C.C.E., 17 octobre 2017, n° 208 631

Louvain-La-Neuve

Crédibilité : un raisonnement juridique à saluer.

Le Conseil du contentieux des étrangers reconnaît le statut de réfugié à une femme albanaise alléguant une crainte de persécution en cas de renvoi en Albanie au motif que sa famille serait en proie à une vendetta avec la famille de l’homme qu’elle a refusé d’épouser (mariage forcé). Il renverse, en tout point, le raisonnement du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, en octroyant le bénéfice du doute à la requérante et en pointant les carences et les lacunes dans l’accès à une protection des autorités dans le cadre d’une vendetta.

Demande d’asile – Albanie – pays d’origine sûr – femme vulnérable – mariage forcé – violences familiales – vendetta – reconnaissance.

A. Arrêt

La requérante est de nationalité albanaise. Elle vit dans la maison familiale et s’occupe, depuis 1999, de sa mère gravement malade ainsi que des enfants de ses deux frères. En 2012, après le décès de sa mère, la relation entre la requérante et ses frères se dégrade. Ils souhaitent qu’elle quitte le domicile familial. Dans un premier temps, ils l’insultent, la battent et lui demandent de se marier et de partir. Dans un second temps, ils tentent de la marier de force, ce qu’elle refuse. Il s’ensuit une violente altercation au cours de laquelle la requérante est blessée. Ses deux frères lui choisissent alors un mari, un certain A.K.

La requérante déclare s’être, à ce moment, résignée à l’idée d’être mariée de force. Elle apprend via l’un de ses cousins, G., qu’A.K. a été condamné pour meurtre en Allemagne et est réputé violent. Elle décide alors de quitter la maison familiale et de se rendre chez G., à Tirana. Quelques jours après son arrivée, ses deux frères préviennent G., par téléphone, qu’en raison du départ de la requérante et de la rupture du projet de mariage, la famille d’A.K. s’estime déshonorée et considère que leur famille lui « doit un sang ». Ils le préviennent également qu’ils vivent désormais dans la crainte, enfermés chez eux.

Après avoir eu deux contacts infructueux avec les autorités albanaises, via G., la requérante quitte l’Albanie, se rend à Cologne chez un autre cousin et puis en Belgique, où elle introduit une demande d’asile. Elle allègue craindre A.K. et sa famille ainsi que ses propres frères.

Le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) refuse de prendre en considération la demande d’asile, considérant qu’il ne ressort pas clairement des déclarations de la requérante qu’il existe une crainte fondée de persécution en cas de renvoi dans son pays d’origine[1]. D’une part, il considère que les déclarations de la requérante au sujet de son mariage forcé et du conflit entre sa famille et la famille d’A.K. sont invraisemblables, incohérentes et contradictoires. Il en ressort que les menaces qui auraient été proférées par A.K. ou sa famille à son encontre ou à l’encontre des autres membres de sa famille ne sont pas crédibles, pas plus que la menace représentée par ses frères. Il explique par ailleurs que, conformément au code d’honneur classique en Albanie (Kanun de Lekë Dukagjini), le conflit entre les deux familles ne peut pas être considéré comme une vendetta. D’autre part, il estime que la requérante n’a pas démontré que les autorités n’étaient ni aptes ni disposées à lui fournir une protection.

Le Conseil du contentieux des étrangers (CCE) réforme la décision du CGRA et reconnait la qualité de réfugié à la requérante. Il structure sa décision en quatre temps.

Premièrement, le CCE revient sur plusieurs motifs avancés par le CGRA. Il estime qu’ils ne se vérifient pas à l’examen du dossier administratif et du dossier de procédure (pts 6.5 et 6.6).

  • Le CGRA met en cause le profil vulnérable de la requérante, estimant qu’elle possède des ressources suffisantes pour trouver des solutions aux problèmes qu’elle allègue et pour prendre soin d’elle, qu’elle dispose d’un réseau familial pouvant lui venir en aide, qu’elle a eu la possibilité de choisir son premier époux, qu’elle a fait appel à ses autorités nationales avec succès et qu’elle est instruite.

Le CCE, sur la base d’un examen approfondi de l’ensemble du dossier, constate que la requérante est une femme célibataire, âgée de quarante-cinq ans, sans emploi dès lors qu’elle a dû y mettre un terme pour aider sa mère malade et sans véritable soutien familial étant donné le décès de sa mère et la peur de représailles de la part de certains membres de sa famille.

  • Le CGRA estime que la requérante n’a pas démontré que les faits de violences intrafamiliales atteignent un niveau de violence ou une systématicité pour être considérés comme des persécutions.

Le CCE, eu égard aux déclarations de la requérante, juge que les pressions, les mauvais traitements et le mariage forcé infligés à la requérante par ses frères après le décès de leur mère relèvent des critères de la Convention de Genève.

  • Le CGRA relève des contradictions, des invraisemblances et des imprécisions dans les déclarations de la requérante au sujet des menaces de la famille d’A.K. envers sa famille et des recours à ses autorités nationales.

Le CCE observe que les vendettas modernes peuvent s’écarter du code d’honneur et que la rupture des fiançailles figure parmi les motifs pouvant être à l’origine d’une vendetta. De plus, étant donné l’absence de contact entre la requérante et sa famille, il ne peut pas lui être reproché de ne pas avoir fourni des informations détaillées au sujet des problèmes que sa famille rencontre actuellement avec la famille d’A.K. Le CCE estime dès lors que les déclarations de la requérante et les explications avancées dans la requête suffisent à considérer que le conflit qui oppose les deux familles peut être qualifié de vendetta et que la réalité en est établie.

Le CCE estime qu’il règne une « certaine confusion entre les éléments du récit de la requérante que la partie défenderesse tient ou non pour établis ». Il constate que « les déclarations de la requérante, placées dans leur contexte général et dans le contexte qui prévaut actuellement en Albanie s’avèrent davantage cohérentes et vraisemblables que ne laisse entendre la partie défenderesse dans la décision attaquée ». Et juge que « si certains erreurs ou imprécisions sont effectivement relevées par la partie défenderesse, elles ne suffisent pas à tenir pour invraisemblables un récit qui présente une dimension vécue sur plusieurs aspects. […] dès lors […] le bénéfice du doute doit profiter à la requérante concernant la crédibilité des faits et des craintes tels qu’ils sont allégués dans le contexte qui prévaut actuellement en Albanie ».

Deuxièmement, le CCE applique l’article 48/7 de la loi du 15 décembre 1980 relatif aux persécutions passées (pt 6.7). Il rappelle que le fait qu’un demandeur a déjà été persécuté dans le passé doit être considéré comme un indice sérieux de sa crainte fondée d’être persécuté, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que cette persécution ne se reproduira pas. En l’espèce, il considère que la requérante établit avoir été persécutée et qu’il n’existe pas de bonnes raisons de penser que cette persécution ne se reproduira pas.

Troisièmement, dès lors que les menaces et violences invoquées émanent non d’agents étatiques mais de particuliers, le CCE, sur la base de l’article 48/5, § 1er, c), de la loi du 15 décembre 1980, examine s’il était possible à la requérante d’obtenir une protection effective de ses autorités (pts 6.8 à 6.10).

  • Le CCE soulève d’abord que la requérante explique avoir cherché la protection de ses autorités en faisant appel à la police afin de leur demander de l’aide mais n’a toutefois rien obtenu dans la mesure où aucune suite n’a été réservée à ses plaintes, où certains policiers avaient un comportement moqueur, où ses frères avaient des appuis dans la police et où la famille d’A.K. était puissante. Il considère ainsi qu’il ne peut pas être reproché à la requérante de ne pas avoir recherché plus intensément la protection de ses autorités.
  • Le CCE constate ensuite que les documents produits par le CGRA sur l’effectivité de la protection des autorités albanaises sont plus nuancés que ce qu’il suggère dans la motivation de sa décision. Il ressort en effet du « COI Focus, Albanie – Possibilité de protection » du Cedoca que malgré les adaptations dans la politique de recrutement et les autres mesures de standardisation prises par le ministère de l’intérieur, les prestations générales de la police restent largement perfectibles.
  • Le CCE a également égard à un document déposé par la requérante, à savoir un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), qui appuie et détaille l’inefficacité des autorités dans la lutte contre la criminalité, et les vendettas en particulier.

Quatrièmement, dès lors qu’il tient pour établis les faits et les menaces qui pèsent sur la requérante et considère qu’il existe suffisamment d’indices du bien-fondé de sa crainte ainsi que de l’impossibilité d’obtenir une protection effective des autorités nationales (pt 6.11), le CCE se penche sur le rattachement de la crainte aux critères requis par la Convention de Genève (pts 6.12 et 6.13). Il estime qu’il s’agit de l’appartenance à un certain groupe social. Il rappelle qu’une famille peut répondre à la définition du groupe social et que la qualité de réfugié peut être accordé à une victime de vendetta.

En conséquence, le CCE considère que la crainte de la requérante doit s’analyser comme une crainte d’être exposée à des persécutions en raison de son appartenance au groupe social constitué des membres de sa famille ainsi qu’au groupe social des femmes albanaises (pt 6.14).

B. Éclairage

Si le CCE rappelle régulièrement que l’évaluation de la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile, si elle est nécessaire, ne doit pas occulter la question de savoir s’il a ou non des raisons de craindre d’être persécuté du fait de l’un des motifs visés par la Convention de Genève[2], il existe peu de décisions dans lesquelles il en est fait une application si nette que dans la décision commentée (1). Le raisonnement du juge, simple et limpide, illustre clairement la substance du recours de plein contentieux (2).  

  1. Un raisonnement modèle

La requérante n’apporte aucun élément de preuve matériel à l’appui de sa demande de protection[3]. Elle n’a « que » ses déclarations pour prouver la crainte de persécution qu’elle allègue. L’établissement des faits dépend ainsi de la capacité de la requérante à les restituer et de l’aptitude de l’agent de protection du CGRA à les entendre, les comprendre et les replacer dans le contexte objectif de la situation dans le pays d’origine. Pour ce faire, l’agent de protection ne peut demeurer passif mais doit activement coopérer avec le demandeur pour réunir les éléments de nature à étayer la demande[4], en vertu du principe du partage de la charge de la preuve en matière d’asile. Il lui appartient ensuite d’apprécier les faits et in fine de décider de l’octroi, ou non, du statut de réfugié.

Dans ce contexte, évaluer si les déclarations de la requérante sont « crédibles » est inévitable. Toutefois, in casu, alors que l’administration s’attarde sur l’inconsistance, les imprécisions et les contradictions des déclarations de la requérante, le juge en fait une évaluation rigoureuse et effective. 

D’une part, il « constate que les déclarations de la requérante, placées dans leur contexte général et dans le contexte qui prévaut actuellement en Albanie s’avèrent davantage cohérentes et vraisemblables que ne laisse entendre la partie défenderesse dans la décision attaquée » (pt 6.6 ; nous soulignons). Ce faisant, le juge fait une évaluation juridique de la crédibilité. Il la conçoit par une mise en contexte des déclarations eu égard à la situation qui prévaut dans le pays d’origine et une prise en compte du profil de la requérante. Autrement dit, il ne s’inscrit pas dans une vision mécanique ou de la charge de la preuve au terme de laquelle il suffirait d’avoir dénombré suffisamment d’invraisemblances, d’exagérations, d’incohérences ou de contradictions pour qualifier des déclarations de non crédibles. Ces types d’examens semblent parfois davantage chercher une faille dans le récit qu’à véritablement comprendre la pertinence (ou l’absence) de l’information fournie par les demandeurs[5] de sorte que le processus de détermination du statut de réfugié est alors plus enclin à l’incohérence et à l’iniquité[6].

D’autre part, le juge estime que « [s]i certaines erreurs ou imprécisions sont effectivement relevées par la partie défenderesse, elles ne suffisent pas à tenir pour invraisemblable un récit qui présente une dimension vécue sur plusieurs aspects » et considère dès lors que « le bénéfice du doute doit profiter à la requérante concernant la crédibilité des faits et des craintes tels qu’ils sont allégués dans le contexte qui prévaut actuellement en Albanie » (pt 6.6 ; nous soulignons). Il fait ainsi une correcte application du principe du bénéfice du doute. L’article 48/6 de la loi du 15 décembre 1980[7], qui transpose l’article 4, § 5, de la directive qualification[8], établit que le bénéfice du doute peut être octroyé au demandeur qui n’étaye pas certains aspects de ses déclarations par des preuves documentaires s’il remplit cinq conditions : il s’est réellement efforcé d’apporter des preuves à son récit ; il a apporté à l’autorité compétente tous les éléments pertinents à sa disposition et avoir justifié l’absence des éléments éventuellement manquants ; ses déclarations sont cohérentes et plausibles et correspondent aux informations dont dispose l’administration ; il a introduit sa demande dès que possible. À ces quatre conditions relativement précises, la disposition ajoute une condition plus générale selon laquelle le demandeur doit apparaitre comme étant « généralement crédible ». Cette condition renvoie à l’idée qu’évaluer la crédibilité du récit suppose de tenir compte des antécédents personnels et familiaux du demandeur, de son appartenance à tel ou tel groupe racial, religieux, national, social ou politique, de sa propre interprétation de sa situation et de son expérience personnelle[9] – en d’autres termes, de tout ce qui peut indiquer que le motif essentiel de sa demande est la crainte. Il s’agit d’une invitation à ne pas focaliser l’attention sur certains défauts du récit du demandeur pour prendre en considération l’intégralité de son récit. Plutôt que d’isoler certains manquements du demandeur à son devoir de coopération, les autorités compétentes doivent les mettre en perspective avec le profil du demandeur pris dans son ensemble[10]. La crédibilité des déclarations – le fait qu’elles soient cohérentes et plausibles et correspondent aux informations dont dispose l’administration – est ainsi une des cinq conditions à l’octroi du bénéfice du doute, ce que le juge de la décision commentée semble, lui, avoir bien compris.

  1. Un raisonnement en plein contentieux

Lorsque le CCE statue en plein contentieux[11], il soumet le litige dans son ensemble à un nouvel examen et se prononce, en tant que juge administratif, en dernière instance sur le fond du litige, ayant la compétence de réformer ou de confirmer les décisions du CGRA, quel que soit le motif sur lequel ce dernier s’est appuyé pour parvenir à la décision contestée. Il n’est ainsi pas lié par le motif sur lequel le CGRA s’est appuyé pour parvenir à la décision et peut soit confirmer sur les mêmes ou sur d’autres bases une décision prises par le CGRA, soit la réformer[12]. Il peut aussi annuler la décision prise et renvoyer le dossier au CGRA afin qu’il procède à des mesures d’instruction complémentaires. Cette seconde branche de l’alternative est justifiée par l’absence de pouvoir d’instruction du juge de plein contentieux[13].

Il ressort des entretiens menés par Alicia Spitaels, dans la cadre de son mémoire de stage de la fonction publique, que les magistrats abordent le recours de plein contentieux de deux manières[14]. Soit ils examinent en premier lieu si la personne a besoin d’une protection, soit ils analysent la décision du CGRA et de manière plus générale les pièces du dossier, à savoir la requête, la note d’observation et les éventuels nouveaux éléments. La première démarche rappelle le rôle de juge de plein contentieux, chargé d’un examen complet du dossier, tandis que la seconde met l’accent sur le rôle de juge d’appel, lié par les termes du recours. Les deux approches sont également fidèles à l’esprit de la loi et trouvent des arguments dans l’exposé des motifs. La première rencontre la volonté du législateur de conférer au CCE une compétence de plein contentieux en matière d’asile, lui léguant en cela les compétences de la Commission permanente de recours des réfugiés ; la seconde rencontre la volonté du législateur d’aligner la procédure sur celle en vigueur au Conseil d’état, en intégrant pleinement les conséquences du caractère écrit[15].

Ces deux points de départ ne sont pas nécessairement contradictoires mais peuvent avoir pour résultat deux manières différentes de travailler. La première conduira plutôt le juge à analyser un dossier en se forgeant sa propre opinion et la deuxième s’inscrira plutôt dans une optique de contrôle de la pertinence de la décision attaquée. La manière pour un juge de percevoir sa fonction s’avère donc ne pas être sans incidence sur son appréhension des dossiers[16].

Par extension, outre sa fonction, la perception du rôle du juge peut également être définie de deux manières. Eu égard à la première démarche, celle qui met l’accent sur le juge de plein contentieux, ses protagonistes, s’ils reconnaissent que le juge n’est plus comme l’était celui de la Commission Permanente, amené à porter plusieurs casquette (juge d’instruction, procureur, avocat, etc.), ils ne réduisent pour autant pas son rôle à celui d’un simple arbitre car ils le perçoivent également comme le garant légal du respect de l’obligation de protection internationale des réfugiés. La seconde démarche, qui fait primer le rôle d’instance d’appel, permet aux magistrats d’endosser plus facilement le rôle d’arbitre dont le travail se limitera à une opposition des motifs de la décision aux moyens de la requête, se contentant de confirmer ladite décision dès lors que la partie requérante ne développe pas de moyens pertinents allant à l’encontre des arguments à la base du refus[17].

En l’espèce, le juge adopte l’optique « juge de l’asile »[18], par opposition à la perceptive « instance d’appel »[19]. Il s’inscrit ainsi dans la démarche qui, selon nous, se rapproche le plus du recours de « plein contentieux » et du recours effectif, prévu par la directive procédures[20]. En vertu de l’article 46, § 3, un recours effectif s’entend d’un « examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE, au moins dans le cadre des procédures de recours devant une juridiction de première instance ». Est ainsi souligné l’importance de l’examen en droit et en fait, plus large que le contrôle en droit et en fait.

Après avoir fait une autre évaluation des déclarations de la requérante que celle du CGRA (supra) (pts 6.5-6.6), le juge fait application de l’article 48/7 de la loi du 15 décembre 1980 selon lequel une persécution passée induit une présomption réfragable de risque de persécution[21]. Il considère que la requérante établit avoir été persécutée et qu’il n’existe pas de bonnes raisons de croire que cette persécution ne se reproduira pas (pt 6.7). Ensuite, le juge fait une autre appréciation que le CGRA de la possibilité pour la requérante d’obtenir une protection effective de ses autorités en vertu de l’article 48/5, § 1er, de la loi (pt 6.8). Il fait également une autre lecture du « COI Focus, Albanie – Possibilité de protection » du Cedoca (pt 6.9). Le juge analyse ainsi le dossier en se forgeant sa propre opinion (et non pas sa propre intuition) et se présente comme le garant légal du respect de l’obligation de protection internationale des réfugiés. 

  1. Conclusion

Outre l’opportunité de faire un focus sur la compétence de plein contentieux, et de mettre ainsi en lumière les conclusions précieuses du travail de Alicia Spitaels, la décision commentée offre surtout un exemple de bon sens et l’image d’une administration de la preuve rationnelle et effective. Le juge y analyse la crédibilité des déclarations de la requérante mais ne le fait pas au détriment de l’évaluation du risque de persécution.

Commenter un tel arrêt, dans la conjoncture politique et sociétale actuelle, est tout à fait substantiel. D’autant plus que dix jours après cette décision, une chambre néerlandophone a estimé, pour une demande d’asile multiple, que les certificats médicaux et psychologiques déposés par la requérante – activiste luttant contre les mutilations génitales féminines au Soudan – prouvent les persécutions passées (violence sexuelle) et attestent des conséquences de ces violences et ce, en dehors de toute considérations liées à la crédibilité[22].

H.G.

 

C. Pour en savoir plus

Lire l’arrêt

 CCE, 17 octobre 2017, n° 208 631.

Jurisprudence

- CCE, 27 octobre 2017, n° 194 367.

Doctrine

- BODART S. et SPITAELS A., « L’établissement des faits en appel ou le grand écart des juges entre pleine juridiction et procédure écrite », Rev. dr. étr., 2008, n° 150, pp. 484-494 ;

- HERLIHY J., Gleeson K. & Turner S., « What assumptions about Human Behaviour Underlie Asylum Judgments? », I.J.R.L., 2010, vol. 22, n° 3, pp. 351-366 ;

- HOULE F., « Pitfalls of Administrative Tribunals in Relying on Formal Common Law Rules of Evidence », in Creyke R. (eds.), Tribunals in the Common Law World, Syndney, The Federation Press, 2009, pp. 104-107 ;

- LEBOEUF L. et SAROLEA S. (dir.), La réception du droit européen de l’asile en droit belge : la directive qualification, Louvain-la-Neuve, UCL-CeDIE, 2014.

Pour citer cette note : H. GRIBOMONT, « Crédibilité : un raisonnement juridique à saluer », Cahiers EDEM, novembre 2017

 


[2] « Le Conseil rappelle également que sous réserve de l’application éventuelle d’une clause d’exclusion, la question à trancher au stade de l’examen de l’égibilité au statut de réfugié se résume en définitive à savoir si le demandeur a ou non des raisons de craindre d’être persécuté du fait de l’un des motifs visés par la Convention de Genève ; si l’examen de crédibilité auquel il est habituellement procédé constitue, en règle, une étape nécessaire pour répondre à cette question, il faut éviter que cette étape n’occulte la question en elle-même ; dans les cas où un doute existe sur la réalité de certains faits ou la sincérité du demandeur, l’énoncé de ce doute ne dispense pas de s’interroger in fine sur l’existence d’une crainte d’être persécuté qui pourrait être établie à suffisance, nonobstant ce doute, par les éléments de la cause qui sont, par ailleurs, tenus pour certains. » (pt 6.4)

[3] Elle joint à sa requête, un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR).

[5] F. Houle, « Pitfalls of Administrative Tribunals in Relying on Formal Common Law Rules of Evidence », in Creyke R. (eds.), Tribunals in the Common Law World, Syndney, The Federation Press, 2009, p. 13.

[6] J. Herlihy, K. Gleeson & S. Turner, « What assumptions about Human Behaviour Underlie Asylum Judgments? », I.J.R.L., 2010, vol. 22, n° 3, pp. 351-366.

[10] L. LEBOEUF et S. SAROLEA (dir.), La réception du droit européen de l’asile en droit belge : la directive qualification, Louvain-la-Neuve, UCL-CeDIE, 2014, p. 37.

[11] Article 39/2, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980 précitée.

[12] Projet de loi réformant le Conseil d’état et créant un Conseil du contentieux des étrangers, Exposé des motifs, Doc. parl. Ch. repr., sess. ord., 2005-2006, n° 51 2479/001, p. 95.

[13] Articles 39/2, § 1er, 2° et 39/76, § 2, de la loi du 15 décembre 1980 précitée.

[14] S. Bodart et A. Spitaels, « L’établissement des faits en appel ou le grand écart des juges entre pleine juridiction et procédure écrite », Rev. dr. étr., 2008, n° 150, pp. 484-494.

[15] Ibid., p. 488.

[16] Ibid.

[17] Ibid., pp. 489-490.

[18] Ibid., p. 489.

[19] Ibid., p. 490.

[21] J.-Y. CARLIER et S. SAROLEA, Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 427.

[22] CCE, 27 octobre 2017, n° 194 367.

Photo : Rudi Jacobs, cce-rvv

Publié le 06 décembre 2017