Colloque EDEM – LLN 4/5 décembre 2014

Louvain-La-Neuve

La seconde génération du REAC en droit belge : le temps des juges – Intervention de Claire DUBOIS-HAMDI : « La jurisprudence récente de la Cour européenne des Droits- de l’Homme »

A. Restrictions à la liberté de circulation

1. « Simples » restrictions (article 2 du Protocole n° 4)

Dans le domaine qui nous occupe l’article 2 du Protocole n° 4 qui garantit le droit de toute personne qui se trouve sur le territoire d’un État d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence n’a qu’un rôle marginal. Cette disposition ne s’applique en effet qu’aux personnes qui se trouvent régulièrement sur le territoire. Jusqu’à présent, la Cour a interprété le terme « régulièrement » de manière très stricte et a exclu l’application aux demandeurs d’asile dont la demande d’asile serait en cours d’instruction (Omwenyeke c. Allemagne, déc. n° 44292/04, 20 novembre 2007) même s’ils sont « forcés » de rester sur le territoire en exécution d’une condamnation pénale (M.S. c. Belgique, n° 50012/08, 30 janvier 2012). On ne peut exclure que cette restriction au champ d’application matériel évolue par exemple dans les situations où le droit interne prévoit l’entrée, même provisoire, sur le territoire pendant l’instruction d’une demande d’asile, situation qui s’oppose, depuis l’arrêt Suso Musa c. Malte (n° 42337/12, 23 juillet 2013, §§ 96-97), à la mise en détention en application de l’article 5, § 1.

2. Détention pendant l’instruction de la demande d’asile (article 5, § 1, f)

Le nerf de la guerre dans la jurisprudence de la Convention ici c’est l’article 5, § 1, qui interdit toute privation arbitraire de la liberté.

À la différence du Pacte et du droit de l’UE, l’article 5, § 1, f), permet la détention des étrangers dans le cadre du contrôle de l’immigration, corollaire, selon la Cour, du droit des États de contrôler souverainement l’entrée et le séjour des étrangers. Les grands principes d’interprétation de cette disposition figurent dans l’arrêt Saadi c. Royaume-Uni (GC, n° 13229/03, 29 janvier 2008). Ce qui frappe à la lecture de cette disposition c’est qu’à la différence du Pacte et du droit de l’UE, elle ne s’oppose pas à la détention d’une personne pour le seul motif qu’elle a demandé l’asile et ne pose pas de critère de nécessité ni de proportionnalité. Pourtant à regarder la jurisprudence de la Cour de plus près, rien n’est moins vrai :

La détention doit se faire selon les voies légales sinon il y a automatiquement violation de la Convention.

a) si la législation interne requiert un test de nécessité, ce qui devrait être le cas pour tous les pays de l’UE à l’issue du délai de transposition de la directive Accueil, et que celui-ci n’est pas respecté, la détention est illicite (Rusu c. Autriche, n° 34082/02, 2 octobre 2008), c’était aussi le cas dans Jusic c. Suisse (n° 4691/06, 2 décembre 2010) en l’absence d’indices concrets permettant de supposer que le requérant entendait se soustraire au refoulement comme le prévoyait la loi suisse ou dans M.A. c. Chypre, n° 41872/10, 2013 (extraits) dans lequel la Cour a constaté qu’au mépris de la législation chypriote, le requérant avait été privé de liberté sans avoir été informé de l’irrégularité de son séjour à Chypre  et sans qu’aucun motif de sécurité public ne l’exige,

b) de la même manière si la législation interne requiert que si un juge a ordonné la libération, le maintien en détention est illicite (Riad et Idiab, 2006).

Même légale, la détention doit être dépourvue d’arbitraire, notion qui a un sens très large intégrant, outre la mise en œuvre de bonne foi (Čonka c. Belgique, n° 51564/99, CEDH 2002-I ; voir également Longa Yonkeu c. Lettonie, n° 57229/09, 15 novembre 2011, § 143), qu’il y ait un lien entre la mesure de détention et l’objectif poursuivi. Seuls deux objectifs sont autorisés :

1er volet : la détention, par exemple en zone de transit, des étrangers qui se présentent à la frontière pour les empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, par exemple le temps nécessaire à la vérification des documents en vue de donner accès au territoire (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, n° 25389/05, 2007‑V, § 74) ou le temps nécessaire pour les autorités de statuer sur la demande d’asile dans le cadre d’un programme de traitement accéléré d’un afflux particulier de demandeurs d’asile (Saadi c. RU). Reste que l’article 5, § 1, f), ne s’oppose a priori pas à ce que des détentions s’opèrent « automatiquement » à la frontière au seul motif que les intéressés ne possèdent pas les documents requis et sans que les autorités en examinent individuellement la nécessité, il sera intéressant sur ce point de suivre l’affaire Thimothawes c. Belgique actuellement pendante devant la Cour qui porte précisément sur cette question.

2e volet : la détention est possible le temps nécessaire à l’éloignement de l’étranger à condition que une procédure d’éloignement soit menée avec diligence et avec la perspective réaliste d’éloigner l’étranger dans un délai raisonnable, or il ressort de la jurisprudence de la Cour que cet objectif ne peut être atteint pendant l’instruction d’une demande d’asile soit que le droit interne protège contre le refoulement pendant l’examen de la demande d’asile (Ahmade c. Grèce, n° 50520/09, 25 septembre 2012, §§ 142-144, et R.U. c. Grèce, n° 2237/08, 7 juin 2011, §§ 88-96) soit que le droit interne autorise l’étranger, même sans lui conférer de titre de séjour régulier, à entrer à titre provisoire sur le territoire dans l’attente de l’examen de sa demande d’asile (Suso Musa c. Malte).

Cela dit, même quand une procédure d’éloignement est menée avec diligence, la détention arbitraire est aussi celle qui consiste à détenir un étranger dans un lieu où des conditions manifestement inadaptées qui ne tiennent pas compte par exemple de l’état de santé de l’intéressé (Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique, n° 10486/10, 20 décembre 2011, § 124, VIH, situation de santé dégradée durant la détention). Plus évidente est encore la situation des mineurs, accompagnés ou non, dans tous les cas la Cour considère que leur détention est par principe disproportionnée à l’objectif à atteindre et a conclu à la violation de l’article 5, § 1, f (Mubilanzila Mayeke et Kaniki Mitunga c. Belgique, n°  13178/03, 13 octobre 2006, Kanagaratnam c. Belgique n° 15297/09, § 94, 13 décembre 2011, Popov, Rahimi c. Grèce, n° 8687/08, 5 avril 2011). Dans de telles situations, il peut être utile d’également mobiliser l’article 3 de la Convention et l’immense jurisprudence relative aux conditions de détention (Yoh Ekale Mwanje) ou l’article 8 en ce que la mesure porte atteinte à la vie privée ou à la vie familiale des intéressé (Popov).

3. Répartition des demandeurs d’asile et vie familiale (article 8)

Mengesha Kimfe c. Suisse (n° 24404/05, 29 juillet 2010)

La Cour a conclu à la violation de l’article 8 CEDH dans une affaire qui concernait des demandeurs d’asile déboutés. Une décision négative a été prise dans les deux dossiers mais l’éloignement effectif a été interrompu parce que les autorités éthiopiennes faisaient obstacle au rapatriement de leurs concitoyens. La requérante était arrivé après son futur époux, qui était attribué au canton de Vaud, et a été attribuée au canton de Saint-Gall. Depuis lors, la requérante a vécu principalement au domicile de son époux, sans percevoir aucune aide sociale du canton de Saint-Gall, puisque les prestations sont liées au domicile légal. Les requérants ont demandé que la requérante se voie attribuer le canton de Vaud pour pouvoir officiellement rejoindre son époux. Cette demande fut rejetée en raison d’une pratique des autorités fédérales consistant à refuser les changements d’attribution lorsque le délai pour le départ est échu. Plusieurs recours internes ont été introduits, invoquant notamment l’atteinte à la vie familiale et à la possibilité de vivre en couple. Finalement, elle ne put rejoindre officiellement son mari qu’après cinq ans.

 La Cour a jugé l’affaire sous l’angle de l’article 8 dès lors que la requérante a été formellement empêchée de mener une vie de couple avec son époux pendant cinq ans. Or :

« [à] la lumière du principe selon lequel la vie de couple constitue, pour des conjoints, l’un des attributs essentiels du droit au respect de la vie familiale, elle estime que la requérante pouvait, suite à son mariage, se prévaloir des garanties découlant de l’article 8 ».

Le refus d’attribution au canton où vivait son époux a été pareillement une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale.

L’existence d’une base légale n’était pas contestée. Le but était légitime, dès lors que la mesure litigieuse visait à répartir équitablement les demandeurs d’asile entre les cantons, ce que l’on peut rattacher à la notion de bien-être économique du pays. La mesure était-elle nécessaire dans une société démocratique ? La conclusion de la Cour était négative. Les époux ne pouvaient regagner leur pays d’origine et y développer une vie familiale. Dès son arrivée en Suisse, la requérante a eu la possibilité d’entretenir certains contacts avec son futur époux ; toutefois, lorsqu’elle s’est présentée à l’Hôtel de police de Lausanne, la requérante a été ramenée de à Saint-Gall et une sanction pénale pour séjour illégal aurait pu lui être infligée. Si la répartition équitable des requérants d’asile peut être rattachée à la notion de bien-être économique du pays, le fait d’attribuer plutôt la requérante au canton de Vaud n’aurait pas eu une incidence notable sur le nombre d’étrangers dirigés vers ce canton, et n’aurait pas perturbé la répartition équitable des requérants d’asile entre les cantons, ni porté atteinte à l’ordre public.

B. Conditions matérielles d’accueil (articles 3 et 8)

1. Apport matériel de la CEDH (article 3)

Principes généraux

La situation des demandeurs d’asile dans l’UE a été à la source d’une série d’affaires devant la Cour. Cette dernière ne peut interpréter directement le droit de l’Union mais le prend en compte en examinant les diverses situations qui relèvent de l’application des articles 2, 3 ou 8 CEDH. L’apport principal dans le domaine qui nous occupe découle de l’application de l’article 3 de la Convention considéré comme consacrant l’une des valeurs fondamentales de toute société démocratique et prohibant en termes absolus la torture et les traitements inhumains ou dégradants quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, parmi d’autres, Labita c. Italie [GC], n° 26772/95, CEDH 2000-IV, § 119). Cette disposition doit être respectée en toutes circonstances même dans le cadre de l’exercice par les autorités nationales de leur droit souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’expulsion des non-nationaux (voir, parmi beaucoup d’autres, Üner c. Pays-Bas [GC], n° 46410/99, CEDH 2006‑XII, § 54).

Pour tomber sous le coup de l’interdiction faite par l’article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses conséquences physiques ou psychologiques, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], n° 30696/09, CEDH 2011, § 219, Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], n° 32541/08 et 43441/08, 17 juillet 2014, § 114, Tarakhel c. Suisse [GC], n° 29217/12, 4 novembre 2014, § 94).

La question de savoir si le traitement a pour but d’humilier ou de rabaisser la victime est un autre élément à prendre en compte, mais l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 (Svinarenko , § 114).

Un traitement peut être qualifié de « dégradant » au sens de l’article 3 s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité, voire la diminue, ou s’il suscite chez lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique (M.S.S., § 220, El-Masri c. l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], n° 39630/09, 2012, § 202, Svinarenko, § 115).

Appliquant ces critères sur le terrain des conditions d’existence, la Cour avait, avant l’affaire M.S.S. précitée, considéré qu’il ne pouvait être exclu que la responsabilité de l’État fût engagée sous l’angle de l’article 3 par un traitement dans le cadre duquel un requérant totalement dépendant de l’aide publique serait confronté à l’indifférence des autorités alors qu’il se trouverait dans une situation de privation ou de manque à ce point grave qu’elle serait incompatible avec la dignité humaine. Toutefois, aucune des situations factuelles examinées n’avait été considérée par la Cour comme atteignant le seuil de gravité requis par l’article 3 (voir, par exemple, Budina c. Russie, (déc.), n° 45603/05, 18 juin 2009).

À propos d’un ressortissant irakien qui avait obtenu un statut de réfugié provisoire auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés et qui se plaignait de ne pas avoir pu faire face à ses besoins élémentaires en Turquie, la Cour affirma qu’il ne pouvait être tiré des articles 3 et 8 de la Convention un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie (Müslim c. Turquie, n° 53566/99, 26 avril 2005, § 85).

M.S.S. c. Belgique et Grèce, 2011

Avec l’arrêt M.S.S., qui concernait un demandeur d’asile afghan renvoyé par les autorités belges en Grèce en application du règlement Dublin II, la Cour amorça une nouvelle jurisprudence. Après avoir noté qu’à la différence de l’affaire Müslim, l’obligation de fournir des conditions matérielles décentes aux demandeurs d’asile démunis faisait partie du droit positif, la Cour considéra que, pour déterminer si le seuil de gravité requis par l’article 3 était atteint, il fallait accorder un poids tout particulier au statut de demandeur d’asile du requérant. Il appartenait de ce fait à un groupe de la population particulièrement défavorisé et vulnérable qui avait besoin d’une protection spéciale, besoin faisant, du reste, l’objet d’un large consensus à l’échelle internationale et européenne (M.S.S., § 251).

Évaluant la situation individuelle du requérant, la Cour jugea que les autorités nationales n’avaient pas dûment pris en compte cette vulnérabilité et considéra que la gravité de la situation de dénuement dans laquelle s’était trouvé le requérant, resté plusieurs mois dans l’incapacité à répondre à ses besoins les plus élémentaires, combinée à l’inertie des autorités compétentes en matière d’asile avaient emporté violation de l’article 3 de la Convention (M.S.S. §§ 262 et 263, voir postérieurement à M.S.S. : Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, n° 8319/07 et 11449/07, 28 juin 2011, § 283, et F.H. c. Grèce,  n° 78456/11, 31 juillet 2014, §§ 107 à 111).

Post-M.S.S. : établissement de défaillances systémiques

Situation en Hongrie Mohammed c. Autriche,  n° 2283/12, 6 juin 2013.

Situation en Italie : Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie ((déc.), n° 27725/10, 2 avril 2013), où la Cour a constaté à l’unanimité qu’il n’existait pas de défaillances systémiques et qu’il n’y avait pas de raisons de penser qu’une demandeuse d’asile et ses deux enfants en bas âge n’auraient pas bénéficié d’un soutien adéquat s’ils avaient été renvoyés en Italie depuis les Pays-Bas. La même approche a été appliquée dans six autres affaires concernant des renvois vers l’Italie : Halimi c. Autriche et Italie (déc.), n° 53852/11, 18 juin 2013 ; Abubeker c. Autriche et Italie (déc.), n° 73874/11, 18 juin 2013 ; Daytbegova et Magomedova c. Autriche (déc.), n° 6198/12, 4 juin 2013 ; Miruts Hagos c. Pays-Bas et Italie (déc.), n° 9053/10, 27 août 2013 ; Mohammed Hassan et autres c. Pays-Bas et Italie (déc.), n° 40524/10, 27 août 2013, et Hussein Diirshi et autres c. Pays-Bas et Italie (déc.), n° 2314/10, 10 septembre 2013.

Tarakhel c. Suisse, 2014

Principaux faits

Le cas concerne une famille afghane avec six enfants âgés de 2 à 14 ans. Après avoir vécu 15 ans en Iran, la famille s’est rendue en Turquie, puis en Italie, où elle s’est fait arrêter. Le 16 juillet 2011, les parents ont été enregistrés dans le système EURODAC et toute la famille a été logée dans un centre d’accueil à Bari, dans des conditions sanitaires insuffisantes et dans un cadre régulièrement exposé à la violence.  Les requérants ont décidé de se rendre en Autriche où ils ont à nouveau été enregistrés dans le système EURODAC le 30 juillet de la même année et où ils ont demandé l’asile. Craignant d’être renvoyés vers l’Italie, ils ont rejoint la Suisse et y ont demandé l’asile le 3 novembre 2011.

L’Office fédéral des migrations (ODM) a rejeté la demande en date du 24 janvier 2012 et a ordonné l’expulsion de la famille, estimant que les conditions de vie difficiles en Italie ne constituent pas un motif permettant d’empêcher le renvoi et qu’il revient à l’Italie de traiter cette demande d’asile.  La famille Tarakhel recourt en vain au Tribunal administratif fédéral (TAF), invoquant une violation des articles 3, 8 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Le TAF, dans une décision rendue par un juge unique, est d’avis que même si le système d’accueil des requérant-e-s d’asile en Italie connaît des lacunes, cela ne suffit pas à renverser la présomption selon laquelle l’Italie respecte ses obligations internationales et en particulier le principe de non-refoulement et l’interdiction de la torture. Le Tribunal a en outre estimé qu’en quittant l’Italie pour rejoindre l’Autriche, puis la Suisse, les requérants n’ont pas laissé à l’Italie l’occasion d’assumer ses responsabilités.

Griefs et procédure

Les requérants saisirent la Cour européenne des droits de l’homme le 10 mai 2012. La Cour fit droit à leur demande de mesure provisoire en indiquant aux autorités suisses de ne pas expulser les requérants vers l’Italie pour la durée de la procédure devant la Cour.

Les requérants ont fondé leur requête sur deux points différents: en premier lieu, ils soutiennent qu’un renvoi vers l’Italie constituerait une violation de l’article 3 (interdiction de la torture et, respectivement, droit au respect de la vie privée et familiale) dans la mesure où il existe un risque qu’ils se retrouvent sans hébergement ou qu’ils soient hébergés dans des conditions inhumaines ou dégradantes et que la famille soit séparée. Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), ils estiment que leur renvoi vers l’Italie, pays où ils n’ont aucune attache et dont ils ne parlent pas la langue, violerait le droit au respect de leur vie familiale. La Cour décide de n’examiner les conditions d’accueil prévalant en Italie que sous l’angle de l’article 3 (§ 55). Deuxièmement, les requérants ont invoqué l'article 13 et l’article 3 (droit à un recours effectif en lien avec l’interdiction de la torture), estimant que leur situation – en particulier familiale – n’a pas été examinée avec suffisamment d’attention et que la procédure suisse de renvoi est « trop formaliste et automatique, voire arbitraire » (§§ 56 et 123).

La Grande Chambre a jugé, par 14 voix contre 3, que la Suisse violerait l’article 3 si elle renvoyait la famille Tarakhel vers l’Italie sans obtenir, au préalable, la garantie de la part de ce pays que cette famille serait effectivement prise en charge dans une structure adaptée aux enfants et que l’unité de la famille serait bien préservée.

Analyse
« Test négatif » de M.S.S. à la situation générale en Italie

À la différence de l’affaire M.S.S., la Cour se concentre entièrement sur les conditions d’accueil et n’aborde pas les défaillances liées à la procédure d’asile pour la simple raison que les griefs ne portaient pas sur ce volet.

La Cour commence par constater que la situation générale en Italie est pour le moins délicate en matière de conditions d’accueil. Se fondant sur divers rapports émanant d’organisations internationales ou d’ONG, la Cour constate qu’il existe une nette disproportion entre le nombre de demandeurs d’asile et réfugiés et le nombre de places d’hébergement disponibles (§ 62 et 110). Il est donc notoire que les structures d’accueil actuelles ne permettent pas de répondre à la majorité des demandes d’hébergement. En ce qui concerne les conditions d’accueil dans les structures existantes, différents rapports mentionnent que certains centres connaissent des problèmes de promiscuité, d’insalubrité et des situations de violence (§ 66 et 67).

Toutefois la Cour estime que la situation générale en Italie n’a pas atteint le seuil critique des « défaillances systémiques » relevées par la Cour dans l’affaire M.S.S. à propos de la Grèce. La Cour est d’avis que « la situation actuelle de l’Italie ne saurait aucunement être comparée à la situation de la Grèce à l’époque de l’arrêt M.S.S. » et que, même si « de sérieux doutes quant aux capacités actuelles du système» persistent, « la structure et la situation générale du dispositif d’accueil en Italie n’est pas de la même ampleur et sauraient constituer en soi un obstacle à tout renvoi de demandeurs d’asile vers ce pays » (§ 114 et 115).

Ce test « négatif » (i.e. l’absence de défaillance systémique) n’empêche toutefois pas que la présomption de confiance mutuelle à la base du règlement Dublin puisse être renversée s’il est établi qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire qu’individuellement les requérants risqueraient de subir des traitements contraires à l’article 3 du fait des mauvaises conditions d’accueil.

Pas d’obstacle au renvoi mais une exigence procédurale supplémentaire dans le cas d’une famille avec enfants

Or en l’espèce, de tels motifs sont établis : il existe une certaine probabilité que les demandeurs d’asile renvoyés vers l’Italie ne trouvent pas d’hébergement ou que le lieu d’accueil soit surpeuplé ou insalubre, circonstance qui pourrait s’avérer aggravante dans le cas d’une famille avec enfants. Pour éviter que les requérants ne se retrouvent dans une situation de traitement inhumain ou dégradant, les autorités qui entendent effectuer le renvoi doivent dès lors obtenir l’assurance de la part de l’Italie qu’ils seront effectivement hébergés dans un lieu adapté aux enfants et que l’unité de la famille sera maintenue (§ 120). Ce qui n’était pas le cas en l’espèce : « en l’absence d’informations détaillées et fiables quant à la structure précise de destination, aux conditions matérielles d’hébergement et à la préservation de l’unité familiale, la Cour considère que les autorités suisses ne disposent pas d’éléments suffisants pour être assurées qu’en cas de renvoi vers l’Italie, les requérants seraient pris en charge d’une manière adaptée à l’âge des enfants » (§ 121). Pour ces motifs, la Cour estime que si la famille afghane devait être renvoyée en Italie sans que la Suisse n’ait préalablement reçu une telle garantie individuelle de la part de l’Italie, la Suisse ne respecterait pas l’article 3 (§ 122).

Reste à savoir en quoi précisément doivent consister ces garanties, question pas explicitement résolue par la Cour. Il est fait mention (au § 121) « d’informations détaillées et fiables » sur la structure précise de destination, sur les conditions matérielles d’hébergement et sur la préservation de l’unité familiale. On peut imaginer que les pays concernés devraient obtenir – pour chaque famille qu’elle entend renvoyer – des renseignements précis sur l’hébergement attribué, sa situation, ses caractéristiques, ainsi qu’une garantie que tous les membres de la famille pourront y séjourner ensemble.

L’opinion dissidente remet en cause, à l’aide de M.S.S., deux points clé du raisonnement de la majorité :

1. Critique tirée de l’absence de risque réel et concret et l’idée sous-jacente que la perspective d’une violation ne suffit pas. À mon avis, l’arrêt Tarakhel s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour relative à l’application de l’article 3 dans les affaires d’éloignement. Dans ces affaires, depuis Soering c. Royaume-Uni, la Cour s’est départie d’une approche a posteriori et a consacré la fonction préventive de l’article 3.  Celle-ci comporte nécessairement une dimension spéculative et part du postulat qu’il ne peut être question de faire peser sur les requérants l’obligation de prouver qu’ils ont été concrètement exposés au risque qu’ils dénoncent.

2. Critique tirée de ce que le seuil de gravité de l’article 3 ne serait pas atteint. À mon sens toutefois, dès lors que la Cour a déjà dit a) dans M.S.S. que les États avaient l’obligation au titre de l’article 3 et conformément à leur droit interne et à la directive Accueil de traiter dignement les demandeurs d’asile en raison de leur plus grande vulnérabilité et b) dans une série d’autres arrêts dont Popov c. France que la qualité d’enfant, du fait de leur vulnérabilité, prédominait sur celle de demandeur d’asile, il lui était loisible de se contenter de faire l’équation et de considérer que l’article 3 s’oppose à exposer une famille avec enfant à être séparés ou à être hébergés dans des conditions pouvant porter à la dignité humaine.

L’apport non controversé de l’arrêt Tarakhel : Déjà avant, la Cour avait établi que, dans les affaires relatives à l’accueil d’étrangers mineurs, accompagnés ou non accompagnés, les autorités compétentes devaient considérer que la qualité d’enfant prédominait sur celle d’étrangers en séjour illégal (Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, n° 41442/07, 19 janvier 2010, §§ 55 et 63, Kanagaratnam c. Belgique, n° 15297/09, 13 décembre 2011, § 62, et Popov c. France, n° 39472/07 et 39474/07, 19 janvier 2012, § 91). L’affaire Tarakhel donna l’occasion à la Cour d’affirmer que la vulnérabilité des demandeurs d’asile était accentuée dans le cas de familles avec enfants et que les conditions d’accueil des enfants demandeurs d’asile devaient être adaptées à leur âge, de sorte qu’elles ne puissent engendrer pour eux une situation de stress et d’angoisse et avoir des conséquences particulièrement traumatisantes sur leur psychisme (Tarakhel, § 119).

Affaires post Tarakhel : 51428/10 A.M.E. c. Pays-Bas (déc.) n° 63469/09, 13 janvier 2015 (voir Strasbourg Observers, 20 février 2015, « Another episode in the Strasbourg saga on the Dublin System to determine the State Responsible for Asylum Applications »), M.O.S.H. c. Pays-Bas (déc.), 3 février 2015. Suivre aussi : affaire A.S. c. Suisse, n° 39350/13.

2. Perspectives (articles 3 et 8)

Extension de la protection offerte par l’article 3

Les affaires pendantes c. Belgique et France en Annexes ci-dessous permettront à la Cour de se prononcer sur la compatibilité avec l’article 3 des problèmes structurels en matière d’accueil des demandeurs d’asile hors cadre d’un éloignement.

Enrichissement de la jurisprudence via l’article 8

Voir affaires pendantes c. France (articles 3 + 8) en Annexes ci-dessous. Tout sera fonction de l’analyse de la situation sous l’article 3, peu probable que si violation sous l’article 3, la Cour trouve une question distincte sous 8. Pourtant il s’agit là d’une piste intéressante à explorer sur la base d’une jurisprudence de plus en plus étoffée.

Pas vers la reconnaissance d’un droit au logement ?

Chapman c. Royaume-Uni [GC], no 27238/95, 2001‑I

En réponse à une requérante tsigane qui se plaignait que le Royaume-Uni ne mettait pas à disposition des membres de sa communauté un nombre suffisant d’emplacements pour y installer leurs caravanes, l’arrêt Chapman c. Royaume-Uni du 18 janvier 2001 rappelle que « l’article 8 ne reconnaît pas comme tel le droit de se voir fournir un domicile, pas plus que la jurisprudence de la Cour ». Certes, « il est à l’évidence souhaitable que tout être humain dispose d’un endroit pour vivre dans la dignité et qu’il puisse désigner comme son domicile, mais il existe malheureusement dans les États contractants beaucoup de personnes sans domicile. La question de savoir si l’État accorde des fonds pour que tout le monde ait un toit relève du domaine politique et non judiciaire  ».

Winterstein et autres c. France, no 27013/07, 17 octobre 2013

Les requérants sont des citoyens français qui vivaient, certains depuis de nombreuses décennies, sur des terrains qui ont été désignés comme zones naturelles protégées. Les tribunaux ont ordonné aux requérants de quitter les lieux dans les trois mois, avec une astreinte de 70 € par jour au-delà de ce délai. Les autorités n'ont pas cherché à faire exécuter l'expulsion ou l'astreinte (qui a continué de courir). A la place, certaines mesures ont été prises en vue de la réinstallation des requérants, soit dans des logements sociaux, soit vers des sites nouvellement créés et approuvés. Quelques familles ont été relogées dans des logements sociaux, certaines sont restées (ou sont parties pour finalement revenir), et d’autres ont quitté la région.

Selon la Cour, dans le cadre d’une procédure d’éviction, il y a lieu, pour apprécier la proportionnalité de l’ingérence aux droits garantis par l’article 8, d’examiner les possibilités de relogement. Certes, l’article 8 ne reconnaît pas, comme tel, le droit de se voir fournir un domicile, mais dans les circonstances spécifiques de l’espèce (obligation de quitter un campement de longue date) et au vu de l’ancienneté de la présence des requérants, de leurs familles et de la communauté qu’ils avaient formée, le principe de proportionnalité exigeait qu’une attention particulière soit portée aux conséquences de leur expulsion et au risque qu’ils deviennent « sans abri ». Il faut tenir compte de l’appartenance des requérants à une minorité vulnérable (en l’espèce, les Roms). L’appartenance des requérants à un groupe socialement défavorisé et leurs besoins particuliers à ce titre doivent être pris en compte dans l’examen de proportionnalité que les autorités nationales sont tenues d’effectuer, non seulement lorsqu’elles envisagent des solutions à l’occupation illégale des lieux, mais encore, si l’expulsion est nécessaire, lorsqu’elles décident de sa date, de ses modalités et, si possible, d’offres de relogement (§§ 148, 159 et 160). Voir aussi Yordanova et autres c. Bulgarie, n° 25446/06, 24 avril 2012.

Obligation positive de prévoir des mesures d’accueil particulières pour les enfants

L’affaire Popov c. France, n° 39472/07 et 39474/07, 19 janvier 2012 concernait la rétention administrative d’une famille (avec deux enfants âgés de cinq mois et trois ans) pendant quinze jours au centre de Rouen-Oissel, dans l’attente de leur expulsion vers le Kazakhstan, du fait de l’annulation de leur vol (pour des raisons indépendantes aux requérants). Pour la Cour, il ne saurait être déduit du seul fait que la cellule familiale soit maintenue que le respect du droit à une vie familiale soit nécessairement garanti, et ce particulièrement lorsque la famille est détenue. Elle considère que le fait d’enfermer les requérants dans un centre de rétention, pendant quinze jours, les soumettant à la vie carcérale inhérente à ce type d’établissement, peut s’analyser comme une ingérence dans l’exercice effectif de leur vie familiale (§ 134). La Cour place par la suite l’essentiel de son analyse sur le terrain de la proportionnalité de l’ingérence. Une mesure d’enfermement doit être proportionnée au but poursuivi par les autorités, à savoir l’éloignement (§ 140).

Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’il s’agit de familles, les autorités doivent, dans leur évaluation de la proportionnalité, tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (§ 140). Or, il découle des rapports internationaux que la sauvegarde de l’intérêt supérieur de l’enfant implique d’une part de maintenir, autant que faire se peut, l’unité familiale, et d’autre part, d’envisager des alternatives afin de ne recourir à la détention de mineurs qu’en dernier ressort (§ 141).

En l’espèce, les requérants ne présentaient pas de risque particulier de fuite nécessitant leur détention. Ainsi, leur enfermement dans un centre fermé n’apparaissait pas justifié par un besoin social impérieux, et ce d’autant plus que l’assignation dans un hôtel durant la première phase de leur rétention administrative ne semble pas avoir posé de problème (§ 145). Il est à noter que la Cour dégage du statut de mineur, via le principe d’intérêt supérieur de l’enfant, une obligation positive sous l’article 8 : « les autorités doivent mettre en œuvre tous les moyens nécessaires afin de limiter autant que faire se peut la détention de familles accompagnées d’enfants » (§ 147) et notamment envisager « une alternative à la détention » (§ 146). Il s’agit de « préserver effectivement le droit à une vie familiale » (§ 142). En cas de placement dans un centre fermé, il faudra agir avec diligence pour exécuter au plus vite la mesure d’expulsion pour limiter le temps d’enfermement (§ 146 in fine). Aussi, la détention, pour une durée de quinze jours, dans un centre fermé, apparaît disproportionnée au regard du but poursuivi. Partant, la Cour considère que les requérants ont subi une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de leur vie familiale et qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention (§§ 147 - 148).

C. Recours effectif (article 13)

Lorsqu’un requérant peut de manière défendable faire valoir qu’il a été exposé ou risque d’être exposé à une violation de la Convention, l’article 13 exige qu’il puisse porter son grief devant une instance nationale et bénéficier d’un recours effectif. Un grief peut être considéré comme étant défendable dès lors qu’il n’est pas manifestement mal fondé et qu’il est digne d’un examen au fond (Çelik et İmret c. Turquie, n° 44093/98, 26 octobre 2004, § 57, Singh et autres c. Belgique, no 33210/11, 2 octobre 2012, § 84, Sharifi et autres, § 174).

1. Apport de la CEDH (volet éloignement)

Jurisprudence bien établie en matière d’application de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention aux cas d’expulsion d’étrangers, et notamment de demandeurs d’asile potentiels ou déboutés (voir, parmi d’autres, M.S.S., §§ 286 à 293, et Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], n° 27765/09, 2012, §§ 197 à 200) qui trouvera à s’appliquer également quand le risque dénoncé en cas de renvoi découle des mauvaises conditions d’accueil (voir Mohammed c. Autriche, n° 2283/12, 6 juin 2013, Sharifi et autres c. Italie et Grèce, n° 16643/09, 21 octobre 2014, non définitif).

Compte tenu de l’importance que la Cour attache à l’article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, les voies de recours disponibles doivent présenter des garanties d’accessibilité, de qualité, de rapidité et d’effet suspensif.

La Convention ayant pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs, dans le chef de toute personne relevant de la juridiction des États parties, l’effectivité commande des exigences de disponibilité et d’accessibilité des recours en droit comme en pratique. L’accessibilité en pratique d’un recours est particulièrement déterminante pour évaluer l’effectivité des recours ouverts aux demandeurs d’asile. Elle implique notamment que l’exercice d’un recours ne soit pas entravé de manière injustifiée par des actes ou omissions des autorités (M.S.S. précité, §§ 318, 319 et 392). La Cour prend notamment en considération les obstacles linguistiques, la possibilité d’accès aux informations nécessaires et à des conseils éclairés, les conditions matérielles auxquelles peut se heurter l’intéressé et toute autre circonstance concrète de l’affaire (ibidem, I.M. c. France, no 9152/09, § 150, 2 février 2012 A.C. et autres c. Espagne, no 6528/11, §§ 85 et 86, 22 avril 2014, et Sharifi et autres, §§ 167 à 169).

L’effectivité suppose en outre un recours de qualité. Compte tenu de l’importance que la Cour attache à l’article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’article 13 exige un contrôle attentif, un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 (M.S.S., §§ 293 et 387). L’article 13 astreint également l’instance compétente à effectuer un examen complet des griefs défendables tirés de l’article 3; les règles procédurales ne peuvent s’opposer à un examen ex nunc de tels griefs (Yoh-Ekale Mwanje, § 106, et Singh et autres, § 91). L’instance nationale doit être compétente examiner le contenu des griefs pour offrir le redressement approprié (M.S.S., § 387). Si l’effectivité d’un recours ne dépend pas de la certitude d’avoir une issue favorable, l’absence de toute perspective d’obtenir un redressement approprié pose problème sous l’angle de l’article 13 (M.S.S., § 394).

De plus, l’article 13 commande que les instances de contrôle fassent preuve d’une diligence de célérité particulière; en particulier lorsque la Cour a fait application de l’article 39 du règlement, elles sont tenues de statuer sur le fond dans des délais rapides (A.C. et autres, §§ 88 et 103). Cela étant, la célérité ne doit pas être privilégiée aux dépens de l’effectivité de garanties procédurales essentielles visant à protéger les intéressés contre un refoulement arbitraire (I.M., § 147, et A.C. et autres, § 100). Tout en étant consciente de la nécessité pour les États de disposer des moyens nécessaires pour faire face au contentieux qui résulte de l’afflux important de demandeurs d’asile, la Cour considère en effet que, tout comme l’article 6 de la Convention, l’article 13 astreint les États à organiser les instances de contrôle de manière à répondre à l’ensemble des exigences d’effectivité (A.C. et autres, § 104).

Enfin, l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 combiné avec l’article 3 suppose un recours qui soit de nature à éviter que le préjudice ne se réalise. Cela signifie que le recours interne doit être suspensif de plein droit de l’exécution de la mesure d’éloignement (Čonka c. Belgique, n° 51564/99, §§ 81-83, 2002-I, Gebremedhin [Gaberamadhien], § 66, R.U. c. Grèce, n° 2237/08, § 77, 7 juin 2011, et Hirsi Jamaa et autres, §§ 205 à 207). Cette exigence ne peut être envisagée de manière accessoire, c’est-à-dire en faisant abstraction des conditions posées par l’article 13 quant à l’étendue du contrôle (M.S.S., § 388).

2. Perspectives

Combinaison 3 + 13 (accueil) : Affaires pendantes c. la France, voir Annexes ci-dessous.

Combinaison 8 + 13 (accueil) : Affaires pendantes c. la France, voir Annexes ci-dessous.

Combinaison 8 + 13 (éloignement) : interprétation de l’arrêt De Souza Ribeiro c. France [GC], no 22689/07, 2012.

D. Annexes

Affaires pendantes communiquées aux Gouvernements défendeurs

Requête V.M. et autres c. Belgique (n° 60125/11)

Il s’agit d’une affaire Dublin concernant une famille rom d’origine serbe qui fut « forcée » au retour en Serbie en raison des conditions de l’accueil en Belgique et des conséquences sur l’état de santé de leur fille aînée qui est finalement décédée peu après leur retour (articles 2 et 3). Elle met également en cause l’effectivité des recours disponibles (article 13). L’affaire fut communiquée par voie présidentielle le 4 février 2013 et une des questions est formulée comme suit :

« Le Gouvernement belge a-t-il exposé les requérants à des risques pour leur vie et leur intégrité physique au sens des articles 2 et 3 de la Convention en ne leur ayant fourni ni moyen de subsistance ni logement après le 26 septembre 2011 alors qu’une procédure liée à leur demande d’asile était pendante devant le conseil du contentieux des étrangers et que la famille était accompagnée d’une enfant handicapée et d’enfants en bas âge, y compris un nourrisson (M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC],  n° 30696/09, § 263, CEDH 2011) ? »

Requête n° 48104/14, B.L. et autres c. France, introduite le 3 juillet 2014

Six familles formées de couples accompagnés de dix enfants âgés de quatre à quatorze ans, trois femmes et quatre hommes, sont demandeurs d’asile. Tous les requérants, à l’exception de Monsieur S., ont été placés en procédure prioritaire. Ce dernier est donc le seul à bénéficier d’une allocation temporaire d’attente. Les requérants, ne bénéficiant d’aucune prise en charge de la part de l’État, vivent dans un campement de fortune installé sur un parking de la ville de Metz, aux abords de la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile. Ce campement est le même que celui où, l’an passé, les requérants de l’affaire Gjutaj et autres c. France (n° 63141/13) s’étaient installés. Les requérants allèguent que l’hébergement d’urgence en tentes dont ils bénéficient actuellement ne satisfait pas aux exigences des articles 3 et 8 de la Convention eu égard notamment à leur qualité de demandeurs d’asile et à la présence d’enfants mineurs.

Requête n° 76998/13, R.N. c. France, introduite le 27 novembre 2013

Le requérant est un demandeur d’asile qui, ne bénéficiant d’aucune prise en charge de la part de l’État hormis l’allocation temporaire d’attente, vit dans la rue. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas bénéficier d’un hébergement adapté à sa situation vulnérable eu égard à son statut de demandeur d’asile et à son état de santé.

Requête  n° 68862/13, N.T.P. et autres c. France, introduite le 31 octobre 2013

Les requérants, une mère et ses trois enfants mineurs, ressortissants de la République Démocratique du Congo, arrivèrent en France en 2013. La requérante obtint une domiciliation administrative auprès d’une association. Elle se présenta à la préfecture de la Côte d’Or afin de déposer une demande d’asile. Sa demande ne fut pas enregistrée et il lui fut remis une convocation pour le mois de novembre 2013 afin qu’il soit statué sur son admission au séjour et qu’elle dépose son dossier de demande d’asile. Par conséquent, ne jouissant pas du statut de demandeur d’asile, les requérants ne purent bénéficier d’aucune prise en charge matérielle et financière étatique. Durant cette période, la requérante fut contrainte de dormir provisoirement avec ses trois enfants dans un foyer, établissement géré par deux associations de droit privé. Ils devaient intégrer le foyer le soir à 19 heures, et un seul repas chaud était fourni. Les requérants devaient quitter cet hébergement chaque matin vers 7 h 30, après qu’un petit déjeuner leur avait été servi. Pendant la journée, ils tentaient de se réfugier dans une permanence d’association, lorsque celle-ci était ouverte. Les requérants se plaignent d’avoir dû vivre, du fait de l’inaction prolongée des autorités internes, dans des conditions manifestement contraires à l’article 3 de la Convention, eu égard à leur particulière vulnérabilité. Les requérants allèguent également que le fait d’avoir été contraints de vivre dans ces conditions inappropriées, en particulier pour de très jeunes enfants, constitue une atteinte au droit au respect de leur vie familiale tel que garanti par l’article 8 de la Convention. Ils ajoutent que leur situation relève d’un problème structurel et systémique en France.

Requête n° 27413/13, S.S. c. France, introduite le 23 avril 2013

Le requérant, de nationalité bhoutanaise, est demandeur d’asile en France. Malgré des demandes de solutions d’hébergement formulées auprès des autorités, le requérant ne bénéficie pas d’une prise en charge en centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA). Arrivé en France en 2011, le requérant déposa une demande d’asile à la préfecture de police de Paris. En avril 2012, il se vit remettre un récépissé constatant le dépôt d’une demande d’asile et l’autorisant à séjourner légalement sur le territoire français le temps de l’étude de sa demande d’asile. Le même jour, la préfecture de Paris proposa au requérant une offre de prise en charge dans un CADA au titre de l’aide sociale d’État. Il perçut alors l’allocation temporaire d’attente (ATA), mais ne se vit offrir aucune solution concrète d’hébergement, faute de place disponible dans un CADA de la région parisienne. Le requérant fut alors été hébergé par un « marchand de sommeil ». Il dormit également dans la rue et sporadiquement dans des centres d’hébergement d’urgence. En décembre 2012, le requérant vit sa demande d’asile rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Il forma alors un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Le recours est actuellement pendant. En avril 2013, le requérant forma auprès du tribunal administratif de Paris un référé-liberté afin d’enjoindre au préfet de la Région Ile-de-France de lui indiquer un CADA susceptible de l’accueillir dans un délai de 24 heures, ou à défaut un centre d’hébergement et de réinsertion sociale. Le tribunal administratif rejeta sa demande. Le requérant interjeta appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État qui rejeta sa requête.

Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant considère que sa situation actuelle de demandeur d’asile non hébergé, du fait de l’inertie des autorités françaises, le place dans une situation d’extrême précarité et constitue au minimum un traitement dégradant. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant allègue que le fait d’être contraint de dormir dans la rue pendant une longue période porte atteinte à son droit au respect de la vie privée. Invoquant l’article 13 combiné avec l’article 3 et avec l’article 8, le requérant allègue qu’il n’a pas disposé d’un recours effectif en ce que les juridictions administratives françaises refusent systématiquement de prendre en compte la situation des demandeurs d’asile non hébergés en CADA.

Requête n° 75547/13, S.G. et autres c. France, introduite le 27 novembre 2013

Les requérants sont des demandeurs d’asile qui, ne bénéficiant d’aucune prise en charge de la part de l’État hormis l’allocation temporaire d’attente, vivent dans la rue. Griefs article 3 seulement.

Requête n° 28820/13, N.H. contre la France, introduite le 29 avril 2013

Le requérant est un ressortissant afghan. Il explique qu’en 2010, il fut sollicité par les talibans à plusieurs reprises afin de combattre les forces de la coalition. Après avoir refusé de se joindre à eux, ils le menacèrent de mort. Craignant pour sa sécurité, il décida de quitter le pays. Le requérant arriva en France en mars 2013. Il se présenta à la préfecture de police de Paris le 4 avril afin de déposer une demande d’asile. Sa demande ne fut pas enregistrée et il lui fut remis une convocation pour le 9 juillet 2013 afin que soit statué sur son admission au séjour. Le requérant souligne qu’aucun autre document ne lui a été donné. Par conséquent, ne jouissant pas du statut de demandeur d’asile, il ne put bénéficier d’aucune prise en charge matérielle et financière. En avril 2013, il déposa une requête en référé-liberté afin d’enjoindre au préfet de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour. Le tribunal administratif de Paris rejeta sa demande. Le requérant interjeta appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État qui rejeta sa requête. Le requérant indique que depuis son arrivée en France, il se trouve dans une situation de grande précarité, contraint de dormir dans la rue, exposé aux vols et agressions. Lors de son rendez-vous en préfecture le 9 juillet 2013, le requérant indique qu’il ne lui fut pas délivré d’autorisation provisoire de séjour mais qu’il lui fut indiqué qu’il était placé en procédure « Dublin II ». Il indique avoir ensuite sollicité une allocation temporaire d’attente mais celle-ci lui fut refusée au motif qu’il ne disposait pas du document adéquat mentionnant sa situation administrative au regard de cette procédure. Le requérant explique que depuis lors sa situation matérielle est inchangée.

Le requérant allègue que la situation de dénuement à laquelle il est confronté résulte de l’inaction prolongée des autorités internes à son égard et constitue un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il allègue également que l’inaction des autorités constitue une atteinte à son droit au respect de la sa vie privée tel que garanti par l’article 8 de la Convention. Invoquant l’article 13 combiné aux articles 3 et 8 de la Convention, le requérant allègue qu’il n’a pas disposé d’un recours effectif dans la mesure où les recours introduits devant les juridictions administratives sont systématiquement rejetés.

Requête n° 63141/13, Brahim GJUTAJ et autres c. France, introduite le 7 octobre 2013

Les requérants, des familles formées de couples accompagnés d’enfants âgés de un à onze ans, sont tous demandeurs d’asile. Ne bénéficiant d’aucune prise en charge de la part de l’État, ils s’installèrent dans un campement de fortune aux abords de la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile à Metz. Après le démantèlement de ce camp par le préfet de la Moselle, ils furent pris en charge dans le cadre du dispositif d’urgence et, notamment, par le « 115 » (service téléphonique de coordination de l’hébergement de l’urgence). Ils sont, depuis lors, logés dans des tentes sur un ancien parking mis à disposition par la ville de Metz et sur lequel ont été installés deux douches, deux lavabos, quatre urinoirs et deux toilettes fermées. Les requérants précisent que 450 personnes vivent actuellement sur ce campement, que les équipements mis en place ne fonctionnent plus et que seule une lance à l’eau permet aux personnes présentes sur le site de se laver et de s’approvisionner en eau potable. Les familles Gjutaj, Hrnjic et Zeghrova sont inscrites sur la liste d’attente d’un centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA)

Invoquant l’article 3 de la Convention, les requérants allèguent que l’hébergement d’urgence en tentes dont ils bénéficient actuellement ne satisfait pas aux exigences de l’article 3 de la Convention eu égard notamment à leur qualité de demandeurs d’asile et à la présence de nombreux enfants mineurs.

Requête n° 50376/13, M.D. c. France, introduite le 6 août 2013

Le requérant est un ressortissant guinéen originaire de Conakry se disant mineur. Arrivé en France en septembre 2012, ce dernier obtint dans un premier temps la protection des autorités avant qu’un jugement rendu par une cour d’appel ne remette en cause sa minorité et la protection ainsi accordée. Il entama ensuite une autre action en justice qui ne put aboutir en raison de son statut de mineur non représenté. Depuis, le requérant explique vivre dans une situation matérielle précaire s’accompagnant d’un problème de santé. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint d’être abandonné par les autorités internes dans une situation matérielle précaire alors que plus aucun recours ne lui est ouvert.

Publié le 13 juin 2017