Cour eur. D.H, 25 septembre 2012, Ahmade c. Grèce, req. n° 50520/09

Louvain-La-Neuve

Eloignement forcé et demande d’asile, la détention doit être fondée et « régulière ».

La détention d’un demandeur d’asile doit être fondée et « régulière » au sens de l’article 5 §1 de la Convention. Le juge national doit disposer du pouvoir d’examiner la légalité de la détention, son fondement en droit interne ainsi que d’apprécier les conditions dans lesquelles un demandeur d’asile est détenu. Le respect du droit national ne suffit pas pour assurer la conformité avec les exigences de l’article 5 de la Convention.

Cour eur. D.H. art. 3, art 5 §1 et §4, art.13 – demande d’asile – mesure d’éloignement – légalité de la détention – conditions de la détention – recours effectif (violation).

A. L’arrêt

Dans cette affaire, la Cour européenne des Droits de l’Homme (Cour eur. D.H.) a examiné la compatibilité de la détention d’un demandeur d’asile en Grèce avec les articles 3, 5 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). En constatant que les conditions de la détention en Grèce ont causé à l’intéressé une souffrance considérable qui peut être qualifiée de traitement dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, la Cour a également considéré qu’il y avait une violation de l’article 13. Elle a basé son raisonnement sur le fait que la loi nationale ne donne pas compétence aux tribunaux pour examiner les conditions de vie dans les centres de détention pour étrangers en situation irrégulière et pour ordonner la libération en raison de ces conditions de détention (§ 85, § 104).

En ce qui concerne la conformité avec l’article 5 de la CEDH, la Cour a conclu que la détention du requérant n’était pas « régulière », au sens de l’article 5, § 1, f), CEDH. Tout d’abord, la Cour nationale n’a pas pris en compte le fait que le requérant a déposé une demande d’asile en détention. À partir du moment où une demande d’asile a été déposée, la Cour eur. D.H. considère que l’existence d’un lien étroit entre le placement en détention du requérant et la possibilité d’éloigner celui-ci du territoire grec ne peut plus être établie étant donné que le requérant ne peut pas être expulsé avant l’examen de sa demande d’asile  (§§ 142-143). En outre, la Cour estime que les conditions de l’article 5, § 1, f), ne sont pas remplies en raison des conditions de détention qui peuvent être qualifiées de traitement dégradant (§ 144). L’ensemble de ces éléments a conduit la Cour eur. D.H. à reconnaître une violation de cette disposition. Finalement, la Cour juge qu’il y a également violation de l’article 5 § 4 car le contrôle juridictionnel du placement en détention du requérant était insuffisant. Le juge national n’a pas disposé du pouvoir d’examiner le recours sous l’angle de la légalité du renvoi, qui était le motif de la détention (§ 128).

B. L’éclairage

Cet arrêt souligne de nouveau l’importance que la Cour eur. D.H. accorde aux cas des demandeurs d’asile mis en détention. Sur le plan factuel, elle identifie les difficultés auxquelles les demandeurs d’asile détenus sont confrontés en Grèce[1]. Il existe bien quelques juridictions nationales, de première instance, qui examinent la légalité de la détention d’un étranger et ordonnent sa libération si elles considèrent celle-ci illégale. Malheureusement, cela ne suffit pas pour faire disparaître l’ambigüité des termes de la loi nationale en la matière (§ 129)[2]. De surcroît, la Cour souligne que la juridiction nationale aurait dû ‘tirer des conséquences’ du fait qu’une demande d’asile était introduite. Ce fait a été primordial pour amener la Cour eur. D.H. à considérer que la détention, ordonnée en vue de l’expulsion du requérant, n’était plus régulière étant donné que l’éloignement n’était plus possible.

Ce raisonnement pourrait servir pour contester les cas de détention de demandeurs d’asile sur la base du nouvel article 8, § 3, (d), de la refonte de la Directive relative aux conditions d’accueil (version du 16 juillet 2012)[3]. Celui-ci stipule que les demandeurs d’asile qui sont dans une trajectoire de retour et qui introduisent une demande d’asile peuvent être détenus si l’Etat Membre peut justifier, sur base de critères objectifs, que la demande est introduite seulement pour entraver leur retour.

L.T.

C. Pour en savoir plus

Pour consulter l’arrêt : Cour eur. D.H, 25 septembre 2012, Ahmade c. Grèce, req. n° 50520/09.


[1] Voy. Cour eur. D.H.,  5 avril 2011, Rahimi c. Grèce, n° 8687/08 ; Cour eur. D.H., 21 juin 2011, Efremidze c. Grèce, n° 33225/08 ; Cour eur. D.H., 22 juillet 2010, A.A. c. Grèce, n° 12186/08 ; Cour eur. D.H.,  11 juin 2009, S.D. c. Grèce, n° 53541/07, § 62 ; Cour eur. D.H., 7 juin 2011, R.U. c. Grèce, n° 2237/08.

[2] A.A. c. Grèce, précité, § 75, et Rahimi, précité, § 117.

[3] COREPER (Council of the EU), Amended proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council laying down standards for the reception of asylum seekers (recast), [First reading], 11214/11, 16 July 2012 (disponible seulement en anglais).

Publié le 23 juin 2017