Cour Constitutionnelle, arrêts n°111 et 112/2019 du 18 juillet 2019

Louvain-La-Neuve

Retrait du droit au séjour et éloignement pour motifs d’ordre public : les lois du 24 février 2017 et du 15 mars 2017 validées, sous réserve d’interprétations, par la Cour Constitutionnelle.

Retrait du droit au séjour et éloignement des étrangers pour des raisons d’ordre public et de sécurité nationale, des raisons graves d’ordre public ou de sécurité nationale ou des raisons impérieuses de sécurité nationale  – Loi du 24 février 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers afin de renforcer la protection de l'ordre public et de la sécurité nationale – Loi du 15 mars 2017 modifiant l'article 39/79 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.

La Cour Constitutionnelle rejette, pour l’essentiel, les recours introduits contre la loi du 24 février 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers afin de renforcer la protection de l’ordre public et de la sécurité nationale ainsi que loi du 15 mars 2017 modifiant l’article 39/79 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.  L’arrêt offre toutefois quelques précieuses précisions sur le champ d’application de ces dispositions.

Christelle Macq

A. Arrêts

Par les arrêts commentés, la Cour statue sur les recours en annulation introduits par l’ASBL « Liga voor Mensenrechten » et l’ASBL « Ligue des Droits de l’Homme », l’Ordre des barreaux francophones et germanophone ainsi que l’ASBL « Association pour le droit des Etrangers », l’ASBL « Coordination et Initiatives pour et avec les Réfugiés et Etrangers » et l’ASBL « Vluchtelingenwerk Vlaanderen » contre, d’une part, la loi du 24 février 2017 « modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers afin de renforcer la protection de l’ordre public et de la sécurité nationale »  et , d’autre part, la loi du 15 mars 2017 modifiant l’article 39/79 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. 

Ces lois modifiaient en profondeur les dispositions de la loi du 15 décembre 1980 autorisant les autorités administratives à retirer le droit au séjour, éloigner et interdire l’accès au territoire belge ou européen à un étranger pour des motifs tenant à la protection de l’ordre public et la sécurité nationale[1]. Bien que la loi du 15 décembre 1980 autorise, depuis ses origines, les autorités administratives à retirer le droit au séjour et à éloigner un étranger en séjour légal pour des motifs tenant à la sauvegarde de l’ordre public ou la sécurité nationale, les règles antérieures étaient jugées insuffisantes à garantir la bonne protection de l’ordre public[2].

Les parties requérantes sollicitaient l’annulation totale ou partielle des lois du 24 février 2017 et du 15 mars 2017[3].

La Cour Constitutionnelle rejette, pour l’essentiel, les moyens invoqués par les parties requérantes. Ses seules hésitations portent sur la conformité au droit européen des dispositions autorisant la détention administrative des citoyens de l’Union européenne. Elle pose, sur ce point, deux questions préjudicielles à la Cour de Justice[4].

Il nous est impossible, dans le cadre de cette contribution, de revenir de manière exhaustive sur l’ensemble des dispositions attaquées, moyens invoqués et développements de la Cour. D’autres s’y attèleront probablement.

Nous nous concentrerons sur trois ensembles de dispositions sur lesquels la Cour était appelée à se prononcer. Nous reviendrons, premièrement, sur les balises fixées par la Cour quant au champ d’application des dispositions modifiées par la loi du 24 février 2017 autorisant le ministre ou son délégué à mettre fin au séjour d’un étranger pour des raisons d’ordre public, des raisons graves d’ordre public ou de sécurité nationale ou des raisons impérieuses de sécurité nationale (1). Nous relèverons, ensuite, les précisions apportées par la Cour quant au champ d’application du nouvel article 44 nonies introduit par la loi du 24 février 2017 dans la loi du 15 décembre 1980, autorisant la prise d’une interdiction d’entrée à l’égard d’un citoyen de l’Union européenne (2). Nous examinerons, enfin, le raisonnement à l’issue duquel la Cour valide la suppression par la loi du 15 mars 2017 de l’effet suspensif des recours introduits contre les décisions fondées sur des motifs d’ordre public (3).

1. Sur le champ d’application des dispositions autorisant le retrait du droit au séjour et l’éloignement des étrangers pour des « raisons d’ordre public, des raisons graves d’ordre public ou des raisons impérieuses de sécurité nationale »

Parmi les dispositions attaquées, figurent les articles 12, 13 et 14 de la loi de la loi du 24 février 2017 modifiant les règles relatives au retrait de séjour et l’éloignement des ressortissants de pays tiers pour des motifs d’ordre public ainsi que les articles 24 à 26 de cette même loi réglant les conditions auxquelles les autorités administratives sont autorisées à retirer le droit au séjour et éloigner les citoyens de l’Union européenne.

Ces dispositions autorisent le ministre ou son délégué à retirer le droit au séjour et délivrer un ordre de quitter le territoire à un étranger en séjour légal pour des raisons d’ordre public, des raisons graves d’ordre public ou des raisons impérieuses de sécurité nationale. Bien que la loi du 15 décembre 1980 autorise, depuis ses origines, les autorités administratives à retirer le droit au séjour et à éloigner un étranger en séjour légal pour des motifs tenant à la sauvegarde de l’ordre public ou la sécurité nationale, il était exigé précédemment que l’étranger ait porté atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale[5]. Le législateur précisait, dans les travaux préparatoires de la loi, opérer ce glissement de terminologie afin de se départir de la règle selon laquelle ce type de mesures ne pouvait viser que des étrangers ayant fait l’objet de condamnation(s) ou ayant été pris en flagrant délit[6]. Ainsi, désormais, « tout étranger qui représente une menace pour l’ordre public ou la sécurité nationale pourra être éloigné, et ce même s’il n’a fait l’objet d’aucune condamnation. Tout élément pertinent permettant d’éclairer l’administration sur la dangerosité de l’intéressé sera pris en compte. L’existence d’une ou plusieurs condamnations pourra faire partie de ce faisceau d’indices mais, en principe, ne sera pas une condition sine qua non (…)»[7]. Il en découle une extension du champ d’application rationae materiae de ces mesures.

Par ailleurs, alors que certaines catégories d’étrangers étaient auparavant exclues du champ d’application de ces mesures, tout étranger peut désormais en faire l’objet, ce qui a pour conséquence d’en élargir le champ d’application rationae personae.

Les parties requérantes sollicitaient l’annulation de ces nouvelles dispositions, soulevant divers moyens à leur encontre[8]. Elles reprochaient, premièrement, au législateur l’utilisation des notions de raisons d’ordre public, raisons graves d’ordre public et raisons impérieuses de sécurité nationale comme fondement des décisions de retrait du droit au séjour et d’éloignement. Elles jugeaient ces nouveaux critères trop flous que pour encadrer à suffisance l’action des autorités administratives (1).

Elles critiquaient, par ailleurs, l’extension du champ d’application de ces dispositions à des catégories d’étrangers précédemment protégées. Elles y voyaient un risque disproportionné de violation des droits fondamentaux de ces étrangers (2). Enfin, elles s’inquiétaient de l’absence de mention dans ces articles de la nécessaire prise en compte, lors de la prise de décision, de l’état de santé de la personne concernée ainsi que de l’intérêt supérieur de l’enfant (3). La Cour statue sur ces dispositions, au terme de son arrêt n°112/2019 du 18 juillet 2019.

  • Quant aux notions de raisons d’ordre public, de raisons graves d’ordre public et de raisons impérieuses de sécurité nationale

Les parties requérantes reprochaient aux dispositions attaquées d’être imprécises, à la fois dans la gradation et dans le critère de la dangerosité requis pour justifier un éloignement du territoire « en ce qu’elles autorisent l’éloignement sur la base de simples raisons d’ordre public ou de sécurité nationale, alors qu’il était exigé auparavant que l’étranger ait « porté atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale ». Elles permettraient ainsi l’éloignement d’étrangers autorisés au séjour « sur la base d’appréciations subjectives et hypothétiques plutôt qu’objectives et réelles » (B.14.2). Elles critiquaient ensuite le législateur en ce qu’il permettait l’éloignement d’étrangers pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale indépendamment de toute condamnation pénale (B. 14.2. et B.53.1[9]). Les griefs formulés à l’encontre de ces dispositions étaient notamment articulés autour de l’insécurité juridique que cela engendre, des situations discriminatoires qui en découlent, de la mauvaise transposition du droit de l’Union et du fait que la condition de légalité qui doit être rencontrée pour autoriser une ingérence dans le droit à la vie privée et familiale n’est pas remplie.

La Cour relève que ces notions sont tirées de directives européennes. Elle souligne le fait que les travaux parlementaires renvoient à ces dernières ainsi qu’à l’interprétation qui en est donnée par la Cour de Justice de l’Union européenne (B.16 à B.18.). Elle revient sur le contenu des travaux préparatoires, renvoyant à cette jurisprudence. Ceux-ci précisent que : « La notion de raisons d’ordre public ou de sécurité nationale implique l’existence d’une menace suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société, celui-ci devant s’entendre comme comprenant aussi la sécurité intérieure et extérieure de l’État ». « La notion de ‘ raisons graves d’ordre public ou de sécurité nationale ’ peut notamment couvrir la participation ou le soutien à des activités terroristes ou à une organisation terroriste […], la criminalité liée au trafic de stupéfiants […], les actes d’abus sexuel ou de viol sur mineur, la traite des êtres humains et l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d’armes, le blanchiment d’argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée » (B.17.3 et B.17.4). La Cour estime que « compte tenu de ces explications, il ne peut être reproché au législateur d’avoir fait usage des notions d’« ordre public », de « sécurité nationale », ou encore de « gravité » se rapportant à l’ordre public et à la sécurité nationale (B.17.4).  Par ailleurs, elle ajoute qu’à son estime « les notions d’ «ordre public » , de « sécurité nationale » et de « gravité », déjà inscrites à d’autres endroits dans la loi du 15 décembre 1980 ont « un contenu suffisamment déterminé en droit des étrangers » (B. 16 et B. 17 et B. 54.1). Enfin, elle relève que ces notions doivent être interprétées à la lumière des articles 23 et 45 de la loi du 15 décembre 1980 également introduits par la loi du 24 février 2017. Ces dispositions précisent que « la décision de fin de séjour fondée sur des raisons d’ordre public, des raisons graves d’ordre public ou des raisons impérieuses de sécurité nationale doit être fondée sur le comportement individuel de l’intéressé qui doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société » (B.18.2 et B. 54.3).

Quant au fait que ces mesures peuvent désormais être prononcées à l’égard d’étrangers n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation pénale, la Cour précise que le fait que « l’existence d’une ou plusieurs condamnations ne soit plus une condition nécessaire ni une condition suffisante pour que soit prise une décision mettant fin au séjour pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale ne signifie pas que l’autorité serait autorisée à ne pas se baser sur des faits prouvés et objectivés ». Dès lors que la loi fait référence au « comportement personnel » de l’intéressé, qui est « le seul élément sur la base duquel la décision de fin de séjour pour des motifs d’ordre public peut être prise », elle impose que « l’autorité procède à un examen individuel et motive sa décision en référence à des actes concrets, pertinents et prouvés posés par l’intéressé ». Ainsi, de simples présomptions ou soupçons ne suffisent pas à fonder une décision de fin de séjour (B.19.4. et B. 54.3-4).

  • Quant à l’extension de ces dispositions à des catégories d’étrangers précédemment protégées

Les parties requérantes critiquaient, par ailleurs, le fait que ces dispositions s’appliquent à tous les étrangers ressortissants de pays tiers à l’Union européenne, sans en exclure, comme c’était le cas sous la législation antérieure, les étrangers nés sur le territoire belge et ceux qui y sont arrivés avant l’âge de douze ans et qui y ont principalement et régulièrement séjourné depuis. Elles estimaient que la possibilité d’éloignement, pour raisons d’ordre public ou de sécurité nationale, des étrangers nés sur le territoire ou arrivés en bas âge porte une atteinte discriminatoire et disproportionnée au droit de ces derniers au respect de leur vie privée et familiale (B.24.1).

La Cour relève qu’il ressort des travaux préparatoires que le législateur a eu principalement en vue, lorsqu’il a estimé devoir abroger l’exclusion antérieure de toute possibilité d’éloignement des étrangers nés en Belgique ou qui y sont arrivés avant l’âge de douze ans, la situation de jeunes étrangers ayant commis des faits très graves liés aux activités de groupes terroristes ou présentant un danger aigu pour la sécurité nationale (B.24.6). Elle précise que ces dispositions doivent être interprétées comme limitant la possibilité d’éloigner un étranger qui est né en Belgique ou qui est arrivé sur le territoire avant l’âge de douze ans et qui y a séjourné principalement et régulièrement depuis aux cas de terrorisme ou de criminalité très grave, et valide ces dispositions sous réserve de cette interprétation (B.24.10).

Les parties requérantes faisaient, en outre, griefs aux dispositions attaquées de ne pas protéger de l’éloignement les étrangers ressortissants de pays tiers bénéficiaires de la protection internationale dans un autre Etat membre de l’Union européenne alors que les ressortissants de pays tiers réfugiés ou bénéficiant de la protection subsidiaire en Belgique sont protégés explicitement par la loi contre l’éloignement. Elles y voyaient une différence de traitement injustifiée. La Cour estime, à l’inverse, que la différence de traitement repose sur un critère objectif et pertinent dans la mesure où les autorités belges n’ont pas vis-à-vis des étrangers bénéficiant de la protection internationale accordée par un autre Etat membre les mêmes obligations que vis-à-vis d’un étranger auquel elles ont elles-mêmes reconnu le statut de réfugié (B.26.3.3). Elle précise toutefois qu’ « en vertu de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’étranger réfugié ne peut jamais être reconduit à la frontière ni de l’État qu’il a fui ni d’un autre État dans lequel il serait exposé à un refoulement vers l’État qu’il a fui tant que perdurent la situation et les circonstances qui ont motivé la reconnaissance de la protection internationale » et rappelle que « ce principe s’impose aux autorités belges lorsqu’elles prennent, à l’égard d’un étranger réfugié, une mesure d’éloignement vers un État autre que celui qui lui a accordé la protection internationale » (B. 26.3.4).

  • Quant à la prise en compte, lors de la prise de décision de l’état de santé de la personne concernée ainsi que l’intérêt supérieur de l’enfant

Les parties faisaient, par ailleurs, griefs à ces dispositions de ne pas spécifier que doit être pris en compte lors de la prise de décision, l’état de santé de la personne concernée ainsi que l’intérêt supérieur de l’enfant. La Cour précise, à cet égard, que, dès lors que l’autorité compétente est tenue, lorsqu’elle prend une décision motivée de fin de séjour à l’égard d’un étranger pour raisons d’ordre public ou raisons graves d’ordre public ou de sécurité nationale, d’examiner les conséquences de l’éloignement de l’intéressé, d’une part, pour lui-même, ceci inclut la prise en compte de son état de santé, et, d’autre part, pour les membres de sa famille, ceci impose d’examiner la proportionnalité de la décision de fin de séjour au regard de l’intérêt supérieur de ses enfants mineurs (B.32.3 et B.55.2).

2. Sur l’interdiction d’entrée susceptible d’être prononcée à l’égard d’un citoyen de l’Union européenne

L’article 33 de la loi du 24 février 2017 introduit un article 44nonies dans la loi autorisant les autorités administratives à assortir les décisions d’éloignement prises à l’égard de citoyens de l’Union européenne d’une interdiction d’entrée d’une durée de 5 ans. La durée de l’interdiction d’entrée peut par ailleurs dépasser les cinq ans dans le cas où le citoyen de l’Union européenne représente une menace grave pour la sécurité publique.  Les parties requérantes faisaient, notamment, grief à cette disposition d’autoriser la prise d’une décision d’interdiction d’entrée de manière automatique, comme accessoire d’un ordre de quitter le territoire pour motifs d’ordre public ; d’autoriser la prise d’une décision d’interdiction d’entrée de plus de cinq ans dans tous les cas sans devoir la motiver au-delà des motifs ayant fondé la décision de fin du droit de séjour et de ne pas fixer un plafond quant à la durée de cette interdiction d’entrée.

La Cour, statuant sur cette question dans son arrêt n°112/2019, relève que « l’interdiction d’entrée n’est pas automatique dès lors que la disposition attaquée prévoit que le ministre ou son délégué peut assortir les décisions mettant fin au séjour d’une interdiction d’entrée, dont il détermine la durée en tenant compte de toutes les circonstances propres au cas individuel ». Elle estime que « la décision mettant fin au séjour et l’interdiction d’entrée sont deux décisions différentes, qui doivent chacune reposer sur des motifs pertinents » (B.67.1). Quant à l’exigence de motivation, elle ajoute : « le ministre ou son délégué ne peut assortir la décision mettant fin au séjour d’une interdiction d’entrée dont la durée dépasse cinq ans que dans le cas où le citoyen de l’Union ou le membre de sa famille constitue une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité nationale. La durée de l’interdiction d’entrée doit être motivée au regard de cette menace grave, ce qui implique que l’auteur de la décision ait évalué la menace non seulement actuellement, mais également dans le futur, de manière à justifier le maintien de l’interdiction d’entrée au-delà de cinq ans » (B.67.2). La loi attaquée ne permet donc pas au ministre ou à son délégué de prendre une interdiction d’entrée de plus de cinq ans dans tous les cas, sans devoir motiver spécifiquement cette mesure.

Elle apporte en outre quelques précisions sur la durée de l’interdiction d’entrée. Elle précise que « l’absence de durée maximale fixée dans la loi ne signifie pas que l’interdiction d’entrée pourrait être illimitée dans le temps dès lors que la disposition attaquée précise en effet que la durée de l’interdiction d’entrée doit être déterminée par le ministre ou son délégué en tenant compte de toutes les circonstances propres à chaque cas » (B.67.2).

Elle clarifie, enfin, les conditions d’application de l’article 44decies de la loi du 15 décembre 1980 autorisant l’étranger à introduire une demande de suspension ou de levée d’une interdiction d’entrée après un délai raisonnable. La Cour précise que dès lors qu’elle ne définit pas ce qu’il faut entendre par délai raisonnable et qu’elle ne donne aucune indication concernant les éléments à prendre en charge pour juger du caractère raisonnable du délai, aucune demande de levée ou de suspension d’une interdiction d’entrée ne pourrait être déclarée irrecevable au motif qu’elle serait prématurée (B.69.4). Elle précise, par ailleurs, que l’article 44decies octroyant un délai de six mois au ministre et à son délégué pour se prononcer sur la demande de levée ou de suspension de l’interdiction d’entrée exige que le ministre ou son délégué prenne une décision dans le délai prévu (B.70.4).

3. Quant à la suppression de l’effet suspensif des recours introduits contre les décisions de retrait de séjour et d’éloignement fondées sur des motifs d’ordre public

La loi du 15 mars 2017 modifie l’article 39/79 de la loi du 15 décembre 1980. Cette disposition énonce les hypothèses dans lesquelles une mesure d'éloignement du territoire prise à l’égard d’un étranger ne peut être exécutée de manière forcée pendant le délai fixé pour l'introduction et l’examen du recours introduit contre cette décision devant le Conseil du Contentieux des étrangers.

Les modifications opérées suppriment l’effet suspensif du recours introduit contre une décision prise en matière de séjour et d’éloignement pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale.  

Pour rappel, alors que l’introduction d’un recours de plein contentieux[10] a un effet suspensif de plein droit, au contentieux marginal de légalité[11], le principe est inversé. Le recours est suspensif de plein droit dans les cas limitativement énumérés par l’article 39/79 -1er de la loi du 15 décembre 1980[12].

L’effet suspensif du recours introduit devant le Conseil du Contentieux des étrangers est supprimé dans trois hypothèses : (1) dans le cadre d’un arrêté de renvoi, pris sans avis préalable de la Commission consultative des étrangers (suppression de l’article 39/79, §1er, alinéa 2, 4°) ; (2) dans le cadre d’une décision enjoignant à l’étranger, par application de l’ancien article 22 de la loi du 15 décembre 1980[13], de quitter des lieux déterminés, d’en demeurer éloigné ou de résider en un lieu déterminé (suppression de l’article 39/79, §1er, alinéa 2, 6°) ; et (3) lorsque la décision prise est fondée sur « des raisons impérieuses de sécurité nationale » (insertion des article 39/79, §1er, alinéa 1er et §3).

La suppression de l’effet suspensif du recours introduit devant le Conseil du Contentieux des étrangers dans ces hypothèses est justifiée, aux termes des travaux préparatoires de la loi du 15 mars 2017, par la nécessité d’offrir à l’administration toute la latitude nécessaire afin d’agir plus rapidement et efficacement à l’encontre des étrangers qui représentent un risque pour la société[14]. « Il n’est dès lors pas question que l’étranger qui fasse l’objet d’une mesure d’éloignement pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale bénéficie d’une procédure de recours lui conférant de plein droit le droit de rester temporairement sur le territoire »[15].

Les parties requérantes sollicitaient l’annulation des modifications opérées prenant six moyens tirés notamment de la violation des principes d’égalité et de non-discrimination. La Cour statue sur le recours introduit contre la loi du 15 mars 2017 au terme de son arrêt n°111/2019.

Les parties requérantes critiquaient, entre autres, la différence de traitement que la loi crée entre les étrangers faisant l’objet d’une décision d’éloignement fondée sur des raisons impérieuses de sécurité nationales, exclus de l’effet suspensif du recours introduit au Conseil du Contentieux des étrangers, et les étrangers faisant l’objet d’une décision qui n’est pas justifiée par des raisons impérieuses de sécurité nationale, invoquant le fait que celle-ci ne reposerait pas sur un critère de distinction objectif, légitime et ne serait pas raisonnablement justifiée.

Elles estimaient que la notion de « raisons impérieuses de sécurité nationale » ne constitue pas un critère suffisamment objectif que pour fonder une différence de traitement. Elle juge, à l’inverse, que le législateur et la jurisprudence relative à cette matière ont suffisamment précisé ce qu’il y a lieu d’entendre par « raisons impérieuses de sécurité nationale », de sorte que l’étranger concerné peut, avec un certain degré de prévisibilité, savoir quels comportements peuvent donner lieu à une décision fondée sur des « raisons impérieuses de sécurité nationale ». Elle reproduit, dans l’arrêt, les précisions apportées par la Cour de Justice quant aux notions de « sécurité nationale » (B.13.2) et de sécurité publique (B.13.3). Elle précise qu’il convient en outre de prendre en compte, dans l’appréciation de cette notion, la jurisprudence du Conseil du contentieux des étrangers. Elle reproduit, entre autres, les motifs de l’arrêt du 8 décembre 2017, n° 196 353, dans lequel il est précisé ce qu’il faut entendre par « raisons impérieuses de sécurité nationale ». Elle revient, en outre, sur la motivation d’un arrêt n° 197 311 du 22 décembre 2017, au terme duquel le Conseil du contentieux des étrangers précise : « les ‘ raisons graves d’ordre public ou de sécurité nationale ’ doivent être distinguées des simples ‘ raisons d’ordre public ou de sécurité nationale ’ et des ‘ raisons impérieuses d’ordre public ou de sécurité nationale ’. Les ‘ raisons graves ’ traduisent l’idée que les circonstances de la cause doivent présenter un degré de gravité plus important que les simples ‘ raisons ’, alors que les ‘ raisons impérieuses ’ exigent que les circonstances de la cause soient encore plus graves. Il en résulte que la notion de ‘ raisons graves ’ est plus étendue que celle de ‘ raisons impérieuses ’ (B.13.4).

Les parties requérantes critiquaient, par ailleurs, le fait que cette différence de traitement repose sur une justification raisonnable. La Cour ne les suit pas dans leur argumentation. Elle estime que le pouvoir d’appréciation discrétionnaire étendu qui est conféré à l’autorité lorsqu’elle prend une décision visée à l’article 39/79 de la loi du 15 décembre 1980 ne prive pas la disposition attaquée de sa justification raisonnable. Elle relève le fait que la disposition attaquée a été adoptée afin de permettre à l’administration d’agir plus rapidement et efficacement à l’encontre des étrangers qui représentent un risque pour la société. Elle pointe la nécessaire évaluation individuelle de la notion de « raisons impérieuses de sécurité nationale », la Cour de Justice exigeant que cette notion soit appréciée au cas par cas et que « toutes les circonstances de la cause soient prises en compte dans la décision ». Elle considère que cette nécessaire appréciation individuelle exclut que la notion de « raisons impérieuses de sécurité nationale » soit établie en des termes absolus dans la législation nationale par une définition qui ferait obstacle à une appréciation concrète. La Cour relève, par ailleurs, la possibilité d’introduire auprès du Conseil du contentieux des étrangers une demande de suspension de l’exécution de l’acte attaqué. Elle reconnaît que cette demande n’a pas pour effet de suspendre de plein droit la décision visée à l’article 39/79 de la loi du 15 décembre 1980 mais ajoute : « Cependant, si l’étranger fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire dont l’exécution est imminente, il peut introduire une demande de suspension en extrême urgence, qui a, quant à elle, un effet suspensif de plein droit de l’exécution de la mesure critiquée par application de l’article 39/83, de la loi du 15 décembre 1980 ou il peut demander, par la voie de mesures provisoires, qu’une demande de suspension déjà introduite soit examinée, ce qui a pour effet qu’ il ne peut, dès la réception de la demande de mesures provisoires, être procédé à l’exécution forcée de la mesure d’éloignement ou de refoulement jusqu’à ce que le Conseil se soit prononcé sur la demande introduite » (B.14.3). Dès lors, la Cour considère que la mesure n’est pas dénuée de toute justification raisonnable et est proportionnée au but qu’elle poursuit.

Les parties requérantes faisaient, enfin, grief à cette disposition de priver certaines catégories d’étrangers du droit à un recours effectif, sans qu’existe pour ce faire une justification raisonnable. La suppression de l’effet suspensif du recours introduit contre les décisions de retrait de séjour empêcherait désormais ceux-ci de faire valoir utilement qu’ils sont en danger dans leur pays d’origine ou que d’autres droits fondamentaux seraient violés par la décision de renvoi. La Cour ne suit pas les parties dans leur argumentation soulignant les autres voies de recours ouvertes contre ces décisions. Elle relève ainsi la possibilité d’introduire un recours en annulation contre une décision visée à l’article 39/79 de la loi du 15 décembre 1980, fondée sur des « raisons impérieuses de sécurité nationales » ainsi que la possibilité d’en demander la suspension en introduisant une demande de suspension par voie ordinaire. Elle souligne, en outre, la possibilité de demander au Conseil du contentieux des étrangers de prendre des mesures provisoires conformément à l’article 39/84 de la loi du 15 décembre 1980 ainsi que la possibilité pour les étrangers qui font l’objet d’une mesure d’éloignement dont l’exécution est imminente d’introduire une demande de suspension en extrême urgence ayant un effet suspensif de plein droit par application de l’article 39/82, § 4 (B.32 et B. 33). Elle conclut, « compte tenu de l’ensemble des voies de recours dont disposent les personnes concernées », que le droit à un recours effectif est garanti (B. 34).

B. Eclairage

La Cour constitutionnelle valide nombre de dispositions qui accroissent les pouvoirs dévolus aux autorités administratives en matière de retrait du droit au séjour et éloignement des étrangers en séjour légal. Elle renforce ainsi le risque de violation des droits fondamentaux des étrangers confrontés à ce type de mesures. C’est le cas par exemple des dispositions modifiant les critères susceptibles de fonder la prise d’une décision de retrait du droit au séjour et d’éloignement pour motifs d’ordre public. En autorisant la prise de ce type de décisions sur le fondement de raisons d’ordre public, de raisons graves d’ordre public ou de raisons impérieuses de sécurité nationale, le législateur étend considérablement les pouvoirs des autorités administratives (1). C’est le cas, également, des dispositions réintégrant dans le champ d’application de ces mesures des catégories d’étrangers qui en étaient auparavant exclues de manière absolue. Peu importe qu’il soit né en Belgique, qu’il y ait toujours vécu, que tous les membres de sa famille soient de nationalité belge, qu’il y ait toutes ses attaches ou qu’il considère la Belgique comme son pays, tout étranger en séjour légal peut désormais faire l’objet de ce type de mesures (2). L’introduction de la possibilité de prononcer une interdiction d’entrée à l’égard de citoyens de l’Union européenne participe également à l’extension des prérogatives des autorités administratives en la matière (3).

La Cour valide, en outre, des dispositions qui suppriment des garanties entourant précédemment la prise de ces décisions. C’est le cas, pour exemple, de la loi du 15 mars 2017 supprimant l’effet suspensif du recours introduit contre celles-ci (4).

Les prérogatives octroyées aux autorités administratives en la matière s’en trouvent renforcées et la protection effective des droits fondamentaux des destinataires de ces mesures diminuée.

1. L’utilisation des notions de raisons d’ordre public, raisons graves d’ordre public et raisons impérieuses de sécurité nationale comme fondement d’un retrait du droit au séjour : un glissement de terminologie renforçant les prérogatives des autorités administratives

La Cour valide l’extension des pouvoirs dévolus aux autorités administratives découlant de l’utilisation des notions de raisons d’ordre public et de sécurité nationale, de raisons graves d’ordre public et de sécurité nationale ou de raisons impérieuses de sécurité nationale en lieu et place de la notion d’atteinte à l’ordre public exigée précédemment pour fonder la prise de ce type de décisions.

La Cour estime que ces notions sont à suffisance définies par le législateur. Nous ne partageons pas cette analyse. Ni les textes, ni les travaux préparatoires de la loi ne permettent de déterminer avec certitude ce que recouvrent exactement ces notions[16]. La notion d’ordre public reçoit de multiples applications en droit des étrangers sans pour autant faire l’objet d’une définition précise[17].  Le contenu de cette notion varie en fonction du contexte dans lequel elle est invoquée et les juridictions administratives elles-mêmes admettent que les notions d’ordre public et de sécurité nationale ne sont, par essence, pas définissables avec précision[18]. Les notions de raisons d’ordre public, raisons graves d’ordre public ou raisons impérieuses de sécurité nationale introduites par les lois du 24 février 2017 et du 15 mars 2017 ne sont pas davantage définies par le législateur. Ces notions sont tirées de directives européennes. Les travaux parlementaires renvoient pour l’essentiel à ces dernières ainsi qu’à l’interprétation qui en est donnée par la Cour de Justice de l’Union européenne[19]. Or, si les textes européens offrent quelques indications quant à l’interprétation qu’il convient de donner à ces notions, ils n’en proposent pas de définition précise[20]. Seules sont proposées une série de lignes directrices destinées à entourer leur application[21].  Dans le même sens, la Cour de justice laisse « pour l’essentiel, les États membres libres de déterminer les exigences de l’ordre public, conformément à leurs besoins nationaux pouvant varier d’un État membre à l’autre et d’une époque à l’autre »[22]. Tout au plus exige-t-elle, « lorsque la notion d’ordre public a pour but de justifier une dérogation à un principe », « l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société »[23]. Ainsi, tant la Cour de Justice que nos juridictions nationales offrent de précieuses indications sur le champ d’application de ces notions. La définition jurisprudentielle des comportements susceptibles de fonder ces mesures ne permet toutefois pas d’en circonscrire avec précision l’étendue dès lors que celle-ci reste soumise au contexte en entourant l’application. Par un avis du 26 septembre 2016, le Conseil d’Etat invitait le législateur à préciser ces notions dans le texte de la loi[24]. Il proposait notamment d’indiquer le type de faits qui pourrait constituer des raisons impérieuses de sécurité nationale prenant pour exemple la législation allemande. En droit allemand, il faut à tout le moins que l’individu concerné ait fait l’objet d’un certain type de condamnation pénale ou d’internement pour pouvoir considérer qu’il existe des raisons impérieuses de sécurité publique[25]. Ce ne fut toutefois pas l’option choisie par le législateur qui a fait fi de ces recommandations laissant le contenu de ces notions, pour l’essentiel, à la libre appréciation des autorités administratives. Une définition a priori des comportements susceptibles de fonder ces mesures aurait pourtant eu le mérite de lever toute ambiguïté quant à leur champ d’application rationae materiae

Nous saluons toutefois les précisions offertes par la Cour quant à la possibilité de prendre de telles mesures en l’absence de condamnation pénale. La Cour précise que le fait que « l’existence d’une ou plusieurs condamnations ne soit plus une condition nécessaire ni une condition suffisante pour que soit prise une décision mettant fin au séjour pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale ne signifie pas que l’autorité serait autorisée à ne pas se baser sur des faits prouvés et objectivés ». On peut à notre estime, en déduire qu’il est exclu de prendre une telle décision à l’égard d’un étranger pour le seul motif que des poursuites pénales seraient ouvertes à son encontre ou encore sur base de rapports administratifs faisant état de ce que l’étranger représenterait une menace pour l’ordre public.

2. L’éloignement des étrangers nés en Belgique ou arrivés avant l’âge de douze ans : un retour en arrière lourd de conséquences

La loi du 24 février 2017 met un terme à la protection absolue contre l’éloignement dont bénéficiaient antérieurement les étrangers nés en Belgique ou arrivés avant l’âge de douze ans. Instaurée d’abord par voie de circulaire ministérielle, ensuite par voie d’intervention législative[26], la protection absolue contre l’éloignement dont bénéficiaient les étrangers nés ou arrivés en Belgique avant l’âge de douze ans, faisait écho à une campagne initiée par diverses associations dénonçant le caractère éminemment discriminatoire, inhumain, inefficace et criminogène de ce type de mesures[27]. Celles-ci soulignaient l’ingérence particulièrement grave que ces mesures constituent dans le droit à la vie privée et familiale de « délinquants » ayant parfois passé une très grande partie, voire toute leur vie en Belgique, qui se trouvent séparés de leur famille, éloignés de leur milieu social, renvoyés dans un pays qu’ils ne connaissent pas et avec lequel ils n’ont aucune attache. En supprimant l’application de ces mesures à certaines catégories d’étrangers, le législateur rencontrait partiellement cet argumentaire[28]. Aux termes des travaux préparatoires, il justifiait alors l’inscription de cette protection absolue en faveur de certaines catégories d’étrangers par le caractère particulièrement attentatoire aux droits fondamentaux de ces mesures appliquées aux étrangers intégrés[29].

En adoptant la loi du 24 février 2017, le législateur fait donc marche arrière. Ce retour en arrière est justifié par la nécessité d’offrir aux autorités administratives toute la latitude nécessaire afin d’agir rapidement et efficacement en cas de menace pour l’ordre public ou la sécurité nationale[30]. L’intention est claire et affirmée : il s’agit d’augmenter les pouvoirs dévolus aux autorités administratives afin de protéger la Belgique contre les dangereux étrangers « intégrés ». Le législateur s’appuyait, par ailleurs, sur le bon respect du cadre légal européen. Il soulignait le fait que les directives européennes régissant ces statuts de séjour particuliers permettent de mettre fin au séjour pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale de tout étranger peu importe son niveau d’intégration[31]. Ces directives dont le législateur affirme, aux termes des travaux préparatoires de la loi du 24 février 2017, assurer la transposition en droit belge n’interdisent effectivement pas de manière absolue l’éloignement d’un étranger pour motifs d’ordre public peu importe son statut de séjour.

La Cour Constitutionnelle valide cette extension des pouvoirs dévolus aux autorités administratives jugeant les motifs avancés par le législateur suffisant à justifier cet élargissement du champ d’application de ces dispositions à ces étrangers « intégrés ». Nous le regrettons. En effet, qu’il soit ou non autorisé par les textes européens, compensé ou non par l’inscription de garanties, cette extension du champ d’application de ces dispositions aux quasi-nationaux pose question au regard de la position qui était celle du législateur il y a quinze ans. Alors qu’il jugeait, au début des années 2000, nécessaire au bon respect des droits fondamentaux de ces étrangers de les exclure du champ d’application de ces dispositions[32], il opère aujourd’hui un véritable retour en arrière. Ce virage à 180° est loin de faire l’unanimité au sein des parlementaires. Lors des discussions ayant présidé à l’adoption de la loi du 24 février 2017, un membre de la commission intérieur s’inquiétait de la création de citoyens de second rang[33]. Et de préciser ensuite « qu’une société inclusive sous-entend que les personnes qui habitent dans notre pays depuis un certain moment soient considérées comme des citoyens à part entière. Cela suppose qu’elles bénéficient d’un traitement égal, avec des droits et des obligations similaires »[34]. Offrir à l’étranger qui aurait des liens étroits avec la Belgique un traitement égal à celui du citoyen belge n’est manifestement pas le choix du législateur. Peu importe qu’il soit né et ait toujours vécu en Belgique, le non national ne sera jamais intégré à la société belge de la même manière que le citoyen belge puisqu’il pourra, en cas de faux pas, toujours être renvoyé vers son pays d’«origine», même à supposer qu’il n’y ait jamais mis les pieds.

Petite consolation : la Cour précise que la possibilité d’éloigner ces étrangers « intégrés » doit être limitée aux cas de terrorisme ou de criminalité très grave. Nous regrettons toutefois qu’elle n’ait pas été plus précise en offrant par exemple quelques illustrations des faits à ce point graves qu’ils pourraient justifier l’adoption de ce type de décisions. Le seuil de gravité élevé requis pour qu’une décision de retrait et d’éloignement puisse être prise à leur encontre reste dès lors, à nouveau, sujet à l’appréciation des autorités décisionnaires. On peut toutefois imaginer que le seuil de gravité requis étant très élevé, ces décisions ne pourront être prises que dans des cas exceptionnels.

3. La possibilité de prononcer une interdiction d’entrée à l’égard de citoyens de l’Union européenne : une extension du champ d’application de cette mesure injustifiée

La Cour valide ensuite le prononcé d’interdictions d’entrée à l’égard de citoyens de l’Union européenne. A nouveau, elle apporte quelques précisions quant au champ d’application de cette disposition. Ainsi, la durée de cette interdiction n’est pas automatique, doit être motivée de manière indépendante et doit nécessairement être limitée dans le temps. Par ailleurs, dans le cas où la durée de l’interdiction d’entrée dépasse le délai maximum de 5 ans fixé par la loi, elle doit être motivée au regard de la menace grave que représente l’étranger actuellement, mais également dans le futur.

S’il est appréciable que la Cour fournisse quelques précisions quant au champ d’application de cette mesure, nous regrettons qu’elle valide l’introduction de cette possibilité de prononcer une interdiction d’entrée à l’égard des citoyens de l’Union européenne dans la loi du 15 décembre 1980. La Cour relève que cette disposition a été adoptée dans le but de lutter contre certaines formes de criminalité sans s’interroger plus avant sur sa proportionnalité au regard de cet objectif[35].  On ne peut toutefois que questionner la pertinence de cette mesure au regard de l’objectif de lutte contre la criminalité qui la sous-tend dès lors que celle-ci a pour unique conséquence de renvoyer la menace vers un autre Etat membre. Comme le font très justement remarquer J-Y Carlier et G. Renaudière : « Y a-t-il un quelconque intérêt à renvoyer la menace vers un autre Etat membre sachant que, ce faisant, d’une part, on risque de perdre la trace de l’intéressé, d’autre part, on n’empêchera nullement la poursuite des actes terroristes ou délinquants concernés, aux répercussions transfrontières aisées ? »[36].

4. Les exceptions à l’effet suspensif du recours introduit contre une décision d’éloignement : une diminution des garanties entourant la prise de ces décisions

Enfin, nous avons analysé le raisonnement au terme duquel la Cour valide la suppression par la loi du 15 mars 2017 de l’effet suspensif du recours introduit contre une décision prise en matière de séjour et d’éloignement pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale.

 A nouveau, la Cour Constitutionnelle balaie l’ensemble des moyens soulevés par les parties à l’égard de ces dispositions. Elle rejette, ainsi, les critiques formulées par celles-ci à l’encontre du critère de distinction utilisé pour exclure certaines catégories d’étrangers de l’effet suspensif du recours introduit contre ce type de décisions. Ce critère avait pourtant fait l’objet de critiques par le Conseil d’Etat qui avait invité le législateur à le clarifier[37]. La Cour rejette, par ailleurs, l’argumentation des parties quant au fait que cette suppression violerait le droit à un recours effectif. Elle énumère, à cette occasion, les voies de recours dont les parties disposent encore contre ce type de décisions. Elle insiste tout particulièrement sur la possibilité pour l’intéressé d’obtenir la suspension de l’exécution forcée de la mesure d’éloignement par l’introduction d’une demande de suspension suivant la procédure d’extrême urgence. Elle en conclut que le droit à un recours effectif serait, dans tous les cas, garanti. On peut toutefois en douter vu les conditions entourant l’introduction d’une demande de suspension en extrême urgence. Cette procédure est conditionnée au respect de délais extrêmement courts et subordonnée à la réunion de conditions strictes, puisque la suspension ne peut être ordonnée que si des moyens sérieux susceptibles de justifier l’annulation de l’acte contesté sont invoqués et à la condition que l’exécution immédiate de l’acte risque de causer un préjudice grave difficilement réparable[38]. Par ailleurs, les autres recours ouverts à l’étranger n’entraînent pas automatiquement la suspension de l’exécution forcée d’une mesure d’éloignement.

Enfin, on peut, s’interroger sur la proportionnalité de cette suppression au regard de l’objectif qu’elle poursuit.  La suppression de l’effet suspensif du recours introduit devant le Conseil du Contentieux des étrangers dans ces hypothèses est justifiée par un souci d’efficacité[39]. Or, comme souligné lors des travaux parlementaires, les intéressés disposent toujours de la possibilité d’introduire un recours en extrême urgence contre ces décisions. Cette suppression de l’effet suspensif du recours introduit par le biais de la procédure ordinaire risque d’entraîner une multiplication des procédures puisqu’elle pourrait conduire à une généralisation du recours en extrême urgence dans ces cas. Par conséquent, s’il est vrai que l’exercice de la justice administrative en sera accéléré, cette accélération risque de conduire à une surcharge des autorités administratives contraintes au traitement d’un nombre important de demandes dans un délai de temps restreint. Elle risque, dès lors, de se faire au détriment de sa qualité et, paradoxalement, de son efficacité.

C. Conclusion

Pour conclure, nous regrettons que la Cour ne se soit pas saisie des recours introduits pour sanctionner le législateur et l’inviter à adopter une politique plus mesurée.

Bien que la Cour fixe quelques balises quant à l’application qu’il convient de faire de ces dispositions, restreignant de ce fait la marge d’appréciation conférée aux autorités décisionnaires, elle en valide l’essentiel. Or, ces dispositions, laissent une large voie à l’interprétation et renforcent, de ce fait, considérablement les pouvoirs des autorités administratives.  Le rôle des juridictions chargées du contrôle de ces décisions apparaît, dès lors, primordial. Il appartiendra aux Cours et Tribunaux de vérifier que les autorités administratives font une juste application de ces dispositions tenant compte notamment des balises fixées par la Cour. Notons que ce contrôle ne pourra s’exercer que dans une certaine mesure puisque le Conseil du Contentieux des étrangers, en première ligne de ce contrôle, ne statue pas en opportunité mais uniquement en légalité. Il nous semble pourtant qu’au vu des risques de violation des droits fondamentaux que ces mesures administratives portent en germe, elles devraient pouvoir faire l’objet, non plus d’un simple contrôle de légalité mais d’un contrôle de légalité et d’opportunité [40].  Une autre alternative serait de confier ces mesures au juge pénal dont l’action est entourée de garanties autrement plus strictes que l’action des autorités administratives. Bien que le législateur attribue à ces mesures un caractère essentiellement préventif, celles-ci entretiennent de nombreux liens avec la notion de peine [41]. L’interdiction de territoire constitue, par ailleurs, dans certains ordres juridiques, une peine[42]. Ordonner ces mesures à titre de peine aurait le mérite d’entourer leur adoption des mêmes garanties qu’en matière pénale. Elles seraient alors entourées de garanties autrement plus strictes et plus protectrices des droits fondamentaux que celles circonscrivant l’action des autorités administratives[43].

Par ailleurs, qu’elle fasse ou non l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif, le bien-fondé de ces mesures et leur proportionnalité au regard de l’objectif de protection de la société qu’elles poursuivent nous paraît poser difficulté.

Les modifications opérées sont, à l’estime du législateur, proportionnées à la menace que ces étrangers sont susceptibles de représenter pour notre ordre national. Il est en cela suivi par la Cour Constitutionnelle qui estime la législation soumise à son analyse proportionnée à l’objectif qu’elle poursuit. Nous ne partageons pas cette position.

Le législateur ne s’attarde, à aucun moment, sur les conséquences que ces mesures entraînent dans le chef des étrangers nés ou ayant vécu une grande majorité de leur vie dans leur pays d’accueil. Eloigner ces étrangers du territoire belge revient, pour certains, à les éloigner de ce qu’ils considèrent comme « leur » pays parce qu’ils y sont nés ou qu’ils y ont grandi, ou encore parce qu’ils y ont toutes leurs attaches familiales et sociales. Cela signifie, dans certains cas, les renvoyer dans un pays avec lequel ils n’ont aucun lien, voire les expulser vers un pays où leur vie est menacée. Les souffrances engendrées par ces mesures d’éloignement sont telles que ces étrangers ont affirmé devant la Cour européenne des droits de l’homme leur préférer celles découlant du prononcé d’une sanction pénale[44]. Au début des années 2000, le législateur excluait de manière absolue les étrangers nés ou résidant sur le territoire belge depuis leur enfance du champ d’application de ces dispositions jugeant l’adoption de ce type de mesures à leur égard contraire aux principes d’égalité et de non-discrimination. A l’instar du législateur des années 2000, nous estimons discriminatoire la différence de traitement découlant de l’application de ces mesures à l’étranger « intégré », à l’exclusion du national. Un étranger ayant de solides attaches en Belgique devrait être considéré et traité comme un national [45].

Enfin, la proportionnalité de ces mesures est à questionner au regard de leur aptitude à atteindre l’objectif de protection de la société visé par le législateur. Un certain nombre de ces étrangers resteront ou reviendront dans la clandestinité. Ils seront, en outre, pour la plupart, amenés un jour ou l’autre à réintégrer la société dont ils ont été exclus. Or, cette réintégration n’aura fait l’objet d’aucune préparation avec tous les risques que cela comporte en termes de récidive. Dès lors, à supposer que la protection de notre société soit assurée par l’exécution de ces mesures, celle-ci ne sera en tout état de cause protégée que pour une période déterminée. A l’échelle européenne, l’efficacité de ces mesures questionne, en outre, au regard de la constitution d’un ordre public européen. Quel intérêt y a-t-il pour la bonne protection de l’ordre juridique européen de renvoyer la menace que représente un citoyen de l’Union européenne vers un autre Etat membre de l’Union ? Nous n’en voyons aucun.

D. Pour aller plus loin

 

Lire les arrêt : C. Const., arrêts n°111 et 112/2019 du 18 juillet 2019

 

Législation :

Loi du 24 février 2017 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers afin de renforcer la protection de l'ordre public et de la sécurité nationale, M.B., 19 avril, p. 51890

Loi du 15 mars 2017 modifiant l'article 39/79 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, M.B., 29 avril 2017, p. 51900

Projet de loi du 12 décembre 2016 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers afin de renforcer la protection de l’ordre public et de la sécurité nationale, n° 2215/001, Doc.Parl., Ch. Repr., sess.ord., 2016-2017

Projet de loi du 12 décembre 2016, volet recours

Loi du 26 mai 2005 modifiant la loi du 23 mai 1990 sur le transfèrement inter-étatique des personnes condamnées et la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, article 22, M.B., 10 juin 2005, p. 26718.

 

Doctrine :

J. Hardy, « Ordre public : modifications législatives et jurisprudence récente » in Immigrations et droits, Question d’actualité, Larcier, 2018, pp.98 à 114.

C. Macq, « Le point sur le retrait du droit au séjour et l’éloignement pour motifs d’ordre public des étrangers en séjour légal », R.D.E., n° 218, 2018, pp. 179-221

X. Rolin, “La double peine, une punition de la nationalité”, Rev. dr. étr., n° 118, 2002, pp. 205-216

P. Liebermann, “Double peine pour double faute, en finir avec le bannissement des immigrés”, Rev. drt. étr., n° 109, 2000, pp. 355-358

O. De Schutter, “La proportionnalité de l’éloignement d’étrangers pour motifs d’ordre public”, Rev. dr. étr., n° 93, 1997, pp. 177-189

J-Y Carlier et S. Saroléa, Droit des étrangers, Larcier, 2016

F. Motulsky, M. Bobrushkin, K. de Haes, « L’étranger et l’ordre public », J.T., 2014, pp. 65 à 78

Pour citer cette note : Macq, C., « Retrait du droit au séjour et éloignement pour motifs d’ordre public : les lois du 24 février 2017 et du 15 mars 2017 validées, sous réserves d’interprétations, par la Cour Constitutionnelle », Cahiers de l’EDEM, septembre 2019.

 


[1] Pour une analyse détaillée de ces lois voy. C. Macq, « Le point sur le retrait du droit au séjour et l’éloignement pour motifs d’ordre public des étrangers en séjour légal », R.D.E., n° 218, 2018, pp. 179-221 et J. Hardy, « Ordre public : modifications législatives et jurisprudence récente » in Immigrations et droits, Question d’actualité, Larcier, 2018, pp.98 à 114.

[2] Projet de loi du 12 décembre 2016 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers afin de renforcer la protection de l’ordre public et de la sécurité nationale, n° 2215/001, Doc.Parl., Ch. Repr., sess.ord., 2016-2017, p.3.

[3] Pour les normes de référence dont les parties requérantes invoquent la violation : C. Const, n°112/2019, 18 juillet 2019, points B.3.1. et B.3.2 et C. Const., n°111/2019, 18 juillet 2019, point B.6.

[4]  Pour le texte intégral de ces deux questions préjudicielles : C. const. n°112/2019, p. 140.

[5] L'étranger ne pouvait être éloigné que lorsqu'il avait porté atteinte à l'ordre public ou à la sécurité nationale (article 20, al.1er précédente mouture de la loi du 15 décembre 1980) ou porté gravement atteinte à l'ordre public ou à la sécurité nationale (articles 20 al.2 et 21 précédente mouture de la loi du 15 décembre 1980).

[7] Projet de loi, p. 15.

[8] Pris de la violation du droit au respect de la vie privée tel qu’il est garanti par l’article 22 de la Constitution, lu isolément ou en combinaison avec diverses dispositions conventionnelles, la violation des droits de l’enfant tels qu’ils sont garantis par l’article 22bis de la Constitution, lu isolément ou en combinaison avec diverses dispositions conventionnelles et la violation des articles 10, 11 et 191 de la Constitution, lus en combinaison avec les principes généraux de la sécurité juridique, de la confiance légitime et de la présomption d’innocence.

[9] B. 14.2. pour ce qui concerne les ressortissants de pays tiers et B.53.1 pour ce qui concerne les citoyens de l’Union européenne.

[10] Ce recours de plein contentieux au Conseil du contentieux des étrangers n’existe que dans le cadre d’une demande de protection internationale introduite en Belgique.

[11] Dans le cadre de ce contentieux, seule une suspension ou une annulation peuvent être prononcées.

[12] J-Y Carlier et S. Saroléa, Droit des étrangers, Larcier, 2016, p. 649.

[13] Cet article 22, remplacé par la loi du 24 février 2017, visait les mesures de contraintes susceptibles d’être ordonnées à l’égard d’étrangers ayant contrevenu à l’ordre public.

[15] Projet de loi précité, pp. 5 et 6.

[16] Projet de loi, pp. 23-25.

[17] F. Motulsky, M. Bobrushkin, K. de Haes, « L’étranger et l’ordre public », J.T., 2014, pp. 65 à 78. La notion d’ordre public apparaît à 55 reprises dans le seul texte de la loi du 15 décembre 1980.

[18] Voy. en ce sens CE, 20 juin 2002, n° 108.288 ; CE, 22 mars 2002, n° 105.045 ; CE, 4 juin 2002, n° 107.327 ainsi que CCE, arrêt n° 204 466 du 29 mai 2018.

[19] Projet de loi, pp. 19-25.

[20]Ainsi, certaines directives en matière de migration légale indiquent dans leur préambule que la notion d’ordre public peut couvrir la condamnation pour infraction grave et que les notions d’ordre public et de sécurité publique visent également les cas d’appartenance ou de soutien à une association qui soutient le terrorisme ou encore le fait d’avoir (eu) des visées extrémistes. Voy. 14ème considérant, de la Directive 2003/86/CE ; 8ème considérant, de Directive 2003/109/CE ainsi que le 36ème considérant de la Directive 2016/801/UE.

[21] Voy. parmi d’autres dispositions, l’article 27, paragraphe 2, de la Directive 2004/38/CE qui précise que les États membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union ou d'un membre de sa famille pour autant que le comportement de la personne concernée représente une menace réelle et actuelle pour un intérêt fondamental de la société ou de l’État membre concerné. Elle précise également que l’existence de condamnations pénales antérieures ne peut à elle seule motiver des mesures d’ordre public ou de sécurité publique et que des justifications non directement liées au cas individuel concerné ou tenant à des raisons de prévention générale ne peuvent être retenues.

[22]Projet de loi, p. 20 renvoyant à l’arrêt P. I., C.J.U.E., (gde ch.), 22 mai 2012, C-348/09, EU:C:2012:300, point 23).

[23] Projet de loi, p. 20, renvoyant aux arrêts C.J.U.E., 24 juin 2015, H.T., aff. C 373-13, EU:T:2014:1047, point 79; C.J.U.E., 11 juin 2015, Z. Zh,, aff. C 554-13, EU:C:2015:377, points 48 et 50; C.J.U.E., 4 octobre 2012, Byankov, aff. C-249/11, EU:C:2012:608, point 40.

[24] Avis du Conseil d’Etat n° 59.854/4 du 26 septembre 2016, Doc.Parl., Ch. Repr., sess.ord., 2016-2017, p.92.

[25] En 2008, mettant en exergue le flou entourant les critères permettant de renvoyer ou d’expulser un étranger disposant d’un titre de séjour ou établi en Belgique, des parlementaires proposaient de conditionner le prononcé de ces mesures à des critères clairement définis, abandonnant ainsi toute référence à la notion floue d’«ordre public». L’idée était de conditionner le renvoi ou l’expulsion d’un étranger à la commission d’infractions expressément listées dans la loi. Ne pourrait être renvoyé ou expulsé que : l’étranger ayant commis un délit ou un crime contre la sûreté de l’État, visés au Titre premier du livre II du Code pénal (crimes et délits contre la sûreté de l’État), une infraction visée dans la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire, une infraction visée par la Convention européenne du 27 janvier 1977 pour la répression du terrorisme ou une infraction visée à l’article 11 de la loi du 13 avril 1995 contenant des dispositions en vue de la répression de la traite et du trafic des êtres humains (Proposition de loi du 15 octobre 2008 visant à modifier la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, Doc. Parl., Ch. repr. sess. ord. 2008-2009, n°1485/001). C’est le choix opéré par le législateur français pour ce qui concerne l’interdiction de territoire français susceptible d’être prononcée par le juge pénal (Art. 131-30 du code pénal français et article L.541-1 du Code français de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; Art. L 623-1 à L 623-3 du Code français de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile).

[26] Loi du 26 mai 2005 modifiant la loi du 23 mai 1990 sur le transfèrement inter-étatique des personnes condamnées et la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, article 22, M.B., 10 juin 2005, p. 26718.

[27] Collectif Solidarité contre l’Exclusion - n ° 38 - mai/juin 2003, pp.41 et 42 ; X. Rolin, “La double peine, une punition de la nationalité”, Rev. dr. étr., n° 118, 2002, pp. 205-216 ; P. Liebermann, “Double peine pour double faute, en finir avec le bannissement des immigrés”, Rev. drt. étr., n° 109, 2000, pp. 355-358 ; O. De Schutter, “La proportionnalité de l’éloignement d’étrangers pour motifs d’ordre public”, Rev. dr. étr., n° 93, 1997, pp. 177-189 ; P. Jaspis, “Faut-il mettre fin à la double peine?”, La Libre Belgique, 4 décembre 2002.

[29]Aux termes des travaux préparatoires, le législateur reconnaissait qu’« appliquée à des personnes qui ont noué des attaches en Belgique cette mesure est contraire à certains principes fondamentaux de notre système démocratique ».

[30] Projet de loi du 12 décembre 2016, p. 17.

[31] Projet de loi du 12 décembre 2016 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers afin de renforcer la protection de l’ordre public et de la sécurité nationale, Rapport fait au nom de la commission de l’intérieur, des affaires générales et de la fonction publique, n° 2215/003, Doc.Parl, Ch. Repr., sess.ord., 2016-2017, p.30.

[32] Projet de loi du 13 janvier 2005 précité, p. 9.

[34] Rapport précité, pp. 12 et 13.

[35]Rapport précité, pp. 5 et 6. L’exemple « néerlandais » était particulièrement mis en avant lors des travaux parlementaires. Les Pays-Bas aurait permis de limiter drastiquement le nombre de cambriolages commis par des bandes roumaines en instaurant la déclaration d’indésirabilité (“ongewenstverklaring”), mécanisme similaire à l’interdiction d’entrée à l’égard des citoyens de l’Union européenne.

[36] J.Y. Carlier et G. Renaudière, « Libre circulation des personnes dans l’Union européenne », J.D.E., 2018, p.150. Une alternative, déjà proposée par la Cour de justice, consiste à développer un ordre public européen au moins territorialement. Ceci permet de limiter la libre circulation du citoyen de l’Union européenne présentant un risque pour l’ordre public sans pour autant le renvoyer vers l’Etat membre dont il a la nationalité

[37] Avis du conseil d’état n° 59.853/4 du 26 septembre 2016, n°2216/001, Doc. Parl., Ch. Repr. , sess. ord., 2016-2017.

[38] Loi du 15 décembre 1980, art. 39/82, § 2, § 4 et 39/57, §1er, al. 3.

[40] C’est également l’avis de D. Vandermeersch pour ce qui concerne le contrôle de la détention administrative : voy. D. Vandermeersch, « La détention préventive de la personne présumée innocente et la privation de liberté de létranger », Rev.dr.pén., 2015, pp. 602 à 619.

[41] Sur les liens que ces mesures entretiennent avec la notion de peine ainsi que sur une analyse comparative des garanties entourant l’action pénale et l’action administrative : voy. C. Macq, « Le point sur le retrait du droit au séjour et l’éloignement pour motifs d’ordre public des étrangers en séjour légal », R.D.E., n° 218, 2018, pp.212 à 217.

[42] C’est le cas en droit français. Voy. Art. L 623-1 à L 623-3 du Code français de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La peine d'interdiction du territoire français peut être prononcée, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l'encontre de tout étranger coupable d'un crime ou d'un délit. Elle entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion.

[43] Actuellement, la nature administrative de ces mesures a pour conséquence de priver les destinataires de celles-ci, non seulement des garanties découlant de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi d’autres garanties attachées à la matière pénale. Nous pensons plus particulièrement au principe de légalité des incriminations et des peines ainsi qu’au principe non bis in idem.

[44] Voy. à titre d’exemple l’arrêt Üner dans lequel le requérant soulignait le fait qu’«il aurait préféré purger une peine plus longue si cela avait pu lui éviter d’être expulsé et plongé dans l’incapacité de reprendre sa vie familiale aux Pays-Bas »., Cour eur. dr. h., Üner c. Pays-Bas (GC), 18 octobre 2006, § 44.

[45] Cette position est celle du Comité des droits de l’homme des Nations-Unies qui juge l’article 12.4 interdisant de priver une personne du droit d’entrer dans « son » pays invocable par « toute personne qui, en raison de liens particuliers qu’elle entretient avec un pays donné ou des revendications qu’elle a à cet égard, ne peut pas être considérée dans ce même pays comme un simple étranger » (Com. dr. h., Stewart c. Canada, 16 septembre 1996, comm. n° 583/1993). Ainsi, les étrangers ayant des liens particulièrement étroits avec leur pays d’accueil doivent être traités dans ce pays comme des citoyens à part entière ( voy. en ce sens . Com. dr. h., Warsame c. Canada, 21 juillet 2011, comm. no 1959/2010).

Photo de G.Lanting - Eigen werk, CC BY 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=6971717

Publié le 01 octobre 2019