas uniquement.
En droit belge, seul l’article 74/17, § 2, alinéa 5, de la loi du 15 décembre 1980 semble aborder la question. Il dispose que le ressortissant d’un pays tiers détenu en vue de son éloignement ne doit être informé qu’oralement du report de celui-ci[7]. Aucune précision n’est donnée pour l’hypothèse où le report de l’éloignement entraînerait la libération du détenu. La jurisprudence Mahdi impose désormais à l’Office des étrangers de délivrer une confirmation écrite de sa situation à l’étranger ainsi libéré.
PdH
C. Pour en savoir plus
Pour consulter l’arrêt :
C.J.U.E., 5 juin 2014, Mahdi c. Bulgarie, C 146/14 PPU.
Prise de position de l’avocat général M. Maciej Szpunar, affaire C‑146/14 PPU, présentée le 14 mai 2014.
En doctrine :
S. Slama, « Rétention : Le JLD doit-il désormais exercer un contrôle de pleine juridiction lors de la prolongation ? », C.P.D.H., 5 juin 2014.
M.L. Basilien-Gainche, « Judicial control of Detention : A deceptive upheaval ? », EU Law Analysis, 10 juin 2014.
Pour citer cette note : P. d’HUART, « Prolongation de la détention : forme et contrôle judiciaire de la décision de prolongation de la détention aux fins d’éloignement », Newsletter EDEM, juin 2014.
[1] « Les réexamens en cas de périodes de rétention prolongées, visés à l’article 15, paragraphe 3, seconde phrase, de cette directive, sont, selon ma lecture de cette disposition, opérés en vue d’obtenir une prolongation de la rétention initiale, que cette prolongation débute pendant la période visée à l’article 15, paragraphe 5, de la directive 2008/115 (25) ou à l’échéance de cette période (26) » (nous soulignons), Prise de position de l’avocat général M. Maciej Szpunar, affaire C‑146/14 PPU, présentée le 14 mai 2014, § 66.
[2] Voy. notamment les paragraphes 62 et 64 de l’arrêt.
[3] Cette possibilité reste toujours envisageable, ainsi que le précise l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2008/115/CE.
[4] S. Slama, « La transposition de la directive "retour" : vecteur de renforcement ou de régression des droits des irréguliers ? », in L. Dubin (dir.), La légalité de la lutte contre l'immigration irrégulière par l'Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 332.
[5] C.J.U.E., 5 juin 2014, Mahdi c. Bulgarie, C 146/14 PPU, § 89.
[6] Ibid., § 88.
[7] Art. 74/17, § 2, alinéa 5, de la loi du 15 décembre 1980.