Cass., 2e ch., 15 juin 2016, R.G. n° P.16.0604.F

Louvain-La-Neuve

Le pourvoi en cassation en matière de privation de liberté d’un étranger soumis à des règles procédurales distinctes de celles relatives à la détention préventive.

Sous peine d’irrecevabilité, le pourvoi en cassation contre un arrêt de la Chambre des mises en accusation adopté en matière de privation de liberté d’un étranger doit être formé par un avocat titulaire de l’attestation visée à l’article 425, §1er, alinéa 2 du Code d’instruction criminelle. Ce faisant, la Cour de cassation se prononce sur le droit applicable à la procédure devant les juridictions d’instruction lorsque celles-ci contrôlent la légalité de la détention administrative d’un étranger.

Loi du 15 décembre 1980, art. 71 et s. – Contrôle de la légalité de la détention – Procédure devant les juridictions d’instruction – Cassation – Avocat agréé.

A.  Arrêt

Le requérant, privé de liberté en raison de l’irrégularité de son séjour, a sollicité de la Chambre du conseil le contrôle de la légalité de sa détention sur la base des articles 71 à 74 de la loi du 15 décembre 1980 (ci-après « la loi relative aux étrangers »). L’article 72 de la loi relative aux étrangers renvoyant aux dispositions relatives à la détention préventive, la détermination des règles applicables à la procédure devant les juridictions d’instruction pose débat : doit-il s’agir des règles telles qu’elles étaient en vigueur lors de l’adoption de la loi relative aux étrangers, ou telles qu’elles sont en vigueur aujourd’hui ?

Par une jurisprudence constante, la Cour de cassation opte pour la première interprétation. Elle souligne que la loi sur les étrangers ne peut s’interpréter comme renvoyant à la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive. En effet, cette loi n’existait pas lors de son adoption, de sorte qu’elle ne peut pas y avoir renvoyé. Il s’ensuit que les dispositions applicables sont celles qui régissaient la détention préventive en 1980 à savoir, d’une part, la loi du 20 avril 1874 relative à la détention préventive et, d’autre part, le Code d’instruction criminelle qui la complète sur les questions de procédure.

La loi du 20 avril 1874 étant silencieuse quant au pourvoi en cassation, le Code d’instruction criminelle est applicable à cette voie de recours. Il prévoit, depuis la réforme « pot-pourri II », que le pourvoi devant la Cour de cassation doit être formé par un avocat titulaire de l’attestation visée à l’article 425, §1er, qui établit qu’il a suivi une formation spécifique en cassation pénale. La Cour de cassation en déduit que seul l’avocat titulaire de pareille attestation peut introduire un pourvoi en cassation en matière de droit des étrangers.

Le requérant sollicitait de la Cour de cassation qu’elle pose une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle sur la compatibilité de cet article 425 du Code d’instruction criminelle avec les articles 10 et 11 de la Constitution. La Cour de cassation rejette cette demande dès lors que, depuis l’introduction du pourvoi devant la Cour de cassation, le requérant a fait l’objet d’une nouvelle décision de maintien, de sorte que le pourvoi est devenu sans objet. En effet, le pourvoi concernait la précédente décision de maintien qui n’est plus celle sur la base de laquelle le requérant est détenu.

B. Éclairage

L’arrêt commenté pose la question de la détermination des règles de procédure applicables devant les juridictions d’instruction.

L’article 72 de la loi relative aux étrangers renvoie « aux dispositions légales relatives à la détention préventive ». Il est précisé qu’il est fait exception à ce renvoi en ce qui concerne les règles « relatives au mandat d’arrêt, au juge d’instruction, à l’interdiction de communiquer, à l’ordonnance de prise de corps, à la mise en liberté provisoire ou sous caution, et au droit de prendre communication du dossier administratif ». Cette dernière règle est régie directement par l’article 72 qui précise que « le conseil des étrangers peut consulter le dossier au greffe du tribunal compétent pendant les deux jours ouvrables qui précèdent l’audience ». Le dossier administratif doit y être déposé et y être consultable. Les autres règles citées sont spécifiques à la détention préventive dans le cadre d’une procédure pénale.

L’article 72 fait référence à la législation relative à la détention préventive. La détention préventive est régie en Belgique par une loi du 20 juillet 1990. Cette dernière encadre la détention préventive de conditions strictes ; elle fixe des délais ainsi que les règles relatives au contrôle par les juridictions d’instruction. Elle garantit un contrôle juridictionnel régulier et à brefs délais. La remise en liberté est ordonnée si ces règles sont méconnues.

La Cour de cassation estime que ce régime n’est pas applicable dès lors que la loi du 20 juillet 1990 ne pouvait être celle à laquelle s’est référée la loi relative aux étrangers, datant du 15 décembre 1980. Il faut alors rechercher les règles de procédure qui étaient applicables lors de l’entrée en vigueur de la loi relative aux étrangers, à savoir la loi du 20 avril 1874 relative à la détention préventive. Cette dernière est, toutefois, silencieuse quant aux règles de procédures applicables. Elle renvoie au Code d’instruction criminelle sur ce point.

Quant à l’articulation de ces textes, la Cour de cassation souligne :

« La loi (relative aux étrangers) ne fait pas mention du pourvoi en cassation, lequel demeure, en cette matière, régi par le Code d’instruction criminelle. En effet, l’article 72 de la loi, d’une part, ne vise que la procédure « d’instruction » du recours judiciaire qu’il prévoit, sur lequel statue la Chambre du Conseil et, en cas d’appel, la Chambre des mises en accusation, et d’autre part, se réfère nécessairement à la loi relative à la détention préventive en vigueur lors de la promulgation de la loi du 15 décembre 1980 à savoir celle du 20 avril 1874, qui ne contenait aucune disposition concernant le pourvoi en cassation, lequel était formé suivant les règles du Code d’instruction criminelle. Par ailleurs, la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, qui consacre un chapitre au pourvoi en cassation, n’a pas modifié l’article 72 de la loi du 15 décembre 1980 ».

Ce seul paragraphe décrit un régime légal complexe et moins exigeant face à la privation de liberté que celui consacré par la loi de 1990 relative à la détention préventive.

Plusieurs exemples peuvent être cités :

- La signature du pourvoi par l’avocat ayant suivi la formation prévue par le Code d’instruction criminelle n’est pas une exigence dans la loi de 1990 relative à la détention préventive. Elle l’est en matière de détention administrative des étrangers… Outre les questions que pose cette différence de traitement, s’il fallait juger une telle formation pertinente, il conviendrait à tout le moins de prévoir un volet spécifique au contentieux de la privation de liberté sur la base de la loi relative aux étrangers, contentieux bien éloigné du droit pénal.

- Dans la loi du 20 juillet 1990, il ne peut être formé de pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Chambre des mises en accusation qui ordonne la remise en liberté. A l’inverse, une telle limite n’existe pas dans le Code d’instruction criminelle de sorte qu’un pourvoi peut être formé par le Ministère publique ou l’Etat belge. De surcroît, ce pourvoi suspend la remise en liberté. L’étranger reste détenu jusqu’à ce qu’une juridiction coulée en force de chose jugée décide sa remise en liberté. Ceci se déduit également du prescrit de l’article 73 de la loi relative aux étrangers, qui ne prévoit la remise en liberté que si la juridiction d’instruction censure la privation de liberté et que sa décision est coulée en force de chose jugée.

« La loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, qui consacre un chapitre au pourvoi en cassation, n’a pas modifié ledit article 72 de la loi du 15 décembre 1980; que, dès lors, même depuis l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions légales relatives à la détention préventive, le ministère public peut se pourvoir en cassation contre l’arrêt de la chambre des mises en accusation qui ordonne la remise en liberté d’un étranger, ce pourvoi étant réglé par les dispositions du Code d’instruction criminelle. Attendu qu’il se déduit, par ailleurs, de l’article 73 de la loi du 15 décembre 1980 précitée, qu’à l’instar du cas qu’il précise où la chambre du conseil décide de ne pas maintenir l’arrestation de l’étranger, ce dernier n’est remis en liberté, après un arrêt de la chambre des mises en accusation contenant la même décision, que lorsque celle-ci est coulée en force de chose jugée, soit au plutôt à l’expiration du délai prévu par l’article 373 du Code d’instruction criminelle » (Cass., 2ème ch., 14 mars 2001, n° P.01.0179.F ; dans le même sens, voy. Cass., 2e ch., 10 septembre 2014, R.G. n° P.14.1374.F, Pas., 2015/9, pp. 1806-1810 ; dans le même sens, Cass., 2e ch., 21 décembre 2011, R.G. n° P.11.2042.F).

- Les délais applicables ne sont pas non plus les délais prévus par la loi actuelle sur la détention préventive. Il faut combiner les délais prévus par la loi relative aux étrangers, la loi du 20 avril 1874 et le Code d’instruction criminelle.

La loi relative aux étrangers dispose que la Chambre du conseil statue dans les cinq jours ouvrables du dépôt de la requête ; un même délai de cinq jours ouvrables est imposé au Ministre lorsqu’il décide pour une seconde fois de prolonger la détention. Il doit alors saisir la Chambre du conseil dans les cinq jours de la prolongation (article 74).

Rien n’est précisé en ce qui concerne la procédure d’appel devant la Chambre des mises en accusation. La loi de 1874 indique que l’appel doit être interjeté dans un délai de 24h (article 20) ; la Chambre des mises en accusation doit statuer dans les cinq jours de la déclaration d’appel.

En ce qui concerne le pourvoi en cassation, il y a lieu de se référer au Code d’instruction criminelle puisque la loi de 1874 reste silencieuse. Le Code d’instruction fixe les délais de la manière suivante. L’article 423 prévoit que la déclaration de pourvoi en cassation doit être faite dans les quinze jours du prononcé de la décision attaquée. L’article 429 prévoit que le demandeur en cassation ne peut indiquer ses moyens que dans un mémoire remis au greffe au plus tard quinze jours avant l’audience.

Ces délais sont différents de ceux prévus par la loi sur la détention préventive, lesquels sont raccourcis aux fins qu’il soit statué à brefs délais. Le régime du Code d’instruction criminelle paraît peu adapté à une procédure rapide puisqu’il régit la procédure pénale au fond. Des délais brefs doivent être prévus dès lors que le contrôle de la détention des étrangers doit s’effectuer de mois en mois, sur une période de privation de liberté maximale de cinq mois.

Ces quelques points illustrent la piètre qualité du régime légal en place. Outre sa complexité, cet enchevêtrement de normes soumet l’étranger et son conseil à une forte insécurité juridique. Ces défauts posent question face à l’exigence de qualité de la loi qui se déduit de l’article 5 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, ou encore de la Directive retour qui exige en tout cas un contrôle juridictionnel accéléré.

Plus fondamentalement, ces difficultés s’ajoutent à l’inadéquation déjà dénoncée du contrôle exercé par les juridictions d’instruction. La loi confine le juge à un contrôle de la légalité, à l’exclusion de l’opportunité, alors que la Directive retour impose un examen de la subsidiarité de la privation de liberté. La limite opportunité – légalité résiste mal à la nécessité de contrôler la proportionnalité de la privation de liberté sous l’angle des droits fondamentaux. Enfin, effectuer un contrôle de la légalité de la détention en vue d’éloignement, alors que la mesure d’éloignement elle-même est contrôlée par un autre juge, a déjà été soulignée. S’il s’agit de statuer quant à la subsidiarité du recours à la détention, la difficulté est moindre. S’il s’agit par contre, d’examiner, via le contrôle de la privation de liberté, une atteinte à la vie familiale ou un risque de traitement inhumain et dégradant, le juge de l’ordre judiciaire court le risque d’adopter une décision en contradiction avec celle prise par son homologue administratif.

Plutôt que de la paraphraser, on lira avec intérêt l’invitation à mettre en place un contrôle de plein contentieux de la détention des étrangers formulée récemment par Damien Vandermeersch :

« Lorsqu’on compare les pouvoirs reconnus à la juridiction d’instruction en matière de détention préventive et ceux qui lui sont attribués lors du recours de l’étranger contre la mesure privative de liberté, le contraste est frappant. Dans le cadre de la loi relative à la détention préventive, la juridiction d’instruction est tenue de vérifier en fait l’existence des conditions de fond justifiant le maintien de la détention préventive, et plus particulièrement l’absolue nécessité pour la sécurité publique justifiant la détention, tandis que la loi du 12 décembre 1980 limite la mission de cette même juridiction au seul contrôle de légalité.

Or en matière de privation de liberté, un contrôle de pure légalité n’épuise pas la notion du droit à la liberté et celle d’équité : ce n’est pas parce qu’une mesure privative de la liberté a été prise en respectant les conditions formelles prévues par la loi qu’elle est nécessairement équitable et justifiée au regard des circonstances concrètes de la cause. Un recours effectif exige de pouvoir vérifier en fait et en droit si le placement en rétention administrative est une mesure de dernier ressort à laquelle aucune alternative ne peut se substituer.

Lorsque le droit à la liberté individuelle est en jeu, le pouvoir judiciaire est le garant du respect de ce droit et doit constituer un rempart contre toute forme d’abus de pouvoir ou d’arbitraire : cet objectif ne peut être atteint par un seul contrôle de légalité formelle mais nécessite aussi une vérification de l’opportunité de la mesure, notamment au regard des principes de proportionnalité et de subsidiarité. Le juge devrait ainsi pouvoir procéder lui-même à une appréciation, indépendante et impartiale, des éléments de fait de la cause pour vérifier et, si nécessaire, censurer, la mesure sous l’angle de ses mérites, de sa pertinence et de son efficacité.

De plus, à l’instar de la détention préventive, ne serait-il pas justifié de réserver les privations de liberté des étrangers aux cas d’absolue nécessité conformément au principe suivant lequel « la liberté est la règle et la détention, l’exception » ? Un premier pas a été accompli dans cette direction avec l’introduction par la loi du 19 janvier 2012 de la condition de subsidiarité et d’une certaine forme de proportionnalité mais, encore faut-il que le respect, dans les faits, de ces conditions, puisse être contrôlé.

Toute personne humaine privée de liberté, belge ou étrangère, innocente ou présumée innocente, doit pouvoir bénéficier d’un recours de pleine juridiction auprès du pouvoir judiciaire pour vérifier et apprécier l’absolue nécessité du maintien de sa détention » (VANDERMEERSCH, D., « La détention préventive de la personne présumée innocente et la privation de liberté de l'étranger. », Rev. dr. pén., 2015/6, p. 618). 

S.S.

C. Pour en savoir plus

Lire l’arrêt :

Cass., 2e ch., 15 juin 2016, R.G. n° P.16.0604.F.

Doctrine

Sur la mise en œuvre en droit belge de la directive retour, voy. Saroléa, Sylvie ; D'Huart, Pierre. La réception du droit européen de l'asile en droit belge: la directive retour.

Sur la détention des étrangers, voy. Vandermeersch, D., « La détention préventive de la personne présumée innocente et la privation de liberté de l'étranger. », Rev. dr. pén., 2015/6, p. 602-619.

Sur les procédures pénales, voy. aussi :

- Vandermeersch, D., « La procédure en cassation en matière pénale. Les modifications apportées par la loi du 14 février 2014 et les modifications envisagées par la loi pot-pourri II » in Le point sur les procédures de cassation, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 7-46

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Pour citer cette note : S. SAROLEA, « Le pourvoi en cassation en matière de privation de liberté d’un étranger soumis à des règles procédurales distinctes de celles relatives à la détention préventive », Newsletter EDEM, août 2016.

Publié le 08 juin 2017