C.J.U.E., 7 novembre 2013, X., Y. et Z., aff. jointes C-199/12 à C-201/12

Louvain-La-Neuve

L’évaluation concrète des demandes d’asiles fondées sur l’homosexualité.

La C.J.U.E. définit l’acte de persécution en référence aux sanctions concrètement risquées par un demandeur d’asile homosexuel en raison de son homosexualité. Ce faisant, la C.J.U.E. juge que la seule existence d’une législation pénalisant l’homosexualité ne constitue pas en soi un acte de persécution. Le demandeur d’asile doit encore démontrer que la sanction risque de lui être appliquée.La C.J.U.E. précise en outre que l’orientation homosexuelle est une caractéristique à ce point essentielle pour l’identité d’un individu qu’il ne peut être exigé qu’il y renonce. Elle peut donc fonder un « groupe social », d’une part, et ne doit pas être dissimulée ou exprimée avec réserve, d’autre part.

Art. 9 de la directive qualification – Art. 10 de la directive qualification – Art. 48/3 de la loi du 15 décembre 1980 – Groupe social fondé sur l’orientation homosexuelle – Absence d’exigence de discrétion – Acte de persécution et pénalisation de l’homosexualité.

A. Arrêt

Les faits et les questions préjudicielles

X., Y. et Z., dont l’homosexualité n’est pas remise en cause, proviennent respectivement de Sierra Leone, d’Ouganda et du Sénégal, pays où l’homosexualité constitue une infraction pénale passible de réclusion. Leurs demandes d’asile introduites aux Pays-Bas sont rejetées au motif que leur récit d’asile manque de crédibilité[1]. En première instance, le Rechtbank‘s-Gravenhage annule les décisions relatives à X. et Y. au motif que l’administration néerlandaise n’a pas motivé sa décision eu égard à la pénalisation de l’homosexualité en Sierra Leone et en Ouganda[2]. La même juridiction confirme la décision de rejet à l’encontre de Z., constatant qu’il n’existe pas de persécution généralisée à l’encontre des homosexuels au Sénégal[3].

Saisi d’appels interjetés par l’administration néerlandaise et par Z., le Conseil d’Etat des Pays-Bas adresse à la Cour de justice de l’Union européenne trois questions préjudicielles. Ces questions concernent l’application aux demandes d’asile homosexuel du motif de persécution (l’homosexualité peut-elle fonder un groupe social ?), de l’acte de persécution (la seule pénalisation de l’homosexualité atteint-elle un seuil de gravité suffisant ?) et de l’exigence de discrétion (peut-on attendre d’un demandeur d’asile homosexuel qu’il demeure discret pour éviter la persécution ?).

La réponse de la C.J.U.E.

Premièrement, la Cour considère que : « en fonction des circonstances qui prévalent dans le pays d’origine, un groupe social spécifique peut être un groupe dont les membres ont pour caractéristique commune une orientation sexuelle »[4].

Pour atteindre cette conclusion, la Cour s’appuie sur l’article 10, § 1er, de la directive qualification qui définit le motif de persécution « groupe social ». Selon cette disposition, le « groupe social » suppose que des individus revêtant une caractéristique commune soient perçus par la société concernée comme formant une entité différente de celle-ci. Pour être qualifiée de commune, la caractéristique en cause doit être inamovible soit parce qu’elle est intrinsèque à l’individu (par ex. le sexe), soit parce qu’elle est à ce point essentielle pour son identité qu’il ne peut être exigé qu’il y renonce (par ex. la croyance religieuse).  Notant que l’homosexualité constitue une caractéristique essentielle pour l’identité d’un individu, d’une part, et que sa pénalisation implique que les homosexuels soient perçus comme différents du reste de la société, d’autre part, la C.J.U.E. constate que les requérants dans les affaires en cause relèvent d’un « groupe social ».

Deuxièmement, la Cour juge que : « la seule existence d’une législation pénalisant des actes homosexuels ne saurait être considérée comme un acte affectant le demandeur d’une manière si significative qu’il atteint le niveau de gravité qui est nécessaire pour considérer que cette pénalisation constitue une persécution »[5]. Ce faisant, la Cour part également du texte de l’article 9, § 1er, de la directive qualification, qui définit l’acte de persécution comme un acte, ou une accumulation d’actes, atteignant un seuil de gravité équivalent à la violation d’un droit consacré comme indérogeable par la Cour eur. D.H. Notant que l’homosexualité relève du droit à la vie privée et familiale[6], qui n’est pas un droit indérogeable, la Cour considère que la seule existence d’une législation prohibant l’exercice d’un tel droit n’atteint pas en soi un degré de gravité suffisant pour constituer une persécution[7].

La Cour poursuit en jugeant que la peine d’emprisonnement prévue par les lois en cause constitue quant à elle une persécution. Non seulement une telle peine viole le droit à la vie privée et familiale, mais elle correspond également à une sanction discriminatoire au sens de l’article 9, § 2, c), de la directive qualification, lequel liste non exhaustivement des exemples d’actes de persécution[8]. Pour cette raison, selon la Cour, les autorités nationales doivent se renseigner sur l’application en pratique de la loi pénalisant l’homosexualité, conformément à l’article 4, § 3, a), de la directive qualification[9].

S’il ressort de cet examen que les sanctions prévues à l’encontre des homosexuels risquent d’être appliquées au demandeur d’asile, ces derniers doivent être reconnus réfugiés.

Troisièmement, la Cour répond que : « Il n’est […] pas permis de s’attendre à ce que, pour éviter d’être persécuté, un demandeur d’asile dissimule son homosexualité dans son pays d’origine »[10].

En effet, selon la Cour, il serait contradictoire d’exiger d’un individu qu’il dissimule son orientation sexuelle alors qu’elle constitue une caractéristique pouvant fonder un groupe social parce qu’elle est à ce point essentielle pour l’identité d’un individu qu’il ne peut être exigé qu’il y renonce[11]. De même, aucune réserve dans l’expression de son orientation homosexuelle ne peut être exigée d’un individu, conformément à la jurisprudence Y. et Z.[12] Dans cette affaire, relative à des demandeurs d’asile persécutés en raison de leur religion, la Cour avait clairement jugé que les règles relatives à l’évaluation d’une demande d’asile consacrées à l’article 4 de la directive qualification n’imposaient aucune exigence de réserve dans l’expression d’un droit fondamental.

B. Éclairage

En droit de l’U.E. La définition concrète de l’acte de persécution

L’arrêt X., Y. et Z. se situe dans la droite ligne de la jurisprudence Y. et Z. Dans Y. et Z., la C.J.U.E. adoptait une définition concrète de l’acte de persécution. Ce dernier doit être identifié en référence aux sanctions effectivement risquées en cas d’exercice d’un droit fondamental, premièrement, sans qu’il ne puisse être attendu d’un demandeur d’asile qu’il demeure discret dans l’exercice de ce droit fondamental, deuxièmement[13]. En ce qui concerne les demandeurs d’asile homosexuels, une telle évaluation concrète implique, premièrement, qu’une législation pénalisant l’homosexualité ne constitue pas en soi un acte de persécution ; encore faut-il qu’elle soit effectivement appliquée. Elle implique, deuxièmement, qu’il ne peut pas être exigé d’un demandeur d’asile homosexuel qu’il fasse preuve de discrétion dans son pays d’origine pour échapper à des actes de persécution.

La généralisation de cette approche a pour effet de concentrer l’attention des autorités nationales sur les actes risqués par le demandeur d’asile en cas de retour plutôt que sur le cadre législatif du pays d’origine. La loi dans son existence abstraite n’est pas déterminante. Ainsi, ce n’est pas parce qu’une loi interdit les discriminations à l’égard des homosexuels que ces derniers sont effectivement protégés contre la persécution. Suivant la même logique, ce n’est pas parce qu’une loi pénalise l’homosexualité que la demande d’asile introduite par un homosexuel est nécessairement fondée. Il lui faut également démontrer que la sanction prévue par la loi lui sera appliquée, soit que la loi pénalisant l’homosexualité fasse l’objet d’une application systématique, soit que le profil individuel du demandeur implique qu’elle sera appliquée dans son cas précis.

Pour autant, l’existence d’une telle législation doit être prise en considération dans l’examen de la demande d’asile. La C.J.U.E. renvoie en effet aux règles d’évaluation des faits et circonstances consacrées par l’article 4 de la directive qualification, lesquelles enjoignent aux Etats membres de tenir compte de « tous les faits pertinents concernant le pays d'origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d'origine et la manière dont ils sont appliqués »[14]. Si le poids revêtu par la pénalisation de l’homosexualité dans l’examen d’une demande d’asile n’est pas déterminant, il demeure important.

En droit international. La cohérence avec la jurisprudence de la Cour eur. D.H.

Le jugement de la C.J.U.E. selon lequel une législation pénalisant l’homosexualité ne constitue pas en soi un acte de persécution peut surprendre au regard de la jurisprudence de la Cour eur. D.H.[15]. En effet, ainsi que l’a rappelé l’avocat général dans ses conclusions, la Cour eur. D.H. a jugé à plusieurs reprises qu’une telle législation viole en soi le droit à la vie privée et familiale[16]. Cependant, dans sa décision d’irrecevabilité F. c. Royaume-Uni, la Cour eur. D.H. a considéré que le renvoi du requérant homosexuel vers l’Iran, où la loi pénalisant l’homosexualité n’était pas appliquée, ne viole pas la CEDH[17]. En effet, selon la Cour eur. D.H., « il ne peut pas être exigé que l’Etat partie d’expulsion ne renvoie un étranger que vers un pays où l’ensemble des droits et libertés protégés par la Convention sont complètement et effectivement respectés »[18].

Pour autant, tout comme la C.J.U.E., la Cour eur. D.H. n’autorise pas les États à ignorer l’existence d’une telle législation lorsqu’ils évaluent le risque auquel le requérant est individuellement confronté. Dans F., la Cour eur. D.H. souligne que la législation iranienne pénalisant l’homosexualité démontre la vulnérabilité particulière des homosexuels aux abus, avant de conclure que le profil individuel du requérant n’établit pas qu’il risque de subir de tels abus. Dans Uttam Mondal c. Suède, le Comité des Nations-Unies contre la torture adopte une approche similaire au sujet d’un requérant bangladais qui craignait de subir de la torture en raison de son homosexualité. En l’espèce, le Comité considère ce risque avéré au vu du profil individuel du requérant qui est visé par une fatwa, a subi de la torture par le passé, est opposant politique et appartient à la minorité hindoue[19]. La circonstance que les autorités bangladaises n’appliquent pas activement la législation pénalisant l’homosexualité ne suffit pas à annihiler ce risque[20].

Conclusion

L’arrêt X., Y. et Z. consacre en droit européen de l’asile la protection dont doivent bénéficier les individus victimes de persécution en raison de leur orientation homosexuelle. Il met un terme au refus de certains États membres de considérer l’application d’une législation pénalisant l’homosexualité comme constitutive d’un acte de persécution, d’une part, ainsi qu’à l’exigence de discrétion, d’autre part[21]. En outre, s’il ne va pas jusqu’à considérer que l’existence d’une législation pénalisant l’homosexualité constitue en soi un acte de persécution, il oblige les États membres à tenir compte d’une telle législation dans l’évaluation du risque individuel de subir un acte de persécution.

Afin que l’arrêt X., Y. et Z. aboutisse à une prise en considération effective des besoins de protection spécifiques des demandeurs d’asile homosexuels, toutefois, l’examen de crédibilité de l’orientation homosexuelle ne peut mener à une réintroduction indirecte de l’exigence de discrétion ou imposer une charge de la preuve disproportionnée. La question préjudicielle adressée par le Conseil d’Etat des Pays-Bas à ce sujet devrait permettre à la Cour de préciser les limites dans lesquelles l’examen de crédibilité devra se réaliser[22].

L.L.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : C.J.U.E., 7 novembre 2013, X., Y. et Z., aff. jointes C-199/12 à C-201/12, non encore publié au Rec.

Pour citer cette note : L. Leboeuf, « L’évaluation concrète des demandes d’asiles fondées sur l’homosexualité », Newsletter EDEM, novembre 2013.


[1] C.J.U.E., 7 novembre 2013, X., Y. et Z., aff. jointes C-199/12 à C-201/12, non encore publié au Rec., § 28.

[2] Ibid., § 30.

[3] Ibid., § 31.

[4] Ibid., § 46.

[5] Ibid., § 55.

[6] Art. 8 CEDH ; art. 7 Charte des droits fondamentaux de l’U.E.

[7] C.J.U.E., X., Y. et Z., op. cit., § 54.

[8] Ibid., § 57.

[9] Ibid., § 59.

[10] Ibid., § 71.

[11] Ibid., § 70.

[12] Ibid., § 74 ; C.J.U.E., 5 septembre 2012, Y.et Z., aff. jointes C-71/11 et C-99/11, non encore publié au Rec.

[13] L. LEBOEUF et L. TSOURDI, « Towards a Re-definition of Persecution ? Assessing the Potential Impact of Y. and Z. », H.R.L.R., 2013, p. 402.

[14] Art. 4, § 3, a), de la directive qualification (notre emphase) ; C.J.U.E., X., Y. et Z., op. cit., § 58 : « il appartient aux autorités nationales de procéder […] à un examen de tous les faits pertinents concernant ce pays d’origine, y compris les lois et les règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués » (notre emphase).

[15] S. CHELVAN, « A Missed Opportunity Or a New Dawn ? », European Law Blog, 13 novembre 2013 ;  C. LANTERO et M.-L. GASILIEN-BAINCHE, « Groupe social et statut de réfugié : une victoire à la Pyrrhus pour les personnes homosexuelles », Lettres ADL du CREDOF, 13 novembre 2013 ; J. PETIN, « La Cour de justice et les persécutions fondées sur l’orientation sexuelle, un tournant de la protection internationale ? », GDR ELSJ, 15 novembre 2013 ; H.C.R., « Claims to Refugee Status based on Sexual Orientation and/or Gender Identity within the context of Article 1A(2) of the 1951 Convention and/or its 1967 Protocol relating to the Status of Refugees », Guidelines On International Protection No 9, 2012, § 27.

[16] Conclusions de l’avocat général Sharpston, présentées le 11 juillet 2013 dans C.J.U.E., X, Y et Z, aff. jointes C-199/12, C-200/12 et C-201/12, non encore publié au Rec., § 41 ; voy. notamment Cour eur. D.H., 22 octobre 1981, Dudgeon c. Royaume-Uni, req. n° 7525/76.

[17] Cour eur. D.H. (irr.), 22 juin 2004, F. c. Royaume-Uni, req. n° 17341/03, § 1.

[18] Ibid., § 3 : « it cannot be required that an expelling Contracting State only return an alien to a country which is in full and effective enforcement of  all the rights and freedoms set out in the Convention » (notre traduction).

[19] C.C.T., 7 juillet 2011, Uttam Mondal c. Suède, com. n° 338/2008, § 7.7.

[20] Ibid., § 7.3. : « the Committee notes that the State party’s argument that Bangladeshi authorities are not actively persecuting homosexuals does not rule out that such prosecution can occur ».

[21] Le Danemark, La Norvège, la Bulgarie, l’Espagne et la Finlande refusaient de reconnaitre la qualité de réfugié sur la seule base de l’application d’une législation pénale incriminant l’homosexualité (S. JANSEN et T. SPIJKERBOER, Fleeing Homophobia, 2011, p. 24).

[22] Aff. C-148/13, C-149/13 et C-150/13 : « Quelles sont les limitations imposées par l’article 4 de la directive 2004/83/CE [1] du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, et par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en particulier ses articles 3 et 7, à la manière dont est apprécié le caractère crédible d’une orientation sexuelle prétendue; ces limitations sont-elles différentes de celles valant pour l’appréciation du caractère crédible d’autres motifs de persécution et, dans l’affirmative, à quel égard ? ».

Publié le 16 juin 2017