Comité droits de l’homme des Nations unies, communication n° 2640/2015, R.I.H. et S.M.D. c. Danemark, 13 juillet 2017

Louvain-La-Neuve

Traitement dégradant et conditions de vie misérables.

Le Comité des droits de l’homme considère que le renvoi d’une famille syrienne, bénéficiaire de la protection subsidiaire, vers la Bulgarie ne constitue pas un traitement dégradant au sens de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité justifie sa décision en arguant l’absence de vulnérabilité dans le chef des auteurs de la communication. Leur situation n’est pas la même que celle dans l’affaire Jasin contre Danemark, dans laquelle le Comité a conclu à la violation de l’article 7 en raison du renvoi vers l’Italie d’une famille somalienne composée d’une mère célibataire et de trois enfants malades. Par ce raisonnement, le Comité adopte une approche conjoncturelle et individualisée des traitements cruels, inhumains, dégradants. Le Comité relativise donc ce droit en principe absolu en exigeant « a special situation of vulnerability », selon une échelle ascendante. Ce qui hier était un traitement dégradant peut ne pas l’être aujourd’hui en raison d’une approche individualisée de la notion de vulnérabilité.

Art. 7 P.I.D.C.P. – Traitements cruels et dégradants – Vulnérabilité – Conditions d’accueil en Bulgarie – Facteurs non aggravants.

A. Décision

Les auteurs de la communication sont originaires de Syrie et bénéficient d’une protection subsidiaire en Bulgarie. Accompagnés de leurs quatre enfants dont le plus jeune est âgé de 14 ans, ils se sont installés au Danemark en raison des difficultés rencontrées dans l’accès à l’emploi et aux soins de santé en Bulgarie. Ils contestent le refus de leur octroyer le titre de séjour et la décision de les renvoyer en Bulgarie où ils risquent de subir des traitements cruels et inhumains au sens de l’article 7 du Pacte. Ils déduisent ce risque de l’absence d’accès à certains droits socioéconomiques dans le pays de renvoi. Selon les auteurs de la plainte, ils n’ont pas accès à des conditions de vie décentes en Bulgarie en dépit de leur protection subsidiaire. L’accès aux soins de santé, à l’emploi et à l’éducation de base y est difficile. Cette situation a pour effet d’accroitre leur degré de vulnérabilité en les exposant à une extrême pauvreté. Selon les rapports du H.C.R. et d’Amnesty International (§ 3.6) évoqués par les plaignants, la situation des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire en Bulgarie se caractérise par l’absence d’un programme de réintégration après leur passage dans un centre d’asile. En dépit de la protection internationale offerte en Bulgarie, de telles personnes sont vouées à une extrême précarité qui peut s’apparenter à des traitements cruels, inhumains et dégradants.

Le Comité des droits de l’homme refuse de cautionner un tel raisonnement. Il considère que les conditions de vie misérables dans le pays de renvoi n’entrainent pas ipso facto une violation de l’article 7 du Pacte. Pour arriver à cette conclusion, il adopte une démarche en deux temps.

Dans un premier temps, le Comité examine la situation générale dans le pays de renvoi. Plutôt que de se fonder sur les rapports des organisations tierces, le Comité s’appuie sur les déclarations de l’État partie. Selon ces déclarations, « persons granted refugee and protection status in Bulgaria have the same rights as Bulgarian nationals » (§ 8. 5). Or, les requérants bénéficient de la protection subsidiaire en Bulgarie. À ce titre, ils ne jouissent pas de la présomption de vulnérabilité. Pour renverser cette présomption, ils doivent démontrer l’existence d’un risque réel et individuel d’être soumis à des traitements inhumains découlant de la situation de précarité en Bulgarie. Pour le Comité, « the authors have not requested or needed medical assistance during their stay in Bulgaria and have therefore not substantiated their allegation that no medical support is available » (§ 8. 5).

Dans un second temps, le Comité se focalise sur les circonstances propres aux plaignants en adoptant une approche individualisée. En dépit de la difficulté liée à l’accès à l’emploi dans le pays de renvoi, le Comité considère que « the authors have failed to substantiate a real and personal risk to themselves upon return to Bulgaria » (§ 8.6). Le Comité se focalise sur leur situation familiale pour ne pas appliquer les enseignements de l’affaire Jasin contre Danemark. Dans cette affaire, le Comité avait constaté la violation de l’article 7 du Pacte par le Danemark en raison du renvoi vers l’Italie d’une femme célibataire accompagnée de ses trois enfants malades et dont le titre de séjour avait expiré. Le Comité refuse d’appliquer les enseignements de cette décision à la situation familiale des plaignants caractérisée par la présence de deux parents et de quatre enfants dont le plus jeune est âgé de 14 ans. Selon le Comité, « [the fact that] the authors may possibly be confronted with difficulties upon their return does not, by itself, necessarily mean that they would be in a special situation of vulnerability » (§ 8.6).

À l’issue de cette démarche en deux temps, le Comité de droits de l’homme aboutit au constat de non-violation du Pacte (article 7).

B. Éclairage

Le raisonnement du Comité est analogue à la démarche généralement suivie par la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires relatives aux transferts Dublin. Deux arrêts ont particulièrement marqué les débats lors de l’examen de cette communication. En effet, les auteurs de la communication invoquaient les arrêts M.S.S. contre Belgique et Tarakhel contre Suisse alors que l’État défendeur plaidait leur inapplicabilité. Dans ces arrêts, pour évaluer le risque de violation de l’article 3 CEDH, la Cour européenne procède à l’examen de la situation générale et de la situation particulière des requérants en cas de transfert[1]. Or, dans la présente espèce, le Comité évalue le risque de violation de l’article 7 du Pacte en se focalisant, d’une part, sur les conditions de vie en Bulgarie et, d’autre part, sur les circonstances propres aux auteurs de la communication. En dépit de la similitude d’approche, le raisonnement du Comité diffère de celui de la Cour européenne des droits de l’homme à bien des égards.

D’abord, le Comité fait peser la charge de la preuve sur les plaignants pour déterminer le seuil de vulnérabilité requis dans l’évaluation du risque de traitements cruels, inhumains et dégradants. Pourtant, dans les affaires Dublin, la Cour européenne présume que la vulnérabilité est inhérente à la qualité de demandeur d’asile[2]. Il revient à l’État défendeur de s’assurer du respect des droits fondamentaux dans le pays de transfert. In specie, le renversement de la charge de la preuve s’explique par le fait que les auteurs de la plainte bénéficient d’une protection subsidiaire en Bulgarie contrairement au transfert Dublin où l’on est présence des demandeurs d’asile.

Ensuite, le Comité ne considère pas la présence d’un mineur dans la famille des plaignants comme étant en soi un facteur aggravant. Or, la prise en compte de la situation spécifique des enfants mineurs est une constante dans la jurisprudence de la Cour européenne[3]. Dans l’affaire Tarakhel, la Cour européenne invite l’État défendeur à obtenir des garanties individuelles en cas de transfert de demandeurs d’asile ayant des besoins particuliers (enfants mineurs)[4]. Par ailleurs, l’absence de garanties individuelles a conduit le Comité à constater la violation de l’article 7 du Pacte dans l’affaire Jasin contre Danemark, car l’État défendeur :

« has also failed to seek proper assurance from the Italian authorities that the author and her three minor children would be received in conditions compatible with their status as asylum seekers entitled to temporary protection and the guarantees under article 7 of the covenant, by requesting that Italy undertake (a) to renew the author’s and her children’s residence permits and not to deport them from Italy; and (b) to receive the author and her children in conditions adapted to the children’s age and the family’s vulnerable status, which would enable them to remain in Italy »[5].

En dépit de la présence, dans l’affaire qui nous occupe, d’un mineur âgé de 14 ans, le Comité considère que ces besoins particuliers ne sont pas comparables avec ceux d’une famille de trois enfants mineurs malades accompagnés par une mère célibataire et dépourvue de titre de séjour (affaire Jasin contre Danemark). Dans la présente affaire, le constat de non-violation de l’article 7 du Pacte s’explique par une approche individualisée. L’existence d’un titre de séjour pour la famille dans le pays de renvoi (Bulgarie) conduit le Comité à considérer les auteurs de la communication comme n’étant pas vulnérables.

Cette décision du Comité s’inscrit dans le cadre de la protection par ricochet des droits socioéconomiques dans le pays de renvoi. De plus en plus, les organes de protection sont amenés à juger des situations de précarité extrême susceptibles d’être à l’origine de traitements cruels, inhumains et dégradants[6]. En précisant les critères de vulnérabilité dans la présente affaire, le Comité adopte une approche individualisée et contribue à préciser les enseignements de l’affaire Jasin contre Danemark. Le risque d’une telle approche est d’aboutir à réduire le contenu du droit en relativisant son caractère absolu par « la notion de gravité nécessaire à l’appréciation, selon une échelle ascendante du caractère dégradant, inhumain ou de torture du traitement dénoncé »[7]. Dans son opinion concordante dans l’affaire M.S.S. c. Belgique, le juge Rozakis ne s’y était pas trompé en rappelant que l’appréciation du minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3 CEDH « est relative et dépend de l’ensemble des données de la cause (par exemple la durée du traitement, ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, le sexe, l’âge et l’état de santé de la victime) »[8].

T.M.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter la décision : Comité des droits de l’homme, communication n° 2640/2015, R.I.H. ET S.M.D. c. Danemark, const. 13 juillet 2017.

Jurisprudence

Comité des droits de l’homme, communication n° 2360/2014, Warda Osman Jasin contre Danemark, const. 22 juillet 2015.

Doctrine

- S. Sarolea, « Renvoi Dublin vers l’Italie : une approche individualisée, note sous Cour eur. D.H., déc. irrecevabilité, A.M.E. c. Pays-Bas », Newsletter EDEM, février 2015.

- E. Neraudau, « Des garanties individuelles avant transfert Dublin litigieux, gage de respect de la Convention EDH », Newsletter EDEM, novembre-décembre 2014.

- L. Leboeuf, Le droit européen de l’asile au défi de la confiance mutuelle, Limal, Anthemis, 2016.

Pour citer cette note : T. Maheshe, « Traitement dégradant et conditions de vie misérables, note sous Comité des droits de l’homme, communication n° 2640/2015, R.I.H. et S.M.D. c. Danemark, const. 13 juillet 2017 », Cahiers de l’EDEM, décembre 2017.


[1] E. Neraudau, « Des garanties individuelles avant transfert Dublin litigieux, gage de respect de la Convention EDH », Newsletter EDEM, novembre-décembre 2014, p. 26.

[2] S. Saroléa, « Renvoi Dublin vers l’Italie : une approche individualisée, note sous Cour eur. D.H., déc. irrecevabilité, A.M.E. c. Pays Bas », Newsletter EDEM, février 2015, p. 11.

[3] Idem, p. 11.

[4] Cour eur. D.H., 2014, Tarakhel contre Suisse, req. n° 29217/12, § 121. Voy. aussi E. Neraudau, op. cit., p. 30.

[5] Comité des droits de l’homme, communication n°2360/2014, Warda Osman Jasin contre Danmark, const. 22 juillet 2015, § 8.9.

[6] L. Leboeuf, Le droit européen de l’asile au défi de la confiance mutuelle, Limal, Anthemis, 2016, p. 270.

[7] J.-Y. Carlier, « Des droits de l’homme vulnérable à la vulnérabilité des droits de l’homme », R.I.E.J., 2017, n° 79, p. 196.

[8] Cour eur. D.H., 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, opinions concordantes du juge Rozakis, req. 30696/09, p. 95.

Publié le 04 janvier 2018