Cour eur. D.H., 12 juillet 2016, R.M. et autres c. France, req. n° 33201/11

Louvain-La-Neuve

Confirmation par la juridiction strasbourgeoise du caractère exceptionnel et subsidiaire de la rétention d’enfants mineurs en vue de leur éloignement.

L’affaire commentée fait partie d’une série de cinq arrêts rendus le même jour et condamnant la France pour avoir placé en centre de rétention des enfants mineurs avec leurs parents en vue de leur éloignement. Bien que les conditions matérielles de la rétention ne posent pas de problème en l’espèce, le degré de gravité requis par l’article 3 de la Convention a été atteint en raison de la durée de la rétention. Par ailleurs, la Cour insiste, en présence d'enfants mineurs, sur la nécessité pour les autorités internes de s'assurer que le placement en rétention est la mesure de dernier ressort.

Articles 3 et 5 §1 (f) C.E.D.H. – Procédure d’éloignement – Rétention de mineurs – Conditions – Principe de subsidiarité.

A.  Faits et décision de la Cour

Le 12 juillet 2016, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu cinq arrêts à l’encontre de la France et traitant de faits similaires, à savoir la détention administrative d’enfants mineurs avec leurs parents en vue de leur éloignement. Dans le cadre de ce commentaire, nous nous concentrerons sur une affaire, R.M. et autres (n°33201/11), celle d’un couple de ressortissants russes d’origine tchétchène ayant été déboutés du droit d’asile après leur arrivée en France au courant de l’année 2008. Les requérants interjetèrent appel des deux décisions adoptées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides mais sans succès. Entre-temps, le couple célébra la naissance de son premier enfant. Alors à peine âgé de sept mois, ce dernier fut placé avec ses parents dans la zone « famille » du centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu, à proximité de l’aéroport, en vue de leur éloignement. Les requérants furent ultérieurement remis en liberté, à une date inconnue, mais la rétention a duré au moins sept jours.

Devant la Cour, les requérants ont invoqué divers griefs. D’abord, relativement à la mesure d’éloignement, ils s’opposèrent à l’exécution de leur renvoi vers la Russie en invoquant séparément les articles 2 et 3 de la Convention. Ensuite, ils ont allégué que le placement en rétention de leur enfant était contraire à l’article 3 et à l’article 5. Enfin, les requérants ont invoqué la violation de l’article 8 mais ce grief fut déclaré irrecevable. Parmi ces différents motifs, ce commentaire se limite à aborder la conformité de la rétention de l’enfant mineur avec la Convention.

Les requérants dénoncent la violation de l’article 3 de la Convention du fait de la rétention administrative de leur enfant sur base de l’arrêt Popov c. France dans lequel la Cour a jugé que la rétention de mineurs dans un centre inadapté à leurs besoins était contraire à l’article 3[1]. A plusieurs reprises, notamment à l’encontre de la Belgique, la Cour a conclu à la violation de cette disposition en raison du placement en rétention d’étrangers mineurs accompagnés ou non[2]. Afin que le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3 soit atteint, la Cour a tenu compte dans ces affaires de l’âge des enfants, de la durée de leur rétention et des conditions de celle-ci. En l’espèce, la Cour considère que si les conditions matérielles de rétention n’étaient pas en soi suffisamment dommageables pour emporter la violation de l’article 3 dès lors que l’espace était aménagé et séparé des autres retenus, l’enfant a néanmoins subi un traitement contraire à l’article 3 en raison de la durée de la rétention et de son bas âge.

La violation de l’article 5 §1 a également été soulevée à l’égard de l’enfant des requérants, faute pour les autorités françaises d’avoir recherché une solution alternative à la rétention. La Cour rappelle que pour qu’une détention soit compatible avec l’article 5 §1, il suffit qu’une procédure d’éloignement soit en cours sans qu’il ne faille vérifier que la rétention effectuée en vue de l’éloignement soit raisonnablement nécessaire. Toutefois, à titre d’exception, lorsqu’il s’agit d’enfants mineurs, et en raison de leur vulnérabilité, la privation de liberté doit être nécessaire pour atteindre le but poursuivi, ce qui implique de la part des autorités de vérifier qu’aucune alternative n’était envisageable :

                « la Cour juge que la présence en rétention d’un enfant accompagnant ses parents n’est conforme à l’article 5 § 1 f) qu’à la condition que les autorités internes établissent qu’elles ont recouru à cette mesure ultime seulement après avoir vérifié concrètement qu’aucune autre moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en œuvre »[3].

Les autorités françaises n’ayant pas cherché à trouver une mesure alternative à la rétention de la famille, la Cour conclut à la violation de l’article 5 §1.

B. Éclairage

La Cour confirme sa jurisprudence selon laquelle les enfants ont des besoins spécifiques en raison de leur âge et de leur dépendance, ce qui les place dans une situation de vulnérabilité. Selon la jurisprudence de la Cour depuis l’affaire Mubilanzila, eu égard au caractère absolu de l’article 3 de la Convention, la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouve un mineur est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal[4]. Toutefois, toute rétention n’est pas incompatible avec l’article 3. Pour que le seuil de gravité requis par cette disposition soit atteint, la Cour tient compte de l’âge de l’enfant, de la durée et des conditions de la rétention. La conjonction de ces éléments avait conduit la Cour à conclure à la violation de l’article 3 dans l’affaire Popov[5].

Dans l’arrêt commenté, la Cour souligne que, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Popov, les conditions matérielles de rétention dans le centre de Toulouse-Cornebarrieu, ne posaient pas de problème et étaient adaptées aux besoins des familles[6]. Toutefois, la Cour reconnaît que le fait d’être privé de liberté, même dans un centre adapté aux besoins particuliers des enfants[7], a un effet anxiogène et angoissant sur les enfants, notamment en bas âge. Ainsi, le critère déterminant au regard de l’article 3 de la Convention devient celui du temps. La Cour énonce, en effet, que « l’écoulement du temps revêt […] une importance primordiale » afin d’évaluer si le seuil de gravité requis par l’article 3 a été atteint[8]. Selon la Cour, au-delà d’une brève période, la répétition et l’accumulation des agressions psychiques et émotionnelles qui sont inhérentes à la vie dans un centre de rétention ont des conséquences néfastes sur les enfants, dépassant le seuil de gravité. Par conséquent, seul le placement en rétention dans un centre adapté pour une courte durée (en tout cas moins de sept jours) peut être compatible avec l’article 3 de la Convention.

Après avoir conclu à la violation de l’article 3, la Cour a examiné la légalité de la détention au regard de l’article 5 §1 de la Convention. Eu égard à la situation particulièrement vulnérable des enfants mineurs, leur privation de liberté doit être nécessaire pour atteindre le but poursuivi, à savoir garantir l’éloignement de la famille. La Cour confirme ainsi sa jurisprudence et insiste sur le caractère subsidiaire de la privation de liberté de mineurs en vue de leur éloignement. Les autorités ont ainsi l’obligation de rechercher des mesures alternatives à la détention et le non-respect de cette condition entraîne la violation de l’article 5 §1 en raison du caractère illicite de la détention.

L’arrêt commenté s’inscrit ainsi dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour relative à la rétention d’enfants mineurs en séjour irrégulier et délimite un peu plus encore les conditions exceptionnelles dans lesquelles une telle rétention peut avoir lieu.

Suite aux condamnations de la Belgique par la juridiction strasbourgeoise, la législation belge a été modifiée et la situation a sensiblement progressé au cours des dernières années. Depuis la loi du 16 novembre 2011 qui inséra l’article 74/9 dans la loi du 15 décembre 1980, le principe est celui de l’interdiction de détention d’enfants mineurs en centre fermé, à moins que celui-ci ne soit adapté aux besoins de la famille. Même si la loi vise à éviter que les mineurs ne soient placés en rétention, elle laisse néanmoins une porte ouverte à la rétention dans un lieu adapté et pour une durée limitée[9].

En vertu du principe de subsidiarité[10] consacré par la Directive 2008/115[11], dite « Directive Retour », et rappelé à l’article 17 de la directive relatif à la détention des mineurs et de leur famille, l’article 74/9 envisage deux situations qui doivent préalablement être envisagées, à savoir la possibilité pour les familles de résider à domicile ou dans ce qu’on appelle les « maisons de retour » (centres ouverts adaptés aux besoins des familles) gérées par l’Office des étrangers (OE). Les conditions auxquelles les familles doivent satisfaire pour pouvoir bénéficier de ces mesures alternatives sont formulées dans une convention conclue entre la famille et l’OE. Un arrêté royal du 17 septembre 2014 fixe le contenu de cette convention et prévoit, par ailleurs, les sanctions applicables en cas de non-respect des conditions. Si tel devait être le cas, l’arrêté royal énonce que l’ensemble de la famille ou un seul de ses membres peut être détenu en centre fermé. Une série d’associations ont toutefois introduit un recours en annulation contre cet arrêté devant le Conseil d’Etat.

Celui-ci s’est prononcé le 28 avril 2016 et a annulé les deux sanctions prévues par l’arrêté royal[12]. D’une part, le Conseil d’Etat considère que placer un seul membre de la famille dans un centre fermé « apparaît disproportionné par rapport au but poursuivi » et constitue donc une ingérence injustifiée dans l’exercice du droit à la vie familiale. Comme le souligne la haute juridiction administrative, une telle sanction ne semble pas pertinente pour garantir l’éloignement effectif de la famille, « sauf à imaginer, ce qui est à l’évidence inconcevable, que [l’Office des étrangers] entendrait de la sorte retenir un membre de la famille en « otage » pour s’assurer que le reste de la famille se soumettra à la mesure d’éloignement afin de récupérer le membre de la famille retenu ». D’autre part, le Conseil d’Etat annule également la sanction consistant à maintenir la famille avec les enfants en centre fermé au motif que l’arrêté royal attaqué ne formule pas l’exigence que ce centre soit adapté aux besoins de la famille, exigence énoncée à la fois par la Cour constitutionnelle, la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que l’article 17 de la directive retour.

Au vu de ce qu’il a été dit, il apparaît que la détention de mineurs en centre fermé continue à poser question non seulement en France mais aussi en Belgique, malgré les conséquences néfastes, unanimement dénoncées, d’une telle détention sur le développement d’enfants en bas âge. Dans un contexte où les Etats adoptent des politiques en matière de retour de plus en plus strictes au nom de l’efficacité, il est heureux que la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que les juridictions nationales, à l’instar du Conseil d’Etat, maintiennent le niveau de protection des droits et des intérêts des enfants mineurs.   

J-B.F.

C. Pour en savoir plus

Lire l’arrêt :

Cour eur. D.H., 12 juillet 2016, R.M. et autres c. France, req. n° 33201/11.

Jurisprudence

Cour eur. D.H., 19 janvier 2012, Popov c. France, req. n° 39472/07 et 39474/07.

Cour eur. D.H., 13 décembre 2011, Kanagaratnam c. Belgique, req. n° 15297/09.

Cour eur. D.H., 19 janvier 2010, Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, req. n° 41442/07.

Cour eur. D.H., 12 octobre 2006, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, req. n°13178/03.

C.C., 19 décembre 2013, n° 166/2013, B.8.4.

C.E., 28 avril 2016, n° 234.577.

Pour citer cette note : J.-B. Farcy, « Confirmation par la juridiction strasbourgeoise du caractère exceptionnel et subsidiaire de la rétention d’enfants mineurs en vue de leur éloignement », Newsletter EDEM, septembre 2016.


[1] Cour eur. D.H., 19 janvier 2012, Popov c. France, req. nos 39472/07 et 39474/07.

[2] Cour eur. D.H., 19 janvier 2010, Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, req. n° 41442/07; Cour eur. D.H., 13 décembre 2011, Kanagaratnam c. Belgique, req. n° 15297/09.

[3] Cour eur. D.H., 12 juillet 2016, R.M. et autres c. France, req. n° 33201/11, §86.

[4] Cour eur. D.H., 12 octobre 2006, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, req. n°13178/03, §55.

[5] Cour eur. D.H., 19 janvier 2012, Popov c. France, req. nos 39472/07 et 39474/07, §103.

[6] Cour eur. D.H., 12 juillet 2016, R.M. et autres c. France, req. n° 33201/11, §73.

[7] Tant le droit européen, à travers l’article 17 de la Directive 2008/115 dite « Directive Retour », que le droit conventionnel exigent que la rétention de mineurs se déroule, en tout état de cause, dans un centre adéquatement équipé pour répondre aux besoins des enfants.

[8] Cour eur. D.H., 12 juillet 2016, R.M. et autres c. France, req. n° 33201/11, §75.

[9] Voy. à cet égard : C.C., 19 décembre 2013, n° 166/2013, B.8.4.

[10] A cet égard : S. SAROLEA, « Le rappel du principe de subsidiarité. Note sous Bruxelles, Ch. mis. en acc., 1er juillet 2016 », Newsletter EDEM, juin 2016.

[12] CE, 28 avril 2016, n° 234.577.

Publié le 08 juin 2017