Conseil du contentieux des étrangers, 30 septembre 2019, n° 226 888

Louvain-La-Neuve

Le CCE réaffirme que la crainte de persécution en raison de l’opinion politique comprend l’opposition à un mariage forcé, y compris lorsqu’elle est le fait d’un cousin.

Demandeur d’asile guinéen crainte de persécution – opposition au mariage forcé de sa cousine –menaces de sa famille – opinion politique – reconnaissance de statut

Le Conseil du contentieux des étrangers reconnaît le statut de réfugié à un homme guinéen s’étant opposé à l’excision et au mariage forcé de sa jeune cousine, via le motif de l’opinion politique. Le Conseil reconnait qu’il ne peut avoir accès à une protection effective en Guinée contre les agissements de sa famille.

Christine Flamand

A. Arrêt

Le requérant est d’origine guinéenne. Il demande le statut de réfugié en Belgique en février 2018. Il dit craindre des représailles de sa famille en raison de son opposition à l’excision de sa cousine lorsque celle-ci était âgée de 7 ans et à son mariage forcé quelques années plus tard.  

Le requérant expose qu’il a été vivre chez son oncle en 2003. Celui-ci a une fille (F.), née en 2007. Cet oncle a dû quitter la Guinée en raison de problèmes politiques en 2010 et s’est rendu en Belgique, où il s’est vu reconnaître le statut de réfugié. Sa cousine est confiée à sa grand-mère paternelle lorsque l’épouse de son oncle le rejoint en Belgique en 2013. Après avoir finalisé des études en biochimie, le requérant ouvre une pharmacie en 2013. Cette même année, il apprend que l’oncle maternel de F. souhaite la faire exciser. Il avertit son oncle en Belgique, qui contacte sa mère pour lui indiquer son refus de voir sa fille excisée, en vain. Le requérant décide d’aller chercher la jeune fille pour la mettre à l’abri chez lui, à Faranah, et la confie à des voisins. L’oncle maternel se rend chez le requérant et exige que celui-ci lui révèle l’endroit où se trouve la jeune fille. Il refuse et on l’attache et le frappe pour le faire parler. La jeune fille est ensuite excisée.

Quelques années plus tard, en 2017, il apprend que F. va être mariée de force selon la volonté de l’oncle maternel. Le requérant avertit le père de F. en Belgique qui reprend contact avec sa mère pour s’opposer à ce projet. Le requérant s’élève également contre ce projet. Selon ses dires, toute la famille se retourne contre lui. Son père considère qu’il n’est plus son fils. Il met F. à l’abri chez un ami à Conakry, après avoir obtenu l’accord de sa grand-mère de l’emmener faire des courses. Comme F. ne rentre pas au village au moment convenu, l’oncle maternel se déplace et le menace de mort. Le requérant prend la fuite et se rend chez son ami à Conakry. Celui-ci organise leur fuite vers le Maroc. Du Maroc, ils rejoignent l’Espagne par la mer. F. introduit une demande d’asile en Espagne, où son père viendra la chercher. Elle obtient le statut de réfugiée en Belgique en avril 2019. Quant au requérant, il continue sa route jusqu’en Belgique, où il introduit une demande d’asile en février 2018.

Le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) refuse le statut de réfugié au requérant en estimant qu’il n’est pas crédible qu’il soit menacé de mort par l’oncle maternel de F., tout en ne remettant pas en cause le rôle joué par le requérant dans la protection de sa jeune cousine. Le CGRA estime que compte tenu du profil universitaire du requérant, il n’est pas crédible que sa famille mette sa menace à exécution à son encontre. Quant à l’oncle maternel, le CGRA estime « qu’il n’a pas une personnalité influente telle pour mettre en branle l’ensemble de la Guinée pour faire du mal au requérant ». Les documents déposés par le requérant (certificat médical, photos) ne permettent pas de modifier la décision.

Le Conseil du contentieux des étrangers (CCE), saisi d’un recours contre la décision négative du CGRA, estime qu’il ne peut se rallier aux motifs exposés par ce dernier. Le Conseil, après avoir rappelé sa compétence de pleine juridiction, procède à un examen complet et ex nunc de la demande de protection internationale (pt. 2.1.2).

Le Conseil analyse les déclarations du requérant, eu égard à leur crédibilité et à l’établissement des éléments principaux de sa crainte de persécution.

Le Conseil relève que la demande du requérant est en lien avec celle de F., reconnue comme réfugiée en avril 2019 par le CGRA. Il ressort des notes d’entretiens personnels de F. et de son père que le requérant a sauvé F. d’un mariage forcé et qu’il a tenté de s’opposer à son excision. Le Conseil tient donc pour établies les déclarations à ce sujet (pt. 4.2.4.1).

Le Conseil estime, contrairement au CGRA, que la séquestration du requérant par l’oncle maternel et les maltraitances subies peuvent être tenues pour établies « en raison des déclarations consistantes et empreintes de sentiment de vécu du requérant, malgré le peu de questions posées à ce sujet par l’officier de protection » (pt. 4.2.4.2). Il en est de même pour les déclarations du requérant au sujet des recherches et des menaces dont il a fait l’objet depuis qu’il a aidé sa cousine à fuir le projet de mariage forcé. Le Conseil considère que le témoignage du père de F. corrobore ses dires, également quant au fait que le requérant est considéré comme « l’ennemi à abattre » au sein de la famille et la position influente de l’oncle maternel de F. Le Conseil évalue ce témoignage comme un « commencement de preuve des faits allégués » (pt. 4.2.4.3).

En ce qui concerne le profil du requérant, invoqué par le CGRA pour pouvoir s’opposer aux agissements de sa famille, le Conseil ne voit pas en quoi le fait que le requérant soit universitaire et indépendant pourrait l’empêcher d’être agressé ou tué par l’oncle maternel de F. et ne tient dès lors pas compte de cet argument (pt. 4.2.4.5).

Dès lors que la réalité de la séquestration, les menaces et les maltraitances sont considérées comme établies, le Conseil se pose la question de la possibilité pour le requérant de trouver une protection adéquate auprès de ses autorités nationales contre les agissements de sa famille.

A ce sujet, le Conseil estime qu’il ressort des circonstances individuelles de la cause que l’influence particulière de l’oncle maternel de F. au sein de la gendarmerie et la nature du conflit (opposition à une décision familiale de mariage) justifient que le requérant ne se soit pas adressé aux autorités pour empêcher le mariage forcé ni pour se protéger de la colère de sa famille. Il n’aurait pas eu accès à cette protection effective de ses autorités au vu du contexte légal et sociétal prévalant en Guinée (pt. 4.2.6.6).

Enfin, le Conseil estime que la crainte du requérant est en lien avec ses opinions politiques, le requérant s’étant publiquement opposé à des pratiques traditionnelles extrêmement répandues dans la société guinéenne (pt. 4.2.7) et lui reconnait le statut de réfugié.

B. Eclairage

L’arrêt commenté est intéressant à plus d’un titre : il fait état d’une prise en compte du contexte familial, légal et sociétal en Guinée, il fait le lien avec les dossiers de membres de la famille reconnus comme réfugiés et prend en considération les preuves telles que les témoignages pour corroborer les déclarations du requérant, les considérant comme un commencement de preuve. Il rappelle que l’opposition aux pratiques traditionnelles peut être en lien avec différents motifs de la Convention de Genève.

Cette note approfondit deux questions que l’arrêt soulève : (1) le lien avec la Convention de Genève et (2) l’octroi de la protection à un cousin s’étant opposé à l’excision et au mariage forcé de la jeune fille.

1. Le lien avec la convention de Genève

Les persécutions subies ou craintes doivent être en lien avec la Convention de Genève de 1951 (nexus) pour qu’une personne puisse prétendre au statut de réfugié. La Convention cite cinq motifs : la race, la nationalité, la religion, l’appartenance au groupe social et l’opinion politique. Soit, la caractéristique qui motive la persécution se trouve effectivement dans le chef de la victime, soit c’est le persécuteur qui attribue ce motif à une personne. Dans ce dernier cas, il s’agit de l’imputation d’un motif de persécution[1].

     a. Le groupe social

L’arrêt commenté évoque une opposition contre les pratiques « traditionnelles néfastes », en l’occurrence l’excision et le mariage précoce d’une jeune fille guinéenne. La plupart de ces situations sont traitées sous l’angle de la persécution liée au genre au motif de l’appartenance à un groupe social. Les violences de genre visent des groupes qui satisfont aux critères développés pour définir la notion de groupe social, notamment le sexe, caractéristique innée, inaltérable et commune à toutes les femmes[2]. Les principes directeurs sur la protection internationale relative au groupe social de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ont régulièrement décrit les femmes comme faisant partie d’un groupe social, les identifiant en tant que groupe dans la société, les exposant à des formes de traitement et des normes différentes selon certains pays (pt. 7). Le CCE a régulièrement reconnu que les personnes à risque d’un mariage forcé ou de mutilations génitales féminines  (MGF) ou s’opposant à  ces pratiques faisaient partie d’un groupe social, celui des femmes (ex. CCE, 29 août 2019, n° 225 369, Mauritanie ; 29 août 2019, n° 225 360, Côte d’Ivoire ; 27 août 2019, n° 225 272, Burkina Faso). Le CCE a parfois jugé que « l’appartenance au groupe social était le seul critère de rattachement envisageable" pour une femme craignant l’excision (CCE, 20 janvier 2012, n°73 658, pt. 6.10) ».

     b. L’opinion politique

Le motif de l’opinion politique a également été retenu dans des situations similaires, tant s’agissant de femmes que d’hommes s’opposant à la pratique. Un bref aperçu de la jurisprudence permet de considérer que tel était le cas jusqu’en 2014. 

  • Dans un arrêt du CCE du 31 mars 2011, le Conseil reconnait le statut de réfugié à une maman victime d’un mariage forcé et voulant protéger sa fille de l’excision. Il considère qu’elle a des raisons de craindre d’être persécutée au sens de la Convention de Genève « en raison de l’opinion politique qu’elle a exprimée par son opposition à la coutume de l’excision pour sa fille mineure, coutume considérée comme une pratique sociale quasiobligatoire pour être reconnue comme femme dans la société guinéenne à laquelle il est pratiquement impossible de se soustraire ; en s’opposant à cette coutume pluriséculaire et presque irrésistible, la requérante se met ainsi au ban de la société » (pt. 5.6). Dans cet arrêt, le Conseil fait référence à la position du HCR qui rappelle que « le concept d’opinions politiques englobe  toute opinion relative à des questions sur lesquelles l’appareil de l’État, du gouvernement ou de la société est engagé et va audelà de l’identification avec tel parti politique précis ou idéologie reconnue et peut notamment inclure une opinion sur le genre » (pt 5.5). Dans cet arrêt , le juge estime que le critère de l’opinion politique constitue le rattachement le plus pertinent à la Convention de Genève :  « ce  critère  a  été  dès  l’origine  conçu  dans  une  perspective  d’interprétation  large[3], ce que confirme l’article 48/3, §  4,  e,  de  la  loi  du  15  décembre  1980,  selon  lequel  la  notion  d'opinions  politiques  recouvre,  entre autres, les opinions, les idées ou les croyances dans un domaine lié aux acteurs de persécution visés à l'article 48/5 et à leurs politiques ou méthodes, que ces opinions, idées ou croyances se soient ou non traduites par des actes de la part du demandeur » (pt. 5.5). Cette même définition se retrouve dans la refonte de cette directive (art. 10, 1. e)).
  • Un raisonnement semblable s’applique dans un arrêt du CCE du 10 novembre 2010 concernant une femme togolaise qui s’oppose à l’excision que son mari lui impose. Le Conseil estime que « la requérante peut légitimement soutenir qu’elle a des raisons de craindre d’être persécutée en raison de l’opinion politique qu’elle a exprimée par son opposition à la coutume de l’excision, coutume considérée comme une pratique sociale courante pour être reconnue comme femme dans l’ethnie de son mari et à laquelle il est difficile de se soustraire.» (pt. 4.8).
  • Dans un arrêt du CCE du 25 juin 2009 , s’agissant d’un père s’opposant à l’excision de sa fille, le Conseil siégeant à trois juges, estime que « le requérant peut légitimement soutenir, en l’espèce, qu’il a des raisons de craindre au sens de  la  Convention  de  Genève,  en  raison  de  l’opinion  politique  qu’il  a  exprimée  par  son opposition  à  la  coutume  de  l’excision  pour  sa  fille  mineure,  coutume  considérée  comme  une pratique sociale quasiobligatoire pour être reconnue comme femme dans la société guinéenne, à laquelle il est pratiquement   impossible   de   se   soustraire;   en   s’opposant   à   cette   coutume pluriséculaire  et  presque  irrésistible,  le  requérant  se  met  ainsi  au  ban  de  la  société.  Dès lors, la persécution alléguée se rattache à l’un des motifs de la Convention de Genève. » Le CCE analyse cette crainte comme une crainte d’être persécuté du fait de ses opinions politiques ». D’autres arrêts (ex. CCE, 29 juin 2009, n°29 225) confirment cette position, s’agissant de l’opposition de pères à ces pratiques.

Le fait de se mettre au ban de la société par l’opposition à l’excision ou au mariage forcé, pour des femmes ou des hommes a donc, dans le passé, été relié à l’expression d’une opinion politique ou, pour certaines femmes, à l’appartenance à un groupe social, celui des femmes. Les deux possibilités coexistent. Il appert donc que c’est en fonction des circonstances spécifiques de la cause que ce lien sera établi, sans pouvoir distinguer dans les cas cités, le choix opéré par le juge. Il arrive parfois que le motif de rattachement à la Convention de Genève soit passé sous silence dans la décision de reconnaissance (CCE, 3 novembre 2015, n° 55 975).

   c. La religion

Un autre motif de persécution dans le cadre des violences de genre peut être celui de la religion. Les demandes d’asile fondées sur des mutilations génitales féminines (ci-après MGF) peuvent également être examinées sous l’angle de ce motif. Bien que les MGF soient pratiquées au sein de communautés chrétiennes, juives et musulmanes, aucun texte sacré ne les prescrit. Certaines communautés continuent néanmoins à les justifier en évoquant des obligations morales ou religieuses. Dès lors, refuser d’adopter un comportement imposé par la communauté en raison d’une norme religieuse, peut fonder une crainte de persécution. Cela a été notamment reconnu dans une affaire Matter of S-A (2000) du Board of Immigration Appeals des Etats-Unis, s’agissant d’une jeune femme marocaine, persécutée par son père qui lui avait dicté son comportement et infligé une punition sur la base de ses croyances religieuses strictes. 

    d. Evolution

Il semble toutefois qu’il y ait eu un glissement dans la jurisprudence du Conseil à partir de 2014 pour considérer que la situation des femmes qui se mettent au ban de la société en s’opposant aux coutumes relève plutôt de l’appartenance au groupe social des femmes que de l’opinion politique.

Il nous semble, à l’instar de la note d’orientation du HCR sur les demandes d’asile relatives  aux MGF, que la remise en cause de l’ordre  établi  quant  aux  rôles  attribués  aux  hommes  et  aux  femmes  peut  relever  du domaine  politique (pt.25). Le refus des femmes de se conformer à un statut dominé et inférieur pourrait être analysé comme l’expression d’une opinion politique, ou plus précisément d’une idéologie féministe. Dès lors, il n’y a pas de raison de ne plus faire application du motif de l’opinion politique pour les femmes dans des situations similaires, comme c’était le cas avant 2014.

De plus, l’opposition des parents aux pratiques « traditionnelles » néfastes touchant leur enfant semble avoir été minimalisée voire banalisée, depuis qu’une scission a été opérée entre l’examen de la crainte de l’enfant et celle des parents (voir infra pt. 2). Est-ce une façon de nier cette dissidence ou de lui ôter toute force « politique » ? Il nous nous semble qu’un parent, qui se bat pour protéger l’intégrité de sa fille, exprime une opinion forte pour plus d’égalité ou d’autonomie, pouvant être perçue comme le reflet d’un opinion politique. Le rappel du lien spécifique entre l’opposition aux pratiques « traditionnelles néfastes » et le motif de l’opinion politique dans l’arrêt commenté est, en raison de cette dernière évolution, particulièrement important à souligner.

2. L’octroi de la protection au cousin de la jeune fille

Cet arrêt est également intéressant en ce qu’il octroie la protection à un cousin de la jeune fille. La personne qui s’oppose à l’excision et au mariage forcé n’est pas un membre de la famille « nucléaire ». Néanmoins, ce cousin a vécu au sein de cette famille pendant 3 ans.

La plupart des demandes d’asile basées sur ces violences sont introduites par les parents d’une fille à risque, qui souhaitent la protéger de ces violences, en s’opposant de ce fait aux traditions et coutumes de leur communauté et en s’exposant potentiellement à des représailles.

Si ceci a été reconnu dans le passé, comme nous avons pu le constater dans les développements du premier point, une certaine jurisprudence du CCE a néanmoins, en 2014, cessé de considérer que les parents de l’enfant avaient une crainte propre dans ce cadre. Sans revenir sur tous les détails de ce revirement de jurisprudence, le CCE a estimé que ni l’opposition à la pratique par les parents dans une société très traditionnelle, avec de possibles mesures de rétorsion, ni le fait pour une mère de revivre le traumatisme de l’excision si sa fille doit subir cette même souffrance ne suffisent à établir une crainte de persécution (voy. CCE, 18 juin 2014, n° 125 752 ; CCE, 28 mai 2014, n° 125 064). Il a régulièrement renvoyé l’examen de la crainte des parents au CGRA pour instruction complémentaire, tout en reconnaissant le statut de réfugié à l’enfant seul. Ceci a eu pour conséquence d’ôter tout effet utile à la reconnaissance de statut, le parent se retrouvant sans séjour et sans aucune possibilité de demander un regroupement familial avec ce mineur accompagné[4].

Cette jurisprudence est critiquable au regard des positions prises par le Conseil d’Etat et le HCR. D’une part, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 16 décembre 2014, avait cassé un arrêt similaire du CCE en jugeant que celui-ci n’avait « pas  examiné  la  demande d’asile de la requérante au regard du lien nécessaire entre sa situation et le risque  de  persécution  existant  pour  sa  fille  mineure » , notamment la souffrance de voir  sa  fille  de trois ans excisée en cas de retour au pays et avait conclu à la violation de  l’obligation de motivation prescrite par les articles 149 de la Constitution et 39/65 de la loi du 15 décembre 1980.  D’autre part, selon la note d’orientation du HCR sur les mutilations génitales féminines, le parent peut être considéré comme le requérant principal lorsque « les parents seraient contraints d’assister à l’acte et à la souffrance de leur enfant » (pt. 11). Ceci a été reconnu dans une affaire Abay v. John Ashcroft, par la Cour d’Appel des Etats-Unis (2004). La Cour a conclu, en l’espèce, que « la crainte de la mère de voir sa fille subir une mutilation génitale féminine en Ethiopie et d’être alors contrainte d’assister à sa souffrance est fondée ».

A l’heure où le CGRA a pris récemment la position de ne plus reconnaître le statut de réfugié aux parents des  filles craignant une excision ou un mariage forcé, l’arrêt commenté semble remettre quelque peu « les pendules à l’heure ». Le juge reconnait que s’opposer à des pratiques ancestrales et prendre fait et cause pour protéger une enfant de l’excision et du mariage forcé constituent un danger pour ce proche vis-à-vis de sa famille.

L’on ne peut s’empêcher de voir le parallèle entre ces situations : un cousin à qui est accordé la protection et des pères ou des mères à qui il est décidé de ne plus accorder de protection alors qu’il y a une volonté identique de protéger l’enfant à risque, de ne pas le voir subir une telle violence et de ne pas subir de mesures de rétorsion de sa famille. Ne s’agit-il pas d’une erreur de considérer a priori que seul l’enfant peut se voir accorder le statut quand ses parents sollicitent une protection internationale afin de le protéger ? S’il apparait que des représailles sont considérées comme probables pour ce cousin, l’opposition d’une maman à l’excision de sa fille et son opposition à sa communauté peut emporter les mêmes conséquences. Il est probable que celles-ci soient moins « visibles » ou « palpables » mais elles peuvent également aboutir à un ensemble de discriminations et ne doivent pas être minimalisées. Dans l’arrêt précédemment mentionné du 25 juin 2009, le Conseil reconnait que « les pressions peuvent prendre la forme de représailles, l’opposition des parents étant considérée comme une forme de trahison à l’égard de pratiques coutumières très largement répandues, conduisant notamment à l’impossibilité de marier leur fille voire à d’autres mesures de rétorsion concernant des droits fondamentaux ou à d’autres discriminations équivalant à une persécution » (pt. 5.5). Ces éléments, auparavant reconnus sont désormais considérés comme insuffisants pour pouvoir fonder une crainte de persécution dans le chef de parents. Il est dès lors particulièrement important d’examiner dans chaque demande d’asile les circonstances individuelles et particulières de chaque cause et d’aborder ces situations sans a priori, en procédant à un examen rigoureux et complet de la demande de protection internationale.

Par l’approche holistique de la cause dans l’arrêt commenté, le juge reconnaît que se battre contre des traditions a un coût parfois très élevé, trop souvent minimalisé.

C. Pour aller plus loin

Lire l’arrêt : CCE, 30 septembre 2019, n° 226 888

Jurisprudence :

CCE, 25 juin 2009, n°29 110

CCE, 31 mars 2011, n° 59 081

CCE, 29 août 2019, n° 225 369

Doctrine :  

J-Y. Carlier, S. Saroléa, Droit des étrangers, Bruylant, Bruxelles, 2016, pt. 460 à 492.

M. Tissier-Raffin, La qualité de réfugié de l’article 1 de la Convention de Genève à la lumière des jurisprudences occidentales, Bruylant, Bruxelles, 2016.

 

Pour citer cette note : Ch. Flamand, « Le CCE réaffirme que la crainte de persécution en raison de l’opinion politique comprend l’opposition à un mariage forcé, y compris lorsqu’elle est le fait d’un cousin », Cahiers de l’EDEM, octobre 2019.


[3] J.C.  HATHAWAY, The Law of Refugee Status, Butterworths, Toronto-Vancouver, 1991, pages 149 et s.

[4] Ch. FLAMAND, « L’unité familiale, un droit du réfugié », RDE, 2014, n° 177, p.253 et sv.

Photo : Rudi Jacobs, cce-rvv

 

 

Publié le 08 novembre 2019