Comité de recours du Burundi, 24 janvier 2018, la requérante Y contre la Commission consultative pour les étrangers et les réfugiés, décision no 333-17C01013

Louvain-La-Neuve

Convention de Genève (1951) – Convention de l’OUA (1969) – Loi burundaise sur l’asile –Reconnaissance du statut de réfugié d’une demande individuelle d’asile suivant la Convention de l’OUA – prise en compte de la maitrise de la géographie de sa région d’origine dans la détermination du statut de réfugié.

Le Comité de recours (deuxième et dernière instance en matière d’asile au Burundi) se prononce sur le refus de la Commission Consultative pour les étrangers et les réfugiés (première instance d’asile) de reconnaitre le statut de réfugié à la requérante au motif qu’elle ne maitrise pas la géographie de la ville de Goma alors qu’elle affirme avoir vécu dans cette ville pendant plus de 4 ans. Pourtant, l’oubli de l’une ou l’autre localité de sa région d’origine ne fait pas partie des causes d’exclusion au statut de réfugié. Plusieurs facteurs peuvent être liés à cet oubli dont le traumatisme ou autres problèmes psychologiques. C’est ainsi qu’il y a plusieurs moyens d’amener le demandeur d’asile à se rappeler de la géographie de sa région d’origine comme l’a fait le Comité de recours (CR) pour le cas en l’espèce. Qui plus est, comme dans sa région d’origine il y a l’insécurité causée par les groupes rebelles et que sa famille était plus particulièrement visée, la requérante était en droit d’être protégée suivant l’article 5, alinéa 3, de la loi no 1/32 du 13 novembre 2008 sur l’asile et la protection des réfugiés au Burundi qui reprend la Convention de l’OUA en son article 1er §2. Le CR lui a donc reconnu le statut de réfugié étant donné qu’elle ne peut pas retourner dans son pays d’origine suite à l’insécurité qui prévaut dans sa région natale.

Pamphile Mpabansi

A. Décision

La requérante est une congolaise originaire de Majengo/Goma Nord Kivu.  Elle est veuve et a 4 enfants. Elle est âgée de 37 ans. Elle déclare avoir quitté son pays d’origine suite aux menaces qui étaient exercées à l’endroit de sa famille par les maï-maï.

En effet, comme le déclare la requérante, leur domicile a été attaqué par ces rebelles en date du 4 novembre 2017. Ces derniers ont tué son mari, puis ils sont partis. En date du 7 novembre 2017, ces rebelles sont revenus et elle les a entendus en train de discuter. Elle a eu peur et a opté pour prendre la fuite avec ses enfants.

La requérante est arrivée au Burundi en date du 28 novembre 2017. Elle a été enregistrée en date du 29 novembre 2017. Son premier entretien de détermination du statut de réfugié a eu lieu le 30 novembre 2017. La demande de la requérante a été rejetée par les membres de la Commission consultative pour les étrangers et les réfugiés (CCER) en date du 4 décembre 2017 au motif qu’elle ne maitrise pas la géographie de la ville de Goma, sa ville d’origine, alors qu’elle affirme avoir vécu dans cette ville pendant plus de 4 ans. La CCER a rejeté sa demande sur base de l’article 7 de la loi no 1/32 du 13 novembre 2008 sur l’asile et la protection des réfugiés qui stipule que l’asile est refusé si elle est manifestement infondée au sens des articles 8 à 10. Or, l’article 10, alinéa 1er, de cette même loi précise qu’une demande repose sur une fraude délibérée et constitue un recours abusif aux procédures d’asile si le demandeur a trompé les autorités sur son identité ou maintient une fausse identité lors de son audition.

Elle a été notifiée de cette décision en date du 7 décembre 2017. L’entretien de recours a eu lieu le 20 décembre 2017.

Comme objet de recours, la requérante demande que le CR puisse réétudier sa demande car elle a besoin d’une protection internationale.

Etant donné que la requérante n’avait aucune pièce d’identité, le CR a alors procédé aux tests de langue et de géographie et s’est rendu compte que la requérante est réellement de nationalité congolaise.

Sur le fond de la demande, le CR constate que cette demande doit être analysée sur base de l’article 5, alinéa 3, de la loi sur l’asile au Burundi qui stipule qu’un réfugié est une personne qui, du fait d’une agression, d’une occupation extérieure, d’une domination étrangère ou d’un évènement troublant l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à l’extérieur de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité.

Quant aux conditions pour être reconnu comme réfugié, le CR constate que réellement la requérante est une congolaise, vu que les tests de langage et de géographie ont été concluant. Elle est alors en dehors de son pays d’origine. Quant aux raisons de sa fuite, la requérante évoque les menaces exercées à l’endroit de sa famille par les maï-maï. Les informations sur le pays d’origine dont dispose l’Office national de protection des réfugiés et apatrides (ONPRA) montrent que réellement cette région était frappée par une insécurité au cours de la période alléguée par la requérante. C’est pour cette raison qu’elle ne veut pas retourner dans son pays d’origine suite à une situation d’insécurité qui prévaut dans sa localité d’origine.

Le CR conclut que tous les critères sont réunis pour reconnaitre à la requérante le statut de réfugié sur base de l’article 5, alinéa 3, de la loi no 1/32 du 13 novembre 2008 sur l’asile et la protection des réfugiés au Burundi.

B. Éclairage

Le raisonnement du CR soulève deux observations, l’une relative à la reconnaissance du statut de réfugié suivant la Convention de l’OUA en dehors de l’afflux massif, et l’autre se rapportant à la maitrise de la géographie de sa région d’origine par le demandeur d’asile.

Concernant la reconnaissance du statut de réfugié suivant la Convention de l’OUA, l’article 1er §2 de cette convention stipule qu’un réfugié est une personne qui, du fait d’une agression, d’une occupation extérieure, d’une domination étrangère ou d’un évènement troublant l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à l’extérieur de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité ( la même disposition a été reprise à l’article 5, alinéa 3, de la loi burundaise sur l’asile).

Le droit d’asile burundais se réfère donc à la fois à la Convention de Genève et à la Convention de l’OUA quant à la détermination du statut de réfugié. Cela va de soi dans la mesure où certains pays africains font face à des troubles internes qui provoquent souvent des déplacements de population soit à l’intérieur de ces mêmes pays, soit à l’étranger. En l’espèce, il faut souligner que plusieurs groupes armés dont les maï-maï et autres pullulent à l’est du Congo[1]. Les actions de ces groupent rebelles entrainent souvent des déplacements forcés des populations qui se sentent menacées. De ce fait, certaines personnes en provenance de la RDC traversent la frontière avec le Burundi pour chercher refuge. Les instances burundaises d’asile sont donc souvent appelées à interpréter la Convention de l’OUA relativement à l’octroi de l’asile que ce soit pour les demandes individuelles ou pour les demandes collectives en cas d’afflux massif. Le législateur burundais a par ailleurs incorporé l’article 1er §2 de cette Convention dans la loi burundaise sur l’asile en son article 5, alinéa 3.

Comme le souligne Jean-Yves Carlier, même si l’on peut penser que la deuxième définition du réfugié inscrite dans la Convention de l’OUA viserait une protection de groupe, cela ne ressort nullement du contenu intrinsèque de chaque définition, mais des réalités de procédure. Une protection n’est pas en soi collective, elle le devient par nécessité parce qu’il n’est pas possible, en présence de flux importants, de procéder à un examen individuel du cas de chacun[2].

Quant à François Crépeau, il ajoute qu’aux sources de cette Convention de l’OUA se trouvent, entre autres, le désir de dépasser la limitation géo-chronologique de la Convention de 1951, rendue cependant caduque par le protocole de 1967, mais aussi la volonté de traduire la tradition africaine de l’asile en élargissant les critères matériels de la définition du réfugié[3].

Rien donc d’étonnant que le CR reconnaisse le statut de réfugié à un demandeur d’asile qui fuit les troubles internes dans sa région d’origine. Comme la requérante ne remplissait pas l’un des cinq critères de la Convention de Genève pour être protégée, la dernière instance d’asile au Burundi (le Comité de recours) s’est alors référée à la Convention de l’OUA (article 5, alinéa 3, de la loi burundaise sur l’asile) pour lui accorder la protection en qualité de réfugié.

Le paragraphe 2 de la définition de réfugié de la Convention de l’OUA permet donc de couvrir les victimes d’une catastrophe naturelle, d’une guerre ou de troubles politiques internes. La Convention de l’OUA reconnait ainsi la profonde unité dans le malheur de tous ceux qui fuient un désastre, quelles qu’en soient les causes, humaines ou naturelles[4].

Au sujet de la maitrise de la région d’origine par le demandeur d’asile, le CR procède aux tests de langage et de géographie pour s’assurer si réellement la requérante se trouve en dehors de son pays d’origine. En effet, comme la RDC et le Burundi sont deux pays frontaliers, il arrive des cas où certains burundais (mais ce sont des cas isolés) déposent une demande d’asile à l’ONPRA en disant qu’ils sont congolais. C’est pour cette raison que ces tests de langage et de géographie sont faits. Si les instances d’asile observent que réellement la personne qui demande l’asile ne maitrise pas sa langue maternelle (pour le cas de la RDC, c’est la langue de la tribu dont la personne fait partie) ainsi que la géographie de la région dont elle prétend être originaire, l’asile lui est refusé. Cela va de soi car pour être réfugié, on doit se trouver en dehors de son pays d’origine et il faut prouver cela surtout si le requérant n’a pas de pièce d’identité. 

Mais, comme l’oubli de l’une ou l’autre localité de sa région d’origine ne fait pas partie des causes de refus du statut de réfugié, il revient à l’instance d’asile d’user de tous les moyens pour ramener le demandeur d’asile à se rappeler de certains détails comme l’a fait le CR. En effet, comme le soulignent les lignes directrices du HCR, « en elles-mêmes, des déclarations inexactes ne constituent pas une raison pour refuser le statut de réfugié et l’examinateur a la responsabilité d’évaluer de telles déclarations à la lumière des diverses circonstances du cas »[5]. Par ailleurs, il peut arriver qu’« une personne qui, par expérience, a appris à craindre les autorités de son propre pays peut continuer à éprouver de la défiance à l’égard de toute autre autorité. Elle peut donc craindre de parler librement et d’exposer pleinement et complètement tous les éléments de sa situation »[6]. Pour le cas sous analyse, la requérante évoque qu’elle est traumatisée par ce qui lui est arrivée et qu’elle souffre au niveau des genoux (elle est obligée de rester dans la position assise). D’après elle, ces deux raisons justifient la faible maitrise de la géographie de sa région d’origine.

D’après Jacinthe Mazzocchetti, le fait d’avoir vécu des situations traumatiques a une influence considérable sur les subjectivités, sur le psychisme des personnes, et donc sur la possibilité même de mettre des mots sur ce que l’on a vécu, et donc souvent, l’énonciation des choses difficiles, traumatiques, se fait par bribes de manière peu cohérente. La même auteure poursuit en disant que la mémoire, les souvenirs, sont quelque chose de vivant ou d’extrêmement subjectif qui sont reliés aussi aux émotions, aux cadres, aux moments de vie. Raconter quelque chose aujourd’hui, ou le raconter dans dix ans, ce n’est plus la même chose parce qu’on s’est transformé et donc les souvenirs aussi se sont transformés. Et donc, pouvoir raconter des choses de manière extrêmement précise, chronologique, est extrêmement difficile. C’est quelque chose qui doit être préparé, tout comme se souvenir des noms, des dates, des lieux, etc[7].

C’est donc normal qu’un demandeur d’asile puisse oublier l’une ou l’autre localité de sa région d’origine, plusieurs facteurs entrent en jeu.  Lui refuser alors le droit d’asile parce qu’il n’a pas cité tous les noms des villes de sa région d’origine sans analyser au fond les raisons de sa fuite pour voir si son récit est crédible comme l’a fait la CCER, c’est mettre en danger la vie d’une personne en l’exposant au risque d’expulsion.

Cette décision traduit l’importance de la Convention de l’OUA dans le contexte africain où ce n’est pas seulement la persécution du fait de la race, de la religion, de la nationalité, de l’appartenance à un certain groupe social et des opinions politiques qui conduit à l’asile. Des troubles internes peuvent conduire une personne à quitter son pays pour aller demander l’asile ailleurs.

Bref, la proclamation des droits ne comble pas le besoin d’humanité qui accompagne le chemin de l’exilé. Mais la reconnaissance effective de droits et l’existence de procédures destinées à les garantir sont de nature à rendre au réfugié sa dignité, lui rappelant que l’humanité est capable du meilleur après le pire[8].

C. Pour aller plus loin

Doctrine :

- Belaid M., Les mobilisations armées à l’est de la République démocratique du Congo : dynamiques sociales d’une pratique ordinaire. Critique internationale, 2019, no 1, p. 31-49 ;

- Carlier J.-Y., Droit d’asile et des réfugiés – De la protection aux droits, La Haye, R.C.A.D.I., Martinus Nijhoff Publishers, 2008 ;

- Crépeau F., Droit d’asile-De l’hospitalité aux contrôles migratoires, Bruylant, 1995 ;

- Mathé G., Sécurité, gouvernance rebelle et formation de l’État au Kivu, République Démocratique du Congo (2004–2013), 2018. Thèse de doctorat. Université de Lausanne, Faculté des sciences sociales et politiques ;

- Mazzocchetti J., Critique de la narration dans la procédure d’asile, cours en ligne, Regards croisés sur les migrations, module 1, trajectoires migratoires : des récits, p.21. www.edx.org/course/regards-croises-sur-les-migrations.

Pour citer cette note : P. Mpabansi, « Comité de recours du Burundi, 24 janvier 2018, la requérante Y contre la Commission consultative pour les étrangers et les réfugiés, décision no 333-17C01013», Cahiers de l’EDEM, mai 2019.

 


[1] M. Belaid, Les mobilisations armées à l’est de la République démocratique du Congo : dynamiques sociales d’une pratique ordinaire. Critique internationale, 2019, no 1, p. 31-49 ; G. Mathé, Sécurité, gouvernance rebelle et formation de l’État au Kivu, République Démocratique du Congo (2004–2013), 2018. Thèse de doctorat. Université de Lausanne, Faculté des sciences sociales et politiques.

[2] J.-Y. Carlier, Droit d’asile et des réfugiés – De la protection aux droits, La Haye, R.C.A.D.I., Martinus Nijhoff Publishers, 2008, p. 265.

[3] F. Crépeau, Droit d’asile –De l’hospitalité aux contrôles migratoires, Bruylant, 1995, p.93

[4] Idem, p. 94.

[5] HCR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, §199

[6] Idem, §198.

[7] J. Mazzocchetti, Critique de la narration dans la procédure d’asile, cours en ligne, Regards croisés sur les migrations, module 1, trajectoires migratoires : des récits, p.21. www.edx.org/course/regards-croises-sur-les-migrations.

[8] J.-Y. Carlier, op.cit., p. 340.

 

Publié le 07 juin 2019