Cour eur. D.H., 16 avril 2013, Aswat c. Royaume-Uni, req. n° 17299/12

Louvain-La-Neuve

L’extradition du requérant vers les États-Unis d’Amérique serait un mauvais traitement contraire à l’article 3, dès lors qu’il risque d’y être détenu dans des conditions incompatibles avec son état de santé mentale.

L’extradition du requérant, détenu au Royaume-Uni, vers les États-Unis serait constitutive d’un traitement inhumain et dégradant. Il souffre de schizophrénie paranoïaque, maladie qui serait aggravée par une incarcération aux États-Unis.

Art. 3 CEDH – Extradition – Terrorisme – Maladie mentale (violation - unanimité)

A. Arrêt

Le requérant est détenu au Royaume-Uni. Les États-Unis sollicitent son extradition ; il y est inculpé d’association de malfaiteurs en vue d’établir un camp d’entrainement du jihad en Oregon. Il conteste la demande d’extradition jusqu’à la Chambre des lords qui rejette ses arguments en 2007.

Il est atteint de schizophrénie paranoïaque et réside en hôpital psychiatrique depuis 2008. Les rapports médicaux indiquent que son état de santé requiert son hospitalisation.

Devant la Cour européenne des droits de l’homme, il invoque que l’extradition vers les États-Unis le soumettra à un traitement contraire à l’article 3 en raison de la longueur probable de la détention provisoire et du risque d’incarcération dans une prison de haute sécurité, en régime d’isolement. Sur la base de l’article 39 de son règlement, la Cour a demandé au Royaume-Uni de ne pas éloigner le requérant jusqu’à nouvel avis. La présente affaire est au départ liée au dossier Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni mais en est dissociée en raison du contexte médical particulier.

Au contraire de l’arrêt prononcé pour les autres requérants dans l’affaire Babar Ahmad, la Cour juge que l’extradition aggraverait considérablement l’état de santé du requérant. Si les conditions de détention dans la prison de haute sécurité de Florence aux États-Unis ne violent pas en soi l’article 3, elles le deviennent dans le chef de Monsieur Aswat en raison de son état mental.

Même si des soins psychologiques sont disponibles à la prison de Florence, la garantie de bénéficier de ceux-ci reste trop incertaine. Au Royaume-Uni, il a été jugé qu’il devait être transféré en hôpital psychiatrique pour sa santé et sa sécurité (§ 55). Or, l’on ignore quel sera son sort aux U.S.A. (§ 56). La Cour prend en compte l’ensemble des circonstances (état de santé très préoccupant, isolement aux U.S.A. où il n’a ni famille, ni amis, détention dans un pays différent, dans un environnement potentiellement hostile) et juge que la détérioration significative de son état de santé mentale et physique est suffisante pour enfreindre l’article 3 (§ 57).

B. Éclairage

L’intérêt de cet arrêt porte davantage sur la prise en compte de l’état de santé de la personne concernée que sur la problématique de l’extradition où il s’inscrit dans la ligne d’une jurisprudence désormais constante. De longue date, la Cour européenne des droits de l’homme prohibe les extraditions comportant un risque que l’intéressé soit soumis à un traitement inhumain et dégradant dans le pays de destination. Dès le premier arrêt prononcé en matière d’éloignement du territoire aux fins d’extradition rendu dans l’affaire Soering, la Cour souligne que « la Convention ne consacre pas en soi un droit à ne pas être extradé. Néanmoins, quand une décision d’extradition porte atteinte, par ses conséquences, à l’exercice d’un droit garanti par la Convention, elle peut, s’il ne s’agit pas de répercussions trop lointaines, faire jouer les obligations d’un État contractant au titre de la disposition correspondante »[1]. Dans l’affaire Cruz Varas, la Cour étend ce raisonnement aux décisions d’expulsion[2] ; elle y reste fidèle jusqu’à ce jour. La protection est absolue et il ne peut y être fait exception en raison du comportement de la personne concernée, fut-elle particulièrement dangereuse. La Cour est « parfaitement consciente des énormes difficultés que rencontrent à notre époque les États pour protéger leurs populations de la violence terroriste […] même en tenant compte de ces facteurs, la Convention prohibe en termes absolus les traitements contraires à l’article 3, quels que soient les agissements de la victime. De plus, les articles 2 et 3 de la Convention ne prévoient pas de restrictions et ne souffrent nulle dérogation d’après l’article 15 même en cas de danger public menaçant la vie de la nation »[3]. Encore faut-il que la Cour conclue à l’existence d’un risque au regard de l’article 3. Dans l’affaire Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni, l’arrêt du 10 avril 2012 juge que ni les conditions de détention à la prison de haute sécurité de Florence, ni la durée de la peine d’emprisonnement pouvant être infligée ne violent l’article 3[4].

La prise en compte de l’état de santé mentale est intéressante alors que la jurisprudence de la Cour s’est montrée de plus en plus restrictive lorsque l’article 3 est invoqué pour contester l’éloignement d’une personne gravement malade. Depuis l’affaire N. c. Royaume-Uni[5], la Cour n’estime pas suffisant « Le fait qu'en cas d'expulsion de l'État contractant le requérant connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie ». La Cour exige de plus des circonstances humanitaires impérieuses. « La décision d'expulser un étranger atteint d'une maladie physique ou mentale grave vers un pays où les moyens de traiter cette maladie sont inférieurs à ceux disponibles dans l'État contractant est susceptible de soulever une question sous l'angle de l'article 3, mais seulement dans des cas très exceptionnels, lorsque les considérations humanitaires militant contre l'expulsion sont impérieuses », même si « La Cour admet que la qualité et l'espérance de vie de la requérante auraient à pâtir de son expulsion vers l'Ouganda. Toutefois, la requérante n'est pas, à l'heure actuelle, dans un état critique »[6].

En droit belge, l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 vise trois hypothèses : la maladie entraînant un risque réel pour la vie, pour l’intégrité physique ou un risque réel de traitements inhumains et dégradants. Il est en cela plus large que cette jurisprudence. Le Conseil du contentieux des étrangers a d’ailleurs annulé plusieurs décisions exigeant un risque vital ou un état critique, soulignant que le texte même de l’article 9ter ne permet pas une interprétation qui conduirait à l’exigence systématique d’un risque pour la vie du demandeur puisqu’il envisage, au côté du risque vital, deux autres hypothèses[7].

Si l’arrêt Aswat ne concerne pas directement l’éloignement d’une personne malade, la prise en compte de l’aggravation de l’état de santé mentale en fait un précédent intéressant pour le « contentieux médical ». La santé mentale des détenus retient certes l’attention de la Cour depuis plusieurs années, mais, en matière migratoire, la protection s’était réduite à une peau de chagrin au travers des exigences de risque vital ou de circonstances humanitaires impérieuses. Ici, le niveau de gravité requis est moins élevé que le standard de l’affaire N. Aucun risque vital n’est évoqué. Toutefois, la détention est ici déterminante et opère comme un facteur aggravant ; l’on ne peut dès lors transposer les enseignements de cet arrêt au cas d’une personne libre que de manière prudente[8].

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : Cour eur. D. H., 4e ch., Al Aswat c. Royaume-Uni, arrêt du 16 avril 2013, req. n° 17299/12.

- En faveur de l’extradition vers les U.S.A., voyez Cour eur. D. H., Babar Ahmad c. Royaume-Uni, arrêt du 10 avril 2012, req. n° 24027/07.

- Voyez notamment N. Hervieu, « L’esquisse européenne d’un principe de précaution face aux expulsions de personnes affectées de troubles mentaux », Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 18 avril 2013.

- Joana Petin, « Extradition et troubles mentaux : la prise en compte croissante de la vulnérabilité par la Cour européenne des droits de l’Homme », GDR-ELSJ, 23 avril 2013.

Pour citer cette note : S. Sarolea, « Pas d’extradition vers les États-Unis d’une personne atteinte de graves troubles mentaux », Newsletter EDEM, avril 2013.


[1] Cour eur. D.H., Soering c. Royaume-Uni, 1989, §§ 85 et 91.

[2] Cour eur. D.H., Cruz Varas c. Suède, 1991, § 70.

[3] Cour eur. D.H., Chamaïev et douze autres c. Russie, 2005, § 335.

[4] Concluant à la violation de l’article 3, voyez notamment Cour eur. D.H., Baysakov et autres c. Ukraine, 2010 ; Klein c. Russie, 2010 ; Khaydarov c. Russie, 2010 ; ou encore Zokhidov c. Russie, 2013.

[5] Cour eur. D.H., N. c. RU, 2008, § 49.

[6] Ibid., § 50.

[7] Voyez notamment les arrêts n° 92.309 du 27 novembre 2012, n° 92.397 et 92.444 du 29 novembre 2012, n° 92.661 du 30 novembre 2012, n° 92.863 du 4 décembre 2012, n° 92.258 du 27 novembre 2012, prononcé par une chambre à trois juges qui juge qu’un médecin-conseil rejetant une demande fondée sur l’article 9ter, parce que la maladie n’entraîne pas le risque pour la vie, commet une erreur.

[8] Voyez notamment l’affaire Bensaïd c. Royaume-Uni, 2001, §§ 36 à 40 qui conclut à la non-violation de l’article 3 en raison du caractère spéculatif des craintes d’aggravation de l’état de santé mentale.

Publié le 20 juin 2017