C.C.E., 31 mai 2012, n° 82032

Louvain-La-Neuve

Lorsqu’il analyse si des éléments nouveaux sont invoqués à l’appui d’une nouvelle demande d’asile, l’Office des étrangers n’a pas à se prononcer sur leur pertinence par rapport aux craintes de persécution mais uniquement sur leur caractère nouveau.

Nouvelle demande d’asile – article 51/8 loi 1980 – conditions de prise en considération – pas d’analyse de pertinence – annulation

L’article 51/8 de la loi du 15 décembre 1980 autorise l’O.E. à « ne pas prendre la demande d’asile en considération lorsque l’étranger a déjà introduit auparavant la même demande d’asile auprès d’une des autorités désignées par le Roi […] et qui ne fournit pas de nouveaux éléments qui existent, en ce qui le concerne, de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécutions […] ou de sérieuses indications d’un risque réel d’atteintes graves […]. Les nouveaux éléments doivent avoir trait à des faits ou des situations qui se sont produits après la dernière phase de la procédure au cours de laquelle l’étranger aurait pu les fournir ». La décision de non prise en considération n’est susceptible que d’un recours en annulation non suspensif devant le Conseil du contentieux des étrangers (ci-après le CCE) et non d’un recours de plein contentieux[1]. L’article 32 de la directive procédure autorise les États à mettre en place une procédure accélérée avec examen préliminaire pour les « demandes ultérieures » ; l’article 29 permet de déclarer inadmissible une demande identique.

Cette disposition définit la « nouvelle demande » comme étant celle qui invoque des éléments qui se sont produits après la dernière phase au cours de laquelle ils auraient pu être fournis. Il s’agit de l’audience devant le CCE puisque des éléments nouveaux peuvent encore être produits aux conditions fixées par l’article 39/76 de la loi organique. La jurisprudence du Conseil d'Etat avait précisé qu’il pouvait s’agir de preuves nouvelles d’éléments anciens[2].

Le CCE rappelle dans l’arrêt commenté que l’O.E. n’a pas à examiner la fiabilité des éléments nouveaux – au regard des articles 48/3 et 48/4 – ou leur force probante – article 57/7 ter – mais uniquement à analyser s’ils sont nouveaux. « Deux conditions se dégagent dès lors du texte légal : la première, relative à l’introduction d’une précédente demande d’asile et la seconde, relative à l’absence d’éléments nouveaux » (§ 2.2). « En affirmant que « la lettre est d’ordre privé, nature dont il ne découle qu’une force probante limitée, et qu’elle n’apporte aucun renseignement concernant d’éventuelles recherches à l’encontre du candidat », la partie défenderesse ne s’est pas limitée à un examen du caractère nouveau de l’élément produit par le requérant à l’appui de sa deuxième demande d'asile mais a apprécié sa portée par rapport aux craintes de persécution et au risque d’atteintes graves allégués ». Le CCE précise que l’examen « de la fiabilité d’un document produit à l’appui d’une nouvelle demande d’asile excède dès lors l’appréciation du caractère nouveau, au sens de l’article 51/8 précité, des éléments produits, et participe de l’examen au fond de ceux-ci ». Dans deux arrêts prononcés le même jour, le CCE souligne qu’il ne peut être reproché au demandeur d’asile de ne pas avoir mentionné un document qui n’était pas encore entré en sa possession, pour des raisons qu’il peut justifier, et qu’il produit ensuite à l’appui d’une nouvelle demande[3]. Il reste que les éléments produits doivent être potentiellement pertinents à établir une crainte visée par les articles 48/3 et 48/4[4].

L’effectivité du recours devant le Conseil du contentieux des étrangers reste problématique dans ce type de dossiers dès lors qu’il aura souvent fallu plusieurs mois pour que la décision de refus de prise en considération soit annulée, au terme d’une procédure non suspensive, alors que si les éléments sont bien nouveaux, ils auraient dû donner lieu au traitement de la demande d’asile au travers de la procédure ordinaire.


[1] La Cour d’arbitrage (arrêt n° 61/94 du 1er décembre 1994) avait admis que cette exclusion du recours en suspension n’était pas discriminatoire. Elle précisait toutefois qu’il appartient au Conseil d’Etat d’apprécier au cas par cas si les conditions de cette cause d’irrecevabilité sont réunies, avant de déclarer irrecevable une demande en suspension. La Cour constitutionnelle s’aligne sur cet arrêt quant au nouvel article 51/8 (arrêt n° 81/2008 du 21 mai 2008).

[2] C.E., arrêts n° 57.257 du 22 décembre 1995, TV.R., 1996, p. 386 ; n° 57.384 du 5 janvier 1996, R.D.E., 1996, n° 89, p. 385, note DUPONT, M.

[3] Voy. également les arrêts n° 82200 et 82206 prononcés à la même date.

[4] Voy. notamment R.V.V., arrêt n° 82 083 du 31 mai 2012. Les éléments doivent être nouveaux, se rapporter à des faits ou à une situation qui s’est produite après la dernière phase de procédure, mais aussi « relevant moeten zijn » au regard de la crainte alléguée.

Publié le 23 juin 2017